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Encore un siècle américain ?

Les Etats-Unis et le monde au XXIe siècle

Autor : Nicholas GUYATT

Por Pierre-Yves Guihéneuf

Contenido

Nicholas GUYATT

Historien spécialisé en politique étrangère américaine, Nicholas Guyatt est chercheur à l’Université Princeton (New Jersey, Etats-Unis).

Comment les Etats-Unis ont-ils dominé le monde durant le XXe siècle ? Quelles sont les facettes de leur politique étrangère ? Ecrit par un chercheur anglais de l’Université de Princeton (Etats-Unis), cet essai sans concession démonte avec méthode les principes et les pratiques qui fondent les relations de la première puissance avec le reste du monde. Son exposé, méthodique et argumenté, illustré de nombreuses citations, démonte le cynisme et l’irresponsabilité de la politique étrangère américaine des années 1970 à 1990, caractérisée par l’étroite imbrication des choix politiques et des intérêts privés.

Triomphalisme, manichéisme et pouvoir de l’argent sont les ressorts de l’action de la plus grande puissance mondiale. La faiblesse de l’Europe, mise en évidence lors de la crise des Balkans, laisse le champ libre à cette soi-disant politique, tout comme l’absence de véritable contre-pouvoir citoyen sur le sol américain. Ce livre, écrit avant les attentas du 11 septembre 2001, pourrait être utilement actualisé au vu des orientations prises depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration de Georges W. Bush. Mais il permet de comprendre les fondements communs aux Républicains et aux Démocrates, leur conception de l’action internationale et de leurs rapports avec les autres nations. Au total, l’analyse de Nicholas Guyatt laisse peu d’espoir à un changement sensible au cours des prochaines décennies. Reste son délicieux humour anglais pour pointer les inconséquences et les contradictions de l’administration Clinton, sans occulter pour autant le terrible prix humain qu’ont dû payer les populations les plus fragilisés aux théories du libre marché et aux appétits des firmes américaines.

Les Etats-Unis et l’économie mondiale

Dans le domaine économique, la suprématie américaine n’est pas nouvelle, mais elle s’impose dans ses formes actuelles avec l’élaboration progressive du « consensus de Washington » qui, au sein de la communauté des intellectuels, des politiques et des chefs d’entreprises formalise les bases théoriques et pratiques du libéralisme et de l’ajustement structurel que Bill Clinton appliquera ensuite avec constance.

La grande dépression qui a suivi le krach boursier de 1929 avait pourtant montré les fragilités du libre marché, des comportements spéculatifs et de l’inflation des prêts bancaires. Tirant les leçons de cette époque, les pouvoirs publics américains reprirent les choses en main, suivant en cela les principes de l’économiste Keynes qui prônait une intervention de l’Etat dans l’économie. La seconde guerre mondiale leur enseigna une seconde nécessité : celle de la coopération internationale. C’est pour cela qu’ont été créées les institutions dites « de Bretton Woods » , notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Ces organismes ont-ils été créés par et pour les Américains ? Oui. Placés sous la supervision de leur gouvernement, ils ont toujours appliqué ses modèles de développement, dans un contexte d’affrontement avec l’Union soviétique.

Mais au cours des décennies qui suivirent, les Etats-Unis mirent en place un double système : d’un côté, relatif protectionnisme à leur égard et recherche de la stabilité économique avec les autres pays industrialisés, en particulier via la politique monétaire ; de l’autre côté, promotion du libre échange avec les pays moins développés, doublé d’interventionnisme militaire sous prétexte de menace communiste. Le marché libre s’accompagna d’un retour des spéculateurs et d’une envolée des prêts bancaires aux pays du Sud. La population des pays concernés en tira rarement avantage, car la manne financière a souvent été captée par les oligarchies au pouvoir. Cette période fut prospère, notamment pour le système bancaire américain qui engrangea des profits record, faisant fi des avertissements de certains économistes qui prédisaient la ruine des économies concernées.

