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note de lecture

La Démocratie en miettes

Pour une révolution de la gouvernance

Auteur : Pierre CALAME

Par Pierre-Yves Guihéneuf

Table des matières

Pierre CALAME

Pierre Calame, ingénieur des Ponts et Chaussées, a travaillé en tant qu’ingénieur à Valenciennes, puis à l’Urbanisme, au ministère de l’Equipement et dans l’entreprise Usinor. Il est aujourd’hui président de la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme.

A l’aube du XXIe siècle, la démocratie semble s’être imposée partout, sinon dans les faits, au moins dans les discours. Mais c’est un succès ambigu. Les citoyens ont le sentiment d’avoir de moins en moins prise sur les affaires du monde ; les grands acteurs économiques et financiers ont des pouvoirs comparables à ceux de certains Etats ; l’abstentionnisme progresse ; les choix scientifiques et techniques, qui guident en grande partie l’évolution de nos sociétés, ne sont soumis à aucun débat public. Bref, les espaces sur lesquels s’exerce le contrôle démocratique sont de plus en plus réduits. La démocratie triomphe, mais il s’agit d’une démocratie en miettes.

Au cœur de ce constat, l’Etat national vit une véritable crise. Ses pouvoirs sont rognés d’un côté par la décentralisation au profit de collectivités plus petites, d’un autre côté par les structures et conventions internationales. La privatisation des services publics réduit encore son champ d’action, le mettant sur la défensive. Les relations internationales continuent de fonctionner sur le mythe de ces Etats nationaux souverains et retardent la mise en place d’une véritable communauté mondiale, dotée d’institutions légitimes et de règles de fonctionnement efficaces, alors même que les problèmes « globaux » appellent de toute urgence une refonte des régulations internationales.

Un tel contexte appelle une révolution, qui consiste en premier lieu à passer de l’idée de gestion publique ou d’Etat à celle de gouvernance. Entendons la gouvernance, non pas seulement comme la science de gestion des ressources publiques, mais comme un enjeu politique plus large. On y trouve bien sûr les exigences élémentaires de la démocratie que sont l’accès à l’information des citoyens, la possibilité pour eux d’avoir prise sur les décisions qui concernent leur vie quotidienne ou la transparence de l’action gouvernementale. On y trouve également un cadre juridique et institutionnel approprié. Mais la gouvernance, c’est aussi la manière dont ne société s’organise et fonctionne, le détail des procédures et les mentalités de ceux qui les mettent en œuvre, les relations entre les agents de la fonction publique et les citoyens, les coopérations qui se nouent entre les acteurs et la façon dont se structure la société en organisations collectives. La gouvernance, ce n’est donc pas seulement l’action publique, mais c’est cela et l’organisation des rapports entre le public et le privé, l’individuel et le collectif, la liberté de chacun et la nécessité de gérer des affaires communes.

Sommes-nous prêts à une telle révolution ? Nous pouvons en douter quand nous voyons que nous continuons de vouloir penser le monde de demain avec les idées d’hier et les institutions d’avant-hier. Nous empilons des dispositifs qui se concurrencent et se neutralisent. Nous multiplions les objectifs sans les hiérarchiser et sans les doter de moyens suffisants. La gouvernance actuelle est fondée sur la séparation des domaines, des disciplines, des compétences, des responsabilités. Cette obsession de la clarté s’avère contre-productive quand les questions sont liées entre elles et qu’aucun problème ne peut être traité séparément des autres. Une révolution de la gouvernance est fondée au contraire sur les notions de relation et de complémentarité. Elle doit combiner l’interdépendance des phénomènes et la diversité des situations en échappant à tout prix à la tentation de trouver des recettes valables en tous lieux. Elle doit donc dégager des principes communs, puisque nos sociétés sont interdépendantes, tout en maîtrisant l’art de les traduire en solutions à chaque fois spécifiques.

