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Análisis

Les conférences de citoyens sont elles compatibles avec la démocratie

Réflexion sur la gouvernance des questions réputées « complexes », arguments pour le développement des conférences de citoyens

Por Matthieu Calame

2000

Les conférences de citoyens, sortes de jurys destinés à trancher dans le cas de questions complexes (comme l’usage des organismes génétiquement modifiés par exemple) sont parfois considérés comme peu démocratiques par les institutions traditionnelles (gouvernement, parlement et même grandes ONG ayant pignon sur rue). Or, à bien des égards, ils forment en fait une réponse intelligente aux problèmes politiques actuels, en outre ils sont peut être l’expression la plus pure de l’esprit démocratique.

Contenido

Depuis quelques années, se développent dans les pays démocratiques des formules originales de réponse aux questions complexes. Qu’on les appelle publiforum, conférences de consensus, conférences citoyennes, qu’elles soient bien ou mal organisées elles reposent sur un ressors semblable : pour traiter de questions complexes que ni le referendum (appel à tout le peuple) ni les parlements, ni les exécutifs ne se sentent en mesure de traiter efficacement, on constitue des jurys sur un modèle judiciaire qui après l’audition ‘d’experts’ ou de ‘parties’ présentant généralement des positions contradictoires, sont amenés à trancher.

Mais le statut de ces jurys et de leurs décisions pose problème ; en France après la seule conférence de ce type que l’on ait connue on a mis en doute la légitimité d’une telle procédure, effectivement non prévue par la constitution et l’on y a parfois vu une menace pour la démocratie représentative (élus et corps intermédiaires) et l’on s’est interrogé sur le mode de désignation du jury, sur la compétence d’un tel groupe (car en l’occurrence il s’agissait de se prononcer sur les organismes génétiquement modifiés) ainsi que sur les risques de manipulation.

Pour imparfaits que soient ces différents prototypes qui se développent, je crois pour ma part en leur avenir et je voudrais montrer en quoi ils me semblent compatibles avec l’idée de démocratie et tout à fait capables de répondre de manière satisfaisante à la nécessité de traiter de questions complexes.

De la constitutionnalité des conférences de citoyens -

S’inspirant du modèle judiciaire les conférences de citoyens peuvent trouver une place dans le cadre constitutionnel actuel – elles renouvelles la réflexion sur les régimes politiques – elles ont montré leur efficacité à résoudre des questions réputées ‘complexes’ – leurs principes de fonctionnement mettent en évidence les entraves actuelles à la démocratie : dictature par l’urgence, omniprésence de jargons hermétiques.

La question de la légitimité démocratique des conférences de citoyens peut appeler deux types de réponse :

  • premièrement montrer en quoi ces conférences peuvent dès à présent trouver une place dans le cadre actuelle,

  • deuxièmement s’interroger sur la nature du cadre constitutionnel actuel, est-il le plus démocratique, peut-on à terme l’améliorer ?

des conférences de consensus dans le cadre actuel

Si l’on analyse les modes de fonctionnement des trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire, il est simple de faire remarquer que l’un au moins de ces pouvoirs, le judiciaire, utilise depuis longtemps la formule du jury, sans pour autant que l’on s’interroge sur sa compatibilité avec la démocratie. En fait le fonctionnement du pouvoir judiciaire est même le modèle des jurys citoyens car, comme nous l’avons signalé plus tôt, la conférence de citoyens s’inspire directement de la tradition judiciaire. Dans le cas de la France les jurys d’assise jugent les délits graves et dans ce genre de procédure il est interdit de faire appel de la décision du jury. En effet le jury est, dans le principe, considéré comme étant le représentant du peuple souverain et à ce titre sa décision est irrévocable. Seul un vice de procédure peut être invoqué pour casser le jugement (car en ce cas le peuple est réputé avoir été mal informé…). On peut faire remarquer qu’à l’évidence un jury peut se tromper - comme tout organe de décision d’ailleurs, la démocratie n’étant en aucun cas une garantie d’infaillibilité - il n’en reste pas moins que nous avons bien là dans les principes fondamentaux de notre démocratie la reconnaissance de la légitimité reconnue à un petit groupe issu du peuple par des moyens non électifs de se prononcer au nom du peuple français. Il est donc concevable que ce système voie son champs de compétence étendu pour décider de choix technologiques ou de questions de politique énergétique.

Constitution et régime actuel

On peut maintenant s’interroger sur le degré de démocratie du régime actuel largement fondé sur un système représentatif, et comparer ce fonctionnement au principe des conférences de citoyens. Dans un essai incisif intitulé l’emblème démocratique François de Bernard en s’appuyant notamment sur les réflexions d’Aristote juge sévèrement le régime français actuel en dénonçant son fonctionnement fondamentalement oligarchique. Sa critique se fonde sur une définition de base assez simple des critères de la démocratie déjà énoncés par Aristote : est démocratie un régime dans lequel la probabilité pour chacun d’être tour à tour gouvernant et gouverné est la même, appelons ce principe le « principe d’équiprobabilité d’accès au pouvoir » . Si l’on se rappelle que les cités grecques n’avaient pas vraiment d’administration professionnelle (et donc pas vraiment de distinction entre ‘administration’ et ‘élus’ au sein de l’appareil d’État si tant est que la notion même d’État ait eu un sens), l’application de ce principe amenait Aristote à énoncer les règles suivantes :

  • 1) tous les magistrats sont tirés au sort,

  • 2) pour un temps limités non renouvelable et court (un an)

  • 3) Toute charge est rémunérée.

