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Les ferments d’un renouveau de la gouvernance
Résumé et extraits du livre « La Démocratie en miettes » (2003)
Après avoir diagnostiqué le déphasage de la gouvernance face aux défis contemporains, Pierre Calame sonde tout ce qui, dans les mentalités puis dans les faits, préfigure déjà une « révolution de la gouvernance ». Ici s’annoncent les lignes de faille qu’approffondira l’exposé des « principes communs de la gouvernance du XXIe siècle », auxquels seront consacrées les prochaines discussions.
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Qu’est-ce qu’une révolution de la pensée? Même en mathématiques ou en philosophie, disciplines apparemment les plus proches de la spéculation pure, une réforme de la pensée n’apparaît pas comme cela, complète et tout armée, comme Minerve du crâne de Jupiter. A fortiori, quand il s’agit de la gouvernance, domaine enraciné par excellence dans les sociétés humaines, une révolution est le fruit d’une lente maturation. Cependant cette lente maturation n’exclut pas des ruptures. Ainsi, comme l’eau s’accumule progressivement derrière une digue jusqu’au moment où la digue craque, beaucoup de facteurs de changement s’accumulent jusqu’au moment où se produit un retournement de la pensée qui permet de réorganiser autrement les différents éléments et les divers acteurs entre eux. Par un véritable mécanisme d’inversion, ce qui était au centre du système précédent est rejeté en périphérie tandis que ce qui était jusqu’alors périphérique devient central. Si mon hypothèse est exacte, nous sommes dans cette phase historique de retournement. Comment l’organiser? J’y vois deux composantes, que j’ai appelées respectivement les prémisses et les prémices de la révolution de la pensée. Les prémisses sont les attitudes mentales, on pourrait presque dire les opérations mentales, indispensables pour «changer de lunettes». Les prémices sont tout ce qui, par des événements modestes ou de grande ampleur, silencieux ou largement médiatisés, préfigure un nouveau système conceptuel, de nouveaux acteurs ou de nouvelles pratiques.
Les prémisses d’un retournement de la pensée
Repartons de la question de Heidegger: comment regarder ses propres lunettes puisque nous regardons le monde précisément à travers ces lunettes? Quatre opérations mentales peuvent guider pour y parvenir: revenir aux sources historiques des situations actuelles et, par ce retour aux sources, traquer les fausses évidences; déconstruire les oppositions qui structurent notre champ mental; s’exercer à transposer les analyses et les représentations d’un modèle à un autre; être attentif aux mutations, aux décalages qui se sont produits entre les concepts ou les institutions et les réalités dont ils traitent, être attentif aussi aux bricolages.
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Focus sur 2 des 4 points traités :
« Revenir aux sources et traquer les fausses évidences »
Les principes et les règles, avons-nous dit, se présentent comme des vérités absolues tant que l’on n’est pas revenu à leur origine et au contexte qui leur a donné naissance. L’histoire comporte de multiples bifurcations, des moments où le destin hésite, où le cours des choses s’inverse, où de nouveaux acteurs apparaissent, où de nouvelles règles s’imposent. A chaque fois, connaissant les suites de l’histoire, ces déviations sont oubliées et on ne retient plus que des enchaînements apparents de causes et d’effets qui se prennent pour des évidences (…).
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[Exemple d’une] «évidence» qui ne résiste pas à l’analyse, celle selon laquelle le moment essentiel de la gouvernance est celui de la décision (…). C’est ce modèle mental qui a conduit à se représenter la scène politique comme la confrontation de solutions alternatives entre lesquelles il appartiendrait au «décideur» de trancher. Cette fiction repose sur l’illusion que de multiples solutions sont concevables et à portée de la main et que la fonction politique consiste à «optimiser» le choix en fonction d’un certain nombre de critères. En réalité, plus un problème est complexe et plus l’objectif du politique est non pas de trouver une solution optimale mais de mettre au point une solution convenable, à la fois techniquement adaptée et politiquement susceptible de rallier les suffrages du plus grand nombre. Dans ces conditions, l’activité politique se déplace de la décision à son amont, au processus par lequel va être élaborée une solution convenable.
« Faire éclater les oppositions binaires traditionnelles »
Beaucoup de nos représentations sont en noir et blanc et cette vision binaire fait partie des pseudo-évidences. Il va donc falloir interroger patiemment ces représentations mentales en les considérant comme une réduction du champ des possibilités. Chaque opposition simple que l’on questionne est une véritable fenêtre ouverte sur l’avenir. En voici quelques exemples dans le champ de la gouvernance.
