English Français Español

Analyse

Citoyenneté, insertion et gouvernance

Quête de sens et crise des institutions ; intervention aux jounées prospectives du Grand Lyon

Par Pierre Calame

1998

Le Grand Lyon réunit des communes de toute l’ère métropolitaine. Lors d’une journée prospective oraniése par cette instance, les interventions autour du thème de la citoyenneté, de l’insertion et de la gouvernance ont été très convergentes entre le sociologue Philippe Estèbe et la présentation par Pierre Calame de ses thèses sur la gouvernance. L’approche française de l’insertion juxtapose un discours sur les droits, où l’exclu est une victime que la société doit prendre en charge, et un nouveau discours sur la citoyenneté et la civilité qui se superpose au premier sans véritablement qu’ils soient intégrés. La citoyenneté, dans l’ordre politique, est présentée comme les devoirs de participation à la vie de la cité qui serait la contrepartie des droits à l’insertion. Jusqu’ici, la décentralisation n’a pas su créer une nouvelle problématique fondée sur l’initiative et sur les solidarités locales. Les initiatives locales présentées, souvent imaginatives, ont une caractéristique commune : se situer au départ en opposition, sinon en rupture, avec les systèmes d’organisation, les institutions, les modes de faire traditionnels.

Table des matières

Citoyenneté et insertion : une exception française ?

Philippe Estèbe, enseignant à l’Université de Toulouse - Le Mirail et consultant au groupe Acadie, interroge tout d’abord le couple que forment les « notions bien françaises » de citoyenneté et d’insertion. II se propose de les examiner dans leurs relations mutuelles pour mieux comprendre comment s’agence, en France, le rapport entre les droits « sociaux » et les droits « politiques ». En effet, le citoyen, « titulaire » des droits civiques, égal en droit à tous les autres, entité abstraite face à l’État, est un pur héritage de la Révolution française. Cette tradition a eu pour effet de couper la citoyenneté de toute référence sociale au profit d’une abstraction que les limitations liées à l’obtention de la nationalité ou les disparités sociales ont peu à peu entamée.

Dans ce contexte historique, l’insertion est-elle aussi une spécificité française ? A la différence des formules adoptées dans d’autres pays comparables (Allemagne, Pays-Bas, Grande-Bretagne ou États-Unis), l’insertion se caractérise par deux traits marqués : il ne s’agit en aucune manière d’une « obligation de s’insérer » qui pèserait sur les personnes en marge des normes économiques et sociales (à la façon du workfare anglo-saxon), mais pas non plus d’un « ensemble de dispositions de nature à favoriser l’initiative individuelle ou communautaire propres à engager des actions de développement ». L’insertion se présente donc, pour Philippe Estèbe, comme un « droit à revenu et à intégration » et non comme une contrainte pour les individus.

Un échange inégal ?

Au total, l’insertion semble jouer le rôle d’une carotte (en l’absence d’injonction de la part de la société envers ceux qui bénéficient de revenus de solidarité) face au bâton de la citoyenneté (où, en revanche, les injonctions civiques se multiplient). Si la société se sent, selon l’expression de Castel, « en dette à l’égard des exclus », ceux-ci n’en sont pas moins soumis à ce que Ph. Estèbe appelle une « injonction contradictoire », visant à faire « se comporter en citoyens » ceux-là mêmes qui sont jugés par ailleurs « victimes » du contexte économique ou social.

Ces deux tendances bâtissent au fond un système d’échange où la citoyenneté apparaît comme une sorte de « contrepartie civique » au droit à l’insertion. Mais cet échange et cette réciprocité se trouvent disjoints entre deux sphères bien separées, celle du politique et celle de l’économique et du social. Trois visions prédominent dans cet espace contradictoire : une vision libérale (le marché du travail finit par imposer sa loi), une vision libertaire (on peut être citoyen sans nécessairement travailler) et une vision plus ouverte, qualifiée de « troisième voie » (plutôt que de créer de nouveaux statuts spécifiques, il faut transformer le droit commun).

