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Expérience

Le plan d’adaptation au changement climatique de Carthagène

Construire l’avenir d’une ville côtière

Par Edisson Aguilar

On décrit ici l’histoire et les caractéristiques du plan d’adaptation au changement climatique que Carthagène est en train de construire depuis 2010, selon un processus auquel ont participé différents types d’acteurs sociaux (université, société civile, coopération internationale, gouvernements national et local, chefs d’entreprise). Il s’agit d’ un schéma qui facilite la « gouvernance » du changement climatique. L’expérience est intéressante, puisque le Plan d’Adaptation au Changement Climatique est explicitement orienté vers la gestion de ce phénomène, qu’il a impliqué la plupart des acteurs importants de la ville, et qu’il donne naissance à un document stratégique et à deux projets pilotes.

Table des matières

Dans le cadre du projet « Villes colombiennes et changement climatique », qui fait l’objet d’un travail conjoint avec l’Agence Française de Développement, Fedesarrollo [Fédération pour le Développement] et la Fundación Ciudad Humana [Fondation Ville Humaine], l’Institut de Recherche et Débat sur la Gouvernance (IRG) a identifié différentes expériences qui contribuent à la réflexion sur l’adaptation et/ou l’atténuation du changement climatique. Le Plan d’Adaptation au Changement Climatique de la ville de Carthagène a été l’une d’entre elles, puisqu’elle est explicitement orientée vers la gestion de ce phénomène. Ce Plan a impliqué la plupart des acteurs importants de la ville et il donne naissance à un document stratégique ainsi qu’à deux projets pilotes.

Aussi bien de par sa tradition historique et culturelle que par sa contribution à l’économie nationale, Carthagène est l’une des villes côtières les plus importantes de Colombie. Située dans le département du Bolivar, au Nord du pays et populairement connue sous le nom de « Ville Héroïque », elle a été une enclave stratégique pendant la colonisation espagnole. Elle est actuellement la destination touristique la plus importante de la région des Caraïbes, elle est devenue le siège d’événements culturels importants au niveau local et international et, au cours des dernières années, son industrie a progressé de manière considérable, spécialement dans le secteur des produits chimiques et des hydrocarbures. Néanmoins, malgré son importance touristique et industrielle, c’est une ville qui affronte d’énormes défis en matière d’équité sociale et de gestion des risques climatiques. Concernant le premier sujet, il est nécessaire de mentionner qu’en 2011 la ville enregistrait un niveau de pauvreté de 33,4% (1). Quant au deuxième point, la ville doit faire face à de sérieuses menaces telles que l’élévation du niveau de la mer (ANM) et une plus grande fréquence de fortes précipitations ; ces phénomènes naturels augmentent les risques d’inondation, de salinisation des nappes aquifères, et d’érosion côtière massive.

Une combinaison de ces vulnérabilités socio-économiques et des vulnérabilités structurelles affaiblissent alors la ville au moment d’affronter les effets présents et futurs du changement climatique, à plus forte raison si l’on considère que la population est d’environ 956.181 habitants (installés la plupart en zone urbaine) et qu’elle accueille un chiffre croissant de presque 500.000 touristes par an (2).

Dans de telles circonstances, la construction d’un plan d’adaptation au changement climatique devient un besoin impérieux. Les acteurs sociaux (institutionnels, privés, communautaires, etc.) l’ont ainsi compris et ils se sont organisés afin de bâtir des stratégies d’adaptation qui puissent orienter la planification urbaine de Carthagène. L’identification des interactions entre plusieurs niveaux de gouvernement (national-régional-local) et plusieurs acteurs (coopération internationale-instituts de recherche-gouvernement local-communautés-corporations professionnelles) pour la construction du plan, son origine financière et universitaire ainsi que certains éléments de ses phases de construction et de son contenu seront les principaux éléments développés dans cette note.

Les interactions institutionnelles qui donnent naissance au projet

Le Plan d’adaptation au changement climatique pour Carthagène est actuellement dans sa phase finale d’élaboration, et il constituera la ligne directrice que cette ville côtière suivra afin d’inclure la gestion des effets du réchauffement global dans ses politiques, dans ses plans de développement et dans son plan d’aménagement territorial (POT). Cette élaboration a été menée en deux phases : la première relative à la prise de contacts avec des acteurs importants et la recherche d’informations primaires et secondaires, et la deuxième concernant des tables rondes de participation avec les communautés, la rédaction du document final et la mise en marche de deux projets pilote. L’idée de construire ce plan a des antécédents relativement lointains et d’autres plus récents, et résulte de multiples facteurs et acteurs qui feront objet d’une analyse.