Le dépôt de bilan du Mexique en 1982 inaugura la crise de la dette et la mise en place de mesures de redressement dites « d’ajustement structurel » , promues en particulier par le FMI. Les coupes dans les services publics provoquèrent une détérioration des services de santé et d’éducation dont la population la plus pauvre fit les frais. La déréglementation des marchés et la liberté de circulation des capitaux étaient les autres principes de la doctrine. Cette option néolibérale pour sortir de la crise fut baptisée en 1990 « consensus de Washington » en référence à la ville dans laquelle le FMI et la Banque mondiale avaient leurs sièges. De mesure d’urgence destinée à juguler les crises, l’ajustement structurel devint ainsi une règle systématique. Enseignée dans les universités américaines, cette doctrine a nourri la pensée des élites politiques jusque chez les dirigeants des pays en développement, notamment latinoaméricains.

Cette doctrine sera exportée et mise en application plus tard en Russie et dans la plupart des ex-pays du bloc communiste, s’appuyant là encore, comme cela avait été le cas en Amérique latine et ailleurs, sur des élites locales expertes en matière de détournement et de corruption. La privatisation et la fuite de capitaux précipiteront la crise russe de 1997 et 1998. Comme dans le cas mexicain, les institutions financières internationales et les contribuables américains sont alors contraints par le gouvernement des Etats-Unis à renflouer les caisses d’un pays qui fait eau de toutes part.

L’économie de marché, joliment assimilée à l’idée de liberté qui a toujours bonne presse dans l’opinion publique américaine, a considérablement renforcé les disparités sociales y compris au sein des économies développées, a eu de terribles conséquences pour les pays les plus pauvres, mais a aussi contribué à asseoir le pouvoir du secteur financier américain et à gonfler ses profits. Même les crises mexicaine, asiatique et russe n’ont pas fragilisé l’option libérale comme l’avait fait la grande dépression de 1929. Pas plus que les avertissements de grands spéculateurs comme Georges Soros ou la démission de grands experts comme Joseph Stiglitz, patron de la Banque mondiale.

Occultant les désastres sociaux, fermant les yeux sur la corruption générée parmi les élites politiques, entérinant la prise de pouvoir de Wall Street sur la conduite des affaires de l’Etat, Clinton et l’administration américaine ont balayé les rares opposants qui poursuivaient l’idéal d’une économie à visage humain. Certains économistes ont tenté, sans grand succès, de dénoncer cette mécanique et ses effets sur la croissance des inégalités dans le monde. Sauf effondrement catastrophique, il est certain que les Etats-Unis continueront de modeler l’économie mondiale au cours du prochain siècle « avec ce savant mélange d’élégante rationalisation, de laisser-aller matérialiste et de démission morale qui jouit d’un certain consensus à Washington » .

Les Etats-Unis et la « communauté internationale »

Les Etats-Unis présentent le paradoxe d’une opinion publique isolationniste, peu au fait des enjeux internationaux, et d’une politique étrangère très interventionniste, qui considère la planète comme son arrière-cour. Le rôle de « leader du monde libre » est revendiqué et, en même temps, le multilatéralisme abhorré, comme tout ce qui peut réduire les marges de manoeuvre de la superpuissance. L’enthousiasme de Clinton quand il demande l’interdiction des mines antipersonnel, son recul quand il prend conscience que cela pourrait se retourner contre les Etats-Unis dont l’armée utilise ce type d’armement, puis son refus de signer tout accord alors que la plupart des autres pays l’ont fait : cela relègue les Etats-Unis dans les rangs des nations irresponsables, si amplement décriées par Washington. A l’inverse, lors du génocide rwandais, l’inaction méthodiquement orchestrée pour cause de manque d’intérêt stratégique et de crainte d’engager des troupes est directement responsable de plusieurs centaines de milliers de morts. Deux poids, deux mesures, mais une seule logique : la défense des intérêts américains…

Ce qui choque est évidemment le décalage entre ces pratiques et le discours incantatoire lancé par les dirigeants américains en faveur de la paix dans le monde. Ce qui étonne favorablement, par contre, est la capacité dont ont fait preuve la plupart des autres pays, depuis la fin de la guerre froide, à abandonner les notions de souveraineté exclusive et d’intérêt national pour s’engager dans la construction de règles internationales négociées, dont beaucoup sont prometteuses. Les efforts constants des Etats-Unis pour empêcher l’élaboration de telles normes ou refuser de s’y soumettre sont de mauvais augure pour l’avenir. On voit mal en effet une communauté internationale se construire contre les Etats-Unis.