Philippe Estèbe a formulé deux propositions :

  • étudier un système d’indemnisation de l’ensemble des travail-leurs précaires (à l’image du statut des intermittents du spectacle ? ),

  • repenser la fragmentation du travail en favorisant par exemple la mise en place de « contrats d’activité » 1.

Il a conclu sur une question : « Peut-on demander à des individus d’être citoyens tout en les tenant à l’écart de l’échange économique et social, et s’appuyer sur les initiatives sociétales, aussi bonnes soient-elles, pour réguler le tout ?  »

La proximité n’est pas toujours suffisante

Le « retour de bâton » des devoirs civiques vis-à-vis des droits acquis ne traduit-il pas un simple rééquilibrage ? , a suggéré un participant, approuvé par Hugues Puel. Marie-Aude Poisson (Agence régionale d’hospitalisation Rhône-Alpes) s’est pour sa part demandée s’il n’existe pas un espace pour " inscrire les citoyens dans des repères concrets » : la notion de territorialité dans la solidarité se développe en Europe. Mais la proximité est-elle suffisante ? Citant au passage Pierre Rosanvallon qui estime qu’il faut aujourd’hui « refaire nation », Philippe Estèbe a estimé que la décentralisation d’une partie des mécanismes de solidarité n’a pas résolu ipso facto tous les problèmes, tandis que François Juillet rappelait le rôle des initiatives privées dans ce domaine. La convergence pourrait être envisagée, mais plutôt à la périphérie qu’au cœur des systèmes de gouvemance, en l’état actuel.

Guy Desplanques (INSEE) a son idée sur le sujet : il s’agirait de « propositions incantatoires, de l’ordre du politique », sans prise sur la réalité. Philippe Estèbe ne partage pas totalement cet avis : en réalité, les emplois d’insertion, qui portent de plus en plus sur la civilité et les incivilités (médiateurs, agents d’ambiance, animateurs de rue…), visent à favoriser la « réversibilité » des comportements (« Vous êtes à la fois le problème et la solution, sujet et acteur de votre vie…"), donc à agir de manière dialectique sur la réalité.

Pour Michel Forien, vice-pdt du Grand Lyon, l’offre de participation à la vie politique et sociale est insuffisante, notamment au niveau des organisations socio-professionnelles, pour peser de façon décisive sur ces comportements. Faut-il alors créer de nouveaux « corps constitués » pour y répondre (l’échec du « mouvement des chômeurs » de l’hiver 1997-98 dans sa tentative d’élargis-sement à toute la population concernée) ? Et, dans ce cas, quelle serait la place de l’école, du futur « rendez-vous citoyen », des engagements associatifs ? Anne Lichtenberger (Fonda Rhône-Alpes) a sa réponse : « N’est-ce pas plutôt une question de regard, de distance vis-à-vis de personnes ou de quartiers disqualifiés », alors même qu’eux se sentent « conformes et intégrés » ? Xavier Patrouillard (CESR), décrivant l’exemple hollandais, a paru mettre tout le monde d’accord : plus de liberté, c’est aussi plus de responsabilités, dès lors qu’il y a respect réciproque de la personne et de la société…

Prévenir l’exclusion

Paul Dominjon, président de la Mission régionale d’information sur l’exclusion, a ramené chacun à la réalité des chiffres. Car la progression de la précarité se poursuit en Rhône-Alpes 2 : si le chômage a baissé de 5,7% sur un an, le nombre de bénéficiaires du RMI a progressé de 5,9%, celui des surendettés de 15,8% et les contrats d’intérim de 20,9%. Et la MRIE constate que la progression des revenus sociaux ou liés à la précarité continue de dépasser celle des revenus du travail. L’exclusion doit donc être abordée globalement et non par « sectorisation », car « les difficultés des personnes ne se découpent pas en tranches » (logement, emploi, problèmes sociaux, etc).