Les antécédents lointains remontent à une recherche en deux étapes réalisée par l’Institut de Recherche Marine et Côtière «José Benito Vives de Andreis» (INVEMAR) : la première s’est déroulée entre 2000 et 2003, afin de déterminer le degré de vulnérabilité des zones côtières de Colombie face à une Hausse du Niveau de la Mer (ANM en Espagnol), provoquée par le changement climatique. La deuxième étape s’est réalisée entre 2005 et 2008, afin de créer des alternatives d’adaptation dans deux villes considérées comme “critiques”, dont l’une était Carthagène. Ces deux étapes ont été financées par le Programme Hollandais d’Aide aux Études sur le Changement Climatique (NCCSAP, pour son sigle en anglais) (3). L’importance de cette étude réside dans son caractère pionnier concernant les effets du changement climatique dans le pays. Les progrès résultant de cette recherche ont été alors inclus dans le deuxième communiqué de la Colombie pour la Convention Cadre de l’ONU, et ils constituent la base scientifique du plan d’adaptation au changement climatique de Carthagène.

Avant que le gouvernement colombien ne manifeste son intérêt pour le sujet du changement climatique, l’INVEMAR avait déjà analysé les situations que les côtes colombiennes devraient affronter comme conséquence de l’ANM et des risques qui en découlent, et on avait défini un plan d’action pour y faire face. L’INVEMAR deviendra par la suite l’institut leader du processus de construction du plan d’adaptation.

Les antécédents les plus récents de ce plan remontent à 2007 quand, selon Francisco Castillo, conseiller du Secrétariat à la Planification de Carthagène, la mairesse de l’époque Judith Pinedo a introduit le sujet de l’aménagement de la zone côtière dans son plan de développement. Cela impliquait de considérer la mer comme un instrument de planification territoriale et d’inclure dans sa gestion les effets du changement climatique. En 2010, l’État s’intéresse au changement climatique suite à certains facteurs : le plan de développement du président Juan Manuel Santos a défini dans le chapitre 6 – « Durabilité Environnementale et Prévention du Risque »- que le pays devrait se préparer pour faire face à ses risques climatiques et, au cours de la même année, le phénomène de «La Niña» a provoqué de graves inondations qui ont laissé plus de trois millions de sinistrés et il a causé d’énormes dégâts matériels dans tout le pays. Ximena Rojas et Anny Zamora, chercheuses à l’INVEMAR, déclarent que, pour la préparation du Plan National de Développement, cet Institut a participé activement à une série de tables rondes organisées sur le changement climatique. Ce travail a permis d’inclure le sujet dans le chapitre 6 – “Durabilité Environnementale et Prévention du Risque”, ce qui a donné lieu ensuite à la création du Système National du Changement Climatique.

L’ordre des événements est donc le suivant : une initiative régionale de recherche sur le changement climatique qui contribue à inclure celui-ci dans l’agenda public et, ensuite, l’intérêt du gouvernement national pour ce sujet. Cet intérêt s’est concrétisé au niveau local, selon les chercheuses Rojas et Zamora et le secrétaire Castillo, en un « Accord pour la Prospérité » (il s’agit de visites réalisées par le chef de l’État, dans différentes villes et régions, pour écouter directement leurs problématiques) mis en place en 2010, et qui souligne la nécessité pour la ville de disposer de stratégies concrètes d’adaptation au changement climatique.

C’est alors qu’entre en scène un nouvel acteur de cette histoire : l’organisation internationale Alliance Climat et Développement (CDKN), résultat de l’union de six entités: PricewaterhouseCoopers LLP (PwC) ; la Fondation Avenir Latinoaméricain ; l’INTRAC ; le LEAD International ; l’Overseas Development Institute et le SouthSouthNorth. Ces organisations cherchaient à obtenir des fonds du Department for International Development du Royaume-Uni qui, à l’époque, finançait des projets qui mettaient en rapport le développement socio-économique et le changement climatique. Selon Mathieu Lacoste, conseiller en communications au CDKN pour la Colombie, les premiers contacts de la CDKN ont été établis avec le Ministère de l’Environnement, en tant que responsable de la politique environnementale et, ultérieurement, avec l’INVEMAR, l’institution qui a assumé le leadership pour la construction du plan. Des ponts ont également été jetés avec la mairie de Carthagène, plus concrètement avec le Secrétariat à la Planification, par l’intermédiaire de Javier Mouthon (le responsable de l’époque), et du conseiller Francisco Castillo. Ces connexions entre divers acteurs montrent que l’approche du projet est “multi-acteurs”, telle qu’explicitement définie par ses défenseurs lorsqu’ils précisent l’un de ses objectifs principaux :

« l’intégration des principaux secteurs économiques, gouvernementaux et de la société civile dans le processus de construction des lignes d’adaptation, en créant une prise de conscience des effets du changement climatique et de leur incidence sur la durabilité et sur la croissance de la ville » (4).