1. Le déphasage de la gouvernance actuelle

Ce déphasage est dû au fait que les structures de régulation collectives n’ont pas évolué au rythme de transformation des sociétés et ont été ébranlées en particulier par la mondialisation. D’un autre côté, les sociétés elles-mêmes se sont transformées et l’action publique ne correspond plus aux attentes des citoyens.

Les révolutions scientifiques, techniques et économiques nous font entrer dans une ère nouvelle.

Les systèmes de productions industriels ont laissé place à des économies de la connaissance et de l’information. Les activités sont devenues mobiles et les rapports des entreprises aux territoires s’en sont trouvés bouleversés. Les régulations nationales ont perdu de leur pertinence face à une « économie-monde » . Les pauvres ne sont plus aussi nécessaires aux riches qu’ils l’étaient par le passé et les phénomènes d’exclusion se sont accrus. La société elle-même a profondément changé : le sentiment d’appartenance, par exemple, ne se limite plus au village ou au pays, il se reconstruit de manière plurielle à différentes échelles. Les corps intermédiaires (partis, syndicats, Eglises…) ont perdu de leurs capacités de mobilisation et leur rôle d’intermédiaires entre les citoyens et les dirigeants.

Ces mutations sont comparables à celles vécues lors du passage du Moyen Age au monde moderne. Elles induisent résistances, innovations, apprentissages… La gouvernance sera-t-elle en état de se réinventer ?

Faute de créer des régulations publiques adéquates, la mondialisation est abandonnée au marché.

On confond souvent mondialisation et globalisation, deux termes qui sont, en anglais, confondus en un seul. En réalité, la mondialisation est la conscience d’une communauté de destin de l’humanité, la prise en compte des interdépendances, une donnée incontournable et une formidable occasion de progrès. Quant à la globalisation économique, c’est la domination des relations marchandes sur toutes les sphères de la vie sociale, alimentée par la croyance en une prospérité qui serait alimentée par la liberté du commerce et par les progrès des techniques. C’est une doctrine politique qui doit être mise en débat et jugée à ses effets. La fracture idéologique n’est donc pas entre ceux qui seraient pour ou contre la mondialisation ; elle est entre ceux qui pensent que la mondialisation et la globalisation sont les deux faces d’une même réalité et ceux qui estiment qu’il s’agit de deux réalités, certes liées entre elles, mais différentes.

La démocratie est en crise

Dans un contexte de mondialisation, les démocraties structurées autour du fait national se révèlent inadaptées. La construction européenne rogne les attributs de l’Etat, jusqu’à la monnaie. Les hommes politiques, sous prétexte de mobiliser l’attention de citoyens censés ne s’intéresser qu’à leur environnement immédiat, se replient sur le court terme et le local alors que les citoyens savent bien que court et long terme, local et global, sont fortement liés. La défense des « intérêts nationaux » supposés souder les électeurs tourne à vide lorsque les clivages sont ailleurs, entre branches professionnelles, groupes sociaux, modèles de développement…

Structures et cadres de pensée de l’action publique sont inadaptés

La gouvernance actuelle ne prend pas en compte les liens, les interrelations ente les différents phénomènes et domaines dans lesquels elle s’exerce, pas plus qu’elle ne sait gérer la diversité des situations. Les découpages entre compétences et domaines d’intervention de l’action publique sont inadaptés. Résultat : l’administration crée des divisions là où il ne faudrait pas et cherche à homogénéiser là où il faudrait prendre en compte la diversité.

Le décalage entre la réalité et l’action publique est particulièrement clair là où subsistent des règles correspondant à un état antérieur de la société, que l’on maintient sans pouvoir en donner la raison et qui ressemblent alors à des vérités transcendantales.

Dans les faits, les responsables politiques devraient abandonner la recherche de solutions jugées parfaites (rationalité substantive) au profit d’une amélioration des pratiques par l’apprentissage et l’échange, c’est-à-dire donner plus d’importance au processus qu’au résultat (rationalité procédurale).

