essay

Corporate responsibility in the multi-stakeholder collaboration in social Governance

Eléments pour l’ intervention au colloque Private Interests and Democracy: The Role of Large Enterprises in Democracy and Society – Cracovie, October 2007

By Martin Vielajus, Michel Sauquet

Notre contribution ici résumée est le fruit du travail collectif d’une partie de l’équipe de l’Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG).

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Même si beaucoup de discours sur la gouvernance omettent aujourd’hui de mentionner le rôle des entreprises dans la construction de modèles sociaux, et de souligner leur participation effective ou potentielle aux mécanismes de la régulation publique, cette question s’inscrit directement dans les réflexions de l’IRG, notamment au sein de son « Initiative internationale pour Repenser l’Economie. » Trois points seront évoqués au cours de la présentation : le sens du mot gouvernance ; la manière dont l’IRG structure sa réflexion sur la gouvernance ; enfin la place de la sphère économique et des entreprises dans les nouvelles conceptions de la gouvernance.

Gouvernance : le parcours sinueux d’un concept

En commençant par évoquer le mot même de gouvernance, il s’agit de montrer en quoi, derrière la multiplicité des applications du mot, il existe en réalité une dynamique commune dans l’usage de ce terme. Chez la plupart de ceux qui, au sein du secteur public comme au sein du secteur privé, emploient le terme de gouvernance, celui-ci désigne en effet avant tout un mouvement de « décentrement » de la prise de décision, avec une multiplication des lieux et des acteurs impliqués dans cette décision. Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de régulation plus souples, fondés sur le partenariat entre différents acteurs.

La notion n’est certes pas nouvelle. Né de la langue française et renvoyant, dans le langage politique du Moyen-âge, au terme de gouvernement qui le remplace progressivement, le mot disparaît pendant des siècles avant de réapparaître dans un contexte très différent à partir des années 70 : celui de l’entreprise, à travers l’expression de corporate governance. C’est donc à partir du secteur privé que ressurgit la notion, qui désigne un mode de gestion des firmes fondé sur une articulation entre le pouvoir des actionnaires et celui de la direction. Il s’agit alors de poser la question du type d’acteurs impliqués dans la prise de décision au sein de l’entreprise, et de leur mode d’interaction. Au sein de la pensée d’entreprise, cette notion s’étend par la suite à la question du mode de participation des employés, des fournisseurs, de l’ensemble des partenaires ayant un rôle dans la dynamique générale et dans la gestion collective de l’entreprise.

La pensée politique et administrative emprunte ensuite au management d’entreprise la notion de gouvernance en deux étapes.

La première étape correspond à la révolution néolibérale des années 80, entrainant une nouvelle façon de penser le politique. Avec la remise en cause du rôle de l’Etat notamment dans les pays anglo-saxons, emerge une conception « fonctionnelle » de la gouvernance liée à la logique dite du New Public Management. Cette logique repose sur une vision minimaliste de l’Etat selon laquelle celui-ci doit revenir à son « cœur de métier » en décentralisant sur d’autres acteurs les fonctions considérées comme non stratégiques, comme le font d’ailleurs à la même époque les grands groupes industriels confrontés à la mondialisation. On retrouve d’ailleurs assez largement cette vision « managériale » de l’action étatique dans le caractère très normatif de la notion de « bonne gouvernance » mise en avant par les institutions financières internationales. Cette notion implique en effet la mise en place d’une batterie de critères d’évaluation des bons et des mauvais types d’interaction entre Etat et société, reposant à l’évidence sur un modèle de démocratie bien spécifique, difficile à exporter tel quel dans des pays ayant construit une culture politique et un modèle de contrat social très différents.

La deuxième étape est celle des années 90, où émerge une réflexion plus profonde sur le rôle de l’Etat « régulateur », en réaction à la vision techniciste du New Public Management. Des auteurs tels que Guy B. Peter et Donald J. Savoie, Pierre Calame, ou encore Bernard Jouve insistent alors sur le fait que la crise de l’Etat n’est pas simplement « fonctionnelle », elle ne s’exprime pas uniquement en terme de surcharge de fonctions et de poids de l’appareil d’Etat, mais elle touche bien davantage les conditions même de production des politiques publiques et les conditions de la légitimité de la puissance publique.

L’IRG et son approche de la gouvernance, du local au global

Même s’il entend être ouvert à un grand nombre d’approches qu’il s’emploie à analyser et à confronter, l’IRG fait largement sienne cette dernière conception de la gouvernance, conception qui prend à la fois ses distances avec le New Public Management et avec le maniement parfois contestable du concept de « bonne gouvernance ». Il nous paraît nécessaire en effet ne pas limiter le concept au fonctionnement de chaque institution prise isolément ou à la redéfinition de ses compétences particulières. Il s’agit au contraire d’étudier l’interaction entre les échelles, les domaines, les acteurs. Les règles permettant d’organiser le « vivre ensemble » ne peuvent émaner de la seule décision de chaque institution, aussi puissante soit-elle, et ne peuvent être soumises au seul principe de la légalité. Elles seront d’autant plus légitimes que, loin d’être imposées « d’en haut », elles résulteront d’un processus d’élaboration collective, guidé par la recherche de réponses aux défis communs, conformément à des valeurs explicitées et partagées.

