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David Held : Analyste de la mondialisation et militant d’une social-démocratie mondiale

By Geoffrey Pleyers

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Né en 1951, David Held a étudié la science politique et la sociologie en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne. Proche d’Antony Giddens avec qui il a fondé la maison éditoriale Polity Press, il est aujourd’hui co-directeur du Centre for the Study of Global Governance à la London School of Economics. Son ouvrage « Modèles de démocratie » est devenu un classique presque incontournable pour les étudiants en sciences politiques aux Etats-Unis. David Held y mène une analyse historique et philosophique des différents modèles de démocratie dans l’histoire et à travers le monde puis il discute de ce que devrait être la démocratie aujourd’hui. Depuis 1995, la plupart de ses ouvrages ont été consacrés à l’analyse des dynamiques de la mondialisation dans les champs économique, politique, social et culturel ainsi qu’à la nécessaire reconfiguration des théories et pratiques de la démocratie à l’âge global. Ces deux objectifs sont notamment au cœur d’un ouvrage politique et programmatique « Un nouveau contrat social mondial » (paru en français aux Presses de Sciences Po). David Held y analyse les tenants et aboutissants de la mondialisation actuelle puis propose une alternative démocratique au néolibéralisme du Consensus de Washington.

Devenu une référence majeure dans le champ des théories de la démocratie et des analyses de la mondialisation, David Held est également un politologue écouté par certains cadres du parti travailliste et davantage encore par les acteurs de la politique extérieure du gouvernement de Gordon Brown. A côté de ses ouvrages plus analytiques, il a ainsi publié de nombreux livres et articles programmatiques dans lesquels il défend des mesures visant à établir une social-démocratie au niveau mondial (Held, 2004) et milite pour une politique étrangère plus progressiste (Held et Mepham, 2007). Ces deux faces (analytique et militante) sont de plus en plus souvent entremêlées dans les textes de David Held et sont, d’une certaine manière, devenues indissociables, comme en attestent les principales idées défendues par le politologue anglais dans ses ouvrages récents. Il y aborde sous différents angles les thèmes de la démocratie et de la mondialisation.

La mondialisation a profondément transformé l’expérience de vie de millions de personnes. Elle fut longtemps vécue comme une fatalité, un processus inévitable sur lequel l’agir humain n’avait guère de poids. Face aux néolibéraux qui célébraient une mondialisation heureuse et inéluctable (Minc, 1997), leurs opposants ont souvent emprunté un discours démagogique qui trouvait dans la mondialisation l’origine de tous les maux, la transformant en explication générale qui dispense de toute analyse. Dès le milieu des années 1990, David Held renvoyait dos à dos ces conceptions, refusant d’identifier la mondialisation à l’avènement d’un monde sans acteur et régi par les seules lois du marché. S’il met en exergue l’ampleur et l’urgence des défis posés à l’humanité dans cet âge global, il souligne également que les possibilités d’agir existent et que les changements nécessaires dépendent avant tout d’une volonté politique. Aux côtés d’auteurs comme A. Giddens, U. Beck, M. Albrow ou A. Touraine, il s’inscrit ainsi dans un courant qui centre sa perspective sur les acteurs et institutions qui se construisent dans et face à la mondialisation.

Les États face à la mondialisation

La mondialisation des échanges pose de nombreux défis au maintien des solidarités et à l’organisation d’une communauté politique nationale. L’internationalisation de l’investissement, de la production et de la consommation entre ainsi toujours davantage en contradiction avec la base nationale des systèmes fiscaux1 alors que c’est à ces derniers que revient la mission d’assurer une solidarité minimale et de financer les Etats sociaux là où ils existent encore. Par ailleurs, l’interdépendance croissante entre les Etats implique également des modifications profondes de la manière de concevoir la politique à l’échelon national. D. Held souligne ainsi la remise en cause de la séparation entre le national et l’international, entre la politique domestique et la politique étrangère, tant au niveau des normes juridiques, que de l’environnement, des pandémies, de l’économie ou de la justice sociale. Le développement de l’Afrique ou la gestion de la pandémie du Sida sur ce continent ne sont par exemple plus des affaires extérieures à l’Union Européenne car les souffrances de l’Afrique débordent de ses frontières, que ce soit par les migrants, les épidémies ou la déstabilisation politique nées de situations de conflits.