Les premiers contacts ont été noués pendant le phénomène de La Niña, qui a contribué à augmenter la réceptivité dans des secteurs qui, traditionnellement, ne s’y seraient pas intéressés, tels que les chefs d’entreprises ou même certaines entités publiques. Gabriel Pérez, fonctionnaire de l’ANDI/Fondation Mamonal (qui regroupe les entreprises de Mamonal, la zone industrielle de Carthagène), indique que les inondations ont touché la zone industrielle et que cela a entraîné une prise de conscience, parmi les chefs d’entreprises, de l’importance des risques climatiques. Mathieu Lacoste souligne l’implication progressive des corporations professionnelles et affirme que l’Association Nationale des Chefs d’Entreprise de Colombie (ANDI) et la Fédération Nationale des Commerçants (Fenalco) participent pleinement à la construction du plan. La stratégie du CDKN a consisté à impliquer petit à petit des acteurs importants tels que la Chambre de Commerce de Carthagène, qui a participé non seulement aux tables rondes préparatoires, mais qui a aussi effectué un travail de “prise de conscience” de certains groupements professionnels vis-à-vis du changement climatique: la Société des Ingénieurs, l’Association Colombienne des Micro, Petites et Moyennes Entreprises (ACOPI), la Chambre Colombienne de la Construction (Camacol), entre autres. Des ponts ont été établis avec certains fonctionnaires, généralement avec les échelons intermédiaires, puisqu’à ce niveau-là il y a moins de changements de titulaires de postes et qu’ils peuvent contribuer à une plus grande stabilité du processus de construction du plan.

Nous avons jusqu’ici une idée sur la manière dont ce projet a émergé, néanmoins, afin de comprendre le plan dans son intégralité, il faut aborder ses phases d’élaboration et son contenu spécifique.

La construction du plan d’adaptation au changement climatique

Selon les chercheuses de l’INVEMAR, Ximena Rojas et Anny Zamora, le premier pas pour l’élaboration du plan a consisté à bâtir quelques scénarios de changement climatique à long terme, afin de les utiliser dans la planification des stratégies d’adaptation. Dans le cas de Carthagène il existait déjà un élément précieux : la recherche pionnière d’INVEMAR, mentionnée plus haut. Cependant, au moment de commencer à élaborer le plan, il a fallu actualiser certaines données qui dataient de 2004, qui ne concernaient que l’ANM et qui n’incluaient pas d’autres menaces aussi importantes pour la ville ; pour ce faire, les chercheuses se sont appuyées sur les données obtenues par l’Institut d’Hydraulique et d’Assainissement Environnemental de l’Université de Carthagène (IHSA), institution qui avait un accord avec la mairie pour l’élaboration de la “Base Environnementale de Carthagène des Indes”. Comme nous l’indiquions dans le premier paragraphe, le plan d’adaptation comprend deux phases. L’objectif principal de la première était d’arriver à “Une planification territoriale compatible avec le climat, qui implique l’incorporation des risques associés au changement climatique et des mesures d’adaptation au Plan d’Aménagement Territorial (POT), et leur incidence sur les investissements et sur le développement économique et social de la ville” (5).

Le résultat de cette première phase a consisté en l’élaboration d’un document préliminaire appelé « Lignes directrices d’Adaptation au Changement Climatique pour Carthagène des Indes ». Les projections du changement climatique et de ses effets ont été calculées pour deux périodes et dans deux situations différentes: les années 2019 et 2040, avec un scénario pessimiste et un scénario optimiste. Et comme dans ce projet le changement climatique est considéré comme un problème inséparable du développement, le pessimisme ou l’optimisme des projections dépendent de la décision du gouvernement de prendre ou non les mesures appropriées afin de garantir un développement durable. Ces mesures sont :

  • la construction du Plan d’Urgence de la ville ;

  • la conception d’alternatives pour la stabilisation de la Boca del Laguito [Bouche du Petit Lac] et d’un secteur de la ligne côtière de l’Île de Tierrabomba ;

  • le succès de l’aboutissement du Projet Bicentenaire, destiné à fournir environ 25.000 logements sociaux dans les secteurs vulnérables de la ville ;

  • le macro-projet du “Parc du District Ciénaga de la Virgen [Marais de la Vierge]”, orienté vers la protection de cet important écosystème qui a été pollué, pendant des années, par les eaux usées de la ville ; et

  • le Projet Marées, qui englobe des travaux d’assainissement de base et de paysagisme sur les côtes.