La réforme de l’Etat est inefficace, mal pensée et mal conduite

La critique de l’Etat est trop souvent associée au désir, non pas d’améliorer son action, mais de la démanteler. Pour beaucoup, critiquer l’action publique, c’est demander moins d’Etat. D’où les résistances des services publics aux réformes, qui alimentent à leur tour le discours anti-Etat. Au final, ce processus est l’allié du libéralisme. De nombreuses raisons concourent à la difficulté de réformer l’action publique :

  • le monde politique fait porter à l’administration la responsabilité de son manque de courage, multiplie les injonctions contradictoires, confond les remaniements e l’organigramme avec des réformes de fond ;

  • il est difficile de mobiliser l’esprit d’initiative des fonctionnaires, à faire appel à leur désir de sens, à les considérer comme d’autre chose que des exécutants ;

  • on confond l’introduction d’outils techniques (des ordinateurs, des principes de management…) avec l’intention de redonner du sens à l’action collective ;

  • il est difficile de mener des processus de réforme du service public dans la durée ;

  • le management public fait l’objet de peu d’investissement intellectuel

  • enfin et surtout, les tentatives de réforme sont faites en faisant l’économie d’une réflexion sur la gouvernance. Cela a été le cas par exemple avec la décentralisation française, qui s’est faite sur le mode du partage des responsabilités et de la séparation des pouvoirs et non pas sur le mode de l’articulation des échelles de gouvernance.

2. Prémisses d’une révolution de la gouvernance

Le fonctionnement actuel repose sur un certain nombre de principes qui n’ont plus cours aujourd’hui : par exemple, l’existence d’Etat souverains, n’ayant de compte à rendre qu’à leur population ; la gouvernance réduite au gouvernement et aux services publics ; le fait que la responsabilité du décideur soit de faire un choix éclairé de la solution optimale choisie parmi un panel d’options possibles, etc. La prise de conscience de ces fausses évidences est de plus en plus importante.

Les oppositions binaires sont également remises en cause, comme celle qui sépare les décideurs et les administrés, ces derniers revendiquant une place de plus en plus grande dans la vie démocratique. De même, la séparation entre le politique et l’administratif, le public et le privé, la règle et le contrat, ceux qui sont responsables et ceux qui ne le seraient pas, l’économique et le social, etc. Ces oppositions qui structurent les systèmes de gouvernance sont de moins en moins pertinentes.

Un système en crise tente de reculer l’échéance de la réforme en multipliant les bricolages. Ces recours précaires sont révélateurs de la gravité de la crise et de l’imminence d’une transformation plus vaste. La multiplication, en France, des échelons de gouvernance est probablement révélatrice de cet état de fait.

Par ailleurs, certaines évolutions fournissent des indices sur le sens des évolutions en cours. Par exemple :

  • le fait que l’engagement politique dans les partis cède place à d’autres formes d’engagement social et civique, l’éclatement des clivages politiques traditionnels, l’aspiration pour le retour de l’éthique en politique (notamment au Brésil) ou l’émergence au Mexique d’un mouvement insurrectionnel qui ne revendique pas la prise du pouvoir : tous ces événements sont révélateurs d’une évolution de la pratique politique chez les citoyens.

  • Dans le même temps, de nouveaux modes de coopération entre la société civile et l’Etat émergent, la première prenant des initiatives dans des champs relevant traditionnellement de l’action publique, comme la lutte conte l’exclusion.

  • des liens se créent entre l’économique et le social, dont l’économie solidaire est sans doute l’exemple le plus frappant ;

  • l’action de l’Etat devient plus pragmatique, abandonnant les discours incantatoires sur la modernité, par exemple, pour rechercher des solutions ancrées également dans les pratiques sociales, ou abandonnant la notion de séparation entre lui, le privé et les citoyens, pour s’engager dans des partenariats concrets ;

  • on assiste à un mouvement de désinstitutionalisation et de revendication du pluralisme politique, voire de revendication de la prise de pouvoir et d’initiative de la société civile sur des sujets d’intérêt général ;

  • certaines institutions européennes promeuvent la responsabilité partagée, l’appui aux innovations, le respect de la diversité et l’encouragement des bonnes pratiques, aux dépens de règlementations autoritaires et uniformisantes.

