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note de lecture

La Gouvernance démocratique : un nouveau paradigme pour le développement?

Note de lecture par Séverine Bellina

Par Séverine Bellina

Table des matières

Introduction

Depuis deux décennies, la gouvernance est devenue l’un des vocables les plus employés dans le champ des relations internationales en général et de la coopération au développement en particulier. Pour nombre de spécialistes,elle serait même entrée dans la fameuse catégorie des « motsvalises», buzzword, dogme, etc., qui animent les débats et fondent les actions du monde du développement. Si certaines analyses rappellent qu’un terme perd en signification ce qu’il gagne en extension, il apparaît que les usages possibles et divers de ces mots fétiches en font leur richesse (M. Sauquet et M. Vielajus dans cet ouvrage) et sont concrètement aussi importants que les significations floues et diverses qu’ils revêtent. Naviguant entre le monde des experts et celui des universitaires, entre vecteur d’analyses novatrices et simple déclinaison de « l’idiome » libéral, la gouvernance demeure une notion aux définitions multiples et une notion inachevée1. Elle est néanmoins devenue un paradigme incontournable des politiques de développement et, comme cela est souligné dans cet ouvrage (notamment par J.-M. Severino et O. Ray, M. Delmas-Marty, H. Salama), un vecteur de formulation d’un droit international nouveau.Il est important que la diversité des regards disciplinaires et culturels soient au coeur d’un débat aussi central pour le monde du développement et la communauté internationale. C’est pourquoi, le ministère des Affaires étrangères et européennes a souhaité reprendre, pour la gouvernance, la formule retenue avec l’Agence française de développement en 2007 pour explorer la notion d’États et sociétés fragiles2. Il s’agissait, sous la forme d’un échange d’analyses multi-acteurs, d’encourager la mise en perspective de la réflexion francophone et française dans un débat international où abonde une riche littérature anglo-saxonne. L’objectif était de proposer une vision originale, dépassant le cas échéant le langage et les problématiques convenues ou généralement développées dans le monde du développement et les enceintes internationales. De ce croisement de regards avait émergé, à côté d’autres réflexions, une contribution « à une féconde mise en question du concept lui-même en élargissant la problématique de la fragilité par-delà l’État aux sociétés et aux acteurs » libérant l’analyse « d’une connotation stigmatisante » (M. Diallo).

Le présent ouvrage poursuit et approfondit cette démarche autour d’une mise en débat et d’un questionnement du concept de gouvernance par un dialogue interacteurs, interdisciplinaire et interculturel pour, espérons-le, diversifier et enrichir les réflexions en cours sur la question.Une telle ambition n’était pas chose facile.

Tout d’abord en raison d’un contexte français et francophone très particulier. Pour nombre d’acteurs francophones, il paraît en effet bien établi que la gouvernance est une notion anglo-saxonne (governance), venue du monde des entreprises (corporate governance). Ainsi, ce n’est pas sans une certaine défiance, voire une véritable résistance, que le concept de gouvernance a été accueilli. Le contexte international ensuite. Car si le réflexe des acteurs francophones marquait un positionnement culturel inconscient, il traduisait également, et peut-être avant tout, pour certains, un malaise vis-à-vis d’une notion très rapidement déclinée de manière dogmatique autour de la « bonne gouvernance » (good governance) et opérationnalisée comme un instrument de réforme institutionnelle visant à l’efficacité de la globalisation. Cette appréhension demeure le plus souvent ancrée dans l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, le concept de gouvernance est généralement assimilé à cette déclinaison particulière (« bonne gouvernance »), ce qui canalise les réflexions sur quelques thèmes (transparence, lutte contre la corruption, etc.). Heureusement, là aussi, depuis quelques années, les réflexions évoluent et un débat plus ouvert s’est engagé autour de la gouvernance.

