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L’ingénierie institutionnelle : la conception et le fonctionnement des institutions
Résumé et extraits du livre « La Démocratie en miettes » (2003)
Pierre Calame encourage les institutions publiques à construire leurs propres stratégies de changement et à s’engager dans une véritable transformation interne pour s’adapter aux défis du XXIème siècle. Les institutions doivent en effet être capables d’une part de formuler des règles pertinentes et de les appliquer et d’autre part de répondre le mieux possible aux objectifs poursuivis. Après une analyse du service public et de son idéologie, l’auteur s’intéresse à la culture et aux ressources humaines d’une institution : dossier-clés pour la mise en place d’une véritable « ingénierie institutionnelle ».
Table of content
Introduction
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En faisant des administrations de simples outils, théoriquement neutres, de mise en œuvre des volontés politiques, on a fait l’économie d’une réflexion approfondie sur le fonctionnement même des institutions. Entendons-nous bien: les analyses du phénomène bureaucratique sont innombrables mais souvent vues sous un angle négatif, comme autant de résistances opposées à la volonté politique. Ce qui fait défaut, c’est une approche positive de l’ingénierie institutionnelle. Il faut entreprendre aujourd’hui cet effort.
Les organisations de grande taille sont nécessairement complexes. Elles font coopérer un grand nombre de personnes avec leurs références culturelles, leurs projets et leurs passions. Elles mettent en œuvre une masse de procédures juridiques et techniques, souvent accumulées par strates au fil des années. Elles gèrent de multiples rapports de pouvoir.
Chaque organisation a une «logique profonde» qui gouverne ses réactions, qui délimite ce qu’elle perçoit de la réalité, qui oriente voire détermine la nature des solutions qu’elle est capable de concevoir et de mettre en œuvre. Cette logique profonde s’impose à l’insu même de ses acteurs, même si elle est contradictoire avec les objectifs assignés à l’organisation.
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L’ingénierie institutionnelle est l’art de concevoir des institutions dont la «logique profonde» va dans le sens des objectifs poursuivis. C’est à cette condition que l’on pourra sortir de ce que j’ai appelé, à propos de la coopération européenne, la «pertinence par effraction» (renvoi au lexique) c’est-à-dire de dispositifs institutionnels et juridiques qui conduisent spontanément à l’inverse des pratiques jugées souhaitables. (…)
Focus sur deux des 3 des 4 points développés par Pierre Calame
Les concepts et l’idéologie générale des services publics
Tout corps social a besoin d’une idéologie qui lui donne sa cohésion, son sens, ses valeurs, ses points de repère. C’est la représentation que les organisations et leurs membres se font d’eux-mêmes, de leur rôle, de leur place dans la société. C’est le regard qu’en retour la société porte sur eux et les attentes qu’elle formule à leur égard. Tout le défi est là, comment garder ce que l’idéologie du service public a de bon tout en faisant évoluer en profondeur le concept?
La France, du point de vue de l’idéologie du service public, est un cas de figure très particulier où, du fait de l’histoire de la royauté, on peut soutenir que c’est l’État qui a construit la nation plutôt que l’inverse. Dans ma vie professionnelle, j’ai souvent été ému de la conscience professionnelle et de la rigueur morale de très nombreux fonctionnaires, à mille lieux de la caricature qui en est faite, y compris parfois, hélas, par leurs propres chefs qui devraient pourtant se sentir les premiers responsables des défauts qu’ils soulignent. Nous avons d’ailleurs, André Talmant et moi, dédié l’État au cœur «aux fantassins de la fonction publique dont la conscience professionnelle a forgé au cours des siècles l’administration et la nation française». J’ai constaté à l’étranger, malgré les sarcasmes parfois, combien on nous enviait la fonction publique française. Voyant dans beaucoup de pays la difficulté et le temps nécessaire pour faire naître un sens du service public, j’ai frémi devant l’irresponsabilité de ceux qui le brocardent. Il faut donc à la fois préserver jalousement cet acquis, et se fonder sur lui pour sortir de l’inertie et bâtir le service public du XXIe siècle. Pour cela, il n’est d’autre solution que d’aider le service public à sortir des attitudes défensives où l’enferment sa conscience de l’archaïsme du système et l’absence de perspectives crédibles et séduisantes de réforme, afin de rebâtir, avec lui et non contre lui, une philosophie générale: qu’il ne se réduise pas à un statut mais se définisse par un sens et par une mission. Dans ce but, il faut que les agents du service public, et pas seulement les grands chefs, soient associés à la réflexion sur cette révolution copernicienne de la gouvernance et en deviennent les acteurs. La conscience du décalage entre la réalité du monde et les institutions mises en place pour le gérer peut être vécue très négativement si leurs acteurs, trop identifiés à l’organisation existante, n’apparaissent plus que comme des survivances du passé. Cela peut être aussi un formidable moteur de dynamisme si tous mesurent ce décalage et contribuent à un grand projet collectif.
Le premier motif de fierté de la fonction publique sera alors le constat par lequel j’ai introduit ce livre: l’éthique et la gouvernance sont les priorités du XXIe siècle. Ce n’est ni ledéveloppement économique, ni l’innovation scientifique et technique. Ainsi, ceux que l’on perçoit si souvent comme rétrogrades, allergiques au changement, peuvent se retrouver au contraire à la pointe du combat de la modernité. C’est leur capacité d’anticipation qui permettra de réduire les décalages existants. C’est de leur créativité que dépendra la construction d’un monde vivable. Des enseignants aux policiers, des agents des collectivités locales à ceux des institutions internationales, des gestionnaires du territoire à ceux de la santé, des militaires aux agents de l’action sociale: c’est en introduisant dans la formation de base une réflexion commune sur la gouvernance que l’on commencera à forger une idéologie du service public pour l’avenir.
