Análisis
Le secteur associatif dans le monde arabe
Entre les contraintes des systèmes politiques et les demandes sociétales
1998Selon Sarah Ben Néfissa, la grande majorité des associations dans le monde arabe sont de nature caritative ou sociale. Ces associations se caractérisent par leur faible poids social, leur nature élitiste et par les rapports clientélistes qu’elles entretiennent aussi bien avec les pouvoirs publics qu’avec leurs adhérents. Il existe des associations qui cherchent à remplir de nouvelles fonctions sociales, en tant que partenaires dues pouvoirs publics dans les choix de développement, mais celles-ci restent encore très fragiles et rencontrent des obstacles divers, allant jusqu’à la répression gouvernementale.
Contenido
A quelques exceptions près, le secteur associatif dans les pays arabes ne semble pas connaître un épanouissement et un développement à la hauteur des exigences et des demandes sociales actuelles et à la hauteur des discours officiels à son propos. Par delà les diversités, les situations contrastées et les exceptions, les associations et les ONG des pays arabes ne peuvent pas être considérées comme des forces collectives véritables, à même de peser sur le développement et le devenir de leurs sociétés.
Les domaines de prédilection des secteurs associatifs arabes sont le travail caritatif et le travail social en général. Sans nier l’importance de ces fonctions dans un contexte général de désengagement des Etats et de diminution de leurs rentes, force est de constater qu’elles ne sont généralement pas accomplies sur une base de mobilisation active, solidariste et citoyenne. A quelques exceptions près, elles reposent sur la base d’une assistance à des populations défavorisées, d’offres de services et également sur des bases communautaires. Les associations qui cherchent à occuper de nouvelles fonctions sociales en tant que partenaires des pouvoirs publics dans les choix et la conduite du développement existent mais elles sont récentes, fragiles et rencontrent des difficultés et des obstacles divers. Ces données donnent à l’association dans le monde arabe une configuration originale très éloignée de ce que devrait être une « organisation non gouvernementale ». Elle se caractérise par son faible poids social, sa nature élitiste, la faiblesse de sa base d’adhérents, la restriction de son champ d’intervention dans les villes, son imbrication dans les appareils politico-administratifs et les rapports clientélistes qu’elle entretient avec son environnement. Cette présente communication2 cherchera, sur la base d’exemples pris dans certains pays arabes, à corroborer ce diagnostic sévère et à proposer des hypothèses d’analyse afin de susciter des questionnements nouveaux à même de faire avancer la recherche scientifique sur le sujet.
Quelles sont les vocations principales des associations dans le Monde Arabe?
Quel est le processus historique qui a présidé à la naissance et au développement des associations dans les pays arabes?
Quels sont les rapports entre les systèmes politiques arabes et les associations?
Quelles sont les principales caractéristiques des associations dans les pays arabes?
Les vocations des associations dans le Monde Arabe entre le socio-caritatif et le politique
Les activités des associations arabes sont différentes d’un pays à un autre car évoluant en fonction des besoins sociaux différenciés, des situations économiques et également des possibilités que leur laissent les équipes dirigeantes. Elles peuvent être d’ordre culturel, littéraire, scientifiques, sportives comme elles peuvent regrouper des professionnels, des diplômés, des jeunes, des femmes etc…. Toutefois, malgré la diversité et la multiplicité de leurs activités, certaines constantes demeurent et apparaissent comme intimement liées aux initiatives associatives dans les pays arabes. La vocation première des associations arabes semble le travail caritatif et le travail social de manière plus large. Au coté de cette vocation fondamentale qui évolue et se transforme dans le temps et l’espace, se font jour depuis quelques années de nouvelles formes d’actions associatives dont l’avenir et les effets semblent encore incertains du fait de certaines contraintes sociales, financières, administratives et politiques.
L’aide aux nécessiteux et aux catégories défavorisées de la société est le facteur principal qui pousse les citoyens des pays arabes à s’associer. Il s’agit là d’une donnée ancienne. Les premières associations arabes dans le sens moderne du terme nées à la fin du 19ème siècle, mettaient au coeur de leur mission le travail caritatif et social notamment l’éducatif et le sanitaire. Cette donnée n’a pas disparue et elle continue à mobiliser jusqu’à aujourd’hui les énergies associatives et à sensibiliser les citoyens. Les modalités de ce travail social sont multiples. Certaines associations sont généralistes et offrent une multiplicité de services et d’aides sur la base d’un quartier ou d’une région. Ces services vont de l’envoi mensuel d’argent à des familles nécessiteuses jusqu’à la construction de dispensaires et d’hôpitaux en passant par la fondation d’écoles, l’organisation de cours de soutien scolaire, de cours de formation professionnelle etc…. D’autres associations se préoccupent de catégories spéciales de la population comme les orphelins, les enfants naturels, les personnes âgées, les handicapés, les femmes etc….
Il s’agit là d’une donnée générale confirmée par la plupart des études qui ont faites sur le sujet. L’étude opérée par CIVICUS au début des années 90 sur l’ensemble du monde arabe montre que le % des associations caritatives et sociales par pays évolue entre 9,7% pour la Tunisie et 68% pour le Koweït et la plupart des autres oscillant entre les 30 et 50% du total des associations dans chaque pays (Kandil,A (ed)).
Sans nier l’existence d’associations caritatives sans particularité identitaire spécifique, la mission caritative et sociale des associations arabes se conjugue fortement avec des liens de type communautaire, religieux, régional, voire même familial ou « tribal ». Il s’agit là d’une caractéristique typique des pays du Moyen Orient qui connaissent une situation pluriconfessionnelle mais elle existe aussi, dans une moindre mesure toutefois, au Maghreb. Ce sont ces associations qui rencontrent un important succès et qui manifestent une efficacité sociale véritable.
En Egypte par exemple, il est possible de dire que l’activité caritative est surtout dominée par les associations religieuses, musulmanes ou chrétiennes. Ce phénomène n’est pas nouveau mais les décennies 1970 et 1980 ont vu une extension des associations islamiques qui sont aujourd’hui la première catégorie d’associations enregistrées sur le plan national (Ben Néfissa S). Les facteurs qui ont encouragé le développement du phénomène sont d’une part le désengagement de l’Etat égyptien de certains services sociaux de base et d’autre un investissement du courant politique islamique dans le réseau associatif. Aujourd’hui en Egypte ces associations sont fondamentales pour la vie des populations urbaines par l’intermédiaire des services qu’elles rendent notamment sur le plan sanitaire et éducationnel. Citons la plus importante d’entre elles. Il s’agit de la Gammia Charia pour les Serviteurs de la Sunna Mohamedienne. Cette association, fondée en 1913 dispose aujourd’hui de 347 filiales et 498 bureaux sur tout l’espace national sans compter ses 6000 mosquées.