Outre les changements de température, des calculs ont été faits sur la vulnérabilité des habitants aux effets du changement climatique, en les divisant par quartiers, de manière à donner la priorité aux endroits où il faut prendre les premières mesures. On a évalué l’impact de différents phénomènes tels que des inondations – provoquées par des grandes marées ou par de fortes précipitations —, la perte de plages et l’érosion côtière, la perte du patrimoine écologique, la diminution de la pêche – comme résultat du blanchissement du corail —, et la progression des maladies tropicales telles que la dengue et la malaria.

En outre, le document contient des cartes avec des clignotants, pour les deux années et pour les deux scénarios, qui indiquent quels seront les endroits les plus touchés si des mesures ne sont pas prises. De la même manière, pour chaque scénario et pour chaque année, on calcule la population qui serait affectée par ces phénomènes. Selon le rapport, «…les secteurs et les ressources naturelles les plus vulnérables au changement climatique sont : Les ressources hydriques, la santé, la ligne côtière, et concernant les activités économiques : le tourisme, l’industrie, les constructions et l’infrastructure présente dans les zones vulnérables aux impacts du changement climatique (…) Sur le plan géographique, les secteurs les plus vulnérables face aux impacts évalués du changement climatique se trouvent dans les quartiers de Tierrabomba et de La Boquilla aussi bien du fait de leurs conditions socio-économiques que de la faible couverture en services publics et aussi à cause du type de logements».

Il faut souligner que, selon que l’on mette en oeuvre les projets de développement durable et que l’on prenne des mesures pour garantir des logements corrects à la population, situés dans des secteurs à faible risque, dotés des services de base, le nombre de personnes affectées et la pression sur les écosystèmes diminuent ostensiblement, en passant d’un scénario à l’autre. Par exemple, la population qui se trouverait dans des zones inondables en 2019 et en 2040, dans le scénario pessimiste, s’élève à 117.624 et à 196.968 respectivement; mais dans le scénario optimiste, où des mesures sont prises pour protéger la ligne côtière contre l’érosion et où le Parc du District Ciénaga de la Virgen est construit, «la partie touchée de la population serait de 6,7% en 2019 et de 20% en 2040».

Mais en plus de proposer des estimations localisées des différents impacts du changement climatique, le document souligne quelles sont les six lignes directrices qui doivent être suivies si l’on veut que Carthagène soit une «ville plus adaptée» et non une «ville vulnérable» :

  • l’adaptation au CC dans le développement urbain et rural ;

  • L’infrastructure et la compétitivité : l’adaptation intégrée au développement sectoriel ;

  • Les citoyens et l’adaptation au climat ;

  • la protection et la restauration du patrimoine écologique : outils pour une gestion adaptative de la ville;

  • le plan directeur de drainage des eaux pluviales et du réseau public d’égouts ; et,

  • l’organisation institutionnelle pour le processus d’adaptation.

Parmi les mesures les plus importantes proposées par chacune de ces lignes directrices, figurent les suivantes : inclure le changement climatique dans les plans de développement, dans les révisions du POT et dans les Plans de Gestion et d’Aménagement des Bassins (POMCA) ; élaborer des plans de protection des plages ; développer le tourisme dans des zones telles que les palétuviers afin de freiner leur destruction et d’améliorer le système de collecte et d’élimination des résidus solides ; renforcer les capacités de la population à identifier des risques de maladies tropicales et encourager la création d’organisations communautaires capables d’articuler le développement et les sujets climatiques dans leurs secteurs ; récupérer et préserver les sources hydriques afin de garantir l’approvisionnement en eau pendant les périodes de sécheresse ; concevoir un plan directeur de drainage des eaux pluviales et du réseau public d’égouts incluant les cartes des inondations élaborées par le projet, qui puisse réguler la protection des inspections hydriques et qui prenne en considération le drainage naturel – celui du système des chenaux et des lacs côtiers –; et, finalement, créer les structures ou les articulations institutionnelles nécessaires afin de coordonner la mise en place du plan d’adaptation.