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Les structures et les cultures administratives
Les administrations sont organisées de manière générale en filières sectorielles, verticales, avec des chaînes hiérarchiques relativement longues. Chaque structure travaille dans son coin en fonction d’une délimitation des problèmes et des compétences qui lui est propre. Bien entendu, et Dieu merci,le fonctionnement réel est plus intelligent que les organigrammes. De nombreux contacts sont noués entre fonctionnaires sur le terrain mais la philosophie générale reste celle de la verticalité. C’est vrai même au sein d’administrations locales. Cela tient notamment à la nature et à l’organisation du pouvoir politique. Chaque ministre, chaque vice-président de conseil régional ou départemental, chaque adjoint au maire et, au niveau européen, chaque commissaire tient à avoir «ses» services sous «ses» ordres. Dès lors, la coordination est toujours conçue au sommet plutôt qu’à la base. A la base, elle ferait de l’ombre aux pouvoirs hiérarchiques exercés au sommet des structures sectorielles.
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Pour créer des structures et des cultures capables de gérer les relations entre les défis, entre les acteurs, entre les niveaux de gouvernance, il ne faut pas nécessairement casser les structures. Il faut, en revanche, en inverser le mode de fonctionnement. En un mot, introduire un fonctionnement matriciel en renforçant résolument la relation horizontale au détriment de la relation verticale. Cette dernière devrait jouer un rôle essentiellement fonctionnel: celui de centre de ressources spécialisées et de vérification de la mise en œuvre des principes directeurs.
En cela le fonctionnement administratif doit repartir du principe de subsidiarité active. Appliqué à la gouvernance elle-même, il conduit à définir les principes directeurs de l’organisation territoriale en vue de la prise en charge en commun des défis. (…)
En termes de ressources humaines, une telle démarche conduirait chaque administration, en cohérence avec la nouvelle idéologie du service public, à envoyer en service territorial les jeunes les plus prometteurs; en leur faisant jouer par exemple le rôle de médiateur de l’échange
d’expérience et de catalyseur dans l’énoncé des principes directeurs communs. (…)
Il s’agit bel et bien de remettre l’ensemble de l’administration en mouvement avec deux mots d’ordre: la gestion des relations et la priorité à l’approche territoriale.
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La gestion des ressources humaines
On ne conduit pas une révolution conceptuelle, culturelle et institutionnelle de cette importance sans mettre la gestion des ressources humaines au cœur de la stratégie de changement. D’abord pour adapter le personnel existant à un bouleversement des modes d’approche et, plus encore, pour en faire le fer de lance de cette transformation. Ensuite pour bâtir une politique de formation initiale et permanente des futurs fonctionnaires. Comme dans toutes les autres organisations amenées à combiner des savoirs entre eux et à faire face à la complexité, la qualité des ressources humaines est décisive. Son importance croît avec la responsabilité personnelle confiée à chacun des membres du service public.
La première étape serait de créer, comme on l’a déjà évoqué, un vaste chantier de réflexion transversal aux différents types d’administration pour rechercher ensemble les solutions concrètes de mise en œuvre des nouveaux principes. Des troncs communs de formation initiale devraient être mis en place pour tous les agents de la fonction publique de l’État et de la fonction publique territoriale. (…)
Le gros avantage des nouveaux principes proposés est précisément de faire de ces apprentissages une condition indispensable, congénitale à la gouvernance de telle sorte que la formation permanente sera le simple corollaire de l’exercice des responsabilités quotidiennes, le moment où s’opère la mise en commun et la capitalisation de l’expérience. (…)
- Défis de la « gouvernance » dans la Démocratie en miettes
- Desafíos de la gobernanza en el libro " Reinventar la democracia »
- Le déphasage de la gouvernance actuelle
- Les ferments d’un renouveau de la gouvernance
- El desfase de la gobernanza actual
- Las semillas de una renovación de la gobernanza
- Les fondements éthiques de la gouvernance et l’institution de la communauté
- Los fundamentos éticos de la gobernanza y la institución de la comunidad
- L’enjeu et la pratique du partenariat
- Las problemáticas centrales y la práctica del partenariado
- La subsidiarité active
- La subsidiariedad activa
- Le territoire, brique de base de la gouvernance du XXIe siècle
- El territorio, pieza clave de la gobernanza del siglo XXI
- L’ingénierie institutionnelle : la conception et le fonctionnement des institutions
- La ingeniería institucional: la concepción y el funcionamiento de las instituciones
- Les différentes catégories de biens
- Las diferentes categorías de bienes
- L’évolution de la pensée en matière de services publics au niveau européen
- 60 ans plus tard, ce qu’il reste de la Charte des Nations unies (et des Nations unies elles-mêmes)
- De la déconcentration administrative à la recherche de pertinence du service public
- Les mutations de l’Etat-Nation face à la mondialisation
- Le renouvellement des relations état région, une pièce maîtresse de la réforme de l’état
- Peut-on gouverner les machines institutionnelles ?
- Les conditions de pertinence de l’action publique : le cas de la lutte contre la pauvreté
- L’ingénierie institutionnelle : la conception et le fonctionnement des institutions
- La ingeniería institucional: la concepción y el funcionamiento de las instituciones
- L’Etat Africain, pris entre gouvernance locale et gouvernance globale
- Diversité européenne, mode d’emploi
- L’Etat inachevé. Les racines de la violence en Colombie.