C’est dans cette réflexion de fond que s’inscrit aujourd’hui le travail de l’IRG, qui s’intéresse aujourd’hui à quelques questions de base :

Premièrement, comment construire un mode d’exercice du pouvoir reposant non plus simplement sur une domination de la puissance publique mais sur une logique partenariale et pluri-acteurs ? Quel rôle peuvent jouer les acteurs privés, et notamment les entreprises, dans cette nouvelle dynamique de régulation collective ?

Deuxièmement, comment sortir d’une conception où la question de la légitimité du pouvoir est trop souvent « réglée » par une légalité que l’Etat serait seul à incarner? Comment faire l’examen de la légitimité des autres acteurs, de leur expertise, de leur autorité et de leur capacité à prendre part à la décision publique ? Quelle légitimité de fait les entreprises ont-elles construite dans ce domaine ?

Troisièmement, comment mesurer la pertinence et l’efficacité des systèmes institutionnels ? Quels sont les enjeux, et les myoens à mettre en œuvre pour optimiser les outils de l’ingénierie institutionnelle et orienter la réforme de l’Etat ?

Quatrièmement, comment construire une véritable articulation des niveaux de gouvernance, du local au global, permettant de sortir d’une simple répartition des compétences et permettre la construction de synergies fortes entre ces échelles ? En quoi les entreprises peuvent-elles être un acteur privilégié d’une meilleur intégration des échelles de gouvernance, face aux morcellement et aux découpage strict des systèmes administratifs ? Ce dernier questionnement permet de mettre en avant l’idée que la gouvernance ne touche pas uniquement aux modes d’interaction propres au niveau stato-national, mais se décline en réalité à chacune des échelles d’exercice du pouvoir. Emerge ainsi aujourd’hui avec une certaine force, la notion de « gouvernance mondiale ». Il s’agit encore, à travers ce concept, de s’interroger sur la place nouvelle de l’Etat face aux nécessités croissantes d’une régulation transnationale et d’un traitement commun des défis globaux.

La sphère économique et les entreprises dans les nouvelles conceptions de la gouvernance.

L’évolution de la pensée économique sur la gouvernance

C’est précisément à partir des réflexions autour des modes de régulation supra-nationaux que la pensée économique est en train d’évoluer vers une utilisation du concept de gouvernance non restreinte à la corporate governance. La notion de « gouvernance globale » s’impose en effet peu à peu dans les débats économiques internationaux, et ce après une longue période de méfiance des économistes vis-à-vis d’une notion souvent jugée trop floue.

Jusqu’à une époque récente, lorsque des auteurs tels que Joseph Stiglitz ou Dani Rodrik évoquaient la notion de gouvernance globale ou mondiale, c’était pour exprimer la nécessité de renforcer ou de reformer le fonctionnement des institutions internationales. Leur perspective était notamment celle de la régulation des flux commerciaux et financiers mondiaux, avec le souci de permettre de mettre sur un pied d’égalité Etats du Nord et du Sud dans les négociations internationales. Cette réflexion s’inscrivait alors dans la perspective d’unordre mondial restant peu ou prou structuré par les Etats.

Mais l’importance et la multiplicité des problèmes globaux (instabilité financière, asymétries commerciales, problèmes environnementaux…), le passage de l’internationalisation des économies à la mondialisation, associés à la perte de souveraineté des Etats, incapables de maîtriser l’ensemble des flux marchands et financiers, et à l’impossibilité de distinguer régulation nationale et internationale ont progressivement rendu impossible une gestion sectorielle et stato-centrée des problèmes mondiaux. Dans ce contexte, la notion de gouvernance globale s’enrichit : elle exprime pour certains (Lamy, Pisani-Ferry, Tubiana, Jacquet, Stiglitz ou encore Chavagneux) le souci suivant : Comment gouverner (la mondialisation) sans gouvernement (mondial) ? Comment penser une nouvelle action collective au niveau international en composant avec le nombre considérable d’acteurs sur la scène internationale ?

Rejetée à la base parce que jugée trop « manageuriale », ou symbolisant la remise en cause de la puissance étatique, la notion de gouvernance mondiale semble permettre de plus en plus de redonner un nouveau souffle à l’économie politique internationale, en réinjectant du politique dans la réflexion économique.

