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Análisis

Cette analyse reprend les travaux du colloque « La gouvernance : vers un cadre conceptuel » qui s’est déroulée du 22 au 24 Novembre 2007 à Genève. Au cours de ces trois jours, des chercheurs de disciplines diverses (de l’anthropologie à la géographie en passant par la science politique et le droit), des membres d’ONG, des responsables de programmes de développement (santé publique, agriculture, etc.) ont mis en commun connaissances et points de vues sur la gouvernance. Plus précisément, il s’agissait de prendre comme grille de lecture le « Cadre Analytique de la Gouvernance » tel que le définit Marc Hufty, chercheur à l’IUED et organisateur du colloque.

Contenido

Le Cadre Analytique de la Gouvernance (CAG) propose, comme son nom l’indique, une série d’outils d’analyse de cet ensemble de réalités, aux contours encore flous, que désigne la notion de gouvernance. Marc Hufty en propose la définition suivante : « C’est une méthodologie pratique qui a pour but de montrer le potentiel du concept de gouvernance dans l’analyse des problèmes collectifs (…) d’un point de vue non normatif et non prescriptif (…) Nous proposons que la gouvernance puisse être convertie en une méthodologie afin d’analyser les processus collectifs, qui déterminent comment une décision est prise et comment les normes sociales et les institutions sont créées, en référence à des enjeux publics. » (Source : Allocution d’ouverture de Marc Hufty, cf. fiche de conférence n° 1 ci-dessous).

Partant de ce cadre, les participants au colloque ont, pour certains, mis en application le CAG. D’autres l’ont remis en question. L’objet de cette fiche est de dresser un tableau des principaux éléments pertinents, tels qu’ils sont apparus dans les communications et dans les débats du colloque.

Les apports du CAG

Un outil efficace de restitution du « terrain »

Plusieurs chercheurs ont fait remarquer que l’utilisation du CAG permettait d’expliciter les logiques en cours lors des négociations autour d’un problème collectif. Pour Cecilia Cross (cf. « Gestion des déchets urbains en Argentine » : fiche 7 ci-dessous), le CAG lui a permis « d’identifier les possibilités et les limites du processus de décentralisation et de repérer les obstacles à la mise en œuvre des politiques de gestion sociale des déchets urbains ». Pour Liliana Diaz (cf. « Gouvernance et environnement, études de cas mexicain et andin » : fiche 10), le CAG a permis de « dégager une typologie claire des acteurs ». Enfin pour Pascal Rey (Cf. « Quand la géographie parle de gouvernance : le cas de la Guinée Maritime », fiche 5) « le CAG permet de déceler l’opposition, les lieux et les objets de conflictualité entre le mode de gestion communautaire de l’espace et le mode de gestion administratif de l’espace, mais aussi les hiérarchies sociales en cours ».

Une remise en question d’évidences trompeuses

En adoptant un point de vue non discriminant sur les acteurs d’un problème publique, le CAG permet de remettre en question certaines évidences. Ainsi, pour Jamil Alca (Cf. « Gouvernance et Environnement, deux cas péruviens », fiche 11), le CAG permet de redonner une légitimité à certains acteurs : « l’analyse des niveaux locaux fait remonter les demandes légitimes des indigènes, qui ne remonteraient pas sans cela ». Dans son étude, il montre combien les intérêts des indigènes et ceux des écologistes ne sont pas similaires quand il s’agit d’utiliser les ressources d’une forêt protégée.

Une explicitation de certaines défaillances de la décentralisation

La thématique de la décentralisation administrative et politique est revenue avec insistance dans les études de terrain. En s’appuyant sur le CAG, ces études montrent que la participation de la société civile n’est pas garante d’une meilleure gouvernance. Certaines ONG privilégient, par exemple, des groupes dominants ou servent simplement de paravent légal.

Par exemple, l’étude d’Alejandra Ramirez et de Manuel de la Fuente (Cf. fiche 8 : « Gouvernance en Bolivie ») montre comment les paysans des hauteurs de Mizque, en Bolivie, ont fortement ressenti leur exclusion du processus de décentralisation mis en place à l’échelle nationale. Bien qu’une ONG (CEDEAGRO) et la municipalité aient créé un partenariat de type participatif, ils se sentaient mis à l’écart. Ils ont donc mis en place une structure concurrente avec une autre ONG (ici la CENDA) pour répondre à leurs besoins en services publics tels que l’éducation et la santé. Le CAG a permis de montrer que cette concurrence était la conséquence d’affrontements non explicites. Dans ce cas c’est l’opposition entre paysans des hauteurs et paysans des vallées qui permet de comprendre pourquoi, malgré le caractère participatif du processus de décentralisation mis en place, une partie de la population a décidé de créer une structure parallèle.

Les éléments de remise en question

L’informel peu pris en compte

Le couplage ou plutôt le découplage entre politique formelle et politique informelle est revenu de manière récurrente dans le colloque. C’est tout le sens de la communication d’Alex Molina Barrios (Cf. « Élaboration de Politique et Politique Informelle Institutionnelle. Un pas dans les non-dits de la Gouvernance » : fiche 3). Dans cette étude, il montre comment la part informelle de la politique, les réseaux, les pressions en coulisses influent sur l’élaboration d’une politique. De fait, pour le cas exposé, il s’agissait plutôt de montrer comment les affrontements politiques à l’échelle nationale empêchaient la construction d’une politique de santé décentralisée. Éric Mollard (Cf. « Gouvernance et environnement, études de cas mexicains et andin » : fiche 10) a lui aussi insisté sur le fait que cette dimension devait être intégrée dans le CAG.