Il est évidemment difficile dans des sociétés beaucoup plus grandes (rappelons que la France à 40 millions de citoyens en âge de voter contre 40 mille à Athènes ! ) d’appliquer ces principes, néanmoins ils nous aident à nous interroger sur le degré de ‘démocratie’ de notre régime actuel. Si l’on observe la société telle qu’elle fonctionne et non pas telle qu’elle prétend fonctionner sur le papier, force est de constater que le principe d’équiprobabilité d’accès au pouvoir n’est pas, loin de là, appliqué ou même recherché. Disons le tout net certains ‘citoyens’ n’ont absolument aucune chance d’être un jour gouvernant quand d’autres le sont par profession et ceci vaut désormais aussi bien pour la haute administration que pour le personnel politique ! On peut aisément imaginer les dérives d’un tel système dans lequel se crée une ‘classe’ de gouvernants et une classe de gouvernés, les gouvernants sacrifiant nécessairement les enjeux à long terme à la nécessité à court terme de se faire élire. Ces dérives dénaturent et surtout jettent le discrédit sur les régimes ‘démocratiques’ qui apparaissent non seulement comme des systèmes sociaux figés mais comme des systèmes incapables de faire face aux enjeux d’une société en mouvement or, « la démocratie est un moyen de répondre aux défis du long terme à condition que ce soit une pratique en perpétuelle transformation, qui permette de renouveler la place et le jeu des acteurs » 1. Les dérives sont en fait inscrites dans le principe même du tout ‘représentatif’ (ne serait légitime que ce qui est élu) qui fonde notre régime2. En caricaturant nous pouvons dire :

  • 1) il faut pour être élu avoir du temps et donc de l’argent (que ce soit un argent personnel ou l’argent d’un parti) et plus on monte dans le cursus honorum et plus il faut avoir de temps et d’argent,

  • 2) ce besoin chronique d’argent rend évidemment les élus sensibles aux arguments des bailleurs de fonds,

  • 3) Lorsque l’on est élu on doit traiter de nombreuses questions complexes que l’on a pas le temps d’étudier parce que l’énergie fournie pour être réélu ne laisse pas suffisamment de temps. Ce qui fait que l’assemblée, dès que la question est complexe est une simple chambre d’enregistrement,

  • 4) La plupart des dossiers sont arbitrés par la para-administration que forment les cabinets dont s’entourent les élus, les personnes qui s’y trouvent ne sont pas passées par le suffrage universelle de même qu’elles n’ont pas nécessairement été promues par des systèmes de concours comme cela est le cas pour la vraie administration. Alors même que l’on dénonce souvent soit l’administration soit les élus on omet généralement de la critique cette para-administration invisible qui est le cœur du système actuel. C’est le lieu absolu de l’opacité.

  • 5) On peut ajouter à cela le système des appareils de parti qui implique des formes raffinées de clientélisme et la participation à des luttes de clan sans merci ni pitié pour qui brigue les plus hautes fonctions ce qui a pu faire dire à l’un de nos hommes politiques : « les qualités requises pour parvenir au pouvoir sont diamétralement opposées aux qualités requises pour en bien user » .

  • 6) Toute démocratie purement représentative repose sur la capacité de se faire connaître, ce qui demande de l’argent, et de séduire donc de promettre et bien souvent de mentir. Il s’en suit nécessairement un phénomène de surenchère qui maintient le corps politique, les citoyens, dans une vision erronée de l’état de la nation. En outre, le système, parce qu’il écarte un grande partie de la population de la probabilité de participer un jour à la décision, finit par créer une désaffection des électeurs. Bref il finit par être infantilisant et démobilisateur.

Il n’est donc pas absurde de prévenir la corruption, le mot étant à entendre dans son sens le plus fort, du régime par un système complémentaire, peut être légèrement concurrent, mais qui par cette concurrence même représente un outil d’émulation, de revivification et de dialogue.

Je vais maintenant m’attacher à démontrer en quoi les conférences de citoyens sont des outils imparfaits mais beaucoup plus robustes que ne l’imaginent leurs détracteurs et montrer en quoi ils offrent une réponse originale aux impasses du régime actuel.

De la notion de compétence

Première critique généralement formulée la question de la compétence. Un jury populaire est-il à même de se pencher sur des questions concernant par exemple la science ou les politiques énergétiques ? Sera-t-il capable de comprendre des problèmes complexes ?

Avant de répondre il est intéressant d’observer le cas concret de la conférence sur les OGMs qui a eu lieu en France. Patrick Legrand, membre du conseil économique et social et observateur de la conférence rapporte que les administrateurs de l’assemblée chargés d’organiser la conférence eurent trois surprises. La première c’est que les personnes choisies (le panel) s’étaient déplacées (même un week-end) deuxièmement qu’elles avaient écouté sérieusement et avaient compris les enjeux assez facilement, troisièmement qu’elles avaient refusé l’aide qu’on leur proposait pour rédiger leur compte-rendu. J’ajouterai que ce compte-rendu était certes discutable mais qu’il s’agissait de l’une des prises de paroles publiques les plus équilibrées, les plus sereines et les plus raisonnables que l’on a pu entendre sur ce dossier. Hormis les Verts, parti écologiste français, aucun député n’était présent, il est vrai qu’une réélection demande tant de travail dans sa circonscription qu’il est bien difficile de trouver un créneau…