La démocratie représentative repose, comme l’indique son nom, sur la notion de représentant. Il y a ceux qui représentent et… les autres. On assiste, dans les périodes de crise de la gouvernance, à une véritable crispation identitaire des représentants, qu’il s’agisse des élus locaux ou nationaux, ou des syndicats «représentatifs». Ce qui est intéressant, c’est que personne ne conteste la légalité du statut de représentant, des devoirs et prérogatives qui y sont attachés: c’est bien en fin de compte aux députés de voter les lois, aux maires de prendre les décisions dans leur commune, etc., mais rien n’empêchera qu’une population de plus en plus éduquée, informée et mobile, aboutisse à une vision beaucoup plus large de la notion de «représentant» ou même par moments, la conteste au nom de la démocratie directe. Les représentations se font nécessairement multiples. Dans un quartier, les intérêts des différentes franges de la population peuvent être disparates voire antagonistes. Dans ces conditions, il appartient aux élus d’arbitrer en dernier ressort mais l’expression de la pluralité des intérêts et des points de vue ne transite pas nécessairement par leur canal. La démocratie suppose donc une multiplicité de formes de représentation dont chacune a son intérêt.
(…)
Les prémices d’une révolution de la gouvernance
Repérer les prémices d’une révolution de la gouvernance pose d’emblée un problème de gouvernance: comment disposer de moyens d’observation et d’échange pour identifier, recenser, comparer ce qui bouge dans le monde? Pour cela on ne peut s’en remettre à des dispositifs étatiques. Non parce que les administrations sont mal intentionnées mais parce que toute organisation filtre l’information qui remonte en fonction de ses propres critères de perception, de compréhension et de sélection. L’Université de son côté peut-elle jouer ce rôle d’observation? Son travail à cet égard se heurte à deux obstacles: le premier est la propension à théoriser et à généraliser sans s’appliquer à recueillir des données. La seconde
est que les Universités sont rarement organisées en réseau international d’observation. Or, c’est précisément l’émergence de phénomènes de même nature dans des pays et des domaines différents qui donne tout son sens aux mouvements en cours. Il est donc nécessaire de bâtir des réseaux d’échange d’expérience en s’appuyant si possible sur une diversité d’acteurs. Pourquoi? Pour la bonne raison que chaque acteur pris en particulier a, au même titre que l’Administration ou l’Université, ses propres intérêts et ses propres biais.
Ces derniers vont nécessairement orienter le système d’observation. Ainsi, un réseau associatif engagé dans la coopération internationale aura-t-il tendance à idéaliser l’action dans les pays du Sud d’une «société civile», aux contours bien imprécis.
Focus sur l’un des 8 points traités par Pierre Calame dans cette partie :
« Devant les déficiences des régulations publiques internationales, la société civile prend l’initiative »
Au cours des vingt dernières années, trois innovations ont marqué la vie et les débats internationaux. La première, c’est la série de conférences internationales organisées par l’ONU sur les sujets les plus divers et inaugurées par le Sommet de la terre de Rio en 1992.
La deuxième, c’est l’émergence du «phénomène ONG». (…)
La troisième innovation, c’est la création de forums internationaux qui se mettent à occuper une place significative dans la construction du débat public tout en étant des initiatives purement non-gouvernementales. Il s’agit d’abord du forum économique mondial, dit forum de Davos. (…) Depuis l’année 2001, il a été «complété» par une autre initiative: le forum social mondial de Porto Alegre. Il peut paraître provoquant de mettre les deux sur le même plan quand le second est communément présenté dans les journaux comme un «anti-Davos». L’un, le forum économique, est supposé être le haut lieu de la globalisation économique triomphante et l’autre, le sommet social, le haut lieu de la lutte contre cette globalisation. En fait, ce qui m’intéresse ici, en matière de gouvernance, ce n’est pas les thèses défendues ni même la nature des participants car dans les deux cas les participants ne reflètent pas la diversité de la société mondiale: c’est que ces initiatives reflètent de nouvelles modalités de la gouvernance. De même qu’au plan local nous avons vu la société civile venir pallier les déficiences des États, notamment dans l’action sociale, de même nous la voyons à l’échelle internationale créer les espaces de débat public et la scène politique mondiale que les institutions n’ont pas su créer.
Renvoi à d’autres textes :
lire les chapitre « I. 2. Les prémisses et les prémices d’une révolution de la gouvernance »
lire le sous-chapitre « I. 2. a. Les prémisses d’un retournement de la pensée »
lire le sous-chapitre « I. 2. b. Les prémices d’une révolution de la gouvernance »
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