Il convient de remarquer que les écarts entre ce que l’on pourrait appeler « pays légal » et « pays réel » est un thème récurrent dans les discours des pays où les études ont été effectuées. En tout cas, il y est fait référence de manière beaucoup plus récurrente qu’en Europe par exemple.

La question du genre

La plupart des travaux d’analyse de la gouvernance semblent passer à côté de la question du genre. Ainsi, lors du débat sur les travaux d’Elkin Velasquez (Cf. fiche 7 : « Sécurité citoyenne à Bogota »), un membre de l’assistance a remarqué que la baisse d’homicide dans les rues de Bogota se traduisait par une augmentation de la violence domestique. Alejandra Martinez (Cf. fiche 8 : « Gouvernance en Bolivie ») a aussi évoqué au cours de sa communication le fait que l’empoderamiento (renforcement des capacités d’action) des femmes n’était pas vraiment abordable dans ce cadre alors qu’il est un aspect fondamental dans les pays en voie de développement.

Le travail bibliographique

Au cours du débat sur la gestion des déchets urbains en Argentine (Cf. fiche 7), une personne dans la salle a fait remarquer que la bibliographie d’Alexandre Roig et de Cecilia Cross n’intégrait pas « les anciens », c’est-à-dire les travaux « classiques » et vieux d’une dizaine d’années qui ont pourtant leur pertinence.

Cette remarque fait écho à celles qui sont revenues dans les communications sur gouvernance et santé en Amérique latine (Cf. « Gouvernance de la Santé en Amérique latine » : fiche 2). Plusieurs intervenants ont fait remarquer qu’ils manquaient d’analyses de politiques de santé en Amérique latine. Des intervenants ont répondu qu’elles existaient mais que les études les plus pointues étaient disponibles dans des universités américaines.

Geert Van Vliet (Cf « Quelques limites de la notion de Gouvernance » : fiche 14) propose de renforcer les bibliographies pour rapprocher les démarches similaires au CAG et tirer les enseignements de ce qui a déjà été étudié. Il s’étonne que la mise en place du CAG ne soit pas davantage étayé par une lecture fine des travaux de référence déjà existants, notamment dans le monde anglosaxon.

Un travail de bibliographie semble être indiqué afin de renforcer le corpus des travaux qui se recommanderont du Cadre Analytique de la Gouvernance.

Un travail de précision conceptuelle

Plusieurs intervenants ont fait remarquer que des concepts propres au CAG méritaient d’être précisés et affinés. Pour André-Noël Roth (Cf. « Le Cadre Analytique de la Gouvernance et les autres analyses de référence » : fiche 12), le concept de point nodal devrait être précisé, en particulier afin de l’articuler ou le distinguer à des concepts déjà élaborés, tels ceux d’ « arène » ou d’ « interface sociale »  Geert Van Vliet (Cf « Quelques limites de la notion de Gouvernance » : fiche 15) a regretté dans son intervention l’absence d’une analyse approfondie des acteurs et des différentes configurations dans les rapports qu’ils peuvent entretenir entre eux.

En somme, le Cadre Analytique de la Gouvernance est un outil relativement neuf qui mérite, d’après les remarques émises lors du colloque, un travail de conceptualisation plus approfondi afin de mieux restituer la complexité des réalités qu’il entend restituer analytiquement.

Une clarification des enjeux

Même si Marc Hufty est largement revenu sur ce point, il semble que les objectifs du CAG méritent d’être davantage clarifiés.

Il est apparu que, pour certains intervenants, le CAG était un outil au service des acteurs de la société civile en quête de légitimité face à un pouvoir institutionnel qui ne leur en reconnaît pas (Cf. remarque de Laurent Lacroix dans « Gouvernance en Bolivie » : fiche 8). Pour d’autres, c’était un outil qui pourrait servir à délivrer une politique plus efficace (Cf. Elkin Velasquez « Sécurité citoyenne à Bogota » : fiche 6). Pour d’autres encore, une grille de lecture qui offrirait aux chercheurs en sciences sociales un surcroît d’intelligibilité devant la complexité de certains phénomènes.

Les perspectives

Un changement de paradigme

Aujourd’hui, la faveur que connaît la notion de gouvernance semble indiquer un changement de paradigme. Les thèmes environnementaux sont apparus au cours du colloque comme une dimension fondamentale dans une approche de gouvernance. De nombreuses études ont porté sur la gestion d’une espace naturel protégé (Cf. fiches 8, 9 et 10). La gouvernance permet, entre autres vertus, d’appréhender les problèmes collectifs dans leur dimension environnementale au sens large : elle prend en compte tout « ce qui entoure » le problème. Ce type de vision périphérique est d’autant plus pertinent que, dans le CAG, il est considéré autant que possible d’un point de vue non prescriptif.

En ce sens, le CAG accompagne le mouvement qui traverse actuellement le monde occidental et qui porte une plus grande attention à l’environnement au sens large : de la biodiversité aux conditions de vie des habitants. C’est une piste qui, de l’avis de nombreux intervenants et discutants, devrait faire l’objet de travaux plus approfondis.

La gouvernance est-elle une catégorie biodégradable ?

C’est Geert Van Vliet qui a le plus insisté sur le danger qui guette la gouvernance (Cf. « Quelques limites de la notion de Gouvernance » : fiche 14) : celui de devenir une notion galvaudée à force d’être utilisée pour tout comprendre. « Il ne faut pas poser trop de questions à la gouvernance » a-t-il expliqué. Il a rappelé à l’assistance « le destin de la géopolitique qui, il y a une dizaine d’années, était utilisée pour tout expliquer et qui est morte à présent. » Et il conclut sur une note provocatrice : « La gouvernance est biodégradable ».