Un concept à clarifier

Toutefois, ce débat n’a pas permis jusqu’à présent de clarifier certaines confusions engendrées par la spécificité de chaque terme, de chaque approche, de chaque acteur. En résulte un champ souvent flou, pour une notion le plus souvent qualifiée de « fourre-tout », et dans lequel les spécialistes ont eux-mêmes du mal à se mouvoir alors même qu’une forte tendance novatrice se fait jour, questionnant non seulement la gouvernance des pays récipiendaires de l’aide, mais aussi la gouvernance de l’aide elle-même. Bien plus, au-delà du développement, ce sont les défis communs de l’humanité qui se trouvent mis en perspective par la gouvernance : réalités locales/universalité ; croissance économique/équité sociale ; etc. C’est bien parce que la gouvernance interroge le pouvoir et les relations entre les États et leurs sociétés que se dessine un espace de dialogue interculturel (notamment entre anglophones et francophones), porteur d’échanges, voire de convergences uniques sur le rôle de l’État et celui des sociétés dans l’institutionnalisation du pouvoir. L’un des premiers obstacles à surmonter est bien la diversité des vocabulaires utilisés par des acteurs multiples. On constate ainsi un usage indifférencié de termes aux significations pourtant bien spécifiques et qui recouvrent des enjeux différents : développement, développement économique, développement durable, développement humain et développement humain durable ; gouvernance, bonne gouvernance, gouvernance démocratique et démocratie ; etc. Même les experts les plus reconnus n’évitent pas toujours cet écueil, y compris dans les instances internationales au sein desquelles on pourrait pourtant penser que les définitions de termes communément utilisés font l’objet d’un consensus précis. L’origine et l’histoire du mot gouvernance sont un premier exemple de ces différences. Ainsi, elles sont rarement présentées de manière unique, mais varient selon les acteurs, chacun privilégiant tel ou tel aspect de ce parcours. Certes, le temps où la genèse de la gouvernance était systématiquement ramenée au secteur privé avec la corporate governance est dépassé. Et quel que soit le regard choisi, l’origine ancienne du concept de gouvernance est désormais soulignée. Bien qu’il soit possible de remonter au verbe kubeirn, utilisé par Platon, dans La République, qui renvoie à l’idée de pilotage d’un navire, le terme serait né en France au XIIe siècle, signifiant la direction des bailliages. Cependant, généralement, son origine est établie dans un sens synonyme de gouvernement. De ce point de vue, on retrouve le vocable, au XIIIe siècle, en anglais, en espagnol et en portugais. Dans la langue française, il serait ensuite devenu terme de droit (1478), pour s’employer au sens large de « charge de gouvernance » (1679). Le terme de gouvernance réapparaît dans la terminologie contemporaine par le biais de l’anglais, governance, dans le sens de management. De fait, c’est cette référence contemporaine qui demeure, inconsciemment, assimilée à l’origine de la notion de gouvernance. Bien plus, sa déclinaison particulière autour de la corporate governance, dès les années 1930, est très longtemps restée présentée comme l’origine même de la gouvernance. Cette perspective spécifique a été portée par les courants de pensées fonctionnalistes et utilitaires anglo-américains. Elle a été essentiellement développée par des experts de l’entreprise et des organisations financières et politiques, et légitimée par une partie de la recherche universitaire. Elle insuffle une dimension normative à la notion de gouvernance qui est alors diffusée comme instrument de réforme institutionnelle à des fins d’efficience autour d’une conception pragmatique et technocratique des relations sociales. Du local (notamment de l’urbain dans les années 1970) au global (avec la Commission sur la gouvernance globale en 1995 et la notion de multi-level governance au niveau européen), la gouvernance émerge dans le langage international avec comme expression dominante, et bientôt comme doctrine, la good governance ou « bonne gouvernance ». Elle s’impose donc en premier lieu comme moyen de réforme des institutions, à des fins d’efficacité, des pays en développement. Elle est fortement imprégnée par les organisations internationales. C’est ainsi qu’à partir des années 1990, sous l’impulsion des institutions de Bretton Woods, bientôt rejointes par les autres acteurs de la coopération, la « bonne gouvernance » est intégrée comme un dogme dans les politiques de développement. Rapidement, elle devient la condition de leur efficacité et justifie la transposition au secteur administratif des méthodes de gestion empruntées au secteur privé. Elle est devenue une véritable méthode de traitement des problèmes sociaux, économiques et politiques et de réforme de l’État, destinée à créer les conditions favorables aux mécanismes du marché. La « bonne gouvernance » émerge donc dans le cadre du « consensus de Washington », porteur d’un modèle de gestion publique éloigné du système étatiste conduisant à une diminution du