S’il n’y a pas de recettes contre l’exclusion, on sait aujourd’hui que sa prévention est moins coûteuse et plus efficace que son traitement, ce qui suppose, a dit P. Dominion, « une nouvelle répartition, radicalement différente, des revenus économiques et sociaux ». Car il est clair désormais que l’exclusion est durable et « moins liée à la situation de l’emploi qu’à la complexité de l’économie ». D’où la nécessité de mettre en ceuvre des moyens « transversaux » à long terme, par rapport aux traditionnels « moyens verticaux à échéance courte ».

Jean-Pierre Aldeguer, délégué général d’Habitat & Humanisme n’a pas dit pas autre chose à propos de l’insertion par le logement. Mais celle-ci apparaît comme une gageure lorsque, affirme-t-il, « les maires se donnent parfois le droit d’interpréter … le droit », en refusant l’insertion sous des formes adaptées et négociées, sous la pression d’habitants « insérés ». L’insertion est ainsi « un système qui repose sur la crainte et l’insécurité, celle des exclus, celle des propriétaires, celle des riverains, et qui sécrète des dispositifs spécifiques et parcellisés ». De tels dispositifs ne sont pas efficaces, car ils sont « calés » sur cette insécurité alors qu’ils devraient « générer la prise de risques, laisser parier nos rêves et favoriser la médiation ».

Paroles de femmes

La part de rêve, c’est justement celle que Chimène Séruzier, agent de développement à Vaulx-en-Velin, et les groupes de femmes qu’elle a aidé à s’organiser, entendent assumer, à travers une multitude d’actions qui vont de la proximité (actions de solidarité, animation locale, recherche collective d’emploi) à une réflexion collective plus globale sur la place des femmes dans notre société. II s’agit à la fois pour elles de « donner espoir » et de « reprendre prise sur la réalité ». Les moyens sont adaptés au terrain (cuisine exotique pour tous ou femmes-relais dans les immeubles); ils associent une démarche individuelle et une volonté collective, combinent la « parole des femmes » avec l’action (comme sur les sujets délicats de la toxicomanie et de la violence dans les quartiers) et surtout leur donnent confiance en leur capacité d’initiative et d’organisation (un colloque avec 700 participants), quel que soit leur origine ou leur niveau d’études. La méthode des « femmes-relais », expliquée par Nazia Chabli, permettrait ainsi de résoudre des problèmes immédiats, de créer du « lien social » dans les quartiers et de valoriser ses acteurs grâce à des actions de formation, à un accompagnement et à une reconnaissance sociale.

C’est aussi dans le champ social, mais`en lui injectant des méthodes d’action à caractère économique, que François Meyronin, directeur de Saint-Fons Développement, entend situer son travail : « ll faut décloisonner et réconcilier le champ social et les mécanismes économiques. La lutte contre le chômage, par le développement économique local, est un choix de société ; il s’agit de s’en donner les moyens sur le terrain ». Les expériences menées à Saint-Fons, comme cette supérette-école maintenue " hors marché " comme lieu d’apprentissage de la relation économique, s’appuie sur ce que François Meyronin qualifie « d’ingénierie. d’insertion et de développement local ». « Il ne s’agit pas de financer une sorte d’économie parallèle destinée à un public ciblé, replié sur lui-même, mais au contraire de développer des activités dans une sphère d’économie hybride (ni tout marché ni tout public)".

Yves Janin, directeur d’école, fait le lien entre l’expérience d’Ademir (la péniche de l’environnement, l’opération Ebulliscience…), association dont il est le président, et le travail d’enseignement qu’il vit au quotidien à Vaulx-en-Velin. Avec des méthodes - encore peu prisées dans l’Education nationale - qui valorisent les idées de négociation,. d’écoute et de contrat collectif comme bases de la gestion des comportements à l’école, « la citoyenneté se construit en la vivant », estime-t-il. L’exemple fait tache d’huile puisque, l’an prochain, plus d’une centaine de classes seront engagées dans le projet pédagogique « La main à la pâte » créé avec l’appui du prix Nobel Georges Charpak.