Cet appel à la vigilance est d’autant plus important qu’il semble que le CAG, comme d’autres analyses de la gouvernance, ait besoin de clarifier ses concepts et, surtout, ses enjeux et ses objectifs. Dans cette perspective, le besoin de travaux d’appui et de comparaison bibliographiques et celui de l’élargissement interdisciplinaire ont été souvent évoquées dans les débats comme des perspectives salutaires.

Actes du colloque

Fiche 1 : Le Cadre Analytique de la Gouvernance

Allocution inaugurale du colloque «La gouvernance : vers un cadre conceptuel»

En guise de remarque préalable, Marc Hufty revient sur la confusion lexicale en cours sur la gouvernance. Il remarque un problème de cohérence de la Gouvernance, en particulier en Amérique Latine avec l’usage non défini par les chercheurs des termes de « gobierno », « gobernanza », « gobernabilidad »… Y a-t-il un objet « gouvernance » ? Ce terme apporte-t-il quelque chose à la perception ?

Marc Hufty distingue quatre définitions possibles de la Gouvernance.

La première vient des études managériales de la « corporate governance ». L’idée étant que plus une organisation s’agrandit, plus les pouvoirs locaux se développent. La gouvernance s’attache, dans ce sens, à développer des mécanismes de coordination entre unités d’une firme.

La deuxième vient des études de Relations internationales, c’est la « governance without government » de Rosenau et Gzenpiel. La gouvernance étant un système de règles destiné à résoudre des problèmes en dehors de l’autorité d’un État.

La troisième est apparue, fin des années quatre-vingt, dans la Banque Mondiale et fait référence à la « Bonne Gouvernance ». Il s’agissait d’identifier des acteurs informels qui avaient autant d’influence que les acteurs étatiques. La gouvernance a ici un usage normatif qui se caractérise pour la Banque Mondiale par la présence d’un État de Droit, une bonne administration, la responsabilité et la transparence. Selon Marc Hufty, la Banque Mondiale utilise ces critères pour évaluer une politique car elle n’a pas dans son mandat, la possibilité d’intervenir dans un État.

La quatrième définition renvoie à la « nouvelle gouvernance » de Kooiman et Rhodes. L’idée est que l’État n’a plus le même rôle et délègue ses compétences. Ce qui crée de nouveaux mécanismes de régulation des biens publics. La gouvernance est, dans ce sens, une solution à la crise de gouvernabilité de l’État.

Marc Hufty évalue ces quatre définitions selon les critères : d’approche scientifique et opérationnelle, d’observabilité empirique ; de réalisme non normatif ; de généralisation, et d’interdisciplinarité.

Les approches de la bonne gouvernance et de la nouvelle gouvernance se retrouvent écartées car ne sont pas assez scientifique, pour la première, ou pas assez cohérente, pour la seconde.

Depuis, l’IUED se consacre à la partie analytique de la gouvernance. Il s’agit de faire d’un terme flou, un cadre conceptuel dont Marc Hufty a retenu les concepts clé suivants :

Le problème : toute formulation de problème est une construction sociale qui doit être évaluée selon les intérêts, l’histoire et la culture des acteurs qui le formulent. Par exemple : la déforestation peut ne pas être un problème pour l’exploitant forestier ou le chef indigène, alors qu’il en est un pour l’environnementaliste.

Les acteurs : Marc Hufty reprend ici l’idée des « stakeholders », c’est-à-dire « les acteurs sont des individus qui ont des intérêts liés au problème identifié. Et cela que ce soit en termes de pertes ou de gains. L’acteur utilise des ressources dans un rapport de pouvoir pour influencer le processus de gouvernance.

Les points nodaux : c’est un concept essentiel au CAG. C’est, selon Marc Hufty, le ou les espaces où convergent les enjeux, les normes, les acteurs, les processus et les observations.

Les processus de gouvernance : une dynamique donnée varie avec le temps. La gouvernance peut passer par des phases de blocage, de négociation, d’ajustement. A noter que les acteurs se définissent aussi au cours des processus de gouvernance.

Les normes :

  • «méta-normes» : principes globaux non concrets (ex : développement durable) 

  • «normes constitutives» : le cadre organisationnel (ex : entreprise, tribu)

  • «normes régulatrices» : les règles prescriptives (sanctions positives et négatives)

En conclusion, Marc Hufty propose que le modèle continue d’être amélioré en passant à l’étape suivante : le Cadre Interprétatif de la Gouvernance.

Fiche 2 : Gouvernance de la Santé en Amérique latine

Comment réguler les systèmes de santé latino-américains en pleine fragmentation?

Dans la première conférence, Jacques Girard, représentant de l’OPS, a noté l’écart grandissant dans l’accès aux systèmes de soins dans des pays en crise comme le Pérou ou l’Argentine, au point de parler de système fragmenté. Il s’appuie sur le chiffre de 46% de la population d’Amérique Latine et Caraïbes vivant sans couverture de santé. L’apparition de systèmes de santé à plusieurs vitesses (fonds privés) et les décentralisations contribuent à la détérioration de la santé. L’OMS a défini un « stewardship » ou « fonction rectrice » qui ne serait pas délégable et qui ne toucherait pas à la régulation, la direction et les fonctions essentielles de la santé publique. Par contre sont délégables : le financement, l’assurance et la délégation.

Dans la seconde communication, Roberto Bazzani, médecin en santé publique à Montevideo, a présenté les travaux de son institut qui est une institution publique canadienne de développement. Sa mission est d’assurer un accès aux services de santé publique. L’IDRC porte ses recherches sur l’échange des connaissances, des études non académiques mais opérationnelles sur le terrain. Or Roberto Bazzani fait remarquer qu’il existe très peu de recherches sur les systèmes sanitaires en Amérique latine, et encore moins qui soient issues de l’Amérique latine. Il déplore le manque d’études et d’analyses disponibles en Amérique latine.