Le même phénomène existe au Liban et en Syrie. En Syrie, malgré l’idéologie laïcisante du Parti Baath, les associations ont des liens étroits avec les communautés religieuses. Les communautés chrétiennes syriennes ont des associations qui recoupent les fragmentations confessionnelles et elles ont des liens avec les hiérarchies religieuses. Citons l’Association de Bienfaisance de la communauté Syriaque catholique d’Alep, l’association de la Communauté catholique d’Alep, l’Association orthodoxe Saint Grégoire qui dépend directement de l’église grecque orthodoxe et dont les activités sont centrées sur l’aide sociale notamment les maisons de retraite et les orphelinats (Boukheima S).
Les associations islamiques existent également en Syrie mais leur développement est limité par la suspicion des autorités syriennes qui craignent qu’elles ne servent de réceptacles à des activités politiques. Certaines fondées dans les années 1950 continuent à offrir leurs services aux plus démunis et mettent à leur disposition des structures sociales et sanitaires comme l’Association Muassat al islamia et l’association de Bienfaisance islamique. Elles sont généralement implantées dans les mosquées et assurent des services de proximité (Boukheima S).
C’est évidemment au Liban que cette répartition communautaire des associations caritatives est la plus manifeste. Chacune des 18 communautés confessionnelles dispose de son réseau associatif caritatif. Existante depuis le début du siècle, cette réalité s’est renforcée pendant la guerre qui a rajouté au découpage communautaire un découpage géographique. La désarticulation des institutions étatiques durant cette période a été un facteur important du renforcement associatif libanais. Aujourd’hui, les associations de type communautaire font face à une nouvelle situation. Toutefois, ce sont celles qui ont été les moins touchées par les réductions des aides de l’étranger du fait de leur enracinement historique, social et communautaire (Karam K).
Au Soudan, la prise du pouvoir par Omar el Bashir et le Front National islamique en 1989 fit des associations islamiques des alliés du pouvoir et encouragea également l’implantation au Soudan des ONG islamiques internationales. Leur insertion a été facilitée également par la délégation au secteur privé de nombreux pans de l’activité étatique et par la création d’institutions financières s’ajoutant aux banques islamiques comme le Diwan el Zakat, le fond de support pour la sharia et les Awkaf el islamia (Bellion J).
En Palestine, au coté des ONG liées aux différentes tendances du mouvement de libération de la Palestine, il existe l’important réseau d’aide social relié au mouvement islamiste du Hamas.
Le Maghreb ne connaît pas le phénomène caritatif religieux dans les mêmes proportions qu’au Moyen Orient. Cette donnée semble liée à l’inexistence d’une pluriconfessionnalité. Elle est surtout liée au refus des pouvoirs publics de laisser s’exprimer ce type de phénomène, possible terreau d’implantation pour les mouvements islamistes contestataires.
L’Algérie a connu le réseau caritatif implanté dans les Mosquées et contrôlé par le Fis. Bien que leurs activités soient aujourd’hui gelées, l’Association el Islah et Al Irchad très liée à l’ex Hamas est encore très active (Sidi Boumedienne R). La Tunisie également a failli connaître le phénomène surtout si l’on rappelle le rôle joué dans les années 70 et 80 par l’Association de Sauvegarde du Coran pour le développement du Mouvement de la Tendance Islamique. Aujourd’hui, un contrôle étatique sévère empêche la liaison entre le religieux et le caritatif et il est interdit à une association tunisienne d’oeuvrer dans le domaine religieux. Comme autre facteur du peu d’importance du travail caritatif en général en Tunisie, on peut signaler la relative prospérité économique que connaît le pays ces dernières années et la volonté de l’Etat de faire de l’aide aux pauvres sa propre chasse gardée. Les modalités d’organisation du « 26/26 », qui est un compte alimenté par les dons du public pour aider les régions pauvres et déshéritées, en sont la preuve la plus symptomatique. Toutefois, avant l’accaparement du « 26/26 » par les plus hauts sommets de l’appareil d’Etat, cette initiative a rencontré énormément de succès auprès de la population.
Si le social et le caritatif se conjuguent avec le religieux, ils se conjuguent également avec succès avec les liens de type régionaux voire familiaux et tribaux. Tel est le cas notamment au Soudan, en Egypte, au Yemen et également au Liban. Si au Liban les associations sociales reliées aux grandes familles libanaises présentent une configuration semblable aux associations de charité classiques dans la mesure oùelles sont prestataires de services à l’ensemble de la population, tel n’est pas le cas pour le même phénomène dans d’autres pays (Curmi B).
En Egypte, il s’agit d’un phénomène spécialement relié à la migration interne au Caire et à Alexandrie. Au Caire, les ligues régionales ou les associations de ressortissants, représentent la plus importante catégorie d’associations avant même les associations islamiques. Leur particularité est de regrouper les personnes de même origine géographique, généralement le même village et installées dans la grande ville. Leur objectif principal est de s’entraider afin de réussir leur toute nouvelle insertion dans l’espace urbain notamment populaire. Ces ligues régionales n’aident que leurs propres membres et ne sont pas ouvertes à leur environnement. Elles ont joué et jouent des rôles fondamentaux dans l’équilibre social des quartiers informels en Egypte qui ont attiré dans les années 1970 et 1980 des personnes de toutes les régions d’Egypte. Le partage et le découpage de l’espace d’installation (en vue de construire les habitations) de ces nouveaux migrants doivent beaucoup à ces ligues régionales et aux tractations entre elles. De même, elles ont pour vocation d’organiser les enterrements et les cérémonies funéraires des membres de leur communauté. Il s’agit toutefois de l’association typique de la première génération de migrants et elle subit actuellement une désaffection de la part de la jeunesse. Aujourd’hui, elles cherchent à diversifier leurs activités afin de répondre aux nouvelles demandes de leurs ressortissants, notamment dans l’aide aux plus démunis (Ben Néfissa S, Kandil A).