Ce seul exemple montre à quel point les craintes de voir un jury populaire incompétent sont mal fondées. Il reste maintenant à expliquer pourquoi l’on peut raisonnablement espérer que les jurys se montreraient globalement toujours compétents.

le paradoxe démocratique,

La foi dans la démocratie et la préférence qu’on lui porte par rapport à un gouvernement d’experts et de professionnels repose au fond sur une idée qui peut apparaître comme un paradoxe : c’est l’idée que des points de vue faux (ou simplement partiels) en se confrontant engendrent une opinion ‘vraie’. François de Bernard écrit : « La démocratie recèle cette vertu paradoxale que le jugement de la masse des citoyens ordinaires est supérieur à celui « d’une petite élite »  - que la synthèse de leurs jugements individuels erronés s’avère plus juste. » Reformulons le autrement en disant que la confrontation des points de vue partiels engendre une décision plutôt satisfaisante et plutôt plus satisfaisante que la décision que prendraient seuls les experts. Le ‘paradoxe démocratique’ n’est qu’apparent. En fait il peut s’expliquer très simplement par la nature même des questions politiques. La plupart des décisions politiques n’ont rien à voir avec la résolution d’un problème de mécanique pour lequel si je connais les données il m’est possible de trouver la solution. Les problèmes politiques impliquent généralement des conflits d’intérêts et des appréciations morales. Etre ‘expert’ ou ingénieur en politique n’a pas de sens. Ensuite la bonne analyse d’un problème politique est d’abord basée sur une bonne connaissance de l’ensemble des enjeux, des perceptions et des points de vues des parties, lesquelles ne sont pas toujours connus des experts car ceux-ci sont souvent issus d’un milieu restreint (quand ils ne sont pas juges et parties ! ) dont l’angle d’attaque du problème est restreint : en d’autres termes le problème n’est pas la qualité de la réponse qu’ils apportent mais la manière tronquée dont ils posent et formulent la question. Or, quelle meilleure méthode existe-t-il pour faire l’inventaire des points de vue que d’avoir justement des citoyens ‘ordinaires’ en assez grand nombre qui peuvent se faire l’écho de voix et de préoccupations souvent ignorées ou négligées par les ‘experts ? En fait les jury de citoyens posent généralement mieux les questions que les experts et en tous les cas ils en posent plus et de plus diverses. Ainsi sur les OGMs une des propositions finales du panel n’a rien à voir avec l’ocuité ou l’innocuité des organismes génétiquement modifiés : il s’agit que les ‘experts’ qui rendent un avis public rendent également public l’ensemble des contrats qui les lient à des entreprises privées… En l’occurrence notre poignée de citoyens avait clairement perçu les enjeux économiques à l’œuvre qui étaient susceptibles de fausser considérablement la sérénité de débats que l’on prétendait candidement cantonner à des aspects ‘techniques’. Leur regard avait bien englobé plus largement et finalement de manière plus pertinente les enjeux de la question.

De la rareté des questions complexes

Le mot ‘complexe’ est à la mode. Et les questions ‘complexes’ se multiplient. Sans nier l’existence de questions complexes cette multiplication est un rien suspecte et mérite donc que l’on s’interroge sur la nature de la complexité. La complexité d’une question peut être de deux natures.

  • a) La question peut être intrinsèquement complexe, c’est à dire que pour en saisir l’énoncé il faut effectuer un effort intellectuel que seuls des esprits exercés à ce genre de pratique peuvent aisément mener à son terme.

  • b) La question peut se poser en des termes simples et avoir des réponses également simples à formuler mais aucune réponse ‘simple’ à mettre en pratique, dans le sens : évidemment meilleure que les autres réponses et satisfaisant l’immense majorité de la population. Les réponses possibles à la question peuvent donc être simples à énoncer mais le choix entre les réponses possibles peut être complexe à vivre pour le décideur qui se trouve tiré à la hue et à la dia par des intérêts contradictoires. La question n’est pas intrinsèquement complexe c’est le choix qui l’est : il s’agit d’un bon vieux dilemme cornélien.

Dans les faits le premier type de question - intrinsèquement complexe à comprendre - est en politique extrêmement limité. J’oserai même l’hypothèse que ce type de question est plus un apanage des mathématiques et de la philosophie que de la vie courante. L’immense majorité des questions sont simples à exposer dès lors qu’il s’agit essentiellement de faire un inventaire des enjeux intérêts et ambitions qui s’affrontent et qui s’énoncent généralement très simplement (enfin, la phrase est simple à énoncer, mais la décision de rendre explicite des intérêts bien dissimulés n’est pas sans risques politiques…). Je ne connais pas de question publique qui dès lors que l’exposant est de bonne foi et n’essaie pas de noyer volontairement son auditoire ne soit simple à exposer.