Dans la troisième communication, Ernesto Bascolo, économiste à l’Institut Lazarte d’Argentine, présente une étude de cas sur un programme de maternité dans la région de Buenos Aires. L’utilisation du Cadre Analytique de la Gouvernance a permis de mettre en avant le fait que ce modèle, qui réformait l’accès aux soins en même temps que l’attention primaire à la santé, a impliqué plusieurs niveaux : provincial, municipal et local. De nombreux problèmes sont apparus entre ces niveaux, que ce soit des questions de pouvoir (« qui est le chef ? ») ou d’attribution des services de santé. L’étude montre que seule une complémentarité entre les aides sociales et les aides de santé permet d’avoir une amélioration de la santé.

Fiche 3 : Élaboration de Politiques et Politique Informelle Institutionnelle

Un pas dans les non-dits de la Gouvernance

La conférence à proprement parler s’est focalisée sur la présentation des phases de construction de la Politique Institutionnelle Informelle en Bolivie. Dans sa communication écrite, l’auteur avait prévu une deuxième partie sur le processus de décentralisation en Bolivie et son impact sur l’élaboration des politiques de santé.

Cette étude, réalisée par l’Institut du Développement Humain de Bolivie, s’articule d’abord autour de l’identification des processus historiques en cours en Bolivie.

La Révolution Nationale de 1952 est, en Bolivie, à l’origine de la culture politique informelle. Ce mouvement incorpore des secteurs auparavant exclus du système politique de la Bolivie : nationalisation des mines, réformes agraires, participation d’organisations ouvrières aux commissions paritaires, etc. Ce moment est aussi celui de la mise en place d’un parti hégémonique qui développe une structure corporative et un contrôle total de l’appareil étatique.

La période militaire de 1978 à 1982 introduit, selon Alex Molina de Barrios, les divisions et la corruption qui font désormais partie de la culture institutionnelle bolivienne.

De 1982 à 1993, la libéralisation du marché permet de réintroduire la société civile en négociation avec l’État. Mais c’est surtout en 1994, avec la « Ley de Participación Popular », que l’État s’ouvre à la participation sociale, tout en s’introduisant dans les zones rurales. En même temps que cette loi reconnaît de nouveaux partenaires elle génère de nouveaux conflits. Municipalités, gouvernements et préfectures s’affrontent pour le contrôle des politiques publiques. Le problème de la légitimité démocratique des décideurs se pose.

Pour Alex Molina Barrios la situation bolivienne actuelle s’explique par le fait qu’on assiste à un retour des partis hégémoniques qui, par leurs pratiques clientélistes et corporatistes, créent un espace invisible de négociation qui est à côté de l’officiel. L’existence même de cet espace empêche toute réforme du type de celle de la santé.

En termes de politique de santé, les tentatives de transfert des structures publiques de santé à un échelon municipal se heurtent aux blocages précédemment évoqués. En 2007, un Plan National de Santé est proposé dans la même dynamique que toute une série de réformes négociées par l’Assemblée Constituante. Ce plan vise à transformer une médecine individuelle et libérale en une médecine communautaire et participative. Malgré l’élaboration du plan, tout le processus est en danger du fait de l’instabilité politique générale en Bolivie dans laquelle la politique institutionnelle informelle joue un rôle majeur.

Fiche 4 : La gouvernance : pouvoir faible ou pouvoir fort ?

Approche théorique de l’importance de la gouvernance dans nos sociétés

Définitions préalables d’YP :

La « gouvernabilité » : c’est la capacité d’une société à être gouvernée ou à se gouverner elle-même. Elle n’est pas acquise, elle évolue.

La « gouvernementalité » (concept foucaldien) : elle comprend l’ensemble des fonctions, des dispositifs de pouvoir, qui ont pour fonction d’accroître ou de maintenir la gouvernabilité d’une société.

A partir de là, concernant la notion de gouvernance, YP relève deux hypothèses contradictoires :

I. La notion de gouvernance renvoie à une sorte d’incapacité à gouverner, c’est à dire à produire de l’ordre dans un contexte de pluralisme normatif : pluralité d’acteurs, de référentiels, négociation permanente, etc. Double crise : de gouvernabilité (absence de cohérence entre les métanormes) et de la gouvernementalité (…). Cette crise affaiblirait la démocratie occidentale. D’où un pouvoir faible ou faiblement cohésif.

L’hypothèse d’un pouvoir faible, peut se voir à travers deux champs. Au niveau éthique : l’émergence de la question éthique en Europe s’est faite sur un mode contradictoire. De multiples questionnements ont émergé (guerre, bioéthique, etc.) en même temps que le mode de traitement éthique a basculé : l’éthique est aujourd’hui traitée surtout par le bas à partir de codes déontologiques, etc. d’où pas de méta-normes réduites et cohérentes. Cf. pyramide de Kelsen. Au niveau juridique : une normativité qui commence par le bas et tente de se constituer comme norme générale, voire constitutionnelle. La normativité reste émiettée et empêche l’émergence d’un pouvoir fort et cohésif.

II. La gouvernance désigne un effort de gouverner dans un contexte de gouvernabilité éclatée. Structuration de nouvelles normes régulatrices autour de deux métanormes : l’autonomie (rend compte de la pluri-normativité) et la responsabilité (justifie la multiplication des standards et dispositifs de contrôle et régulation). Cette hypothèse, celle d’un pouvoir fort mais en mutation, suppose deux méta-normes : l’injonction de liberté et la demande d’autonomie. Loin d’être un rempart contre le pouvoir est un outil de celui-ci. La liberté devient moins une valeur qu’une fonction, voire une injonction. La liberté dans ce cas relève de la responsabilité : plus on est libre plus on est responsable. Voir dans la définition de la gouvernance la référence constante à la responsabilité et à l’imputabilité. La gouvernance est alors un système de pouvoir fort et cohésif car elle s’appuie sur une valeur fondamentale et accroît les outils de contrôle.