Construire l’espoir

Marcel Notargiacomo, directeur de la Compagnie Traction Avant depuis une quinzaine d’années, s’est fixé un but : « Créer la maison d’à côté, celle où il y a un trésor » (librement inspiré des Marx Brothers). Avec des jeunes issus des quartiers défavorisés, et notamment de celui des Minguettes, à Vénissieux, où l’initiative a pris corps autour de la culture « hip hop » (rap, tag et break dance…) et de l’espoir de parvenir à canaliser la violence au bénéfice de projets constructifs. Avec deux exigences : mettre en relation des jeunes en situation d’exclusion avec des représentations positives de la société et ne pas céder à la tentation d’une « culture de ghetto » en facilitant la créativité. Cet espoir a su capter à la fois l’attention de nombreux jeunes et l’intérêt des pouvoirs publics.

On retrouve logiquement cet intérêt dans la démarche accompagnant, depuis 1996, la préparation de la Biennale de la Danse à Lyon. Cette manifestation de dimension internationale a su progressivement (surtout depuis le défilé organisé à l’occasion de l’édition Brésil) associer des objectifs culturels et d’intégration. Comme l’a expliqué le coordinateur du défilé 98, Xavier Phélut, ce défilé est soutenu, « sans souci de récupération », par un grand nombre d’institutions impliquées dans la « politique de la ville », la ville centre reconnaissant la banlieue en l’accueillant au coeur même de la cité. Vingt projets s’organisent dans toute l’agglomération, ainsi qu’à Chambéry, Grenoble et Bourg-en-Bresse, en élargissant l’audience : 3 500 participants sont attendus le 13 septembre entre la place des Terreaux et la place Bellecour. 200 000 spectateurs les avaient applaudi en 1996…

Toutes ces initiatives ont en commun un fait, a résumé Bemard Devez, animateur des journées de prospective, celui d’avoir dû « se situer au départ en opposition, sinon en rupture, avec les systèmes d’organisation, les institutions, les modes de faire traditionnels, pour pouvoir émerger et prendre toute leur part dans l’évolution de la ville ». Comment faire « bouger les dispositifs » et faire « remonter ces expériences » plus rapidement ? se sont demandés plusieurs interve-nants ? II n’y a pas de solution toute faite, ont-ils admis, mais « cesser de stigmatiser les catégories sociales qui rencontrent des difficultés » pourrait constituer un bon préalable…

La gouvernance, « recette-miracle » ?

S’il n’a pas de recette-miracle, Pierre Calame a néanmoins des idées précises. Le président de la Fondation Mayer pour le progrès de l’Homme a même fait de la « gouvemance » son cheval de bataille. Issu de l’anglais, le terme fait florès, mais parvenir à l’expliquer est moins aisé : « La gouvemance, c’est la capacité des sociétés humaines à se doter de systèmes de représentation, d’institutions, de processus, de corps sociaux pour se gérer elle-mêmes dans un mouvement volontaire », écrivent Pierre Calame et André Talmant dans un ouvrage consacré au sujet 3, où l’on lit aussi : « Cessons de faire semblant de croire que le marché, la science et la technique permettront presque automatiquement d’assurer les équilibres que nous aurions renoncé à assurer par la mise en place d’une gouvernance avisée

Pierre Calame a tiré de sa triple expérience de haut-fonctionaire de l’Equipement, de fondateur de plusieurs réseaux d’échange Nord-Sud et de consultant international, un constat et trois convictions. Le constat, c’est celui de « la mutation inévitable de l’Etat », affaibli par la crise de l’idée de nation et la technocratie. II aboutit à une nécessité, l’approche territoriale des problèmes, qui permet de « comprendre à petite échelle ce qui se passe à grande échelle ». Les trois convictions sont bien évidemment liées entre elles :

  • les défis majeurs du XXIè siècle ne sont ni économiques ni technologiques, mais de type institutionnel et managérial,

  • des changements radicaux sont nécessaires dans la manière de gouverner,

  • les acteurs du changement jouent un rôle - majeur dans le contenu des changements eux-mêmes.