L’un des produits de cette contradiction entre la première puissance du monde et l’idée de coordination internationale réside évidemment dans les relations chaotiques entre les Etats-Unis et l’ONU, symbole et instrument du multilatéralisme. Sur la plupart des terrains d’intervention des casques bleus, que ce soit en Bosnie, en Somalie ou ailleurs, les volte-face des dirigeants américains et leurs réticences à s’engager dans des opérations non placées sous leur contrôle, ont considérablement compliqué la tâche des missions de paix. La détérioration de ces relations, exprimée notamment par les pressions exercées pour le départ de dirigeants de l’ONU comme Boutros-Ghali, tient aussi au fait que l’institution internationale est explicitement considérée, comme le mentionnait par exemple Madeleine Allbright, comme un outil au service des intérêts américains, qui leur permet « d’avoir de l’influence sur les événements sans en assumer le plein fardeau du coût et des risques » tout en conférant le poids de l’opinion internationale « à des causes et à des principes que nous appuyons » .

Ces relations difficiles se sont également manifestées sur le plan financier, par un refus de contribuer au budget des Nations-Unies. Parallèlement à cela, des agences de l’ONU se sont vues courtisées par des compagnies privées au courant de leurs difficultés financières, désireuses de fournir du matériel ou des services en échange de la possibilité de faire référence à un « label » mondialement connu. Peut-on voir là les prémisses de l’intrusion d’entreprises privées dans la marche d’une organisation internationale ? Il est encore tôt pour le dire, mais ce déplorable état de fait révèle les misères d’une institution que les dirigeants américains ont sans doute intérêt à maintenir dans un état de dépendance.

Les Etats-Unis et la puissance militaire

Au moment de la fin de la guerre froide causée par l’effondrement de l’Union soviétique, la perspective d’une baisse de l’insécurité a fait naître l’espoir d’un désarmement mondial qui allait permettre une réduction des dépenses militaires et une augmentation des budgets consacrés à la santé, à l’éducation et au développement. Espoir bien vite déçu… Depuis le début des années 1990, l’armée des Etats-Unis a, au contraire, accru sa puissance, l’intérêt du Pentagone ayant vite rencontré celui des industries d’armement. L’équipement de l’armée américaine n’est d’ailleurs pas le seul débouché de ces entreprises, qui vendent abondamment à l’étranger. Vendre des armes à un pays potentiellement ennemi, c’est prendre le risque de lui fournir des informations technologiques stratégiques ou des moyens puissants. La plus élémentaire prudence voudrait que les armes de pointe ne soient pas exportées, mais c’est compter sans la demande du marché. Les industries préfèrent donc céder leurs dernières découvertes au prix fort, puis arguer de la diffusion de ces armes partout dans le monde pour justifier la poursuite des recherches sur de nouvelles armes de remplacement.

L’alliance objective entre militaires et industriels a vite trouvé l’appui d’hommes politiques convaincus que l’effondrement soviétique fournissait à leur pays l’occasion, non pas de mettre en place une organisation multilatérale mondiale, mais de conforter la domination américaine sur le monde.

Comment justifier la poursuite de l’effort d’armement alors que la grande menace du monde libre depuis près d’un demi-siècle vient de disparaître ? Il est vite devenu urgent de faire état de nouvelles menaces. Dépeindre des « Etats-voyous » comme le Soudan, Cuba, l’Irak, la Lybie ou la Corée du Nord comme des dangers aussi menaçants pour la sécurité américaine que l’était l’Union soviétique a certes nécessité des efforts de pédagogie, mais le fanatisme religieux est venu à ce niveau fournir un appui appréciable. Il a également permis d’ôter tout contenu politique aux motivations poursuivies par des gens comme Ben Laden.

La Guerre du Golfe a offert une première occasion de justifier à l’opinion publique la nécessité de maintenir un niveau de dépenses militaires élevé. Elle a également permis de tester une nouvelle doctrine, dite « doctrine Powell » qui consiste à se donner les moyens d’intervenir partout dans le monde pour défendre les intérêts américains, avec des moyens écrasants de façon à ce que l’intervention militaire soit brève et peu coûteuse en vie humaines (américaines).

