note de lecture
International norm dynamics and political change
Note de lecture réalisée dans le cadre du séminaire « Relations Transnationales et Mondialisation » de D. Caouette (UdeM)
Auteur : Finnemore Martha et Sikking Kathryn
Par François Quenneville-Dumont;
Programme Coproduction de l’action publique
Mot-clés : État ; mouvement social ; Organisations de la Société civile DroitsTable des matières
Finnemore Martha et Sikking Kathryn
Finnemore, Martha et Sikking, Kathryn « International norm dynamics and political change», International Organization, 52 (4), pp.887-917.
Martha Finnemore et Kathryn Sikking proposent dans leur article International norm dynamics and political changes une revue de la littérature scientifique s’intéressant au phénomène des normes par une approche idéationnelle. L’objectif de cet exercice est d’expliquer la nature, l’émergence, l’évolution et l’influence des normes dans le cadre des relations internationales. Pour justifier leur choix analytique, les auteurs présentent un bref aperçu historique de l’évolution et du renouvellement des approches basées sur les idées. Partant de la définition de norme comme étant un standard de comportements appropriés acceptés par des acteurs à l’identité donnée , les auteurs se basent sur des études portant sur l’évolution des droits des femmes et des lois de la guerre pour développer un modèle qui divise le « cycle de vie » des normes en trois étapes distinctes. La première étape, l’émergence, commence lorsque des militants, animés par des motivations altruistes, tentent de persuader les états du bien fondé de leurs idées par la persuasion. Pour atteindre la deuxième étape, l’acceptation générale accélérée, une masse critique d’états doivent adopter la nouvelle norme. L’atteinte de ce « tipping point » dépend, entre autres, des qualités personnelles des militants et du support organisationnel qu’ils bénéficient. Lorsque ce point critique est passé, une nouvelle dynamique s’enclenche. De plus en plus de pays adoptent la norme, et ce, même sans la pression domestique nécessaire à la première étape. Le moteur de cette dynamique est la socialisation internationale des états. Au-delà de la recherche de légitimité auprès de leurs populations, les états seraient influencés par la pression des autres états. En faisant l’analogie avec les individus, les auteurs affirment que ce comportent des états est animé par le désir de légitimité et de conformité internationale ainsi que du besoin d’estime personnelle des états. La troisième étape, l’internalisation, est atteinte lorsque la norme est si largement acceptée que les acteurs s’y conforment de manière automatique, par habitude. La capacité d’une norme de passer ces trois étapes nécessaires dépend du besoin de légitimité des états, de la qualité des états qui la supportent, de sa qualité intrinsèque, du chemin tracé par des normes semblables et finalement du contexte mondial. L’article se termine avec un éclaircissement du débat entourant la relation entre la rationalité et les normes. Selon les auteurs, on ne devrait pas opposer comportement normatif et rationalité, mais plutôt chercher à comprendre leur relation. Pour ce faire, on doit marier l’ontologie idéationnelle à celle de choix rationnel et étudier les conflits entre des comportements à la fois « appropriés », au sens normatif et « réfléchis » au sens rationnel.
Critique
La démarche systématique de modélisation basée sur l’étude de cas empirique paraît intéressante à première vue dans la mesure où elle semble un bon point de départ pour comprendre de manière dynamique l’évolution des normes en plus d’être facile à suivre. La structure bien articulée du modèle n’arrive pourtant pas à cacher une certaine confusion conceptuelle et quelques faiblesses de l’argumentation.