Dans cette perspective, la notion de gouvernance suivrait le rythme du processus de rationalisation du pouvoir entamé depuis le 18ème siècle.

Fiche 5 : Quand la géographie parle de gouvernance

Le cas de la Guinée Maritime

Lorsque la géographie n’arrive pas à comprendre le fonctionnement d’un espace donné, il est généralement fait appel à la notion de pouvoir, au sens large, pour expliquer toute une série de phénomènes.

La Guinée maritime est un espace très communautarisé dans sa composition et dans sa gestion. Les outils d’analyse économique ne permettent pas d’aborder l’échelle « micro ». La Gouvernance permet d’appréhender cette dimension et surtout d’aborder les rapports entre pouvoirs déconcentré, décentralisé et coutumier.

En Guinée « la déconcentration est très peu effective dans les zones rurales » note PR. Par contre les instances coutumières sont très présentes. Ce qui n’est pas sans poser problème puisque, entre autre, les autorités administratives gardent un poids certain avec le pouvoir de nommer des responsables. L’approche par le CAG permet de déceler les lieux et les objets de conflictualité entre ces modes de gestion de l’espace, mais aussi les hiérarchies sociales en cours.

N.B. PR fait remarquer que dans des sociétés coutumières « à l’iniquité fondamentale, il n’y a pas de laissés-pour-compte. (…) or la seule zone où les politiques publiques ont pénétré, le périurbain, ont connu plus de laissés-pour-compte qu’avant la mise en place de cette politique.»

La principale leçon de cette étude est, selon PR, que les autorités coutumières sont incontournables mais ne sont pas partie intégrante des sphères décisionnaires de la politique publique. D’où l’importance d’un « développement participatif » où les acteurs donnent plus qu’un simple assentiment.

Fiche 6 : Sécurité citoyenne à Bogota

Un exemple d’efficacité de la gouvernance dans la lutte contre le crime

Pendant longtemps, la sécurité à Bogota a été le propre de l’État régulier. Avec l’augmentation du niveau de vie des habitants, l’insécurité est devenue, pour eux, une préoccupation de plus en plus importante. Il ne faut pas non plus mettre de côté le conflit vieux de quarante ans (la guérilla opposée au gouvernement central) qui déchire la Colombie et qui n’est pas sans impact. Paradoxalement, Bogota a réussi à faire fléchir son taux d’homicide. Il est passé de 81,2 homicides pour 100 000 habitants en 1993, à 18,8 pour 100 000 en 2006.

Selon Elkin Velasquez cette baisse est due à une politique de prime à la capture, une réorganisation de la lutte contre la drogue ainsi que des services de police, et surtout par une approche adaptative de la gouvernance de la sécurité. C’est sur ce dernier aspect qu’insiste le plus Elkin Velasquez. Bogota a réussi à construire un schéma de gouvernance non formalisé qui adapte les moyens de police selon les quartiers, etc., permettant d’assurer une continuité politique là où les maires changent tous les quatre ans (les mandats sont non cumulatifs).

Les implications pour une gouvernance opérationnelle sont, selon EV, que la force publique accepte toute forme de « liderazgo » (leadership) ; que le gouvernement national laisse un espace à Bogota que le secteur privé puisse s’investir (à Bogota c’est la Chambre de Commerce qui est intervenue) ; qu’un espace de négociation soit disponible (ici par le biais de conseils de sécurité) ; que le gouvernement effectue tout un travail sur les représentations pour faire évoluer les normes (EV fait appel ici au techniques de marketing).

En conclusion, EV plaide pour un lien étroit entre gouvernance et résultats. Jusqu’à aujourd’hui les analyses étaient rétrospectives. Maintenant pour aller plus loin il faut se tourner vers ce qui fonctionne. La gouvernance peut être utile pour décider politiquement sans se soumettre au pouvoir.

Fiche 7 : Gestion des déchets urbains en Argentine

Etudes de cas de conflits dans la province de Buenos Aires

Alexandre Roig présente dans ses grandes lignes le système de retraitement des déchets dans la province de Buenos Aires. Tout le problème vient du fait qu’il n’y a pas assez de décharges pour pouvoir traiter les 20 000 tonnes par jour produites. La recherche de nouveaux sites de décharges se heurte au phénomène de « Nimby » (« Not In My Backyard » qui décrit tout mouvement d’habitant refusant l’implantation de nouvelles activités près du lieu de résidence).

Ce conflit est territorial. L’auteur relève aussi que la loi de gestion des ordures a été modifiée en 2004, afin que les « cartoneros » (récupérateurs argentins) puissent aussi valoriser les déchets. A priori pas de problème sauf que les cartoneros ne sont interessés que par les ordures à valeur marchande… Ce conflit est légal. Le pouvoir provincial et le pouvoir national ont cherché à formaliser le système avec deux programmes de gestion : un qui permette l’accès direct aux ordures et un autre qui ne laisse qu’un accès indirect.

En guise de conclusion, Alexandre Roig explique qu’il existe une opposition deux visions du déchet. La première version considère le déchet comme un stock. La seconde version considère le déchet comme un élément d’un cycle de production et de consommation. La force de travail étant, dans ce dernier cas, le lien entre cycle de production et cycle de consommation.