Sur ce dernier point, il est nécessaire d’indiquer que durant la première phase, on a établi un dialogue avec les acteurs impliqués afin de faciliter l’appropriation du projet. Pour cette tâche, différentes organisations ayant une large base de mobilisation ont créé des espaces de diffusion et ont convoqué d’autres acteurs. La Chambre de Commerce, la Fondation Mamonal et le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) ont joué ce rôle fédérateur. En termes d’articulation, il faut souligner la création, en Janvier 2013, d’une commission interinstitutionnelle du changement climatique. Son but est de rendre transversal ce sujet auprès du gouvernement local mais aussi de différentes organisations privées, publiques et sociales. Elle a été créée avec l’appui d’INVEMAR, du CDKN et de toutes les organisations qui ont participé à la phase I. Ses membres sont: l’Établissement Public Environnemental de Carthagène (EPA), la Corporation Autonome Régionale (CARDIQUE), l’Autorité Maritime Nationale (DIMAR), le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MADS), le Centre de Recherches Océanographiques et Hydrographiques (CIOH), la Chambre de Commerce de Carthagène, l’Université de Carthagène, l’Association Nationale des Chefs d’entreprise de Colombie (ANDI), l’Unité des Parcs Nationaux Naturels, l’Institut Colombien du Développement Rural (INCODER) et la Société des Ingénieurs et Architectes du Bolivar (SIAB) (6).

La commission fonctionne comme une entité stabilisatrice du projet, de telle manière que celui-ci ne dépende pas uniquement des gouvernements locaux et qu’un changement politique soudain ne mine les progrès réalisés. Ceci est particulièrement important à Carthagène puisque, au cours des deux dernières années, la ville a fait face à un sérieux problème d’instabilité politique, du fait de la maladie et ensuite du décès du maire Campo Elías Teherán. Le gouvernement local a travaillé pendant presque un an en situation provisoire, en devant faire face à un important roulement de fonctionnaires suite aux changements effectués par les maires suppléants. En Juillet 2013, des élections partielles ont été convoquées et finalement c’est Dionisio Vélez, un chef d’entreprises originaire de Carthagène, qui a été élu. Selon Adriana Ramos, de la Chambre de Commerce de Carthagène, et Mathieu Lacoste, du CDKN, les membres du projet ont participé aux débats précédant les élections, afin d’inclure le sujet du changement climatique dans l’agenda des candidats de l’époque et d’exercer ainsi une pression pour éviter qu’une fois au pouvoir, ils ne l’abandonnent. Cependant, comme le maire a été élu trop récemment pour qu’on puisse voir des résultats, il est difficile de connaître les effets de cette « pression » politique.

Cependant, malgré les aléas politiques, Francisco Castillo souligne que les fonctionnaires chargés du changement climatique ont joui d’une certaine stabilité dans leurs fonctions. Lacoste indique pour sa part que, bien que les hommes politiques soient ici les acteurs les moins réceptifs face au changement climatique, il a confiance dans la continuité du projet car celui-ci est fondé sur une stratégie reposant sur des réseaux d’acteurs et ne dépend pas exclusivement du gouvernement (bien que sans lui la tâche serait quasiment impossible), et dans laquelle s’établissent des liens avec les échelons intermédiaires de la hiérarchie qui ont un un taux de rotation inférieur à celui des dirigeants.

La phase I s’est terminée avec la création de la commission. La phase II, qui a commencé au milieu de l’année 2013, a trois objectifs : élargir la participation sociale au processus, publier le document final du plan d’adaptation et définir deux projets pilote qui lanceraient la mise en place du plan. Les motifs qui ont conduit les responsables de ce plan à vouloir élargir la participation, ont un rapport avec le fait que Carthagène est une ville complexe, aussi bien en raison de sa composition raciale et ses classes sociales que de la structure de son territoire ; une bonne partie de sa population est afro-descendante ; ses niveaux de pauvreté, comme nous l’avons indiqué, sont importants et les fractures sociales sont considérables (ce qui est évident si l’on compare la situation des quartiers marginaux et le style de vie dans la « ville fortifiée ») ; et outre le fait d’avoir trois arrondissements bien différents (Arrondissement N° 1, Historique et Caraïbe Nord, Arrondissement N° 2, De la Vierge et Touristique, Arrondissement N° 3, Industriel de la Baie), elle possède des territoires insulaires aux caractéristiques environnementales et sociales particulières (les îles de Baru, Tierrabomba, San Bernardo ainsi que les Îles du Rosaire). Par conséquent, cette diversité ajoutée au fait que, au cours de la première phase, on a organisé des ateliers de “socialisation” mais non de “participation” , a conduit à proposer la possibilité de mesurer la vulnérabilité et de présenter les stratégies d’adaptation des zones insulaire et rurale, conjointement avec leurs habitants. Pour ce faire, une série de tables rondes participatives est mise en place au sein des communautés qui, quand elles seront terminées, devront compléter la phase II du projet.

