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Les maisons flottantes : une innovation technologique pour faire face aux inondations

De jeunes ingénieurs de Medellin créent un modèle de logement pour des régions inondables de Colombie

By Angela Vejarano

La ville de Medellin, l’un des principaux centres urbains du pays, possède d’importantes institutions d’enseignement supérieur, dont l’Université EAFIT, où un groupe d’étudiants en Ingénierie a conçu, en 2010, un modèle de logement flottant. Il s’agit d’une solution de logement importante pour les régions colombiennes vulnérables aux inondations et qui, en raison du changement climatique, augmentent.

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Dans le cadre du projet « Villes colombiennes et changement climatique », qui fait l’objet d’un travail conjoint avec l’Agence Française de Développement, Fedesarrollo [Fédération pour le Développement] et la Fundación Ciudad Humana [Fondation Ville Humaine], l’Institut de Recherche et Débat sur la Gouvernance [(IRG]), a identifié différentes expériences qui contribuent à la réflexion sur l’adaptation et/ou l’atténuation du changement climatique. L’une de ces expériences est la création de logements flottants par l’entreprise Utópica SAS en alliance avec l’Université EAFIT de Medellín. Il s’agit d’une proposition innovante qui pourrait être mise en place dans les régions colombiennes les plus vulnérables aux inondations, qui s’intensifient à cause de la variabilité et du changement du climat.

Le premier Mars 2013, dans le cadre du concours « City of the year » organisé par The Wall Street Journal et le Citigroup, Medellin a été reconnue comme la ville la plus innovatrice du monde. Parmi les raisons qui l’ont conduit à obtenir ce prix, on peut souligner la création d’espaces culturels, la baisse de la criminalité et la mise en place d’un système durable de mobilité et de transports, qui contribue à diminuer le taux de CO2 contenu dans l’atmosphère ;

La proposition innovante des « maisons flottantes » – développée par Lina Cataño et Andrés Walker et mise en place dans la région de la Dépression Momposina [Mompox est une petite ville colombienne de la côte Caraïbe] – a été largement reconnue. Elle reçoit actuellement le soutien de l’Université EAFIT sous forme de « spin-off », système fondé sur une relation associative de l’institution d’enseignement avec une personne ou une entreprise.

Ces unités de logement sont présentées comme une solution respectueuse de l’environnement et adaptée aux besoins socio-économiques de la région. Nous décrivons ci-après cette expérience, qui prend en considération le contexte dans lequel elle a été créée, les modifications qu’elle a subies dans sa conception, les acteurs impliqués dans son développement, les succès et les progrès obtenus jusqu’à maintenant, et enfin ses projections vers l’avenir.

Le défi : Les conditions géographiques et les dynamiques socio-culturelles de la région de la Dépression Momposina dans le cadre du changement climatique.

Le population de la Dépression Momposina, située au Nord-Ouest du pays, a été l’une des plus touchées par les manifestations climatiques inattendues et de plus en plus fréquentes. Comme son nom l’indique, cette zone est située à un niveau plus bas que les fleuves qui la traversent, principalement le Magdalena. Ce territoire fonctionne alors comme un élément régulateur des crues hydriques et contribue en même temps à la formation et au maintien de grands marécages, qui abritent une diversité de flore et de faune très riche. De telles conditions ont permis aux communautés de la région de développer des pratiques sociales et des modes de vie particuliers, caractérisés par ce que le sociologue et professeur Orlando Fals Borda a appelé dans les années soixante-dix la « culture amphibie ». Les habitants de la Dépression Momposina sont en effet habitués aux crues périodiques du fleuve. Ils font alors en sorte que les terrains inondables leur apportent des ressources en matière notamment de pêche et d’élevage de bétail selon l’époque de l’année.

La région est également un noyau humain avec une grande concentration de besoins de base non satisfaits et dont la vulnérabilité s’est manifestée de manière évidente face aux variations climatiques de ces dernières années. Cependant, l’enracinement et l’identification au territoire ont souvent empêché les communautés d’abandonner la région malgré les désastres et un climat qui ont empiré.