  • enfin, la société civile a montré sa capacité d’initiative, y compris dans des domaines complexes et éloignés de l’échelon local, comme elle l’a fait en mettant en place des ONG de dimension internationale, ou en organisant les forums internationaux de Davos et de Porto Alegre, deux initiatives qui ont un point commun, celui de ne rien devoir aux gouvernements.

3. Fondements éthiques de la gouvernance et contrat social

Ethique et responsabilité

Au XXIe siècle, la gouvernance ne peut être que mondiale. Elle tire en effet sa légitimité de l’impératif de survie des société humaines et de leur gestion pacifique, alors que les interdépendances entre elles d’une part, entre elles et la biosphère d’autre part, sont devenues primordiales. Or, l’éthique est indissociable de la constitution de cette gouvernance mondiale, car elle donne sens à la notion de responsabilité des hommes dans la gestion du monde vivant. En 2001, l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire soutenue par la Fondation Charles-Léopold Mayer, a élaboré un projet de Charte des responsabilités humaines. Cette charte met en avant les principes d’humilité et de précaution qui découlent de la prise de conscience des impacts possibles des actions humaines sur le destin de l’humanité. L’éthique n’est pas seulement une question de réflexion individuelle, elle doit concerner l’action des organisations, des entreprises, des collectivités…

Fondements constitutionnels de la gouvernance

Délimiter un champ d’application de la gouvernance en énumérant de façon limitative ses domaines de compétence serait un exercice vain du fait des interrelations multiples qui unissent les domaines et les échelles de l’action collective et individuelle. Il est préférable d’énoncer des objectifs communs, des dispositifs de coopération entre les différents niveaux de gouvernance et des principes éthiques, respectivement en lieu et place des domaines de compétence, des institutions et des règles.

Communauté et citoyenneté

Les communautés humaines se sont longtemps constituées autour d’une culture, d’une religion ou d’une histoire commune. Cette démarche conduit aujourd’hui à des impasses, par exemple à des revendications d’autonomie et de séparation, y compris dans des régions où la cohabitation pacifique a longtemps prévalu, comme en Afrique, en Inde, au Proche-Orient ou dans les Balkans. Jusqu’où faudrait-il pousser la partition pour arriver à des identités homogènes ? Comment ne pas s’appuyer, finalement, sur des critères ethniques ? Cet émiettement est contradictoire avec la diversité croissante de nos sociétés et le partage d’un destin commun. Aujourd’hui, l’appartenance à une communauté doit être fondée sur le contrat plutôt que sur l’appartenance acquise par le droit du sol ou par le droit du sang. Ce contrat entre l’individu et la société fonde la citoyenneté car il repose sur la participation à la vie dans la cité.

Légalité et légitimité de la gouvernance

La légalité formelle des actes des gouvernements ne suffit pas à asseoir leur autorité, car ce qui importe est la légitimité, une notion subjective qui renvoie à l’adhésion volontaire. Un état ne peut pas être respecté s’il est inefficace ou corrompu. La gouvernance, pour être légitime, doit répondre à plusieurs conditions :

  • répondre à un besoin ressenti par la population ;

  • reposer sur des valeurs et des principes connus et reconnus ;

  • être équitable, c’est-à-dire répondre aux nécessités des plus nombreux et des plus pauvres ;

  • être exercée par des gouvernements responsables et efficaces ;

  • respecter le principe de moindre contrainte, c’est-à-dire viser le respect du bien commun en limitant autant que possible les contraintes imposées à chacun pour l’atteindre.

Les fondements contractuels de la gouvernance et du partenariat

La notion de contrat social est une notion actuelle, riche de réflexion. On peut se demander, par exemple, quel est le contrat qui lie la science et la société ? La première, laissée libre, a longtemps été supposée contribuer spontanément au progrès économique et social, donc à la prospérité, donc à la paix. Ne faut-il pas, aujourd’hui, questionner les bases de ce contrat et, au vu des difficultés des sociétés modernes à garder prise sur les évolutions scientifiques, réintroduire la science dans le champ d’un nouveau contrat social ?

