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note de lecture

Réinventer l’Etat.

Propositions pour repenser l’action publique à l’ère de la mondialisation

Auteur : Delphine ASTIER, Djeneba OUADEBA, Mélanie SEVIN, Monzon TRAORE, Pierre JUDET

Par Pierre-Yves Guihéneuf

Table des matières

Avec la mondialisation, l’Etat est en crise. Ses prérogatives sont contestées, ses marges de manœuvre réduites, sa légitimité remise en cause. Mais si ses modes d’intervention doivent être repensés, l’Etat ne doit pas pour autant abandonner sa place dans le développement. Ce cahier de propositions a été rédigé, dans le cadre de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, par quatre étudiants en master professionnel placés sous la direction de Pierre Judet, professeur à l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble.

Les débats sur le rôle de l’Etat sont anciens. Ils apparaissent notamment au travers des controverses sur l’antagonisme supposé entre l’Etat et le marché, qui naissent avec les débuts de la pensée économique au XVIIIe siècle. Depuis lors, ce débat n’est pas épuisé, mais l’histoire y a apporté d’importants éléments de réflexion. Les économies planifiées se sont effondrées les unes après les autres. La victoire des thèses libérales, qui se sont imposées notamment parmi les institutions internationales, a été entamée par la croissance des inégalités, la persistance de la pauvreté, les faillites enregistrées par certains pays bons élèves du Fonds monétaire international ou par le coût social des programmes d’ajustement structurel imposés aux pays du Sud. En 1997, suite aux succès de l’interventionnisme public dans l’économie de pays asiatiques, un rapport de la Banque mondiale réhabilite le rôle de l’Etat dans le développement économique. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir s’il faut choisir entre le marché et l’Etat, mais comment articuler les deux.

Mais l’Etat n’est pas seulement en prise avec les marchés de biens et de services. Il l’est également avec les acteurs sociaux, les territoires, les biens publics, sa propre administration… La question de sa légitimité et de son efficacité se pose avec force dans certain pays. Comment améliorer son action pour appuyer les dynamiques de changement ?

1. L’Etat, élément-clé de la gouvernance

Légitimité

Pour apparaître comme légitime, l’Etat dois discuter de ses prérogatives avec les citoyens et garantir sa légitimité dans le projet national, ce qui n’est pas le cas partout. Cette responsabilité est d’abord celle des gouvernants, mais également celle de la société civile, leur partenariat devant se construire le plus souvent dans une tension d’intérêts et de conceptions. Le dialogue Etat-société doit être restauré là où il est défaillant, conforté ailleurs. Ce dialogue est difficile, ne serait-ce que parce que l’Etat a son langage et sa culture, et parce qu’il a du mal à reconnaître les groupes organisés. Plusieurs propositions peuvent être émises à ce niveau.

  • Que la société civile pousse l’Etat à légiférer contre la corruption et l’impunité. La corruption et la collusion avec les lobbies sapent en effet l’autorité de l’Etat et l’acceptation de son action par la population. Il en va de même avec l’impunité, qui doit être combattue par l’indépendance de la justice.

  • Accroître la transparence dans les affaires de corruption, le secret servant le développement d’accords occultes. L’action internationale peut aider certaines sociétés dans cette voie.

  • Favoriser la reconnaissance par l’Etat des solidarités existantes et encourager l’appui aux initiatives collectives de développement. Au Sénégal par exemple, des associations de pêcheurs artisanaux, grâce à leur expérience internationale, ont provoqué des débats avec des parlementaires sur l’avenir de leur activité.

  • Demander la reconnaissance par l’Etat de la diversité culturelle. En Colombie, grâce à l’action de groupes de la société civile, la Constitution de 1990 reconnaît et protège désormais la diversité culturelle et ethnique.

  • Favoriser la connaissance de l’Etat par les citoyens, par exemple grâce à une formation dans les collèges et les lycées, notamment pour comprendre que l’Etat n’est pas extérieur à la société, mais qu’il en est le produit.

Subsidiarité

L’un des défis consiste à mieux articuler les échelons de gouvernance, notamment au niveau territorial. Le principe de subsidiarité postule que c’est au plus près des citoyens que la décision publique doit être prise et que c’est au niveau local que doivent être traitées les questions de portée locale, au niveau régional les problèmes d’ampleur régionale, etc. La subsidiarité active ajoute à ce principe la nécessité d’une articulation entre les différends niveaux de gouvernance, ce qui passe par exemple par la négociation, entre ces différends niveaux, des objectifs à atteindre. La subsidiarité active, c’est aussi la priorité donnée aux obligations de résultat par rapport aux obligations de moyens et la mise au point de processus de concertation permettant de trouver, non pas des solutions idéales, mais des solutions acceptables par tous. Chaque territoire et chaque niveau de gouvernance a ainsi le devoir d’apporter des réponses à des questions communes.

D’autres propositions consistent par exemple à assurer une plus grande transparence dans l’allocation des fonds collectés et distribués par les autorités publiques, à tous les niveaux. Il est également nécessaire de former, responsabiliser et favoriser l’autonomie des autorités locales, par exemple en Afrique.