Les entreprises privées comme acteurs non étatiques de la gouvernance

L’émergence de la notion d’Acteurs Non Etatiques (ANE), notamment dans les discours institutionnels, illustre aujourd’hui l’intégration des acteurs privés comme interlocuteurs centraux des nouveaux modèles de gouvernance. Cette notion a notamment été mise en avant par la Commission Européenne en 2002. Elle s’appliquait alors à la politique de développement de l’Union Européenne, dont les ANE devraient devenir des partenaires de plus en plus incontournables soit en tant qu’interlocuteurs ou instances à consulter, soit en tant qu’opérateurs de terrain. Pour l’Union, le terme ANE désignait surtout des organisations de la société civile indépendantes et à but non lucratif. Mais de plus en plus de théoriciens et de praticiens de la gouvernance élargissent cette notion à tous les acteurs qui, dans la réalité, n’appartiennent pas à la puissance publique et agissent ou peuvent agir dans le domaine de la construction des régulations et de l’organisation de la société. L’IRG fait sienne cette conception, qui inclut les entreprises dans un ensemble « acteurs non étatiques » qui comprend par ailleurs les associations, ONG et mouvements sociaux, les organisations de producteurs et de consommateurs, les syndicats, les associations professionnelles, les fondations, et même les universités et leurs centres de recherche, les think tank, les mouvements spirituels, les medias…

Dans ce foisonnant paysage d’acteurs, certaines entreprises assument une responsabilité et revendiquent un rôle croissant dans la construction des régulations sociales.

Des exemples de collaboration entre les entreprises, la puissance publique et les autres acteurs non étatiques pour résoudre des problèmes dans lesquels toutes les parties sont concernées peuvent être pris dans des domaines aussi différents que le développement durable, la santé publique ou la lutte contre les discriminations et les atteintes aux droits de l’homme.

Comment se traduit cette dynamique de participation des entreprises dans le domaine du développement durable et de la régulation environementale ? Depuis la fin des années 80, poussées par la pression de l’opinion, des consommateurs et de la puissance publique, les entreprises agricoles, industrielles ou commerciales, se sentent de plus en plus concernées par les enjeux de la préservation de l’environnement et adaptent leurs stratégies à ce type d’enjeux. Parfois contraintes par des jeux réglementaires ou des changements de la demande exprimée sur les marchés, parfois volontaristes, ces stratégies entendent assurer la légitimité de l’acte de production dans un contexte d’épuisement et de dégradation des ressources planétaires. Cette activité des entreprises est d’ailleurs diversement jugée : pour certains, elle vise à imposer des solutions réglementaires qui ne compromettent pas l’exercice de leur activité ; pour d’autres, elles se positionnent en acteur majeur du développement qui, invité à participer, entend également négocier les conditions de sa participation. Quel que soit le jugement que l’on peut porter sur les fondements de ces stratégies, on ne peut nier que les comportements évoluent, que ce soit dans le domaine de l’industrie aéronautique, des expériences d’écologie industrielles qui, sur un territoire donné permettent de réduire le gaspillage des ressources, etc. L’IRG est particulièrement attentif à ces mutations et tente d’en comprendre les ressorts.

Dans le domaine de la santé, on peut observer quelques exemples de tentatives de collaboration multi-acteurs entre des laboratoires pharmaceutiques, des administrations nationales, des ONG, des syndicats, pour des stratégies communes de prévention. Il y a là un domaine si complexe, fait plus souvent d’affrontements violents entre les lobbies pharmaceutiques et les organisations de patients ou de militants de la lutte contre les pandémies, que l’analyse et la mise en évidence des expériences constructives est particulièrement importante.

Dans le domaine enfin des luttes contre les discriminations, on peut relever l’exemple significatif de la mobilisation des entreprises autour de la « charte de la diversité », pour contribuer à la lutte contre les discrimination au travail. Cette Charte est en effet élaborée dans le cadre d’un processus de concertation avec la puissance publique et les autres acteurs de la gouvernance. Ces différents exemples mènent à constater plus largement la montée en puissance, certes poussée par l’opinion publique et les plaidoyers des acteurs sociaux, du thème de l’éthique dans les milieux économiques, particulièrement celui de la responsabilité sociale des entreprises.

Pour autant, il ne s’agit pas de concevoir l’action des entreprise dans la gouvernance uniquement à travers ces initiatives « éthiques ». La logique des firmes et leur objectif de profit demeurent évidemment entiers, et l’on ne saurait s’étonner de la force des lobbies industriels lors des grandes négociations de l’agenda international sur le réchauffement climatique, le commerce, la société de l’information, etc. Pour autant, force est de constater que dans un grand nombre de secteurs un nouveau dialogue est en cours de construction entre les entreprises, les pouvoirs publics et le reste de la société civile dans la construction d’une société démocratique. Le passage d’une attitude mutuellement hostile et méprisante entre entreprises et ONG à l’apparition de germes de collaboration nous paraît être un signe de ce nouveau dialogue.

 

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