Le Soudan connaît le même type de phénomène qui regroupe des migrants ou plutôt les populations déplacées du fait de la guerre et des famines. Certaines d’entre elles jouent le rôle de relais entre les populations et les ONG internationales. Du fait de la situation interne soudanaise, leur rôle est autrement plus important qu’en Egypte.
Les associations qui ont un référent communautaire ne signifient pas forcément que leurs activités soient de type traditionnel. Les associations religieuses ou régionales ont su faire évoluer leurs activités sociales et les faire diversifier. Il ne s’agit pas d’aides « à la petite semaine » mais de véritables services sociaux organisés de manière rationnelle et moderne. Elles permettent de servir des populations pauvres ou les classes moyennes paupérisées, mais également d’offrir de l’emploi aux diplômés de l’enseignement supérieur, les médecins et les enseignants principalement. La santé et l’éducation sont leurs domaines de prédilection que ce soit dans les pays qui connaissant des guerres et des troubles comme la Palestine, le Liban ou le Soudan que dans les autres pays comme l’Egypte et la Jordanie.
Quand le caritatif au nom du religieux ou de la communautaire ne s’exprime pas ou ne peut s’exprimer pour des raisons diverses, le social demeure la vocation importante des associations des pays arabes. Ce social s’occupe de l’enfance, des orphelins, de la famille, des chômeurs, et des handicapés. En Libye, l’Association « Hana » de la sauvegarde des orphelins compte une trentaine d’annexes sur tout le territoire et il faut citer également l’association Wafa dont l’activité est orientée vers les familles nombreuses, l’Association de la famille Libyenne », l’Association Amel des Orphelins, et l’association de sauvegarde de l’enfance (Ouanes M).
Nouvelles formes associatives
Les nouvelles vocations associatives qui sont apparues cette dernière décennie, peuvent être réparties en deux catégories. La première regroupe des associations qui, sans se positionner politiquement , cherchent à se constituer comme des partenaires des pouvoirs publics dans la conduite du développement. Leur champs d’action est donc très large. Il va de la défense du consommateur à la protection de l’environnement urbain ou rural jusqu’à la volonté de sauvegarde du patrimoine architectural ou historique en passant par l’aide à la création de petites et moyennes entreprises etc…
Cette nouvelle forme d’expression associative déroge par sa logique à la perception classique des associations caritatives ou sociales. Alors que ces dernières font de l’assistanat social, les nouvelles associations cherchent au contraire à mobiliser certaines catégories sociales autour d’intérêts sectoriels afin de trouver en commun des solutions originales à certains problèmes. Elles cherchent également à se positionner comme des partenaires des administrations et de la puissance publique en tant que force de proposition, d’impulsion et même d’action et non pas simplement comme des palliatifs aux insuffisances des Etats. La « philosophie » générale de ce nouveau système d’action repose sur la volonté de construire une citoyenneté active et de ne pas abandonner son sort aux mains des fonctionnaires. Cette prise de conscience est notamment liée aux défauts classiques des administrations : carences, routine, immobilisme, contraintes financières, opacité, corruption etc…
Au Maroc, le domaine d’activité principale des ces nouvelles associations sont la santé, l’intégration des femmes dans la professionnelle, la promotion des Petites et Moyennes Entreprise et le développement rural. Citons l’exemple de l’Association de lutte contre le Sida qui joue un rôle important dans la sensibilisation du public à une maladie dont il reste difficile à parler dans un pays musulman ainsi que l’expérience originale de l’Association de Solidarité Féminine vouée à l’accueil des femmes abandonnées et des filles-mères (Denoeux G). En Tunisie, l’Association des Amis de l’Institut National de Protection de l’Enfance présente comme originalité de chercher à améliorer le sort de l’enfance abandonnée en proposant des solutions aux fonctionnaires de cet Institut afin de résoudre certaines carences constatées dans son fonctionnement et qui nuisent à l’équilibre des enfants.
En Egypte, l’expérience de l’Association « For Promotion Of Services » de Zamalek et de l’Association de Sauvegarde de l’Environnement à Héliopolis mérite d’être signalée. Face à la déficiences des services édilitaires du quartier, elles ont initié des actions en direction des habitants en vue de nettoyer la chaussée ,de déplacer les ordures accumulées et d’aménager des espaces verts. Leur action a rencontré l’adhésion d’une partie des habitants qui étaient prêts à financer les projets mais mais, force est de constater les difficultés de la négociation avec les services techniques et administratifs et les blocages de certains élus qui se sentis menacés dans leurs prérogatives et remis en cause dans leurs fonctions (Ben Néfissa S, El Kadi J).
Mais, paradoxalement, c’est en Algérie que se font jour les vocations associatives les plus originales. Parmi celles ci, nous pouvons signaler l’existence d’associations de demandeurs de logement qui se constituent en force de contrôle de l’administration et qui demandent à participer à l’élaboration des critères d’attribution, au contrôle des listes et même au suivi des réalisations et au contrôle de conformité des ouvrages. Il existe également des associations de cadres de l’administration qui ont pour objectif la défense du secteur public, de la notion de service public, de la neutralité politique de l’administration et elles dénoncent notamment ce qu’on appelle en Algérie « les charrettes » c’est à dire la mise à l’écart de fonctionnaires lors des remaniements politiques ou administratifs (Sidi Boumedienne R).
Ces nouvelles vocations associatives de par leur logique même suscitent l’irritation, le blocage voire le refus de systèmes administratifs et politiques fermés sur eux-mêmes et peu habitués à ce type de comportements et d’attitudes de la part des citoyens.
Mais ce sont surtout les associations qui s’intéressent à des causes qui touchent de près ou de loin le politique qui sont l’objet de toutes les surveillances.
Il s’agit évidemment des associations de droits de l’homme, de défense des droits de la femme, de défense de certaines minorités comme les berbères en Algérie ou par exemple de conscientisation civique des citoyens, de surveillance des élections et de développement de la démocratie.
Ces associations regroupent généralement les « déçus » de la pratique politique dans leurs pays et qui cherchent à l’améliorer sans forcément rentrer directement dans le jeu ou la compétition politique quand celle-ci existe. Beaucoup de responsables de ces associations appartiennent aux milieux des militants de gauche des années 1970 mais parfois elles regroupent les nouvelles générations comme au Liban par exemple.