La conception et l’évolution de la maison flottante: passer des emballages en plastique au ciment

Les maisons flottantes sont en partie inspirées des « maisons-bateaux » hollandaises. À l’instar de celles-ci, elles sont le résultat d’une stratégie architecturale qui s’adapte à l’augmentation du niveau des fleuves et des lacs, provoquée par le réchauffement climatique global. Cependant, la grande différence avec la Hollande est qu’il s’agit ici de logements d’intérêt social et peu coûteux, tandis que là-bas le fait de « vivre sur l’eau » peut être considéré comme un luxe. En outre, les maisons flottantes colombiennes doivent être écologiques et auto-suffisantes.

Le premier modèle d’unité d’habitation qui a été développé en 2011 par Lina Cataño et Andrés Walker, à l’époque étudiants en Ingénierie et en Design de produit à l’Université EAFIT de Medellin, était une maison préfabriquée de six tonnes pouvant abriter une famille de cinq à six personnes. Ella avait un système de récupération des eaux de pluie, des toilettes sèches, et une plateforme reposant sur plus de 600 bouteilles vides en plastique PET qui permettaient à la maison de flotter.

Toutefois, même si l’objectif du projet était de créer des alternatives de logement pour des régions à faibles revenus habitées par des communautés relativement grandes, le processus de collecte et de transport des emballages représentait l’un des principaux obstacles que les créateurs du projet ont rencontré en voulant le mettre en place à grande échelle. L’explication est due au fait, entre autres, que l’une des grandes entreprises productrices de bouteilles plastiques en PET, Enka de Colombie S.A., recycle déjà une grande partie des emballages vides qu’elle produit, ce qui diminue la possibilité pour les étudiants d’en collecter la quantité nécessaire pour construire les plateformes flottantes d’un bon nombre de maisons.

Pour que cette proposition soit viable, il a alors fallu modifier la conception et les matériaux de la plateforme flottante. Ainsi dans le courant de l’année 2012, et avec l’aide de différents groupes de recherche de l’Université EAFIT (parmi lesquels « Recherche sur les Matériaux et la Société », « Mécanique Appliquée au Développement et à la Conception de Processus » et « Politique et Histoires Connectées »), la conception du VIS [logement d’intérêt social = sorte de HLM] flottant a été modifiée notamment en ce qui concerne les matériaux utilisés. Cela permet de conférer à chaque unité d’habitation un caractère plus durable.

Le nouveau modèle - l’actuel - inclut un pilotis et une structure spéciale dans un des angles de la maison, qui permettent le mouvement vertical mais non horizontal de cette structure. On a conçu un élément de fondation dans le sol qui supporte la maison en situation de non-inondation, de manière à donner plus de stabilité et de confort aux habitants. Enfin, au lieu d’une plateforme faite avec des bouteilles recyclées, le nouveau prototype de maison flottante utilise du ciment enrichi, un matériau qui pourrait certes remettre en question l’utilité du matériau écologique qui était proposé au début avec l’idée de recycler les emballages en plastique.

Cependant, concernant la notion « d’écologique », Cataño explique: « Il ne s’agit pas uniquement de penser que quelque chose est écologique du fait de ses matériaux en eux-mêmes, mais plutôt de comprendre que quelque chose peut être considéré comme ‘écologique’ en fonction d’un contexte particulier. Dans le cas de la Colombie une maison constitue un patrimoine familial qui se valorise de génération en génération » ; par conséquent, la persistance d’un matériau tel que le ciment le rend écologique à long terme, si l’on considère qu’il fait partie d’une maison qui sera certainement utilisée pendant de longues années et qui n’exigera pas de réparations importantes.

Une alliance nécessaire et bénéfique avec l’université

Utópica SAS, nom de l’entreprise qui construit les maisons flottantes, est un spin-off, c’est-à-dire une alliance entre l’entreprise et l’université. Selon Cataño, la stratégie de s’associer à l’université a été essentielle pour la poursuite du projet des maisons flottantes et pour pouvoir répondre à une convocation du Département Administratif pour la Science, la Technologie et l’Innovation (Colciencias) dans le but de recevoir une assistance-conseil ainsi qu’une aide en nature. Cela a permis de modifier la conception de flottabilité décrite précédemment, en même temps que l’Université fournissait un appui technique aux groupes de recherche qui ont participé à son développement.