Par contre les questions publiques sont par essence des dilemnes puisque pour reprendre l’idée de Patrick Viveret dans son livre passion, démocratie et frontières les questions pour lesquelles il existe une réponse satisfaisante pour toute les parties ne deviennent jamais publiques. Une question publique est une question pour laquelle une telle réponse n’existe pas et qui demande un arbitrage. Il est très difficile pour un homme seul de prendre une décision de cet ordre dès lors que le procédé de décision est vraiment public. Car il est difficile d’endosser une responsabilité d’autant plus que les bénéficiaires de vos décisions ne vous en sont pas nécessiarement reconnaissants, car, généralement, ils considèrent que justice leur a simplement été rendue, alors que les ‘victimes’ de vos décisions vous vouent en général une solide inimitié. C’est pourquoi d’ailleurs les appareils de décision raffolent de l’opacité et se gardent bien de faire de la publicité sur une question dès lors qu’elle est un peu ‘complexe’, c’est à dire qu’elle est susceptible de le devenir en devenant publique ! Il est bien plus sûr de ne rien en dire et de prendre la décision dans le plus grand secret car une question, qui devient complexe si elle devient publique, peut rester simple si elle reste cachée. Il y a un lien évident entre publicité et complexité. Tel était notamment le cas de l’Accord Mutuel d’Investissement. Réduire la publicité d’une question c’est évidemment réduire sa ‘complexité’. Mais quand brutalement une décision qui était cachée est révélée par une fuite ou un effet catastrophique non anticipé (AMI, sang contaminé) les dégâts politiques et parfois judiciaires sont majeurs.

Si, et c’est mon cas, on n’admet pas le principe de realpolitik selon lequel même la démocratie demande une marge d’opacité et d’ignorance, si l’on ne s’en remet pas à une élite que l’on espère bienveillante, alors il faut admettre que de multiples questions doivent être mises en débat. Dès lors et comme il n’est pas possible de débattre de tout tous ensembles, et que par ailleurs il est difficile à une personne seule de supporter la responsabilité de décisions incertaines, il faut trouver une autre procédure. C’est là bien évidemment que la conférence de citoyens offre une réponse magistrale. La décision prise l’est par un groupe et au besoin à l’issue d’un vote. Dès lors de même qu’un jury d’assise ne peut être tenu responsable en cas d’erreur judiciaire le jury de citoyens n’est pas pénalement responsable des effets pervers éventuels. Sa décision est publique et motivée. Dès lors la question n’est plus humainement ‘complexe’, le poids de la responsabilité du décideur étant réparti sur un groupe. Certes les débats peuvent être houleux et la rédaction difficile, mais la nécessité de choisir et de choisir pour tous et pour soi impose nécessairement d’aboutir à un consensus. Ainsi, les questions complexes pour une personne, les dilemnes, ne le sont pas pour un groupe. Simplement parce qu’il est absurde de demander à un homme seul d’endosser une responsabilité collective, celle-ci doit être prise publiquement et collectivement. C’est pourquoi la conférence de citoyens se présentent comme une excellente réponse aux problèmes politiques compliqués et à la judiciarisation de la vie politique.

De l’intelligence des citoyens quant ils sont en situation de décision

On peut craindre que l’intelligence des personnes présentes dans les conférences de citoyens ne soient pas à la hauteur des enjeux. Il est vrai que si l’on en juge par les propos publics tenus par les individus (à la télévision par exemple), au contenu des discours politiques, aux déclarations publiques des représentants de la société civile, aux fugaces discussions que l’on a avec un voisin, on peut légitimement s’inquiéter de la pertinence de constituer des jurys populaires pour traiter de questions qui demandent de la réflexion et de la pertinence. Mais craindre cela ce serait ignorer deux choses.

  • 1) La première est que la plupart des gens sont mal informés tout simplement parce qu’ils n’ont pas eu le temps de le faire c’est à dire de recevoir une information suffisante, d’en débattre, de la digérer et finalement de se forger une opinion personnelle. L’homme le plus intelligent du monde ne saurait avoir un avis pertinent sur une question dont il ignore tout. Or, un processus de conférence de citoyen diffère fondamentalement d’un vote ou d’un sondage par le fait même que le temps et les moyens sont procurés au jury pour se forger une opinion.

  • 2) La seconde c’est que l’intelligence procède d’un effort, effort que l’on consent à effectuer que si il y a un enjeu. Pourquoi le citoyen devrait-il se comporter de manière intelligente alors que la mobilisation de son intelligence ne sert à rien dans le régime politique actuel ? Il réserve son intelligence pour là où elle a quelque chance d’être efficace. De fait la conférence de citoyen a bien montré que dès lors que des individus sont conscients de l’enjeu, qu’ils se sentent investis d’une mission, mission dont la bonne exécution requiert leur intelligence, alors ils sortent leur intelligence de leur poche et se révèlent tout à coup beaucoup plus fins que ce que l’on pouvait supposer. Pourquoi les gens sont-ils si bêtes généralement ? Tout simplement parce que personne ne s’est avisé à faire appel à leur intelligence !

Il y a fort à parier que cette capacité des individus à mobiliser leur intelligence dès lors qu’ils pressentent un enjeu sera dans le cadre des conférences de citoyens renforcée par le fait que le renouvellement permanent de ces jurys va éviter les phénomènes de lassitude et d’accoutumance. Pour les personnes choisies c’est en soi un enjeu fascinant, une chance unique, d’incarner le peuple au sein d’un collectif, un enjeu tel, en vérité, que la capacité à se mobiliser devient énorme.

De la dictature de l’urgence

Mais, pourra-t-on objecter, si la compétence ne fait pas défaut aux conférences de citoyens, cette compétence ne peut être que le fruit d’un processus long puisqu’il faut du temps pour s’approprier une question. Et, malheureusement, bien souvent en politique l’urgence commande de faire vite ce qui rend vain l’espoir de voir se généraliser ce type de conférence.

Je n’en suis pour ma part pas si sûr et je crois que l’immense majorité des décisions structurantes de la vie publique ne requiert ni hâte ni précipitation pour peu que l’on ne ce soit pas laissé surprendre mais, comme dit l’Adage, « gouverner c’est prévoir » .