L’étude de Cecilia Cross, porte sur un « quartier littéralement construit sur les déchets » : Un groupe de personnes déplacé après une inondation qui a ravagé leur quartier et qui s’installe dans une décharge sauvage à l’air libre, utilisée depuis neuf ans. Ces habitants se sont constitués en « quemeros », c’est-à-dire qu’ils détruisent par le feu les déchets inutiles et revendent ceux qui sont utiles. Cette situation est prise en charge par plusieurs acteurs qui négocient, voire s’affrontent pour essayer d’améliorer les conditions de vie sur place et la gestion des déchets urbains.

En utilisant le Cadre Analytique de la Gouvernance, Cecilia Cross brosse le portrait suivant de la situation.

Les Acteurs sont le Gouvernement de la province de Buenos Aires, dont c’est la juridiction, le Ministère du développement social de la Nation qui doit favoriser le développement local, la municipalité qui essaie de récupérer le terrain, l’association « 21 de septiembre » qui rassemble les occupants du terrain et l’entreprise qui doit s’installer sur le site.

Les Points Nodaux identifiés sont la négociation sociale, la mise en œuvre de la plateforme sociale à l’étude, la négociation technique avec le CEAMSE, l’organisation du « 21 de Septiembre », le groupe de futurs travailleurs de la plate-forme.

Pour elle l’application du CAG permet de comprendre la complexité du problème, d’identifier les possibilités et les limites du processus de décentralisation, et de repérer les obstacles à la mise en œuvre des politiques de gestion sociale de déchets urbains.

Fiche 8 : Gouvernance en Bolivie

La gouvernance à l’épreuve de la décentralisation

Dora Ponce : Il existe une contradiction à l’intérieur des parcs nationaux entre le souci de conservation et l’activité existante, qu’elle soit forestière ou pétrolière. Nous avons un gouvernement autochtone mais certains conflits empêchent d’avancer. Le problème pour les autochtones est de pouvoir accéder aux ressources naturelles.

En utilisant le CAG, Dora Ponce arrive à mettre en avant les points suivants : il existe des acteurs sociaux divers et conflictuels ; on est aussi face à l’absence de politique claire sur la protection des parcs nationaux. Les communautés paysannes essaient d’accéder aux ressources naturelles, les environnementalistes pèsent pour le maintien de la biodiversité. On est là face à un manque d’espace pour discuter des questions des aires protégées. Il existe en Bolivie deux formes de gouvernance de la biodiversité. La première est rigide, « top-down » et découle de la Loi 1262. La deuxième, plus flexible et « bottom-up », vient des usagers des aires protégées. La politique de biodiversité est très centralisée et n’inclut pas dans la discussion les municipalités. Le CAG a permis de faire face à la complexité des dynamiques sociales que vivent les politiques de conservation dans un contexte politique très instable.

Dans leur communication, Manuel de la Fuente et Alejandra Ramirez se sont concentrés sur deux villes, Cochabamba et Mizqui, qui illustrent la singularité du processus de décentralisation en Bolivie. Avant la loi populaire de 1994 et celle des municipalités en 1999, les autorités pouvaient décider de tout sans consulter la population, les régions rurales n’avaient pas voix au chapitre.

Cochabamba est le premier exemple proposé par les chercheurs. Cette ville pose problème car elle est très hétérogène. Ce qui fait que dans la ville se superposent trois logiques : au Nord une logique syndicale, au sud une logique citoyenne tournée vers la communauté et au centre une logique individuelle et citoyenne.

Le deuxième exemple, Mizqui, est un cas atypique. Avant les lois il y a avait déjà eu des tentatives de participation populaire. Désormais la loi permet de contrôler le processus par la municipalité avec l’aide d’une ONG. Or, de ce processus sont exclus les habitants des hauteurs. Ils se sont organisés grâce à une autre ONG et ont mis en place un autre plan de développement local.

En conclusion, les deux auteurs montrent que même s’il y a des progrès en termes de décentralisation, il n’y a toujours pas d’homogénéité dans le processus. Ce modèle de gouvernance a été pensé pour des zones rurales et des petites villes. C’est là toute l’importance de la coopération internationale afin d’enrichir ces modèles de gouvernance.

Fiche 9 : Gouvernance Globale et Internet

De l’importance d’une bonne définition en terrain mal connu

Pour William Drake, vu l’importance des batailles politiques autour de la gouvernance d’Internet, la définition de celle-ci est essentielle. Il situe son émergence dans les années 90, une époque de changements fondamentaux dans le monde politique en termes de souveraineté nationale, et d’un nouveau genre d’analyse institutionnelle. A l’époque la notion de gouvernance était étudiée par les universitaires mais aussi des membres d’ONG, des décideurs politiques, etc.

William Drake note qu’il y avait des acceptions très éloignées qui étaient reprises par les universitaires. Pour certains il s’agissait simplement du pouvoir exercé par un acteur sur un autre. Pour d’autres, il s’agissait de gouverner sans frontières, de faire ce qu’ils faisaient chez eux sans être, justement, chez eux. Il remarque aussi que les universitaires ont souvent tendance à généraliser depuis leur champ de spécialité les questions de gouvernance globale.

En parallèle avec les travaux universitaires, il y a eu des difficultés de cohérence similaires à celles des universitaires.

En 2005, a été lancée l’idée de « Gouvernance Globale d’Internet ». Trois groupes sont entrés en compétition : les pays en voie de développement, qui prônaient une gouvernance très stricte par les gouvernements ; un groupe de techniciens du globe qui étaient dans le dénigrement de toute gouvernance et ne voulaient personne aux commandes ; et l’ICann (association qui attribue les noms de domaine sur internet et de droit américain), qui était coincée.

Le Secrétaire Général des Nations Unies a chargé 40 personnes, dont William Drake, d’élaborer une définition globale d’Internet. Ils ont fourni une définition qui insiste sur l’importance des acteurs privés.