Le spin-off a également été important pour obtenir l’aide financière de l’Union Européenne, du bureau colombien du Programme des Nations-Unies pour le Développement et de l’Unité Nationale pour la Gestion du Risque de Désastres, pour un projet spécifique. Il s’agit de la construction d’un centre d’enseignement flottant dans la petite municipalité de Chimichagua, située dans la zone de la Dépression Momposina et qui correspond au département du Cesar. Cette école hébergera près de quarante (40) élèves du primaire. Elle est construite sous la coordination de Walker, avec l’aide opérationnelle de dix-sept (17) personnes appartenant à la même communauté et qui sont bénéficiaires des aides de la sécurité sociale grâce à leur travail.

Il faut souligner que, face à la crise vécue par cette région et par le pays à cause de la période de fortes pluies qui s’est présentée en 2010-2011, l’idée des maisons flottantes –conçue peu avant les inondations – a été énormément médiatisée, ce qui a permis que le projet de Cataño et Walker soit présenté à l’Organisation des États Américains et aux Nations-Unies, ainsi qu’à Río+20 et devant le Dialogue Interaméricain sur la Gestion de l’Eau.

Vers une reconnaissance politique et normative du gouvernement colombien

Utópica SAS espère que le Gouvernement national sera son principal client à l’avenir, en valorisant les aspects sociaux et économiques, et aussi de gestion du risque de désastres que cette initiative englobe. Ce futur n’est peut-être pas très lointain si l’on considère que les unités d’habitation flottantes de la société ont été choisies comme l’un des cinq cas d’étude que le Département National de la Planification a pris comme base pour développer une politique d’inclusion sociale nationale qui est en phase d’élaboration. C’est une réussite récente et extrêmement importante pour Cataño, « car nous allons pouvoir faire entendre notre voix dans les hautes sphères ».

Il est nécessaire, cependant, de noter qu’à chaque présentation du projet devant une entité quelconque, le spin-off d’Utópica souligne le besoin qu’il y ait un cadre normatif qui puisse faciliter et réguler la construction, la mise en place et le marché des Logements d’Intérêt Social flottants. On comprend bien sûr que la nouveauté de ce projet mérite une révision et une analyse par des experts, et que la normativité soit longue. Entre temps, le spin-off Utópica-EAFIT continuera à développer des projets avec l’aide internationale et locale dans des municipalités telles que celles de la Dépression Momposina .

Comments

La proposition des unités d’habitation flottantes que présente le spin-off Utópica-EAFIT non seulement devient une mesure viable d’adaptation au changement climatique, mais elle propose aussi une nouvelle forme de logement qui prend en considération les variables sociales et culturelles d’un territoire. Enfin, c’est une proposition d’innovation technologique et peu coûteuse.

En effet, si les processus de réinstallation qui ont eu lieu dans une même ville provoquent des traumatismes chez ceux qui doivent abandonner leur maison et affectent les relations de voisinage qui se sont construites pendant de longues années, il faut se demander quels seraient les effets d’une réinstallation de communautés entières qui ont eu pendant des années un mode de vie « amphibie » dans des écorégions telles que la Dépression Momposina. Les maisons flottantes contribuent ainsi à améliorer l’adaptation face au changement climatique et conservent en même temps les aspects socio-culturels des zones où elles sont construites.

La proposition pourrait aussi être considérée comme une possibilité remarquable d’atténuer l’afflux de groupes importants de population vers les grandes villes du pays, et de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie dans des régions et des municipalités éloignées des centres administratifs et financiers urbains qui caractérisent la Colombie. En ce sens, il est pertinent de réfléchir attentivement à la manière dont la mise en place des VIS flottantes proposées par le spin-off Utópica-EAFIT pourrait avoir une incidence sur des modèles concrets d’occupation territoriale. En d’autres termes, il convient de mettre en relation ce projet avec les débats sur l’aménagement du territoire.

Bibliographyy

Notes

Fiche traduite de l’espagnol au français par Joseph Cheer.

 

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