Car, certes, il faut le reconnaître, la démocratie est incompatible avec l’urgence. L’urgence impose la dictature comme seul mode de règlement des problèmes3. Mais que déduire de cela sinon que c’est donc un préalable à l’action démocratique que de tout faire pour minimiser le nombre de situations d’urgence. Il n’y a de démocratie que dans l’anticipation des problèmes. Avant d’être participative ou représentative une démocratie doit d’abord être anticipative !

Dans bien des cas l’urgence de la décision est souvent un artifice. Toute personne ayant eu à prendre une décision ou à demander à quelqu’un de prendre une décision connaît la signification de l’expression « arracher une décision » . De même toute personne sait que lors des négociations l’un des ressorts psychologiques le plus souvent employé consiste à mettre la pression sur son partenaire en le pressant de se décider souvent en sous-entendant qu’une non-décision serait catastrophique et qu’il en porterait la responsabilité. Dans les processus de décision, ‘créer la surprise’ est consciemment ou inconsciemment un procédé employé pour éviter la discussion : convaincre l’autre qu’il n’est plus possible d’attendre c’est à coup sûr le moyen de lui faire admettre la solution que l’on a soi-même à proposer. L’urgence proclamée est souvent une manipulation visant à couper court au débat et à la réflexion. C’est pourquoi la démocratie doit d’abord refuser l’urgence. Si quelqu’un proclame qu’une décision doit être prise rapidement c’est à lui d’en démontrer le caractère urgent ! Quand l’on songe qu’une conférence de citoyens, dès lors que le processus est rôdé peut ne prendre que trois à quatre semaines quelles décisions politiques ne souffrent-elles pas un retard de quatre semaines ?

S’il y a une ‘urgence’ politique c’est bien celle de dénoncer partout la dictature de l’urgence qui permet à l’essentiel des problèmes d’échapper purement et simplement au débat public.

Jargon et usurpation

Il est un autre moyen extrêmement efficace car robuste et simple d’éliminer tout débat démocratique en le rendant impossible et c’est l’emploi des jargons. On sait que tout milieu social tend à créer une langue hermétique dont l’origine répond à deux besoins l’un légitime et l’autre moins, à savoir :

  • 1) affiner les concepts et créer des nuances nécessaires à l’avancement de la pensée,

  • 2) créer un territoire linguistique qui permette de se reconnaître de se différencier du reste de la population, et de créer un espace de pouvoir.

L’efficacité d’un tel territoire linguistique est renforcée par le fait, au moins en France, que l’éducation fonctionne sur un mode de culpabilisation du non savoir : en cas d’incompréhension c’est la personne qui écoute qui est en faute. Dès lors la plupart des personnes sont réticentes dans la vie courante à admettre qu’elles n’ont rien compris et si elles le font c’est en général pour abdiquer de toute responsabilité. Leur premier réflexe est de se sentir coupables et inférieurs de n’avoir rien compris et non pas de demander à leur interlocuteur de se réexpliquer. Ce sentiment d’infériorité est soigneusement entretenu dans le quotidien des personnes par des jargons administratifs qui rendent la moindre facture de téléphone ou le moindre courrier de votre banque proprement incompréhensible. Le procédé malheureusement est grossier, mais ô combien efficace, qui consiste à rendre absolument incompréhensible la communication pour prévenir toute contestation. C’est une manière particulièrement vicieuse d’être transparent (l’information a bel et bien été transmise) sans l’être (en fait la personne cible ne pouvait tout simplement pas la recevoir). Et l’on voit là à l’œuvre les effets des jargons qui d’une part rendent ‘hermétiques’ les enjeux publiques et d’autre part délégitiment l’expression publique puisque le citoyen est maintenu dans un sentiment d’infériorité : on lui a par un simple artifice de langage inoculé le sentiment de son incompétence avec son corollaire l’abdication volontaire de ses droits civiques au profit des ‘experts’ de tout poil qui se font fort de ‘l’éclairer’ sans jamais l’élever.

S’il est donc compréhensible que toute profession développe par souci de concision et de précision un vocabulaire qui lui soit propre, il est par contre problématique qu’elle en use dans ses dialogues avec le reste de la société et carrément inadmissible qu’elle pose implicitement comme condition du débat que celui-ci se déroule dans les termes qu’elle a choisis. La prolifération des jargons menace d’ôter aux individus la maîtrise des rouages essentiels de la société et menace gravement la démocratie dans son vécu quotidien. L’expression ‘nul n’est censé ignorer la loi’ devient une farce dès lors que l’on pose comme condition préalable à sa connaissance et à sa compréhension de faire cinq années de droit !