Réformer l’action publique

Car, si les questions posées à notre société sont universelles, les réponses sont toujours spécifiques. « Si la citoyenneté locale se réduit au choix de la couleur des cages d’escalier, elle n’a guère de sens. Elle ne le trouve que quand elle se déploie au niveau global ». Le défi des institutions, c’est celui qui consiste à passer du droit au contrat avec les populations, en leur reconnaissant une autonomie d’action. Ce qui paraît aller « de bon sens » deviendrait dans la pratique le fruit d’une véritable « subversion » des dispositifs existants.

« Ainsi la crise de l’action publique, loin d’être le reflet d’une victoire de la démocratie et de la revanche du citoyen, risque d’entraîner la démocratie dans son propre déclin », poursuit Pierre Calame. La réforme de l’action publique peut partir de la thématique de l’exclusion, mais en inversant les rapports, en « plaçant au centre ce qui est à la périphérie », et non en figeant les responsabilités, les blocs de compétence et les niveaux territoriaux, y compris au plan européen. Or, la vie politique et les institutions françaises ne sont pas adaptées pour faire face à ces nouvelles logiques (« l’archaïsme de la décentralisation »), pas plus que les deux modèles historiques (le jacobinisme « descendant » et la subsidiarité « remontante »). II faut par conséquent concevoir des mécanismes qui répondent aux questions universelles par des moyens spécifiques : c’est l’objectif même de la gouvemance.

La revanche des territoires

Le grand mouvement historique moderne issu de la Révolution française a consisté à passer des territoires à l’espace. Démocratie et citoyenneté se sont, au fil des siècles, construites autour de l’idée de l’Etat-Nation. Aujourd’hui, beaucoup d’Etats connaissent une crise de légitimité et c’est la démarche inverse qui tend à s’imposer. « La crise institutionnelle française issue des élections régionales impose un renouvellement de l’action publique, qui passe par une mise en cause de la notion de modernisation de l’Etat et de sa paralysie face à l’éclatement des compétences des collectivités territoriale », a estimé Pierre Calame. Le temps des territoires est revenu. Ce qui doit être repensé en premier, c’est bien la gouvemance et non la réorganisation de l’administration pour elle-même ».

Dans le monde de plus en plus interdépendant et l’espace mondialisé qui sera celui du XXIè siècle, n’y aurait-il pas quelque contradiction à ne jurer que par des systèmes de « gouvemance locale » ? L’étude européenne comparative menée par plusieurs chercheurs et présentée par Bernard Jouve 4 montre que non; car, placées devant les - mêmes types de problèmes de « gouvemance », huit agglomérations de taille européenne (entre 0,7 et 2,5 mil. d’habitants), dont celle de Lyon, ont adopté des solutions plutôt différenciées :

  • soit en créant des structures institutionnelles dédiées à tel ou tel type de problème, par délégation de compétence des collectivités (c’est le cas à Lyon et dans cinq autres métropoles étudiées) ;

  • soit en mettant en place un système de gouvemance sur une base contractuelle et partenariale, sans délégation de compétence (c’est le choix fait par le Greater Manchester et par la métropole lémanique Genève-Lausanne).

Vers un gouvernement métropolitain

Mais seule Stuttgart a poussé la réforme du gouvernement local jusqu’à son issue logique en créant, en 1994, une nouvelle institution métropolitaine, le Verband Region Stuttgart, dont l’exécutif est élu au suffrage universel. La volonté du Land (Région) de Bade-Württenberg concerné a été décisive pour l’imposer aux communes réticentes. Au total, il apparaît que la construction politique du gouvernement métropolitain est essentielle, car elle détermine la place des collectivités locales représentatives des métropoles dans le dispositif institutionnel : il faut garder à l’esprit que l’Etat-Nation s’est construit contre les villes et le pouvoir local, comme le rappelle François Ascher 5. La constitution d’institutions métropolitaines s’impose partout, quels que soient le contexte juridique ou géographique, qu’il s’agisse d’Etats fédérés ou d’Etats centralisés, même si les pratiques et les cultures institutionnelles sont diversifiées. Mais les résultats, souligne l’étude, demeurent inégaux et fragiles.