rôle de l’État dans la modernisation et le développement (crise de l’État providence dans les pays de l’OCDE et fin de l’État modernisateur dans les pays en développement), et vecteur des politiques de plans d’ajustements structurels. Très rapidement toutefois, ces politiques ont montré leurs limites, notamment en termes d’efficacité, d’impact en matière de lutte contre la pauvreté, d’appropriation, et surtout par leurs implications sociales à partir de la deuxième moitié des années 1990. Une réflexion est engagée sur l’efficacité de l’aide, conduisant à une réhabilitation de l’action publique, qui marquera un retour vers l’État et se traduira par la réaffirmation de l’aide budgétaire par rapport à l’aide projet. Sont alors proposées des mesures visant à l’instauration de normes et d’institutions assurant un cadre prévisible et transparent pour la conduite des affaires publiques et obligeant les responsables à rendre des comptes. Cette évolution a permis de prendre en compte les aspects institutionnels et politiques du développement. Elle se traduit au niveau des partenaires au développement dès 1997 ; avec la publication du rapport de la Banque mondiale, L’État dans un monde en mutation, l’importance de l’État, dans la gouvernance et le développement, est affirmée. Elle est soutenue par le courant de l’économie néo-institutionnelle (D. North). L’économie politique revêt depuis une place grandissante dans les analyses et l’élaboration des politiques de développement. Le rôle des institutions en général, formelles et informelles, et celui de l’État en particulier, dans la production de croissance et de développement économiques, sont réhabilités. Le questionnement se déplace ainsi vers les facteurs qui génèrent la confiance entre acteurs, qui permettent de réduire l’incertitude dans les relations économiques, sociales et politiques. Pour la coopération au développement, la réponse sera trouvée dans un outillage opérationnel, tool kit, décalqué des institutions existantes dans les pays développés. Cet outillage, c’est la « bonne gouvernance » : droits individuels respectés, contrats sécurisés, administration efficace, institutions politiques démocratiques. Cette « bonne gouvernance » est présentée comme solution universelle permettant de générer la confiance nécessaire à la croissance économique. Formulé comme un ensemble de mesures techniques, s’il est approprié par les pays en développement, cet outil permet d’amorcer le développement économique. Dans cette perspective, les caractéristiques attribuées à la « bonne gouvernance » sont celles de l’efficience (rigueur budgétaire, politiques axées sur le marché, réduction du champ d’intervention de l’État et privatisation) et de la démocratie (transparence, équité, justice, promotion de l’État de droit, droits civiques et socio-économiques et décentralisation). La lutte contre la corruption constitue un axe central de la « bonne gouvernance ». Selon cette première conception, la « bonne gouvernance » implique : l’État de droit ; la bonne administration ; la responsabilité du gouvernement ; la transparence ; la participation des acteurs non gouvernementaux, notamment des entreprises privées et de la société civile. Cette approche de la « bonne gouvernance » n’a ensuite cessé d’évoluer afin de mieux prendre en compte les contextes historiques et politiques. Les conséquences de la faible, voire de l’absence d’appropriation des programmes de développement, y compris de « bonne gouvernance », ont ainsi été mises en évidence. Dès lors, l’importance non seulement du contenu des politiques économiques, mais également de la manière dont elles sont mises en oeuvre et donc des processus participatifs, est reconnue au niveau international entre les praticiens du développement. Dans ce contexte, un consensus se fait jour, au sein de la communauté des bailleurs de fonds, sur les principes fondamentaux de la gouvernance. Cela se concrétise par un engagement répété de la communauté internationale en faveur de la gouvernance (Sommet du Millénaire et Déclaration du Millénaire en 2000, Conférence de Monterrey en 2002, NEPAD, réunion du G8 à Kananaskis en 2002, etc.). Au fur et à mesure, les liens entre la « bonne gouvernance » et la lutte contre la pauvreté sont réaffirmés et la gouvernance de l’aide interrogée. Le respect des principes communs à une gouvernance favorable au développement est censé empêcher les abus dans l’exercice de la puissance publique, limiter l’arbitraire des autorités publiques et créer les conditions stables et favorables au développement économique et au bien-être des citoyens. L’objectif est de renforcer les capacités des gouvernants et des administrations à respecter et à mettre en oeuvre des principes favorisant l’adhésion et la participation de l’ensemble des acteurs aux politiques qui les concernent. Comme cela a été rappelé dans le cadre de la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide (mars 2005), l’appropriation, l’alignement et l’harmonisation constituent les trois principes indispensables pour améliorer l’efficacité de l’aide.