La mondialisation des échanges, la conscience toujours plus partagée d’une communauté de destin de l’humanité et l’avènement d’un droit international ont également limité le pouvoir des Etats dans les relations internationales tout comme sur leur propre territoire. L’échec de l’intervention américaine en Iraq ou la lutte contre le réchauffement climatique attestent par ailleurs que, dans ce monde toujours plus interconnecté, aucun Etat ne peut résoudre seul les problèmes mondiaux. Ils requièrent des actions collectives et une collaboration internationale.

Pour autant, D. Held considère toujours les Etats comme des acteurs clés de la mondialisation, d’une part, parce qu’ils conservent moins une importante capacité d’action, surtout lorsqu’ils agissent en coalition et d’autre part parce qu’ils demeurent le cadre principal de l’organisation de la démocratie représentative et du débat politique (Held, 1995).

Un militant pour une mondialisation régulée et une démocratie cosmopolite

David Held a le souci d’appuyer ses analyses de la mondialisation sur des études empiriques menées dans différents champs des sciences sociales (économie, droit, sciences politiques, sociologie et anthropologie), ce qui ne l’empêche pas de devenir franchement militant lorsqu’il s’agit de dénoncer le Consensus de Washington et la politique sécuritaire de l’administration Bush. Face au néolibéralisme, il prend soin d’aligner les chiffres et les analyses de cas. Sur cette base, il tire le bilan d’un échec accablant : « Aucun pays ne s’est développé en suivant le modèle d’ouverture et de libéralisation économique prôné par les institutions internationales »; « les Etats qui ont appliqué les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale s’en sont moins bien sorti que les autres2 ».

Pour David Held, laisser aux seuls marchés le soin de résoudre les problèmes liés à la génération et à l’allocation des ressources revient à omettre les racines profondes de nombreuses difficultés politiques et économiques comme la détérioration de la prospérité économique de secteurs tels que l’agriculture ou le textile dans certains pays, la formation de flux financiers globaux capables de déstabiliser très rapidement des économies nationales et le développement de graves problèmes transnationaux qui mettent en danger les biens communs, à commencer par le réchauffement climatique, et surtout les fortes inégalités au sein d’un même Etat-Nation et entre Etats-Nations. En 2006, « 45 % des êtres humains vivent sous le seuil de pauvreté fixé par la Banque Mondiale à deux dollars par jour ; 18 % (c’est-à-dire plus d’un milliard de gens) vivent avec moins d’un dollar par jour » (Held, 2007 : 66). On est bien loin de l’image de la mondialisation heureuse et des fruits partagés de la croissance mondiale. Le fossé entre riches et pauvres ne cesse de se creuser : les 60% les plus pauvres de la population mondiales ne détiennent que 5,6% des richesses alors qu’une proportion croissante de biens se concentre dans les mains de quelques centaines de privilégiés (Held, 2003).

Pour faire face à l’ampleur des transformations et aux poids des entreprises multinationales qui ont dominé la mondialisation jusqu’à présent (Held et McGrew, 2002/2007) une nouvelle architecture institutionnelle est requise pour réguler la mondialisation et réduire les inégalités abyssales. Il s’agit de développer des instances de gouvernance à différents niveaux (du local au global) afin d’imposer le respect de certaines normes aux marchés et de faire davantage coïncider les décideurs politiques avec les populations concernées par les décisions qu’ils prennent.