Malgré les difficultés, les associations de défense des droits existent dans actuellement dans beaucoup de pays arabes et certaines ont joué ou jouent des rôles fondamentaux en tant que force de pression, de contrôle voire même de changement politique. La Ligue Tunisienne des Droits de l’homme dans les années 1980 a joué un rôle de véritable forum politique entre toutes les tendances politiques tunisiennes en l’absence d’un parlement véritablement représentatif.
Pour le Liban actuel, l’Association pour la Démocratie des Elections s’est distinguée dernièrement dans sa mobilisation pour la tenue des élections municipales reportées par le Parlement alors qu’elles devaient se tenir au début de l’été 1997. Autour du slogan " baladi, baldati et baladiati » (mon pays , ma localité, ma municipalité) , elle a mobilisé plus de 180 associations et partis politiques pour la signature d’une pétition dénonçant l’ajournement des élections (Karam K).
Les mêmes propos peuvent être tenus pour l’Egypte sur la question des droits de la Femme. Profitant de la tenue de la Conférence Internationale de la Population et du Développement au Caire, plus de 300 associations se sont constituées en Commission, en dehors des structures administratives de coordination des associations, pour émettre une pétition en faveur, notamment, d’une refonte du contrat du mariage en Egypte en vue de rééquilibrer quelque peu le statut des époux (Ben Néfissa S).
Les caractéristiques des nouvelles formes associatives qui viennent d’être succintement décrites sont leur jeunesse relative, leur fragilité due non seulement aux blocages administratifs et politiques mais également à leur restriction aux élites urbaines et intellectuelles occidentalisées. Le caractère urbain et élitiste n’est pas propre à ce genre d’association. Même les associations de type caritatives et sociales sont dirigées par des élites urbaines même s’il ne s’agit pas des mêmes catégories d’élites. Toutefois, ces dernières, de part leurs missions, ont un rayonnement social plus important et sont au contact avec les couches moyennes et défavorisées de la société. Pour comprendre cette caractéristique commune aux associations des pays arabes, il importe de dire quelques mots sur l’historique des mouvements associatifs dans les pays arabes.
Les processus historiques de la naissance et de l’évolution des associations arabes : d’une élite à une autre
Le rapide « diagnostic » qui vient d’être tenté sur les associations dans les pays arabes étonne à plus d’un titre. En effet, les pays arabes par rapport d’autres pays, semblaient plus à même de développer les énergies associatives dans la mesure où la naissance des associations de citoyens n’est pas un phénomène nouveau lié aux encouragements internationaux récents au développement des ONG. Les historiens des différents pays ont montré comment la forme associative « moderne » a rapidement été adoptée par les sociétés arabes dès la fin du 19ème siècle que ce soit en Tunisie, Egypte, Algérie, Libye, Syrie, Liban… Citons la célèbre Association de Charité Islamique fondée par Mohamed Abdou en Egypte en 1892, l’Association de la Khaldounia et l’Association de Charité islamique fondées 1896 en Tunisie. Etc…
Ces associations étaient aussi bien caritatives que sociales et intellectuelles et elles pouvaient être à fondement religieux, islamiques ou chrétiens, ou bien sans référence identitaire. Pour ces dernières, il s’agissait principalement de regroupement d’intellectuels en vue de mener des activités littéraires, culturelles, scientifiques et évidemment politiques (Ben Néfissa S).
Toutefois, les réalités sociales que recouvraient le terme « association » sont bien loin de ce que ce terme peut connoter en Europe et notamment en France.
En France le terme « association » renvoie à un certain nombre de valeurs, d’images et de représentations sociales et politiques construites autour d’un des notions de « participation », « responsabilité », « solidarité », la « démocratie ». Elles évoquent la liberté et la mobilisation des des citoyens pour défendre leurs intérêts particuliers non lucratifs face à un Etat lointain, défenseur de l’intérêt général ou bien des intérêts de certaines classes sociales .
Il est vrai qu’en France, l’« associationnisme » moderne semble être un mouvement qui est partie de la société dans le cadre des mouvements sociaux et revendicatifs du 19ème siècle liés à l’industrialisation du pays, à la misère sociale et au développement des différentes idéologies socialistes (Bardout JC). Celles ci ont mis l’accent sur la nécessité de « s’associer » pour défendre les droits sociaux des travailleurs, des chômeurs et des indigents face à la paix « bourgeoise » défendue par un Etat dit libéral mais dont les capacités d’intervention et de contrôle sur la société se sont développées de manière exponentielle. Le mouvement associatif français du 19ème siècle qui a donné naissance au mutualisme et au syndicalisme s’est notamment construit dans un rapport antinomique avec l’Etat même si cet mouvement a été instrumentalisé par les pouvoirs publics et à servi à légitimer l’interventionnisme social de l’Etat (Rosanvallon P)
Dans les pays arabes, la naissance et le développement du mouvement associatif « moderne » sont différents. Il n’est pas né dans le cadre des conflits d’intérêts internes aux sociétés ni dans un rapport antagoniste avec les pouvoirs publics. Il s’est construit principalement à partir de la division entre les sociétés colonisées et les puissances coloniales. Il n’est donc pas étonnant que les pays arabes qui ont été les premiers à créer des associations sont les pays qui ont été les premiers à connaître le mouvement de la Nahda3 notamment l’Egypte et le Liban. La Nahda est un courant intellectuel qui se caractérise par la volonté d’introduire le renouveau et la modernité au sein du legs civilisationnel arabo-islamique en adoptant certaines idées sociales et politiques occidentales (la liberté, la citoyenneté, la libération de la femme etc….) et adoptant également certaines de ces techniques d’organisation et d’administration (Etat Moderne, Parlement, Associations et Fondations etc…) . A la base de la Nahda, se trouvent les idées du réformisme musulman, même si ce courant de pensée a concerné l’ensemble des sociétés arabes aussi bien musulmanes que chrétiennes. Le réformisme musulman se caractérise par la volonté de régénérer les sociétés musulmanes remises en cause par l’Europe conquérant et civilisateur. Pour ce faire, les réformistes musulmans estimaient qu’il fallait accorder un rôle plus important à la raison, développer les sciences et les techniques et moderniser les structures politiques et sociales. Afin d’arriver à ces objectifs, il fallait commencer par créer des élites autochtones afin d’être au diapason des sociétés occidentales et des communautés étrangères installées dans les différents pays arabes. C’est ainsi que les premières associations fondées avaient pour objectif de fonder des écoles. Il s’agissait de fondations philanthropiques qui cherchaient à éduquer et instruire les enfants du peuple de manière moderne tout en sauvegardant leurs identité par l’apprentissage de la langue arabe et des fondements de la religion.