La définition de norme utilisée par les auteures (standard de comportement approprié accepté par des acteurs à l’identité donnée) est trop large et vague pour être utile pour le modèle présenté. Il aurait été préférable que les auteures affinent la définition et qu’ils expliquent qui et combien sont ces « acteurs à l’identité donnée ». Étrangement, les auteures se sont contenté de décrire la confusion entre le mot institution et norme, sans prendre la peine de se positionner. Le résultat est qu’un seul mot est utilisé pour décrire ce qui deviendra une norme (norme émergente) et ce qui est une norme (norme acceptée). Signe de cette confusion, on peut se demander à partir de quel moment une norme devient une norme. Il aurait peut-être été préférable de définir plus étroitement la norme comme le seul comportement acceptable dans une communauté donnée. Cela aurait eu l’avantage de pouvoir nommer les « normes émergentes » par un autre mot tel que « projet normatif ». De plus, le recours au terme communauté permet de déterminer la nature d’une règle en fonction de son environnement de référence. Ainsi, une règle pourrait être à la fois une norme nationale et un projet normatif international.
Dans son texte Épistémologues de la science politique à vos marques ! , André-J. Bélanger met en garde contre l’anthropomorphisme qui consiste « à imputer aux collectivités, petites ou grandes, des facultés propres aux humains » 1 . Il est vrai qu’on peut faire l’analogie entre le comportement humain et le comportement des états lorsqu’on considère la légitimité et la conformité comme étant des stratégies des acteurs pour atteindre leurs objectifs. L’analogie des auteurs dépasse ce stade, car elles considèrent un troisième élément qu’elles imputent parfois aux états et qui les guide à respecter les normes : l’estime personnelle face aux autres états 2 . Pourtant, les états ne peuvent pas avoir d’estime personnelle, car l’état n’est pas une personne et n’a aucun besoin psychologique, seuls les humains en ont. On peut par contre considérer les besoins psychologiques des hommes qui dirigent les états. Peut-être que ces quelques identifications de l’estime personnelle à l’état ne sont liées qu’à une confusion de langage. Mais dans ce cas, on peut se demander si la définition des pairs par les auteures est valable. En considérant les différences culturelles qui séparent les pays, il ne serait pas plus juste d’envisager les pairs comme étant, en premier lieu, les gens de l’entourage des chefs (collègues, prédécesseurs, chefs religieux, famille, etc.) avant les hommes occupant un poste similaire dans un autre état? Dans cette optique, on pourrait considérer que les chefs des états recherchent avant tout une légitimation auprès de leur entourage en agissant de façon à ce que le pays atteigne un statut conforme à celui qu’il devrait avoir selon leurs pairs.
L’intérêt principal du modèle est qu’il offre une analyse dynamique de l’évolution des normes. Par contre, il ne suggère pas d’explication satisfaisante sur l’origine première de ce processus. En effet, il ne permet pas de comprendre l’émergence de l’empathie qui pousse certains acteurs à militer pour certaines normes. De plus, le troisième critère qui détermine l’influence des normes, la qualité intrinsèque, n’est pas très convaincant. Ces qualités ne semblent pas intrinsèques dans le sens qu’elles appartiennent à la norme par elle-même, indépendamment des facteurs extérieurs. Elles sont plutôt extrinsèques, car elles sont justement reliées à des facteurs extérieurs tels que la conformité aux normes établies, à la formulation habituelle et aux respects des valeurs des états dominants. De toute façon, est-il possible de qualifier les qualités intrinsèques d’une norme sans s’aventurer sur le terrain glissant du subjectif ?
En somme, même si le modèle présenté offre un bon point de départ pour répondre aux questions qu’il soulève, ses faiblesses, dont je n’ai souligné que les exemples les plus évidents, sont peut être signe que le modèle est peut-être trop simple pour être convaincant. Sa simplicité est d’autant plus frappante que celle-ci contraste radicalement avec la clarification plutôt nébuleuse du débat concernant les normes et la rationalité. Cette dernière partie m’a semblé lourde, particulièrement pour un lecteur non averti au débat en question.
Notes
1 Bélanger, André-J, « Épistémologues de la science politique à vos marques» dans L. Olivier et al., Épistémologie de la science politique, Presses de l’université du Québec, (1998), p.16
2par exemple : « Conformity and esteem similarly involve evaluative relationships between states and their state “peers” » Finnemore, Martha et Kathryn « International norm dynamics and political change», International Organization, 52 (4), p 903.
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