Opposé au néolibéralisme, David Held ne prône pas pour autant un retour au « tout à l’ État ». Il développe une perspective dans laquelle l’économie mondialisée serait régulée et soumise à des impératifs sociaux et environnementaux. Contre le Consensus de Washington et le Programme Sécuritaire de l’administration Bush3, il propose une social-démocratie mondiale sur la base de principes cosmopolites (voir également Beck, 2006 ; et Kaldor, 2007). Ceux-ci visent à garantir l’autonomie de chaque être humain et à reconnaître la capacité des hommes à se gouverner de manière autonome à tous les niveaux des affaires humaines. Construits sur les droits et devoirs fondamentaux de tous les êtres humains, cette citoyenneté mondiale doit garantir l’autonomie de chacun et reconnaît la capacité des êtres humains à s’ « auto-gouverner » à tous les niveaux des affaires humaines. Au cœur de la conception cosmopolite de la citoyenneté se trouve ainsi l’idée que la citoyenneté peut être basée non sur l’appartenance exclusive à une communauté territoriale mais sur des règles et des principes généraux qui peuvent s’enraciner et s’organiser dans divers cadres. La légitimité de l’autorité politique à tous les niveaux se doit dès lors d’être conditionnée par le respect de tous les principes ou valeurs sur lesquels reposent l’égalité politique, la démocratie les droits de l’homme, la justice politique et sociale et la gestion saine de l’environnement.

En ce début de 21ème siècle, l’avenir de l’humanité dépendra de sa capacité à faire face collectivement aux défis globaux qui se posent aujourd’hui à elle : réchauffement climatique, pauvreté, pandémies ou menace de catastrophes nucléaires. Pour David Held, les solutions à ces problèmes passent essentiellement par des mécanismes de gouvernance globale et se doivent de répondre aux exigences de solidarité, de démocratie, de justice sociale et d’efficacité politique. Il rassemble de nombreuses propositions concrètes qui vont en ce sens et insiste par là sur l’existence de marges de manœuvre et d’une capacité d’action des acteurs politiques et institutionnels face à ces problèmes. Mais le politologue britannique nous met aussi en garde : si aucune réponse n’est rapidement apportée à ces défis, «le temps de l’humanité risque bien d’être compté» (Held, 2007).

Références bibliographiques

Albrow M. (1996) The global age, Cambridge: Polity Press.

Barnett, Held and Henderson (2005) Debating Globalization,Cambridge: Polity Press.

Beck U., Giddens A. and Lash S. (1996) Reflexive Modernisierung, Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag.

Beck U. (2006) Cosmopolitan Vision, Cambridge: Polity Press.

Giddens A. (1994) [1990] Les conséquences de la modernité, Paris : L’Harmattan.

Held D. (1987/2006) Models of Democracy, 3rd edition,Cambridge: Polity Press.

Held D. (1995) Democracy and the global order, Cambridge: Polity Press.

Held D., McGrew A., Goldblatt D. and Perraton J. (1999) Global Transformations: Politics, Economics and Culture, Cambridge: Polity.

Held D. and McGrew A. (2002/2007) Globalization/Anti-Globalization, Cambridge: Polity Press (2nd edition).

Held D. (2005) Un nouveau contrat mondial, Paris : Presses de Sciences Po.

Held D. (2007) De l’urgente nécessité de réformer la gouvernance globale, Recherches Sociologiques et Anthropologiques, Vol. 37/1, mai 2007.

Held D. and Mepham D. eds. (2007) Progressive Foreign Policy: new directions for the UK, Cambridge: Polity Press.

Kaldor M. (2007) Human Security: Reflections on Globalization and Intervention, Cambridge: Polity Press.

Minc A. (1997) La mondialisation heureuse, Paris : Plon.

Touraine A. (1997) Pourrons-nous vivre ensemble?, Paris : Fayard.

Notes

1:D’où l’intérêt de taxes internationales défendues par D. Held, portant notamment sur les transactions financières.

2:Extraits d’un entretien avec David Held le 10/10/2007 pour la revue mexicaine Sociológica, (à paraître).

3:Les tenants et aboutissants de ces politiques sont analysés dans deux ouvrages récents : Held, 2004 ; Barnett, Held et Henderson, 2005.

 

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