Les premières associations du monde arabe sont en fait des initiatives des élites arabes de l’époque animées par le réformisme musulman, chrétien et parfois laïc. Ces associations étaient financées par les couches aisées de la société (commerçants, propriétaires terriens) et également par les classes dirigeantes ( le beys, khédives etc….). Ce financement se faisait au nom de l’islam et de certaines de ses institutions notamment la Zakat (aumône obligatoire religieusement) , la Sadaqua (aumône laissée à la bonne volonté du croyant) et surtout le Wakfs4. Les Waqfs ont joué, et continuent à jouer un rôle important dans le domaine de la solidarité sociale. Le principe du Waqf est l’affectation du revenu d’un domaine productif à une oeuvre pie telle que : l’aide aux nécessiteux, aux pauvres, la construction d’hôpitaux, d’hospices, d’écoles, de mosquées etc. Une grande partie de ces revenus a servi au XIX et XXè siècle au financement des associations et des organismes privés.
L’exemple de la création de l’Université du Caire en 1908 illustre cette situation. Cette université a été conçue et financée par des efforts privés d’égyptiens fortunés avec l’aval et les encouragements de la famille régnante qui offrit notamment le terrain et lui destina des biens de mains mortes ou des Wakfs.
On perçoit là comme le travail associatif dans sa première gestation est une initiative par le « haut » et comment ses caractéristiques étaient à la fois modernes et traditionnelles en même temps. Les associations de l’époque avaient adopté des structures modernes (Conseil d’administration, élections, Assemblée générale etc…) et des structures traditionnelles avec le Wakfs notamment qui plongent des racines lointaines dans l’histoire islamique.
Le travail associatif, dans les étapes historiques ultérieures, a été perçu à partir d’autres types d’idéologies : salafistes5, libérales, nationalistes et socialistes mais la nature élitiste du phénomène n’a pas changé pour des raisons liées aux dominations politiques des puissances occidentales et à la structuration socio-économique des sociétés.
Dans certains pays qui connaissaient un secteur privé puissant composé d’industriels, de commerçants et de grands propriétaires terriens comme en Egypte, le travail associatif a été dominée dans les années 30 et 40 par la figure de l’association de charité fondée par les classes supérieures qui voulaient apporter quelques correctifs aux énormes inégalités sociales.
C’est également vers cette même période, que date la législation égyptienne qui interdit de constituer des associations sur une base professionnelle afin d’éviter la syndicalisation et le mutualisme chez les ouvriers.
Il est symptomatique de noter qu’en Libye, c’est à partir de l’étranger (Tunisie et Egypte notamment) que ce sont constituées à partir de la fin des années 20 des associations puissantes. Ce phénomène était lié à l’exil des élites libyennes suite l’occupation italienne du Pays.
La deuxième génération des élites associatives était également animée par le nationalisme et la lutte politique contre l’occupant. Ce nationalisme de tendance religieuse (ex : l’association des Frères Musulmans ) ou laïcisante, avait pour particularité de concevoir le travail associatif comme étant une base de mobilisation contre l’occupant. Certaines associations se sont tout simplement transformées en partis politiques.
En Tunisie, avant l’indépendance, quasiment tout le réseau associatif « autochtone » était contrôlé par le Néo-Destour qui luttait pour l’indépendance du Pays.
Les dirigeants nationalistes arabes, quelles que soient les particularités de leurs idéologies (socialisme, Baathisme, libéralisme etc…) ont fait de la conquête de l’Etat aux mains des occupants et de la construction d’Etats modernes leurs objectif premiers. Il n’est pas étonnant qu’une fois les indépendances acquises ou les Révolutions effectuées, les dirigeants nationalistes arabes ont cherché soit à diminuer le rôle des associations, soit à les contrôler fermement soit tout simplement à les supprimer. L’Etat était au coeur de leurs projets sociétaux et c’était à lui de prendre en charge totalement la société en éduquent, soignant, protégeant les pauvres, les catégories les plus faibles, en corrigeant les inégalités sociales etc… Certains pays ont quasiment perdu leurs traditions associatives. Les 400 associations de charité qui existaient en Tunisie avant l’indépendance ont été soit supprimées soit « avalées » par les administrations. En Egypte, leurs biens ont confisqués par l’Etat et des militaires ont été nommés à la tête des grandes associations.
Cette offensive anti-association a concerné également toutes les expressions autonomes de la société et notamment politiques. Elle a été facilitée par l’adhésion générale des populations aux idéologies nationalistes et socialistes de l’époque.
Cette rapide, insuffisante et lacunaire référence à l’histoire des associations arabes cherche principalement à mettre l’accent sur les différences de parcours entre les associations européennes et arabes et à montrer que le poids actuel de l’Etat sur la vie des associations dans le monde arabe se doit d’être compris dans le cadre des idéologies, des habitudes et des contextes historiques aussi bien coloniaux que post-indépendances.
Aujourd’hui, les paysages politiques, sociaux, économiques et internationaux ont changé. La majorité des Etats arabes affirment leur volonté d’encourager les expressions des " sociétés civiles ». Pourtant, force est de constater la prégnance des rapports autoritaires entre les Etats et les associations.
Les systèmes politiques arabes et les associations : entre le refus et l’instrumentalisation
Aujourd’hui le poids et les formes du contrôle étatique sur les associations varient d’un pays à un autre en fonction de la situation interne à chaque pays et en fonction des particularités des systèmes politiques et de leur degré de démocratisation.