WD s’appuie sur cet exemple pour expliquer que le manque initial de définition a permis de développer un consensus qui a, finalement, été un succès.

Dans ce sens, la gouvernance globale devrait être descriptive plutôt que normative. Elle doit aussi être précise, plus attentive aux processus qu’aux actes. Les éléments décisifs étant, selon l’auteur, le passage du formel à l’informel, du haut vers le bas et d’horizon partagé. De manière plus formalisée, WD propose la définition suivante de la gouvernance globale « Le développement et l’application de valeurs partagées et de prises de décisions destinées à être partagées ». WD précise la notion de valeurs partagées en excluant les valeurs dominantes, au profit de valeurs partagées par le plus grand nombre (N.B. « je peux donner plein d’exemples où les États-Unis projettent leurs propres valeurs…» William Drake)

William Drake insiste enfin sur le poids des acteurs privés, qui ont une approche de la gouvernance comparable à celle du marché, dans le sens de ceux qui produisent les règles qui s’appliquent à des personnes qui ne les appliquent pas…

Fiche 10 : Gouvernance et environnement : études de cas mexicain et andin

Ecarts entre politique officielle et politique informelle

Éric Mollard : À partir d’une série de problèmes environnementaux au Mexique qui ont reçu des réponses insuffisantes, quand réponse il y a eu, Éric Mollard insiste sur l’importance du politique dans la gestion de ces enjeux. Dans chacun des exemples qu’il aborde, Éric Mollard remarque que les gouverneurs mexicains ont, d’une élection à l’autre, tendance à se radicaliser. D’un autre côté, les leaders de groupes institués (syndicats, agriculteurs…) ont eux aussi intérêts à se radicaliser. Ainsi, dans l’exemple du Chapala le gouverneur a essayé d’introduire un quota d’eau. Si un leader de groupe d’agriculteurs acceptait l’idée, alors un nouveau leader allait émerger et contester l’autorité du précédent leader. La solution logique à cette crise est celle de la paix sociale. Tous les acteurs ayant un intérêt à ne pas répondre directement alors que tout le monde reconnaît la véracité du problème environnemental. Le cœur du problème est l’absence de régulation, par les administrations par exemple, de ces processus de négociation se radicalisant chaque fois.

Liliana Diaz, du programme NCCR North-South, présente son travail de thèse en cours sur la place des ONG dans la gouvernance environnementale dans cinq pays de la région andine (Colombie, Bolivie, Équateur, Pérou et Venezuela). Son travail se base sur l’Advocacy Coalition Framework ACF formulé par Sabatier et Jenkins-Smith puis sur le CAG. Les systèmes sont proches même s’ils ne sont pas complètement jumeaux. L’apport essentiel du CAG, pour Liliana Diaz, est de permettre de dégager une typologie des ONG et des enjeux.

Fiche 11 : Gouvernance et environnement : deux cas péruviens

Comment conjuguer préservation de l’environnement et survie économique des populations locales ?

L’étude présentée par Carlos Soria porte sur la gestion de la pêche dans les bassins de la rivière Pichis dans l’Amazonie centrale du Pérou. Le but affiché est de comprendre comment un système légal national et des pratiques coutumières se côtoient et s’adaptent dans une région éloignée des grands centres économiques et qui présentent de fortes contraintes environnementales. Bien que les pêcheries commerciales soient autorisées, elles utilisent dans cette aire des méthodes prohibées par la législation : la dynamite ou le poison (ici le Barbasco). Les autorités coutumières, bien plus présentes que l’État central, ont adopté tout un système d’interdictions et de permis pour réguler cette activité commerciale. Ce qui permet, selon l’auteur, de maintenir une politique de conservation efficace dans certaines criques protégées. Néanmoins, l’usage de poison reste très dangereux pour la population. De plus, cette activité comme celle des pêcheries de subsistance bien que légale ne permet pas de promouvoir le développement économique des populations indigènes. Selon Carlos Soria, la solution passe par la décentralisation de cette gestion de la pêche. Les gouvernements régionaux et municipaux pourraient permettre de réguler de manière plus efficace cette activité que ne le fait l’État central, caractérisé par une absence d’intervention induisant un divorce entre le légal et le réel.

Jamil Alca a étudié la gestion forestière dans la réserve communale Amarakaeri au Pérou. En préalable, Jamil Alca pose les éléments du cadre. L’exploitation des ressources de la forêt est génératrice de conflits et, plus particulièrement, entre l’État, qui autorise les activités économiques mais aussi décide quelles sont les aires protégées, et les populations indigènes. Cette dynamique a des impacts directs sur l’administration de la réserve Amarakaeri. Le problème le plus aigu est celui des indigènes. Ils n’ont pas accès à la propriété privée, donc à l’exploitation forestière, ni à la zone protégée. Dès lors ils posent la question : comment fait-on pour survivre ? L’agriculture dans la zone est pauvre et la main d’œuvre se dirige vers l’extraction en plein air.

Utilisant le CAG, Jamil Alca dégage ce qu’il appelle une analyse historique : il existe une dislocation tribale avec des écarts claniques dans une même localité qui a été utilisée politiquement par l’État. La compétence d’accès à la forêt à évolué dans le temps. Avant il fallait chasser pour avoir un accès. Aujourd’hui c’est faire des études qui procure un accès. Les communautés ne connaissent pas les lois qui permettent d’avoir un permis. Le point nodal de l’analyse selon JA est l’opposition entre l’extraction de bois qui est illégale et sa commercialisation qui est légale.

Pour JA, le CAG est utile surtout parce que l’analyse des niveaux locaux fait remonter les ‘demandes légitimes des indigènes qui ne remonteraient pas autrement.

