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note de lecture

La diplomatie non gouvernementale et les « trois familles »

Auteur : Henri Rouillé d’Orfeuil

Par Ting Shao

18 janvier 2006

Table des matières

Introduction

Pendant la 6ème conférence ministérielle de l’OMC en décembre dernier, nous avons eu la chance de lire un manuscrit de M. Henri Rouillé d’Orfeuil (Président de l’ONG Coordination SUD), qui analyse les actions des ONG en relation à la gouvernance dans le contexte de la mondialisation. Ses comparaisons et ses analyses essaient cerner le concept de « diplomatie non gouvernementale» (DNG).1

La notion de DNG est toute nouvelle, autant pour le public que pour les acteurs non gouvernementaux. Une dizaine de responsables d’ONG ont répondu à nos questions à ce sujet lors d’entretiens avant, pendant et après la conférence ministérielle de l’OMC à Hongkong. Certains d’entre eux affirment la dimension diplomatique de leurs activités, spécialement quand ils essaient d’influencer les décisions des gouvernements. D’autres nient cet aspect des choses et adoptent une position tout à fait différente quant à leur rôle dans ce qu’on appelle la diplomatie. Il est ainsi intéressant, et même nécessaire, d’analyser sur une base concrète le sens de cette nouvelle notion.

La DNG est décrite comme la manière dont les acteurs internationaux non gouvernementaux participent au débat public international et interagissent avec les autorités gouvernementales en charge de conduire les négociations internationales. Pour éviter les incompréhensions, M. Rouillé d’Orfeuil a rappelé à plusieurs reprises que la DNG n’est pas - et ne doit pas être - comprise comme une diplomatie parallèle, mais comme une composante d’une « diplomatie participative » . Elle se définit par objectif et par action en direction de publics divers. L’objectif de la diplomatie non gouvernementale promue par les ONG est unique et de taille : contribuer à la construction d’un monde solidaire. M. Rouillé d’Orfeuil distingue trois familles d’ONG : les réseaux militants de la solidarité internationale ; l’opinion publique et les medias ; les négociateurs internationaux.

Les réseaux militants de la solidarité internationale.

La famille des militants de la solidarité internationale est nombreuse et extrêmement variée. L’ouvrage les analyse en fonction de différents critères. En général, les militants agissent dans deux directions, d’une part, vers leurs partenaires des pays du Sud, de l’autre, vers les sociétés civiles des pays du Nord. Il s’agit à la fois d’agir contre le sous-développement, là où celui-ci se manifeste concrètement, mais aussi de faire évoluer les règles des jeux mondiaux qui distribuent inéquitablement les chances de gagner ou de perdre la bataille de la démocratie et du développement durable. Dans les pratiques des ONG, agir localement se fait par la construction de partenariats. Agir globalement nécessite de donner aux idées des ONG une large base populaire, c’est-à-dire d’en faire des idées politiques. Si les ONG peuvent agir localement sans avoir de racines très profondes dans leurs sociétés d’origine, il en va différemment pour l’action internationale : le plus large portage des idées, analyses, propositions ou revendications est requis.

Le monde des militants peut être tissés selon les critères géographiques, religieux, professionnels, émotionnels… Si on est Breton, catholique et agriculteur, si on est un immigré ou une missionnaire, si on a fait le service militaire en coopération dans un pays lointain, on crée avec quelques amis une association ou l’on adhère à une association existante. Le monde des donateurs est différent. Il ne leur est pas demandé d’être des militants, mais de soutenir les actions des ONG, même si, à l’occasion, ils pourront venir rejoindre la famille des militants.

Comment les militants interviennent-ils dans la «diplomatie non gouvernementale »  ? Le livre de M. Rouillé d’Orfeuil poursuit deux directions. Pour entretenir une vie démocratique dans les associations, ils doivent multiplier les activités communes et créer une communication de proximité. Cela passe par des réseaux municipaux ou associatifs, syndicaux, politiques, religieux, scolaires, etc. Cette communication de proximité est importante pour populariser les objectifs et les pratiques de la solidarité internationale. Il reviendra à l’association mère de faciliter l’exercice concret de cette solidarité internationale en facilitant la diffusion d’informations, voire en produisant des produits de communication et en soutenant les initiatives décentralisées des militants. Pour perfectionner cette mission, il y a des réunions entre ONG, qui sont pour les militants des occasions de rencontres et d’échanges, entre eux et avec les responsables nationaux de leurs mouvements, ainsi qu’avec certains de leurs partenaires d’autres pays.

L’autre forme importante pour les militants est le Forum Social Mondial (FSM). Les militants y voient une grande réunion de famille. Ils participent à des séminaires, rencontrent des partenaires, des journalistes ou des spécialistes des sujets qui les intéressent. De retour dans leurs associations locales, ils transmettent l’ambiance et les messages et se préparent à participer à la fois aux actions locales et aux campagnes d’opinion nationales et internationales. Les réseaux militants de la solidarité internationale constituent ont sans doute été la famille qui a le plus bénéficié du FSM. Ces ONG ont appris à tirer parti de la diversité des participants et de la décentralisation des initiatives, mais aussi à se regrouper lors de quelques grands événements ou d’actions communes internationales.

L’opinion publique et les medias.