Partenariat

Il faut créer un partenariat entre l’Etat et la société civile. Cela suppose, du côté de la société, des interlocuteurs organisés. Dans les pays du Nord, le syndicalisme est un partenaire traditionnel des autorités publiques, mais il est désormais partout en perte de vitesse. Dans les pays du Sud, la liberté syndicale n’est pas toujours garantie. Les organisations non gouvernementales (ONG) peuvent constituer des relais entre Etat et société, mais elles doivent pour cela adopter un fonctionnement transparent et accepter que leur action soit contrôlée. Propositions :

  • Améliorer la transparence des ONG (par exemple par l’obligation de publier des rapports annuels)

  • Juger les ONG en fonction de l’impact de leur action et non pas seulement en fonction de leurs intentions, affirmer leur responsabilité dans la sphère publique.

  • Impliquer les populations locales dans les processus de décision.

Représentation internationale

Les pays du Sud, qui représentent la majorité de la population mondiale, estiment ne pas être suffisamment représentés dans les instances internationales. La Banque mondiale, par exemple, est contrôlée par les pays riches. Même l’OMC et l’ONU, qui disent respecter le principe « un Etat, une voix » ne font pas une place suffisante dans les faits aux pays pauvres. Propositions :

  • Rééquilibrer au profit du Sud les modalités de négociation et de mise en œuvre des règles de gouvernance mondiale.

  • Renforcer les coalitions de pays en développement au sein des organisations internationales, notamment par le biais d’accords régionaux comme celui des pays d’Afrique de l’Ouest.

  • Abandonner la notion de souveraineté absolue au profit d’une « souveraineté graduée » , modulable conformément au principe de subsidiarité. Accepter les mécanismes de régulation mondiale, dès lors que ceux-ci correspondent aux exigences de la justice et qu’ils soient légitimes.

  • Favoriser la formation d’experts nationaux en vue de négociations internationales, de façon à favoriser la représentation des pays du Sud dans ces instances.

2. Un Etat régulateur

Régulations des mouvements de capitaux

La volatilité des capitaux est dangereuse pour la plupart des économies. Les Etats doivent mettre en place des législations pour réguler les transferts de capitaux, tout comme il faut lutter contre l’argent sale, les paradis fiscaux et les circuits de blanchiment. Propositions :

  • Lutter contre l’argent sale en soumettant les places financières offshore à un contrôle international.

  • Etablir une taxe ou fixer des règles pour obliger les investisseurs à fixer leurs capitaux pour une période minimum, à l’instar de ce qu’a fait le Chili qui oblige les investisseurs à rester au moins un an dans le pays et à déposer 30 % du capital importé dans une banque centrale.

Régulation des biens publics

Les biens publics sont des ressources en accès libre qui peuvent être « consommées » par tous, comme l’air, l’eau, le sol, la biodiversité, le climat, l’éducation, la santé, la paix, etc. Leur régulation, pour éviter leur destruction ou leur appropriation privée, suppose une intervention publique. Les diverses catégories de biens publics nécessitent un traitement différenciés, selon qu’ils sont en quantité finie ou infinie, qu’ils sont détruits par l’usage ou non, qu’ils sont produits par l’homme ou donnés par la nature, etc. Certains sont adaptés à une gestion par le marché (celle-ci pouvant être régulée par les pouvoirs publics), d’autres appellent une intervention publique forte. Propositions :

  • Favoriser l’autocontrôle des ressources naturelles par les populations locales, par exemple les forêts ou les stocks de poissons.

  • Encourager le tourisme vert contrôlé par les populations locales.

  • Faire pression sur les entreprises pour qu’elles assument leurs responsabilités sociales et environnementales.

3. Un Etat stratège

L’Etat a un rôle à jouer dans le développement économique et social, en évitant bien entendu tout dirigisme et toute démagogie, mais en assumant sa place dans le pilotage du pays. Le concept de planification doit être remplacé par l’élaboration de visions stratégiques à la fois flexibles et élaborées de façon concertée. L’Etat doit voir loin devant et appuyer l’innovation, mais en s’appuyant sur la culture et les savoir-faire locaux. Marier tradition et modernité est un des gages de succès de toute action de développement.

Pour être au service du développement, l’Etat doit être partenaire du secteur privé et non pas adversaire ni soumis à lui. Il doit s’adapter aux économies modernes, de plus en plus immatérielles et tournées vers la connaissance. Il est également nécessaire de diriger les incitations étatiques vers les petites et moyennes entreprises et de protéger les industries naissantes, par exemple en développant des structures d’appui à la création d’entreprises.

4. Un Etat solidaire

Garantir la santé et l’éducation fait partie des grandes missions de l’Etat. Plusieurs propositions peuvent être faites pour améliorer ces politiques, sur la base du succès de certaines initiatives, comme les centres de santé Gonoshastaya Kendra du Bengladesh ou le Collège aux pieds nus de l’Inde. En Inde, les dépenses de santé ne représentent que 2 % du budget de l’Etat et celles d’éducation seulement 5 %. Quelle est la responsabilité de l’Etat et celle des institutions financières internationales qui ont contraint les pays du Sud à réduire drastiquement leurs dépenses ?

L’Etat doit assurer une fonction de redistribution. L’équité est un impératif. L’Etat a un droit, qui est de prélever l’impôt. Il a aussi un devoir, qui est de redistribuer.

 

Références documentaires

Delphine ASTIER et al. Réinventer l’Etat. Propositions pour repenser l’action publique à l’ère de la mondialisation. Editions Charles-Léopold Mayer, 2005, Cahiers de propositions pour le XXIe siècle n°18, 186 p.

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