Ces deux exposés croisés n’ont pas manqué de faire réagir les participants, tant sur la place de l’évaluation des politiques publiques (Paul Dominjon) que sur la notion de « gouvemabilité » (H. Jacot), Xavier Patrouillard s’interrogeant sur la « légitimité » des dispositifs de gouvemance, qui peuvent rassembler des coalitions d’intérêts publics et privés plus ou moins hétéroclites, comme à Manchester, ou privilégier des solutions plus « communautaristes », comme en Emilie-Romagne. Pierre Calame a pu apporter un certain de nombre de précisions :

  • l’évaluation des politiques publiques n’a de sens que si l’on sort de la « logique de l’artilleur (tirer, vérifier les résultats sur le terrain, puis rectifier le tir…) au bénéfice d’une évaluation réflexive (« chaque acteur doit pouvoir être chercheur de sa propre pratique »);

  • l’échange d’expériences est indispensable (à ne pas confondre avec le simple recueil des « bonnes pratiques »), mais pas médiatique (« un réseau d’échanges ne s’inaugure pas et demande beaucoup de temps »), il est donc peu prisé des institutions;

  • la construction du débat public devrait être l’objectif majeur de l’action publique dans les quartiers d’habitat populaire, pour faire changer de part et d’autre les représentations du pouvoir.

Donner du sens et mettre en perspective

Les deux regards extérieurs proposés au cours de cette séance ont permis de prolonger cette réflexion en proposant des pistes de travail concrètes 6. Marie-Thérèse de Nomazy (SEDHS) a évoqué notamment la question de l’élargissement de la réflexion métropolitaine à d’autres espaces urbains (réseau des villes de Rhône-Alpes, sillon voire « diamant » alpin, etc.). Jacques Perrat (ADEES) a plaidé pour sa part, pour une gouvemance intégrant mieux la dimension économique et sociale de la ville à partir de l’exemple des produits-services et des capacités d’innovation liées à la réduction du temps de travail.

Dans sa synthèse finale, Pierre Calame a suggéré un certain nombre de pistes de travail permettant à la démarche prospective en cours de « donner une lisibilité au chemin qui reste à parcourir », d’établir « des règles contractuelles permettant l’engagement et la confiance réciproque des partenaires » et de « tester la capacité de mise en ceuvre d’un contrat social » avec la population. II a réaffirmé la nécessité du débat public, la pertinence de l’action territoriale, l’ambition d’aider les secteurs de la société qui en sont parfois privés à « construire leur parole » et à donner du sens à leur avenir.

En conclusion des cinq journées de prospective qui se sont déroulées depuis le mois de février et qui ont rassemblé 400 personnes, Jacques Moulinier, vice-pdt du Grand Lyon, a esquissé la suite du parcours qui sera engagé cet automne. Cinq thèmes particuliers feront l’objet de groupes de travail chargés d’élaborer des propositions et une nouvelle rencontre aura lieu le 17 septembre. Une délégation se rendra à Barcelone les 29 et 30 septembre pour évaluer la démarche de planification stratégique développée dans la capitale catalane. Enfin une association « Lyon Millénaire 3 » pourrait être prochainement créée.

QUESTIONS A APPROFONDIR

  • Faciliter la diffusion de l’information sur les initiatives locales vecteurs de citoyenneté et d’insertion ?

  • Mettre sur pied ou aider au développer de banques de données et d’échanges d’expériences sur la gouvemance locale

Notes

1 cf l’intervention de Jean Boissonnat lors de la Journée prospective du 20 mai.

2 cf « Dossier annuel de la MRIE; tableau de bord de la précarité en Rhône-

Alpes », Lyon, 1998.

3 « L’État au coeur; le meccano de la gouvemance », coll. Gouvemances démocratiques, éd. Desclée de Brouwer, Paris, 1997.

4 « La gouvemance urbaine en Europe entre contractualisation, partenariat et réformes institutionnelles », Laboratoire Rives - UMR 5600 du CNRS, dans le cadre du programme de recherche Metronet, Lyon, 1997.

5 « La République contre la ville; essai sur l’avenir de la France urbaine », Editions de l’Aube, 1998.

6 Le texte intégral de leurs contributions est annexé à ce compte-rendu.

 

Voir Aussi