Fiche 12 : Le Cadre Analytique de la Gouvernance et les autres analyses de référence

Une approche comparative avec les autres modèles d’analyse des politiques

Le modèle ACF part de l’affaiblissement du rôle de l’État et prend en compte l’apprentissage et l’ensemble des acteurs qui participent d’une évaluation (chercheurs, journalistes, etc.).

Le modèle IAD, qui a inspiré des institutions comme la Banque Mondiale, est un modèle néo-institutionnaliste. Dans l’IAD on se demande comment les institutions affectent le comportement des individus. Les politiques publiques ne résolvent pas les problèmes mais provoquent un changement des comportements des personnes. Les institutions renvoient aussi aux normes et coutumes autant formelles qu’informelles. On voit dans ce modèle des types d’interaction dans des « arènes »… Il existe une grande proximité entre ces « arènes » et les « points nodaux » de Marc Hufty.

Ils utilisent aussi la théorie des jeux de l’école néoclassique (choix rationnels dans des conditions où plusieurs inconnues interviennent. Cf. dilemme du prisonnier).

Similitudes entre les différents modèles : par exemple ils proposent des concepts généralisables qui se prétendent non normatifs : « point nodal » dans le CAG, « sous-système » dans l’ACF, « arène » dans l’IAD. Il existe une forte similarité entre l’IAD et le CAG concernant les interactions et le pouvoir que détient celui qui dispose de plus de ressources.

Divergences : le CAG ne parle que très peu des variables et donne seulement un cadre général : « c’est un travail de précision qui resterait à faire ». Il reste aussi une différenciation fondamentale : si l’IAD s’appuie sur des positions néo institutionnalistes, le CAG s’appuie sur des positions institutionnalistes plus anciennes.

Remarque : Les « points nodaux » utilisés dans le CAG se réfèrent à des arènes de négociation entre acteurs, ce qui renvoie un peu à cette notion précisément d’ « arène », ainsi qu’à celle d’ « interface sociale » : en quoi la première notion se distingue-t-elle des deux autres?

Fiche 13 : Gouvernance locale en Éthiopie

Du poids des représentations dans l’élaboration d’une politique

Tout le monde a conscience qu’il existe dans les régions du Sud de l’Éthiopie une crise. Les populations n’arrivent pas à vivre dans ces régions. C’est une crise écologique en même temps qu’une remise en question du système coutumier. MP insiste sur le fait que tous les acteurs ne voient pas la même crise. Elle se compose de trois éléments : une méta-narration malthusienne qui voudrait que, globalement, il existe un déficit de nourriture par rapport à la population ; il existe, depuis deux siècles, un afflux de population venant des régions voisines qui compressent l’espace pastoral ; le nomadisme des populations qui serait la cause du problème selon le script « les nomades sont pauvres et imprévisibles car ils se déplacent sans arrêt ». MP revient sur ce dernier élément qu’il considère comme une « prophétie auto réalisatrice » car la solution proposée pour remédier au nomadisme, favoriser l’intensification de l’agriculture, renforce l’idée que le nomadisme rend pauvre en même temps qu’il aggrave la crise alimentaire.

Fiche 14 : Quelques limites de la notion de Gouvernance

Une approche critique du CAG

G VV rappelle que la gouvernance « n’est pas l’apanage de la Banque Mondiale ». Les premiers débats ont eu lieu « pendant la décolonisation, quand le FLN discutait comment gouverner et réorganiser le pays une fois l’indépendance acquise : beaucoup de discussions portaient sur la gouvernabilité et la gouvernance ». GVV rappelle aussi que l’émergence d’une société civile dans la fin des années soixante et le début des années soixante-dix avec les mouvements sociaux et associatifs de l’époque (mai 68, le gouvernement Allende au Chili).

La « Planificación Estratégica Situacional » (PES) est une approche développée par Carlos Matos, chercheur chilien, au lendemain du coup d’État contre Allende. Le référentiel utilisé est issu de la théorie de la régulation dans l’économie politique. La PES a beaucoup travaillé sur l’interaction du monde politique (au sens large de celui qui prend les décisions) et du monde de la connaissance. On a beaucoup parlé dans la PES de la connaissance mise au service de la décision. La réactivité des acteurs multiples a été prise en compte dans l’analyse de la biodégradabilité d’une régulation donnée. Beaucoup de régulations sont inutiles, etc. A la question « Comment introduire les changements ? » le PES présente trois mécanismes de régulation (cf. travaux de Maturana) : la commande, l’autonomie et l’autopoièse qui coexistent. Tout acteur est confronté à un triangle de gouvernement : la nature des problèmes auxquels il se confronte (simple, complexe…), la nature du projet de l’acteur, la capacité de l’acteur à mobiliser ses ressources. La gouvernabilité est une propriété émergente de ces contraintes.

Dans ce cadre, le CAG a des pistes de convergence avec le PES sur la reconnaissance de la complexité, des interactions, etc.

Critiques : Manque l’analyse de la différence entre les acteurs et de leur communication, l’interdisciplinarité reste limitée aux sciences sociales (GVV prêche par exemple pour l’introduction de la dimension de biosphère dans les travaux du CIRAD et de l’IRD), la gouvernance risque le même destin que la géopolitique : « qu’on en parle à propos de tout et de n’importe quoi ». GVV insiste sur cette « biodégradabilité » du concept de gouvernance et invite à réfléchir sur la durée de vie des approches.

Pour éviter ce danger, il propose de rapprocher les visions similaires comme le PES de renforcer les bibliographies, d’inclure les nouveaux outils comme la modélisation multi-agents, et de cesser de vouloir répondre à trop de questions.

 

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