De manière symptomatique, c’est dans les périodes de crise grave avec ébranlement des structures étatiques ou un grave déficit de légitimité, que le phénomène associatif s’épanouit le plus. Le cas de l’Algérie, de la Palestine et du Liban pendant la guerre est là pour le prouver. L’Algérie semble être le seul pays arabe qui sur le plan juridique connaît la procédure de la déclaration et non celle de l’agrément et aujourd’hui il est possible de parler d’une véritable explosion associative. Les catégories sociales qui se senties les plus menacées par l’extrémisme islamiste et l’Etat algérien, ont été les premiers à s’organiser et il s’agit principalement des femmes et des berbères. Mais aujourd’hui, il est possible de dire que la forme associative, plus que le parti politique ou la presse, semble constituer une des principales voies d’expression de la société algérienne qui cherche à ne pas se laisser emprisonner dans le binôme Etat / Islamistes. La plupart des associations oscillent entre l’opposition au pouvoir, le compromis tactique et la cohabitation forcée pour obtenir des subventions. Il semble bien, toutefois, que la vitalité de ce mouvement ne doive rien à la sollicitude de l’Etat ni à celle des organismes internationaux (Sidi Boumedienne R).
Pour la Palestine, les conflits qui sont nés en Palestine entre les ONG palestiniennes et l’Autorité Palestinienne nouvellement installée confirme a contrario la même hypothèse et le Liban pendant la guerre a montré la capacité d’intervention des ONG et associations pour résoudre les problèmes des populations.
Sur le plan des relations entre les Etats et les associations, il est possible de dire que celles-ci vont du contrôle et de l’étouffement le plus sévère jusqu’à’ à une liberté relative qui ne remet pas en cause leur instrumentalisation.
La Tunisie, la Syrie et la Libye sont probablement les pays qui connaissent aujourd’hui le plus de contraintes sur ce plan. En Tunisie, après les 3 années de liberté relative après le changement du 7 novembre 1987, aujourd’hui la quasi totalité des associations sont soit aux mains des militants du Parti du pouvoir, soit des simples émanations administratives. Celles qui sont arrivées à maintenir une certaine forme d’autonomie subissent quotidiennement les tracasseries et les contrôles administratifs.
La Libye, connaît une législation sur les associations draconienne et la plupart des jeunes associations fondées après 1991 ne peuvent fonctionner que si l’Etat met à leur disposition un local, des subventions et du personnel pour y travailler. Par ailleurs elles sont dirigées par des personnes proches du régime (Ouanes M).
En Syrie, les pouvoirs publics semblent s’avancer vers l’acceptation d’une une liberté relative pour les associations à vocation sociales et sanitaires au détriment des nouvelles formes associatives qui n’ont pas encore vu le jour à l’exception des Comités de défense des droits de l’homme dont les membres ont été condamnes en 1992 par la Cour de Sureté de l’Etat et de l’Association de Protection des Prisonniers dont les membres ont subi le même sort mais qui n’a pas été dissoute. La relative liberté accordée à la première catégorie d’associations rentre dans le cadre d’une stratégie d’instrumentaliser notamment les associations sanitaires dans un contexte de sclérose et d’insuffisance du système public de santé et d’une volonté de se décharger au moindre coût d’une part de ses responsabilités (Boukheima S).
Quant au Maroc, sans nier la vigueur actuel du mouvement associatif marocain et le relatif espace de liberté dont il jouit, il ne faut pas oublier l’omniprésence et la vigilance des pouvoirs publics qui ont déjà démontré une capacité étonnante de récupération des dynamiques sociales. Ainsi, certaines limites de tolérance ne peuvent être dépassées et l’arrestation de militants associatifs berbères en 1994 est là pour le rappeler. De même, l’émiettement associatif, sa division et ses rivalités sont dues pour une part à la stratégie du régime qui cherche à se positionner comme l’interface et le coordinateur entres elles. La création d’ associations par l’Etat lui-même est un aspect de cette stratégie sans compter la récupération des énergies associatives par l’intermédiaire de la création de Conseils Consultatifs d’associations chargés de conseiller le Roi sur tous les grands thèmes de l’heure. Il importe de ne pas oublier non plus que cette libéralisation intervient dans le cadre du retrait de l’Etat de certaines fonctions sociales et la peur du régime que les mouvement islamistes ne s’y intéressent (Denoeux G).
L’Etat égyptien demeure également très vigilant dans ses rapports avec les associations égyptiennes même si les associations sociales et caritatives disposent d’une marge de manoeuvre qui leur a permis d’occuper des espaces sociaux importants. Le développement des associations de charité islamique dans les années 1970 et 1980 est lié au succès de l’idéologie islamiste dans la société mais il se doit d’être relié également aux facteurs suivants : une volonté politique de compromis tacite avec le courant islamiste pour contrer l’opposition nationaliste et de gauche ; un rapprochement des autorités égyptiennes avec les Pays du Golfe ; une volonté de se décharger des services sociaux qu’il ne pouvait plus accomplir. Aujourd’hui, la situation a changé. Le tremblement de terre de 1991 a montré à l’opinion publique et au régime la force et l’efficacité de l’aide fournie aux populations par les militants associatifs islamistes. Aujourd’hui, on ne peut plus parler de compromis entre le régime et les islamistes égyptiens et la plupart de leurs dirigeants politiques et syndicaux sont emprisonnés. Sur le plan associatif, cela se traduit par une liberté relative accordée aux associations « laïques » et même politiques. Malgré leur non reconnaissance juridique et le fait qu’elles sont enregistrées en tant que « société civile et commerciale » les organisations de droits de l’homme, de défense de la démocratie, de libération de la femme arrivent à fonctionner.
Les caractéristiques des associations dans les pays arabes : faiblesse, élitisme et clientélisme
Ces quelques données sur l’histoire des associations dans le monde arabe et les relations entre elles et les Etats éclairent certaines de leurs caractéristiques générales, notamment leur faiblesse en nombre et en poids, la restriction de leur champs d’action sur les villes, leur liaison profonde avec les élites urbaines éduquées, le clientélisme de leurs relations avec les Etats et avec leur public et enfin leur faible démocratisation.
Les chiffres avancées sur le nombre d’associations varient d’un pays à un autre. Si la situation algérienne, permet de parler d’une véritable explosion associative avec la fondation de 20 000 associations en l’espace de 3 ans, d’autres pays arabes connaissent également un renouveau associatif dans la décennie 1990, notamment La Tunisie6, le Maroc, la Libye7 et la Jordanie8.