4. La subsidiarité active, ou l’articulation des niveaux de gouvernance

L’articulation entre les différents échelons de la gouvernance, du local ou mondial, est une question-clé. La subsidiarité active est un principe d’articulation qui repose sur deux principes :

  • la responsabilité d’élaborer des réponses concrètes relève du niveau le plus local possible ;

  • chaque niveau n’agit pas en toute liberté, mais doit se conformer à des principes directeurs communs et être lié aux autres par des relations d’échanges, de coopération et de négociation.

Ce système peut être mis en place jusqu’au niveau mondial. En effet, les sociétés humaines ont des défis communs et doivent y apporter des solutions spécifiques. Rechercher des solutions adaptées relève de la responsabilité des acteurs locaux, la subsidiarité active restaure donc l’importance de leur initiative. Elle part des expériences, desquelles sont dégagées des principes directeurs qui orientent des politiques, celles-ci suscitant à leur tour de nouvelles expériences (et non pas visant à reproduire les expériences antérieures). Ces actions sont évaluées collectivement. On est ainsi dans un processus collectif d’apprentissage qui construit un capital social.

Le partenariat, les approches intersectorielles, l’attention portée aux processus d’élaboration des solutions plus qu’aux solutions elles-mêmes, voilà quelques uns des principes d’action qui doivent être promus. La subsidiarité active est un art plus qu’une science exacte.

5. La relation entre l’action publique et le marché

Le clivage traditionnel entre secteur public et secteur privé est devenu peu pertinent. Par exemple, la propriété publique d’un secteur donné ne donne en rien la garantie de la fourniture d’un service public pertinent. La gestion publique des ressources naturelles ne garantit pas plus leur bon usage à long terme ni l’équitable distribution des bénéfices. A l’inverse, la privatisation est loin d’être la panacée. Les débats sur l’articulation public-privé sont heureusement devenus plus pragmatiques depuis la fin de la guerre froide.

Dans ce débat, la gestion des biens publics doit faire l’objet d’une attention spécifique. On peut classer ceux-ci en quatre catégories :

1. Les biens publics qui se détruisent en se partageant.

Les grands écosystèmes comme la mer ou la forêt vierge, la biodiversité, le climat, sont des biens publics globaux qui doivent faire l’objet d’une gestion globale, c’est-à-dire mondiale. La gestion par une autorité mondiale serait peu efficace car elle ne se satisferait pas de règles ou d’interdictions. La gestion de ces biens globaux doit mobiliser les niveaux locaux et leurs principes pourraient être les suivants :

  • définition juridique large et affirmation que ces biens ne sont pas marchands ;

  • équité financière dans la prise en charge de ces biens et reconnaissance par les pays riches de la dette contractée envers les pays pauvres du fait de l’exploitation privée qu’ils en ont longtemps faite ;

  • gestion locale conforme à des principes négociés au niveau mondial sur la base d’une analyse d’expériences.

2. Les ressources naturelles

L’eau, l’énergie ou les terres arables font partie de cette catégorie qui requiert une gestion prudente. Ces ressources, localisées sur un territoire donné, disponibles en quantité limitée, doivent donner lieu à une coopération entre acteurs à l’échelle locale. Des principes doivent être mis en œuvre à une échelle centralisée, leurs modalités de mise en œuvre étant définies localement.

3. Les biens et services produits par l’homme

Bien industriels et services aux personnes sont bien adaptés à une régulation par le marché, même si les pouvoirs publics peuvent faciliter leur production et leur distribution, par exemple en intervenant sur la formation, le transport, la recherche, le crédit, etc. Une limite tient au caractère de première nécessité de certains et au fait que la concurrence est souvent faussée par les monopoles.

4. Les biens et services qui se multiplient en se partageant

Le lien social, la connaissance et l’expérience : voilà des exemples de biens qui gagnent à être partagés car le partage assure leur reproduction. Les brevets (sur les logiciels, les semences… qui sont de la connaissance accumulée) les font rentrer dans le marché, mais la fonction de la gouvernance n’est pas de privatiser mais au contraire d’organiser leur développement maximum.