L’armée a promis un environnement stable en échange de dépenses militaires coûteuses. Le Congrès et les administrations successives ont toujours cru ces affirmations sur parole et déversé des flots d’argent sur le Pentagone et sur ses fournisseurs. Cependant, si le choix a été fait de conserver à la fois un armement conventionnel et futuriste (comme le bouclier pour missile intercontinentaux, type « Guerre des étoiles » ), la menace terroriste a été négligée. La liberté de circulation aux Etats-Unis et l’accès à la haute technologie rendent crédible des attaques ponctuelles qui pourraient être dévastatrices . La seule façon d’y parer serait de revoir de fond en comble la politique étrangère des Etats-Unis et de réduire au maximum les situations génératrices de désespoir chez une population touchée par les conséquences de cette politique. Mais les citoyens américains n’imaginent pas les situations, notamment au Proche-Orient, dans lesquelles se trouvent des personnes qui trouvent dans un acte de destruction un sens et une espérance.

Les missions américaines

Quelle est la nature du débat idéologique sur ce sujet aux Etats-Unis ? Après l’euphorie de l’après-guerre froide et suite à des revers cuisants comme l’échec de l’intervention en Somalie, où plusieurs soldats américains ont trouvé la mort, la tendance était à la prudence et au discernement. Mais les « mondialistes » ont renouvelé le débat en prévoyant la perte de pouvoir des Etats, la disparition des conflits armés et la montée en puissance de la société non-gouvernementale (essentiellement le monde des entreprises).

Pour l’économiste Thomas Friedman par exemple, la « diplomatie commerciale » , qui consiste notamment à rechercher de nouveaux marchés pour les firmes américaines, est le moyen pour le gouvernement de guider les autres pays vers les bienfaits de l’économie de marché, la paix et la démocratie. Richissime et convaincu que son mode de vie est celui de la majorité des habitants du monde, cet expert dit être inspiré par le journal The Economist et par « les annonces publicitaires sur Madison Avenue » qui dénotent selon lui « l’extraordinaire perspicacité » des publicitaires face au phénomène de mondialisation. Manifester avec autant de candeur une vision aussi étroite, véhiculer un discours déconnecté de la réalité de la plus grande partie de la population du monde, tout cela en dit long sur l’assurance aveugle des élites intellectuelles américaines.

A ce mondialisme béat nourri de considérations de nantis, s’opposent les prédictions catastrophistes des « réalistes » qui annoncent au contraire des « chocs de civilisation » à l’échelle du monde, recommandent au gouvernement d’intervenir avec modération et de se prémunir de futurs conflits. Benjamin Barber, par exemple, prédisait en 1995 une réaction violente du monde contre l’idéologie néolibérale. Même si elle est basée sur des observations pertinentes et si elle s’oppose avec raison à l’optimisme naïf des « mondialistes », cette vision bipolaire, qui porte en germe les peurs de guerres raciales et du chaos, tombe souvent dans un alarmisme qui lui ôte toute crédibilité.

De façon générale, et même si leur vision est parfois orientée par la pensée des « réalistes », la plupart des politiciens sont sincèrement et profondément convaincus de la mission des Etats-Unis envers le reste du monde, qu’ils pensent devoir mener vers la paix et la prospérité, y compris contre la volonté de certains bénéficiaires. Ils pensent aussi qu’il est préférable que leur pays soit seul à décider quelles responsabilités et quelles obligations découlent de cette mission. Cet idéalisme est renforcé par une confiance sans faille dans le dogme néolibéral et par le peu de contestations qui circulent dans le petit cercle fermé des élites américaines, où les experts passent aisément du gouvernement vers l’université ou les grandes entreprises privées, et vice-versa.

La reconnaissance de cet élan missionnaire n’est pas incompatible avec la revendication de la défense des intérêts américains et avec un certain cynisme dans la conduite des relations internationales. Cette combinaison entre principes et pragmatisme « est devenue une espèce de signe honorifique à Washington, particulièrement chez les démocrates » . Elle est en tout cas fréquemment considérée comme une qualité morale.

Reste que l’argent demeure le point central de la vie politique américaine. Les campagnes électorales, extrêmement coûteuses, sont largement financées par des fonds privés, c’est-à-dire par des entreprises, américaines ou étrangères qui attendent un « retour sur investissement » . Bien qu’ils s’en défendent, on a du mal à croire que les candidats ne prennent aucun engagement en contrepartie de ces aides et que celles-ci sont désintéressées. Les industries pétrolières, celles de l’armement, les banques et les services financiers disposent d’une influence considérable sur les orientations des politiques publiques.