D’autres pays, comme l’Egypte et le Liban ont un rythme continu de création associative. La premier a un rythme de 200 associations par an et aujourd’hui elle en est à 15 000. Le Liban est également à 250 associations par an. Enfin d’autres pays, comme la Syrie ne semble pas connaître un développement associatif récent et le renouveau se fait à l’intérieur du réseau associatif déjà existant et il tourne autour de 600.
A eux seuls, ces chiffres ne sont évidemment pas significatifs
L’Egypte, par exemple, malgré ses 15 000 associations est, en fait, à 0,2 associations/1000 habitants. De même nombre de ces associations sont en fait de simples émanations administratives. C’est le cas pour la Tunisie on l’on peut considérer que les 2/3 des associations sont de ce type. Le Maroc connaît le même phénomène avec « les associations régionale » fondées par des personnalités proches du Palais influentes au sein de l’appareil d’Etat ou dans les milieux des affaires. Les mêmes propos peuvent être tenus pour la Jordanie avec les organisations dirigées par les membres de la famille royale et évidemment en Libye, Syrie etc…
Si l’on se penche maintenant sur l’assise spatiale de ces associations, toutes les études qui ont été faites sur le sujet attestent qu’il s’agit d’un phénomène principalement urbain. En Egypte le grand Caire à lui tout seul concentre près de 20% des associations existantes. Quand aux « associations de développement » qui sont caractéristiques des gouvernorats ruraux, il s’agit principalement d’association fondées par les administrations régionales pour des raisons de souplesse organisationnelle et pour capter l’aide financière étrangère (Ben Néfissa S, Kandil A).
Sur le plan de la répartition spatiale, certaines exceptions voient toutefois le jour au Maroc avec l’apparition d’associations autonomes tournées vers le monde rural qui mettent en oeuvre des projets d’électrification, d’amélioration des systèmes d’irrigation ou d’aménagement d’écoles et de dispensaires. Cependant, les fondateurs de ces associations, s’ils sont généralement issus de la communauté villageoise, ils ont acquis en ville ou à l’étranger leur formation et leur situation (Denoeux G).
Cette donnée sur les fondateurs d’associations peut être généralisée et confirmée de manière certaine par l’étude qui a été faite sur les facteurs principaux qui favorisent la fondation d’associations en Egypte. Elle montre que la création associative dans ce pays demeure un phénomène de classes moyennes supérieures. En effet la fondation des associations est favorisée par le % élevé de diplômés universitaires et l’illétrisme et plus largement tous les indicateurs de pauvreté (les niveaux scolaires par gouvernorats, la couverture en services sociaux de base, chômage, emploi, etc….) découragent leur fondation .Un tel constat confirme notre propos sur le caractère élitiste des associations en Egypte et les études qui ont été faites sur les autres pays arabes émettent les mêmes avis (Ben Néfissa S).
Cette donnée s’analyse facilement. Fonder une association reconnue par les pouvoirs publics en Egypte n’est pas une entreprise facile qui se fait « naturellement ». Elle nécessite en fait plusieurs conditions de base: être au courant de la loi sur les associations; comprendre les modalités administratives qu’elle suppose et celles-ci ne sont pas évidentes avec la législation actuelle; avoir des contacts avec l’administration et notamment avec la direction des Affaires Sociales au sein du gouvernorat. Toutes ces conditions supposent que les fondateurs disposent d’un minimum de niveau scolaire et socio économique qui leur permet de disposer de réseaux au sein de l’administration et de la société. Seuls ces contacts permettent d’obtenir l’enregistrement officiel de l’association et de rassembler les moyens humains et matériels nécessaires à son démarrage (Ben Néfissa S).
Peut on dire que cette constatation générale vaut pour toutes les associations quelle que soit leur vocation? Certains indicateurs montrent qu’il s’agit effectivement d’une donnée générale mais qu’il convient de nuancer en fonction de la typologie sommaire des associations qui a été élaborée dans le premier chapitre.
Concernant la fondation et la direction des associations de type social et caritatif avec ou sans coloration communautaire précise, elles sont principalement le fait de notables qu’il s’agisse d’élites communautaires pour le cas des associations liées aux minorités chrétiennes et aux ligues régionales, ou de leaders politiques et religieux pour le cas des associations islamiques.
Les ligues régionales égyptiennes sont généralement fondées et dirigées soit par des hommes d’affaire soit par des députés, issus de différentes communautés. Les associations chrétiennes sont animées par des personnalités en relation avec la hiérarchie de l’église. Les mêmes propos peuvent être tenus pour les associations islamiques et l’Egypte connaît depuis deux décennies le phénomène des hommes d’affaires qui font de l’évergetisme islamique ou bien les leaders islamistes pour qui le travail caritatif et social est un tremplin pour l’activité politique (Ben Néfissa S).
Les « nouvelles formes associatives » ne dérogent pas à cette caractéristique et il est même possible de dire qu’elles sont encore plus élitistes, car leurs vocations font appel à certain nombre de valeurs, de comportements politiques et sociaux relativement dérogatoires pour l’ensemble de la population. Si le succès des activités sociales et caritatives est lié pour une bonne part à leur acceptation par les pouvoirs publics, il est également dû à deux autres facteurs. D’une part, leurs services sociaux répondent à des besoins vitaux pour la majorité de la population, d’autre part elles correspondent également au système de représentations de la majorité de la population qui lie fortement l’« association » à la « charité ». Cette donnée est sûrement à relier avec les croyances religieuses islamiques et chrétiennes. Rappelons pour le cas de l’islam, les institutions comme la Zakat (aumône obligatoire religieusement) , la Sadaqua (aumône non obligatoire) et le système des Wakfs dont il a été question plus haut.
Cette donnée joue un rôle indéniable dans le système de financement des associations. Alors que celles qui s’occupent des pauvres, des orphelins et des handicapés arrivent à capter les dons du public, les associations de droits de l’homme, de l’environnement ou de droits des femmes sont obligées de recourir à l’aide internationale à cause du manque générale de sensibilisation des populations à ce type de cause.
Fonder des associations qui s’intéressent à la conscientisation civique des citoyens requiert une formation et une éducation de haut niveau. De même, accéder au financement international, nécessite que les leaders associatifs soient des personnalités capables de se situer dans l’« interface » entre l’étranger et le pays. Cette donnée permet d’expliquer que la majorité de ce type d’associations est composée d’élites du plus haut niveau, installées dans les Capitales.