6. La pratique du partenariat

La gestion des relations entre acteurs est une question importante de la gouvernance. L’organisation en niveaux de gouvernance, la capacité à coopérer et à négocier, la notion de contrat, les formes d’organisation : tout cela est crucial et ne se résumé par à la notion de démocratie participative, qui réduit considérablement le champ de réflexion. La question de la gouvernance n’est pas seulement de susciter la participation des citoyens, même si cela est utile, elle est également de repenser l’organisation collective ou les relations entre acteurs publics et acteurs privés. Le partenariat entre acteurs publics et privés suppose de mettre fin à quelques présupposés, comme celui qui voudrait que les élus aient le monopole de l’expression de la volonté générale, ou celui qui fait des fonctionnaires des exécutants sans pouvoir d’initiative, ou encore celui qui assimile les associations à une expression libre et autonome de la société dite « civile » .

Le partenariat passe par une nouvelle institution des acteurs, qui passe par la construction d’une scène de débat public, y compris à l’échelle supranationale. Les outils modernes, comme internet, peuvent dynamiser de tels échanges, dont la création pourrait être déléguée à des acteurs associatifs.

Une autre condition est la possibilité pour chaque acteur de « construire » sa propre parole, au terme d’un processus collectif d’ « empowerment » qui passe par l’appropriation d’information et le débat entre pairs. L’expérience montre que même des groupes sociaux très défavorisés peuvent construire une expertise collective et un niveau de gestion de la complexité suffisant pour leur permettre de débattre avec des experts, si on leur donne les moyens de construire par exemple des réseaux internationaux.

Autre condition du partenariat : la reconnaissance des compétences de l’autre. Il ne s’agit pas de nier les conflits, mais de tenter de les dépasser par un processus de coopération.

Les pouvoirs publics peuvent s’engager dans des démarches partenariales avec les acteurs privés et les associations ; Il leur faut pour cela passer par plusieurs étapes :

  • l’entrée en intelligibilité, c’est-à-dire la capacité pour chacun à construire une vision précise des enjeux et de leur complexité, afin d’élaborer une sorte de diagnostic partagé ;

  • l’entrée en dialogue, c’est-à-dire la capacité à descendre de son piédestal sans pour autant renoncer à son pouvoir ni à sa responsabilité ;

  • l’entrée en projet, c’est-à-dire la capacité à donner autant d’importance à un processus d’élaboration d’une solution qu’à la solution elle-même.

L’élaboration d’un partenariat repose donc sur l’adoption de règles, d’objectifs partagés, de principes éthiques et, enfin, de dispositifs concrets de mise en œuvre.

7. Le territoire, brique de base de la gouvernance

Le territoire local n’est pas seulement le lieu de l’action (la réflexion étant ailleurs), ni celui des traditions et du repli identitaire. Le territoire est une unité d’action privilégiée de la gouvernance, c’est d’abord un lieu où se construit la pensée sur la gouvernance et sur la gestion des biens communs. La difficulté est souvent, pour les responsables politiques ou administratifs, de délimiter le « territoire pertinent » de leur action, c’est-à-dire la bonne échelle pour aborder un problème donné. Or, le territoire doit être vu comme un système complexe de relations et d’échanges avant d’être un espace géographique délimité. La question de la bonne échelle est donc moins importante que la question de l’articulation des différentes échelles et leur capacité à coopérer. On voit bien l’importance de cette imbrication lorsqu’il s’agit par exemple de gérer des ressources comme l’eau, qui suppose des coordinations à des niveaux multiples. La territorialisation des politiques et des organisations collectives s’annonce comme une évolution majeure pour la gouvernance de demain.

 

Références documentaires

Pierre CALAME. La démocratie en miettes. Pour une révolution de la gouvernance. Ed. Charles-Léopold Mayer, Ed. Descartes et Cie. 2003, 330 p.

Voir Aussi