Or, la coexistence de niveaux de langage différents est tout à fait possible comme le démontre une comparaison entre le fonctionnement référendaire suisse et le fonctionnement référendaire français. Prenons par exemple le traité de Maastricht que la France a souhaité faire ratifier par referendum. Le texte soumis aux électeurs était le texte du traité, texte juridique proprement incompréhensible pour l’immense majorité de la population. Il est d’ailleurs vraisemblable que la majorité des députés aurait eu bien du mal à le lire, mais ils n’en avaient de toute façon pas le temps. Prétendre faire d’un referendum un modèle de respect de la démocratie c’était au mieux témoigner d’une ignorance totale des conditions requises pour qu’une démocratie soit effective et au pire ne rien en ignorer et conduire consciemment une opération cynique de parodie démocratique. Prenons maintenant le système référendaire suisse qui au contraire du système français est très développé, pour chaque ‘votation’ (formule consacrée pour distinguer du ‘vote’ à caractère électif), chaque citoyen reçoit un petit livret contenant : l’avis des promoteurs de la proposition mise au vote, l’avis des opposants à cette proposition, l’avis du conseil fédéral (gouvernement) et l’avis de l’assemblée parlementaire (avec éventuellement résultat d’un vote si l’assemblée a voté) et finalement le texte de loi (lui toujours incompréhensible). La lecture de ce livret n’est pas toujours aisée pour une personne peu avertie, mais sa difficulté n’a rien de comparable avec la lecture d’un texte de loi brut et d’autant plus qu’il y a de la part des différentes parties qui s’expriment un enjeu fort à être le plus clair possible pour retenir les suffrages (en effet celui qui présente sa position dans des termes incompréhensibles a de forte chance d’être disqualifié). L’enjeu des débats et de la votation sont donc présentés de plusieurs manières et dans un langage qui donne la possibilité aux électeurs d’exercer leur raison et finalement leur libre arbitre.

‘Donner la possibilité aux électeurs d’exercer leur raison’, voilà un antidote à la manipulation de l’opinion. Mais le veut-on vraiment ? Comment, lorsque l’on entend dénoncer la nature irrationnelle et instable de l’opinion publique, ne pas songer qu’on refuse souvent aux citoyens les moyens d’exercer leur raison ? Comment ‘raisonnablement’ demander une opinion ‘raisonnable’ quand l’objet même du débat est présenté de telle sorte qu’il est quasiment impossible d’exercer sa raison ? Condamner la ‘jargonite’ et en traquer les effets dans la vie publique est donc un préalable à l’établissement d’une vie publique démocratique et l’on verra que les conférences de citoyens sont un moyen efficace de lutter contre elle.

De la démocratie en tant qu’état d’esprit -

la démocratie avant d’être un système politique est un système moral – importance de la qualité d’écoute et de parole -

On a trop, par le passé, insisté sur la superstructure démocratique, les institutions, avec comme je l’ai exprimé, au sujet de la nature de nos régimes, plus ou moins de bonheur. On a trop souvent négligé le débat sur les ‘vertus démocratiques’ c’est à dire l’attitude individuelle que chacun doit adopter pour que la démocratie soit vraie. Dans le cadre d’un processus de débat européen qui a abouti à une rencontre en Espagne, la fondation a été amenée à élaborer une charte des participants qui définit l’attitude d’écoute nécessaire aux échanges. L’idée de ne pas seulement définir un cadre (taille des ateliers, succession des débats etc…) mais aussi un canon de l’attitude individuelle, la charte des participants, procède de la reconnaissance de l’imbrication des aspects individuels et collectifs, imbrication ô combien présente dans un régime comme la démocratie qui par essence prétend maintenir un équilibre entre l’individuel et le collectif. Si la régulation du collectif est affaire politique, la régulation de l’individuel est affaire de morale et de principes dont certains peuvent donner lieu à des lois. La démocratie a donc besoin de morale autant que de procédure.

Il y donc bien des principes de morale et de comportement individuel qui sous-tendent la démocratie. Certains sont classiques bien que pas toujours respectés par ceux qui aspirent à devenir les représentants du peuples:

  • s’abstenir de mentir,

  • s’abstenir de voler,

  • privilégier le dialogue à l’affrontement etc…

Mais il est important d’affirmer l’existence d’autres principes qui rendent pertinent l’impératif de dialogue qui fonde la démocratie :

  • écouter celui qui parle même si sa parole est maladroite, (car une parole maladroite ne signifie pas une pensée stérile) et l’aider par l’écoute à se construire une parole cohérente, ceci demande de s’abstenir de juger la personne, de la croire sincère d’être patient. La démocratie est patience elle ne s’irrite pas, elle croit et ne juge pas.

  • Parler avec le soucis d’être compris et d’être clair. La démocratie c’est s’exprimer simplement dans les assemblées. La démocratie ne fanfaronne pas, ne cherche pas d’abord ‘à en mettre plein la vue’. Bref être démocrate c’est s’exprimer simplement.

Au final la démocratie est une rencontre entre des parties qui font les unes et les autres un pas : quand l’un parle il fait un effort sincère pour être clair et les autres font un effort sincère pour le comprendre : la démocratie est serviable.

Nous avons en France un triptyque démocratique : Liberté, égalité, fraternité. Or, c’est bien sûr sur cette tension entre égalité et liberté que repose l’idéal démocratique, le fruit quasi dialectique de cette tension c’est la fraternité qui pose d’ailleurs beaucoup de problème à définir. On ne peut la définir non de manière objective comme un principe juridique mais par l’attitude qu’elle implique :

La fraternité est patience ; la fraternité est serviable ; elle n’est pas envieuse ; la fraternité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, supporte tout.

Maintenant donc demeurent liberté, égalité, fraternité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elle c’est la fraternité.

De l’organisation des conférences de citoyen

Un champ d’application illimité – plusieurs modes de convocation – une ‘enquête’ préliminaire s’inspirant du modèle judiciaire – une organisation équilibrée des prises de parole – un déroulement permettant le dialogue – des décisions aux statuts différents – un système relativement peu coûteux qui conforte le législatif

Pour ceux qui sont convaincus de l’intérêt fondamental des conférences de citoyens pour le renouvellement de notre vie publique, il est intéressant d’essayer d’imaginer ce que pourrait être en théorie leur champ d’application, leur mode d’organisation et leur articulation avec des modes démocratiques plus traditionnels.