Comme autre caractéristique des fondateurs et des dirigeants associatifs, il faut noter les relations « intimes » qu’ils se doivent de tisser avec les administrations et les fonctionnaires.
A cause du poids des Etats et de pouvoirs publics sur la vie des associations (autorisation pour ramasser des fonds, présence obligatoire des fonctionnaires pendant les Assemblées générale, dissolution etc….), les dirigeants associatifs doivent cultiver les meilleurs relations avec eux et cette donnée provoque certains effets pervers. Ainsi, par exemple, la réforme de la loi sur les associations égyptiennes de 1993 a cherché interdire l’accès aux Conseils d’Administration des associations des responsables administratifs locaux. Cette réforme a été refusée par une partie des associations qui ont estimé qu’elles avaient besoin de ce genre de personnalités pour pouvoir jouir de leurs relations au sein de l’appareil d’Etat.
Les associations du monde arabe sont souvent le lieu d’émergence et de construction de notabilités politiques. Cette donnée n’est pas seulement propre aux leaders islamistes. Les associations sont un moyen d’élargir des bases d’influences qui peuvent servir comme base électorale pour des élections.
Cet aspect est important quand on connaît les difficultés et les faibles poids des partis politiques dans le Monde Arabe. La majorité des députés égyptiens sont présidents d’associations, quelle que soit leur couleur politique et les ligues régionales passent entre elles des tractations et des accords pour soutenir les différents candidats. Certaines associations sportives en Tunisie jouent également ce type de rôles.
Ce dernier aspect n’est pas propre aux pays du monde arabe. Il y prend toutefois un relief particulier quand il fragilise l’association qui semble n’exister que par son président et ses relations. En effet, nombre d’entre elles voient leurs activités s’arrêter ou se ralentir au moment des disparitions de leurs président ou en cas de changements de directions. Ceci amène à poser la question des rapports internes au sein des associations.
Il convient de constater d’abord que les associations qui ont une base véritable d’adhérents, sont assez rares. Il s’agit généralement d’associations qui ont une vocation politique qui se rajoute à la vocation sociale et c’est le cas de certaines associations islamiques. Pour les autres, la vie de l’association se résume en fait à la vie du Conseil d’administration ou même aux activités de son président. Cette donnée alimente les relations clientélistes fondées sur l’inégalité entre les dirigeants, les membres et le public ainsi que la personnalisation du pouvoir et le manque générale de démocratie interne.
Si l’on prend l’exemple de ligues régionales égyptiennes, on s’aperçoit que les dirigeants communautaires sont également les personnes les plus fortunées et l’inégalité caractérise leurs relations avec les autres membres.
Le fait que la fondation de l’association et une partie de son financement soient dues à la personnalité des dirigeants a pour effet de développer le clientélisme entre « patrons " et « clients’.
Les associations religieuses ne dérogent pas à ce constat. Elles reposent par ailleurs sur des idéologies religieuses qui ne cherchent pas à remettre en cause les rapports d’inégalité mais simplement à corriger certains de ses effets trop néfastes au nom de la charité chrétienne ou de la solidarité islamique.
Il n’est donc pas étonnant que les présidents d’associations se maintiennent durent des décennies, que les postes de présidents s’héritent de père en fils et que parfois le Conseil d’administration est formée en majorité par les membres d’une même famille.
Une mention spéciale doit toutefois être faite pour les associations religieuses islamiques animées par les courants islamistes notamment les frères musulmans. Celles-ci ont une base d’adhérents et surtout reposent en grande partie sur le bénévolat des adhérents militants. Elles attirent également la jeunesse. Cette donnée est perceptible aussi bien en Egypte, qu’en Palestine qu’au Liban. Cette base d’adhérents, animée par un projet social, politique et religieux a pour effet de « démocratiser » le fonctionnement de l’association et les dirigeants doivent composer avec cette base et subir son contrôle. D’autre part, ces associations proposent des nouveaux systèmes d’actions originaux par rapport à la charité classique des riches envers les pauvres et a pour effet d’ancrer l’association dans son environnement immédiat, le quartier notamment. Citons à titre d’exemple la manière dont l’une d’entre elles, la grande Gammya Charia, gère son projet d’aide aux orphelins et qui touche 200 000 enfants en Egypte. La philosophie du système d’aide est originale. Il ne s’agit pas tant d’envoyer des mandats à leurs familles que de mettre en contact l’orphelin avec un certain nombre de « tuteurs » qui ne sont forcément fortunés. Il s’agit de personnes qui représentent différents corps de métiers : médecin, le coiffeur, le marchand d’habit, le pharmacien etc… Ces personnes contactées lors de la fréquentation de la mosquée acceptent d’aider l’enfant en fonction de leurs compétences si minimes sont-elles. Il s’agit donc de « créer du lien social » par l’intermédiaire de la mosquée et en même temps de valoriser toutes les personnes quel que soit son degré de richesse. Tout individu peut offrir quelque chose à l’environnement : l’argent, service, temps etc… (Abdelwahab A)
Conclusion
Le présent article a commencé et s’est terminé sur un constat sévère sur les réalités associatives arabes. Il a tenté de le relier d’une part à son histoire et d’autre part à la question cruciale de la démocratisation des systèmes politiques et administratifs arabes. Pour autant, au final de cet exercice difficile, incomplet et trop généraliste, nous souhaitons conclure sur la réflexion suivante. Est ce que notre tentative de réflexion sur les carences des systèmes associatifs arabes n’a-t-elle pas évacué une donnée fondamentale et qui est la question des rapports de domination entre les pays du Sud et les pays du Nord ? Après avoir été « sollicités » de construire des Etats-Nation pour pouvoir rentrer dans le « concert des nations » les pays arabes comme tous les pays du Sud sont priés aujourd’hui de se défaire de leurs bureaucraties envahissantes, corrompues voire même totalitaires et de laisser s’exprimer leurs « sociétés civiles ». La « crispation » des Etats Arabes sur la question associative est ce qu’elle ne doit pas être reliée également à la question de la souveraineté des Etats sur leurs propres espaces nationaux menacée à terme par ce qu’on appelle la mondialisation et la globalisation ?
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