Avec un Congrès qui abandonne de fait la politique extérieure au Président, des élites politiques asservies par leurs liens avec le monde des affaires, des médias sédentaires alimentés par les communiqués de presse des autorités, satisfaits d’un traitement superficiel de l’information et peu critiques par rapport aux discours officiels, l’opinion publique américaine, déjà extraordinairement introvertie et ignorante des réalités extérieures, ne manifeste que de brefs moments de lucidité. Quand elle le fait, comme à Seattle, sa dissidence met l’administration dans l’embarras et provoque des réactions hystériques et démesurées des experts financiers, mais reste insuffisante cependant pour déstabiliser le consensus actuel.

De façon générale, l’opinion publique américaine estime que les Etats-Unis pourraient s’isoler du monde tout en continuant de bénéficier de la même prospérité, ce qui fait de toute intervention extérieure un geste purement altruiste et renforce l’idéal missionnaire et civilisateur du pays. Cela n’empêche pas certains simples citoyens d’émettre des jugements circonspects, voire critiques, sur le décalage qu’ils perçoivent entre la complexité du monde et la simplicité du message qui leur est adressé par leurs dirigeants. Mais les manifestations de dissidence de l’opinion publique, comme celles que l’on a pu observer lors de certains débats publics retransmis à la télévision à la veille de la guerre du Golfe, alimentent les stratégies des conseillers en communication qui n’hésitent pas à marginaliser les contestataires en remettant en cause leur esprit civique. L’idée que la contestation n’est pas dangereuse en soi mais qu’elle fait au contraire partie de la vie démocratique, que le fait de s’ouvrir sur l’extérieur et de maintenir un esprit critique envers les médias et envers les élites intellectuelles est un exercice salutaire : ces idées ne sont pas si courantes aux Etats-Unis.

En conclusion

Le XXIe siècle sera américain. La question est de savoir ce que les Etats-Unis feront de leur puissance. S’en serviront-ils pour continuer de défendre obstinément leurs intérêts au risque d’accroître les inégalités, de provoquer des conflits et de mettre en péril l’environnement de la planète, ou pour promouvoir avec d’autres pays un changement des règles du jeu et un progrès économique et social global, régulés par les pouvoirs publics soucieux du bien commun ?

Il ne fait pas de doute que les Etats-Unis ont laissé passer une occasion historique : celle qui s’offrait à eux au lendemain de l’effondrement soviétique, de poser les bases d’une coopération internationale plus équitable. Ils ont préféré consolider la suprématie américaine sur le monde. Cette position, outre le fait qu’elle soit injuste et qu’elle alimente les inégalités, est en outre génératrice d’instabilité pour l’ensemble du monde et donc pour les Américains, même si elle repose sur un discours sécuritaire.

Dans la préface à l’édition française, rédigée après les attentats du 11 septembre 2001, l’auteur s’interroge sur les effets qu’auront ces événements sur la politique étrangère des Etats-Unis. Pour lui, l’alternative est la suivante : une modification radicale et coûteuse de ses politiques et de ses priorités, en particulier au Proche Orient, ou une escalade de la violence qui risque de mettre à mal la coalition internationale et de se révéler inefficace face aux méthodes de ses opposants. Le risque est que les responsables américains estiment que les victimes du 11 septembre sont le prix à payer pour la poursuite de leur politique, comme Madeleine Allbright l’a déclaré par le passé à propos d’autres victimes civiles, en l’occurrence un demi-million d’enfants qui seraient morts en Irak à cause des sanctions américaines et à propos desquels elle a estimé lors d’un entretien télévisé que cela « en valait la peine » .

Cette logique pourra-t-elle durer longtemps ? Combien de temps pourra-t-on éviter de questionner les choix américains sur la scène internationale en poursuivant les interventions militaires ? La connivence des médias, des entreprises et des politiciens empêche une prise de conscience, de la part des citoyens, d’un terrible paradoxe : la puissance des Etats-Unis et l’immensité de leur influence sont la source même de leur faiblesse.

 

Nicholas GUYATT. Encore un siècle américain ? Les Etats-Unis et le monde au XXIe siècle. Editions Charles-Léopold Mayer, Collection « Enjeux Planète » , 2002, 295 p.

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