1) leur champs d’application

En tant que procédure démocratique leur champ d’application est très large puisque l’on peut les concevoir aussi bien à l’échelle d’une municipalité qu’à l’échelle d’un Etat et qu’elles permettent aussi bien d’aborder des questions d’urbanisme (elles peuvent avec intérêt remplacer les commissaires lors des enquêtes publiques) que des questions de politique énergétique ou des questions de politique de l’éducation. Elles sont évidemment à recommander dès lors que les négociations entre partenaires traditionnels sont en situation de blocage ou de toute évidence faussées par l’attitude d’un des acteurs. On ne saurait trop également encourager chaudement les administrations à soumettre l’ensemble de leurs textes officiels ou de communication à des comités de lectures fonctionnant selon le principe des conférences de citoyens… Santé, éducation, retraite, toute question peut faire utilement l’objet d’une conférence de citoyens.

Leur convocation

Qui décide de convoquer une conférence de citoyens ? Il est vraisemblable que la réponse à cette question est multiple. Il semble évident que le pouvoir représentatif doit pouvoir le faire. Mais il est sage de donner ce pouvoir au législatif plus qu’à l’exécutif, l’exécutif pouvant y voir un moyen de court-circuiter le législatif comme on l’a vu dans le cas du Referendum. Néanmoins la réflexion est encore embryonnaire. En ce qui concerne le législatif, on peut soit attribuer un pouvoir de convocation à chaque élu ou, si ce pouvoir paraît excessif, exiger un quota d’élus (10% un quart ou un tiers) en tout état de cause il est important tout de même qu’il suffise d’une fraction modérée d’élus pour convoquer car si le quota était trop élevé, la conférence de citoyens resterait un outil extrêmement marginal.

Il est extrêmement important que cette voie représentative de convocation soit complétée par une voie plus directe. Deux solutions sans doute complémentaires se présentent :

  • premièrement le mode pétitionnaire qui fonctionne en suisse : une association réussissant à réunir, par exemple, 500.000 signatures peut obtenir la convocation d’une conférence.

  • Mais il est également important de constituer un greffe qui puisse recevoir les demandes plus isolées. En clair tout corps de la société voire tout individu doit pouvoir déposer au greffe une demande d’organisation de conférence dès lors qu’il juge qu’elle est nécessaire. Un comité, lui aussi tiré au sort pour une année, statuera de la recevabilité ou non de la demande. Si l’on peut craindre des phénomènes d’engorgement, l’établissement d’une jurisprudence permettra assez vite d’écarter les demandes farfelues. En outre si le dépôt d’une telle demande est payante (pour couvrir les frais de fonctionnement) cela constituera un frein sérieux.

La préparation des dossiers

L’enjeu est comparable à celui d’une enquête puisqu’il s’agit en amont de la conférence de collecter un maximum d’informations factuelles et de points de vue pour permettre au jury de compléter sa propre opinion et pour mener un débat. Il est donc nécessaire de nommer des ‘enquêteurs’ comparables aux juges d’instruction. Ces enquêteurs peuvent former une branche administrative comparable aux administrations attachées aux parlements (sénat et assemblée nationale). Il est important qu’ils ne soient pas experts des questions traitées mais qu’ils fassent preuve de compétence en terme de préparation des dossiers, tout un savoir faire à élaborer. Ce personnel doit faire un minimum de présélection des personnes appelées à témoigner lors de la conférence. Le travail de ces administratifs doit être public (au contraire de l’instruction judiciaire). Les initiateurs de la conférence (que ce soit des députés, des pétitionnaires ou des particuliers ayant saisi le greffe) ont un droit automatique à être entendus par le comité de citoyens lors de la conférence ainsi qu’à verser au dossier un argumentaire qui soit présenté dans l’appel à convocation et une liste d’intervenants, les ‘témoins’.

A la veille de la conférence, le jury doit donc disposer :

  • 1) d’un dossier complet et lisible résultat du travail de collecte de l’enquêteur comprenant une synthèse et des pièces

  • 2) de deux listes de ‘témoins’ potentiels, établies indépendamment l’une par l’enquêteur l’autre par les convocateurs. Chaque témoin est présenté brièvement et a rédigé un texte d’une page sur son opinion sur la question.

Le choix du jury

Les membres du jury seront tirés au sort et la participation sera obligatoire sauf raisons graves suivant en cela le modèle des jurys d’assises. Les jurés seront rémunérés sur une base identique. Une information sur leur fortune personnelle avant et après la conférence peut éventuellement prévenir les risques de corruption.

Leur déroulement

Le déroulement de la conférence se fait en deux temps.

Une première période de deux à trois jours avec lecture des documents et audition sur une journée de l’enquêteur puis des convocateurs. A l’issue de cette période, les convocateurs désignent 10 % des témoins, puis le jury désigne 80 % des témoins, le jury peut d’ailleurs désigner des témoins qui ne soient présents sur aucune des deux listes, enfin l’enquêteur désigne les derniers 10 % des témoins ceci afin d’assurer un minimum de représentation de toute les parties.

Une deuxième période d’une semaine (deux maximum) permet l’audition des parties. Chaque ‘témoin’ peut être interrogé 1) soit par les membres du jury, 2) soit un représentant des convocateurs, 3) soit l’enquêteur. Un témoin peut être rappelé à témoigner.