La bataille de l’opinion publique est celle qui a le plus d’importance pour la diplomatie. Comme le disait un diplomate au terme d’une négociation infructueuse pour son pays : « une négociation se gagne d’abord dans l’opinion publique, avant de se conclure entre diplomates autour de la table de négociation » . Cette bataille est donc devenue essentielle dans une stratégie diplomatique et ce ne sont pas les communicateurs gouvernementaux qui pourront la gagner. La diplomatie porte ainsi une attention majeure aux ONG, aux plus habiles et aux plus puissantes d’entre elles et à leurs fédérations. L’opinion publique et les medias apparaissent donc comme une perspective importante dans l’analyse de la DNG, à commencer par la relation entre militants et opinion publique.

Les militants, par leurs actions de communication de proximité, contribuent à la popularisation des idées sur lesquelles repose la construction d’un monde de solidarité. Mais il faut reconnaître qu’il y a une différence entre le monde des militants et l’opinion publique, sensible à la fois aux problèmes de la vie quotidienne et à des préoccupations mouvantes, particulièrement celles véhiculées par les télévisions.

Les ONG organisent des campagnes visant à informer l’opinion publique. Celles-ci doivent être peu nombreuses et aussi larges que possible. Les journalistes sont les véritables médiateurs entre les ONG et l’opinion publique. Henri Rouillé d’Orfeuil les classe par ordre d’importance : les journalistes de télévision, de radio, de la presse généraliste, enfin, ceux de la presse spécialisée. La hiérarchie serait strictement inverse si nous interrogions la possibilité d’approfondir les sujets d’information. En règle très générale, les journalistes suivent l’agenda de grands rendez-vous diplomatiques : conférences des Nations Unies, conférences ministérielles de l’OMC, réunion de G8, forums sociaux mondiaux. Ils couvrent également les événements internationaux. Envoyés pour suivre les grands événements internationaux, ils sont souvent baignés dans la communication, pour ne pas dire propagande, gouvernementale et institutionnelle. Ils cherchent alors à la fois une contre information et, surtout, un accès à d’autres sources, les plus directes et concrètes possibles. Ils cherchent des porte-parole représentatifs du monde des ONG et surtout, des paroles d’acteurs qui vivent quotidiennement les problèmes autour desquels s’affairent des diplomates ou s’acharnent les événements.

Les négociateurs internationaux, les alliances.

Les ONG veulent créer un monde de solidarité et cherchent à poser les pierres qui dessinent progressivement le chemin qui pourra y conduire. On a vu leur participation s’accroître dans les négociations internationales. Eu égard à ce qu’est la logique politicienne, c’est-à-dire électorale, qui détermine ceux des hommes ou celles des femmes politiques qui sont appelés à exercer le pouvoir, les positions et propositions des ONG ne sont recevables par les décideurs que si elles peuvent être soutenues par une large part de l’électorat. M. Rouillé d’Orfeuil évalue qu’elles ne sont acceptables que si au moins à 30% des électeurs sont prêts à les soutenir. La tâche des ONG est d’œuvrer pour que leurs propositions atteignent une audience électorale de 30% et de convaincre les responsables politiques de prendre le relais pour leur faire passer la barre des 50%, pourcentage à partir duquel un passage à l’acte devient électoralement payant.

D’une part, il est important que les propositions des ONG puissent être relayées par la diplomatie gouvernementale (elles doivent alors avoir assez de consistance pour ne pas en sortir vidées de leur sens). Par ailleurs, elles doivent trouver des alliés assez forts pour espérer s’imposer.

Alliance est un mot clé dans l’analyse du terme DNG. Il est aussi un mot majeur de toute diplomatie : les acteurs collectifs internationaux doivent construire leurs alliances au cas par cas avec des forces complices, y compris gouvernementales. Cela suppose d’abord de définir une stratégie, ce qui implique une vision et des engagements à long terme.

M. Henri Rouillé d’Orfeuil décrit les étapes de cette construction d’alliances au sein de la diplomatie non gouvernementale. D’abord, mettre des positions et des propositions sur la table, en précisant qu’elles sont négociables. Ensuite, essayer de « faire le plein » d’acteurs collectifs internationaux non gouvernementaux, s’intéresser aux autres acteurs sociaux – syndicats, milieux associatifs et autres mouvements citoyens – et approcher les collectivités territoriales. Selon les négociations et les sujets en discussion, certains gouvernements pourront se montrer favorables aux avancées proposées. Prenons l’initiative du coton comme exemple. Du terme du cycle de Doha à la conférence de Hongkong, la négociation commerciale s’active, les alliances se tissent, des camps se constituent. La plupart des ONG ont choisi leur camp, celui d’une régulation des échanges.

Les interactions entre ONG et autorités gouvernementales doivent suivre les maillons de la chaîne diplomatique et les étapes des processus de négociation. La chaîne diplomatique fonctionne au moins à deux niveaux : l’un national et l’autre international. Les interactions devront donc s’initier au niveau national avec chaque gouvernement, au niveau des groupes de négociation, enfin au niveau international. Ceci dit, les ONG doivent s’organiser à trois niveaux, construire autant de plates-formes et de positions pour designer leur stratégie et porte-parole. Si cette nouvelle notion de la DNG est porteuse de sens, c’est dans les alliances multiples et variées qu’elle se concrétise.

Notes

1. Ouvrage à paraître prochainement.

 

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