En somme, à la fin de la phase II, la version définitive du plan d’adaptation devra être rendue, et elle devra être prête au cours du premier semestre 2014, date sur laquelle tous les participants sont d’accord. La stratégie de mise en place du plan doit également être définie et deux projets pilote, en attente d’un financement national ou international, doivent être présentés ; ces projets pilotes constitueraient « l’inauguration » du projet, une manière de montrer sa portée grâce à des faits concrets. Mais le défi le plus important, c’est sans aucun doute d’obtenir l’intégration effective du plan dans la planification urbaine de la ville, tâche dans laquelle on progresse déjà dans l’actuelle révision du POT, même s’il n’existe pas encore de version définitive de ce dernier ni de certitude sur la manière dont cette intégration sera faite.

Commentaires

La construction d’un plan d’adaptation au changement climatique pour une ville côtière d’une grande importance économique et culturelle, mais sujette à de graves vulnérabilités et à des scénarii d’instabilité politique, n’est pas une tâche facile. Le projet a des qualités certaines, telles que “on sera tous dans le même bateau”, selon Mathieu Lacoste, puisque c’est ainsi qu’on garantit que les acteurs sociaux impliqués respectent leur engagement à long terme. D’autre part, il est capital d’inclure les zones insulaires et rurales car, à Carthagène, comme cela se passe dans beaucoup de villes colombiennes, les parties rurales sont aussi grandes ou même plus que les zones urbaines, et elles ont une grande importance environnementale (il suffit, dans ce cas, de penser à La Ciénaga de la Virgen [Marais de la Vierge]). Il est donc essentiel d’élargir la participation de la population : on peut intégrer les perceptions du risque et les propositions des communautés dans le plan, et les mesures d’adaptation sont ainsi plus démocratiques et donc plus faciles à mettre en place.

Concernant les défis, toutes les personnes interviewées sont d’accord sur le fait que la «volonté politique» constitue le point principal. Bien que le Secrétariat à la Planification s’y soit impliqué, l’intérêt n’est pas le même dans les sphères plus politiques du gouvernement. Du côté des corporations professionnelles, même si la plupart y participent, certaines avec des intérêts à court terme (comme dans le secteur touristique), elles sont toujours réticentes à des mesures qui pourraient les affecter, selon Lacoste, particulièrement pour ce qui concerne le lieu et les modalités de construction de leurs installations. Il faut donc garantir la stabilité du processus à long terme, puisque la situation politique de Carthagène tend à l’instabilité. En somme, le projet a réussi à intégrer un groupe important d’acteurs locaux aussi bien du gouvernement et des corporations professionnelles que de la société civile, dans la construction d’alternatives d’adaptation pour Carthagène, selon un schéma de «gouvernance» (articulation horizontale entre acteurs) du changement climatique, mais ceci est encore fragile et dépend, jusqu’à un certain point, de facteurs externes (économie et politique locale).

Bibliographie

(1) www.dane.gov.co/files/investigaciones/condiciones_vida/pobreza/cp_pobreza_2011.pdf , consulté le 14 Août 2013.

(2) cdkn.org/project/adaptacion-cambio-climatico-cartagena-de-indias-e-islas-fase-i/ , consulté le 14 Août 2013.

(3) cinto.invemar.org.co/alfresco/d/d/workspace/SpacesStore/8c2b94df-107b-4050-ad68-314f64278ae7/INVEMAR_Resumen%20EjecutivoEspanol01.pdf

(4) cdkn.org/project/adaptacion-cambio-climatico-cartagena-de-indias-e-islas-fase-i/ , consulté le 15 Août 2013.

(5) cdkn.org/project/adaptacion-cambio-climatico-cartagena-de-indias-e-islas-fase-i/ , consulté le 17 Août 2013.

(6) cdkn.org/2013/03/noticia-nuevas-organizaciones-se-integran-a-la-comision-tecnica-de-cambio-climatico-de-cartagena/ , consulté le 17 Août 2013.

Notes

Fiche traduite de l’espagnol au français par Joseph Cheer.

 

Voir Aussi