Troisième période, à l’issue de l’audition, le jury dispose de deux jours pour rédiger ses conclusions.

Portée de la décision

Plusieurs possibilités se présentent.

  • La première est que les conclusions soient purement informatives. Néanmoins elles doivent au minimum faire l’objet d’une publication dans le journal officiel,

  • La seconde est que les conclusions fassent l’objet d’un débat parlementaire publique,

  • La troisième est que les conclusions aient valeur de décision.

  • La quatrième que les conclusions fassent l’objet d’un referendum.

Peuvent incliner vers l’une ou l’autre des suites, la nature de la question abordée, la tradition politique du pays, l’échelle du problème (national, régional ou communal).

Le coût d’une telle procédure

On peut craindre qu’une telle procédure soit horriblement chère. La question du coût économique d’un système politique est-elle légitime ? On serait tenté de répondre que la démocratie n’a pas de prix et que la participation d’un maximum de citoyens aux affaires publiques est une finalité en elle-même, et même dans une vision téléologique de progrès humain la finalité par excellence. Mais si l’on accepte le débat on peut argumenter que le coût à court terme et le coût à long terme sont à prendre en considération. Qu’à court terme le despotisme soit meilleur marché que la démocratie est une évidence, par contre à long terme les dérives naturelles des régimes autoritaires laissent à penser que la démocratie est le plus économique car le plus juste des systèmes, et l’histoire récente a montré que les pays démocratiques avaient un développement économique plus soutenu et plus durable. Si l’on compare maintenant un système démocratique intégrant les conférences de consensus à un système de démocratie représentative, on peut évoquer les dérives actuelles : corruption, trafic d’influence, caisse noire des partis, mouvements antiparlementaristes, baisse constante de la participation politique que ce soit par la crise des militants ou par l’abstentionnisme, tentation montante du repli sur soi. La démocratie parlementaire n’apparaît pas comme une solution particulièrement bon marché à long terme ! Si l’on peut ergoter sur le prix de la démocratie le peut-on sur le prix de la paix civile ?

Les conférences de consensus face aux trois pouvoirs –

Les conférences de citoyens se rattachent au législatif – ils n’affaiblissent pas le pouvoir législatif – c’est l’exécutif qui actuellement réduit le législatif – les conférences de consensus secondent le législatif traditionnel face à l’exécutif et préserve la démocratie

Les conférences de consensus menacent-elles les trois pouvoirs traditionnels de la démocratie sous leur forme actuelle ? Et d’abord auquel de ces pouvoirs se rattache-t-elle ?

Bien qu’empruntant ouvertement son fonctionnement au pouvoir judiciaire c’est incontestablement à ce que nous désignons par le pouvoir ‘législatif’ que se rattachent les conférences de citoyens. Il serait pourtant faux de croire que ce sont les assemblées représentatives qui sont le plus directement menacées par les conférences de citoyens. Même s’il s’agit en apparence d’un concurrent des assemblées traditionnelles il s’agit bien plutôt d’un complément qui vient renforcer le ‘législatif’ face à l’exécutif. Car à l’heure actuelle les parlements voient leur pouvoir se réduire jusqu’à n’être plus qu’une assemblée élisant l’exécutif et enregistrant ses décisions… N’y aurait-il pas de courageux francs-tireurs, il suffirait presque que chaque parti désigne une personne ayant un nombre de votes proportionnel au pourcentage des voix reçues ! C’est tout juste si le député ordinaire n’est pas informé par voie de presse de l’état du budget de l’Etat.

Les conférences de citoyens en rendant toute leur légitimité à la publicité des enjeux nationaux renforcent au contraire la fonction des parlements face aux exécutifs. Ils représentent un formidable moyen d’information accessible et de bon niveau pour tous les députés soucieux d’être autre chose que le rouage de la stratégie d’un parti et d’être des représentants du peuple à part entière : représenter leurs électeurs avant de représenter leur parti. Pour la démocratie représentative il n’y pas d’autre porte de salut.

Notas de pie de página

1 Pierre Calame ‘Les principaux enseignements du colloque de Fontevraud’ in ‘l’environnement au XXIème siècle’ Volume I - les enjeux, Editions Germes, Novembre 1998.

2 Il est intéressant de remarquer que les régimes démocratiques de l’Europe occidentale se construisent non à partir de l’héritage grec mais à partir de l’héritage romain. La République romaine était caractérisée par l’existence institutionnalisée de ‘classes’, initialement deux, plébéiens et patriciens. Pendant longtemps les gouvernants et administrateurs furent recrutés exclusivement dans la première classe. Dans les deux cas, Athènes ou Rome, dès qu’il s’est agi de fonctions électives, les partisans du ‘peuple’, les démagogues, étaient d’origine aristocratique (Périclès ou César). Rares sont les cas ou la démocratie représentative a réellement porté au pouvoir des hommes issus du peuple, et leur législature a généralement mal fini que ce soit les Gracques ou Marius. Faut il s’étonner que la démocratie représentative, système conçue initialement par une élite pour une élite, génère et perpétue au sein de la société une élite ?

3 C’est d’ailleurs là le sens historique de l’institution dictatoriale dans la loi romaine puisque la procédure était une procédure exceptionnelle utilisée en cas de crise qui substituait au fonctionnement consulaire ordinaire (deux consuls à parité de pouvoir) un ‘dictateur’ disposant pour un temps limité (en général moins d’un an) de tous les pouvoirs. Il s’agissait donc d’une mise entre parenthèses des institutions démocratiques.

 

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