Un débat en devenir

On assiste depuis quelques années à une multiplication de stratégies, se voulant novatrices en matière de gouvernance. La France a ainsi adopté en 2006 une stratégie spécifique censée irriguer sa politique de coopération3. La plupart de ses partenaires européens ont fait de même. Toutefois, c’est l’adoption en 20064 de la stratégie européenne « La Gouvernance dans le consensus européen. Vers une approche harmonisée au sein de l’Union européenne » qui constitue une étape fondamentale dans le débat sur la gouvernance et plus particulièrement dans le dépassement de l’approche gestionnaire : l’approche intégrée, la dimension politique et les différents niveaux (du local au global) de gouvernance sont désormais pris en compte dans les projets de gouvernance. Le dialogue, le pragmatisme en fonction du contexte et le renforcement des capacités locales se substituent à la promotion d’un modèle uniforme. Les dimensions normatives et prescriptives de la gouvernance sont rééquilibrées par une redécouverte de sa force analytique. Elle s’affirme comme une approche permettant de mieux comprendre l’exercice du pouvoir légitime dans une société donnée et donc l’élaboration par les sociétés elles-mêmes de leurs propres modalités de gouvernance, en fonction des défis auxquels elles doivent faire face et dans le cadre des accords internationaux. Pour les politiques de développement, cela se traduit par un renversement de perspective, du moins en théorie : la logique des besoins se substitue à celle de l’offre. La sémantique change : les notions de partenariats, de dialogue, de légitimité, de processus et de long terme apparaissent plus systématiquement dans le discours et les programmes gouvernance. La « bonne gouvernance » est repensée au sein de la gouvernance démocratique. Initialement portée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) depuis 1997, elle est enrichie et devient un nouveau référentiel des politiques de développement. Cela révèle moins une dualité entre « bonne gouvernance » et gouvernance démocratique que l’évolution du champ dans le sens d’une plus grande intégration et d’une ouverture disciplinaire, sur la base des acquis et des leçons apprises de l’expérience. Le rétablissement de la dimension politique de la gouvernance rappelle de facto sa dimension analytique et donc l’ouverture des outils conceptuels et disciplinaires au-delà du champ économique. Mais cette évolution, aussi stimulante soit-elle, doit maintenant se traduire dans les pratiques du développement, or c’est loin d’être le cas. D’ailleurs, qu’il s’agisse des praticiens ou des universitaires (certains parlent même de distance), beaucoup ressentent aujourd’hui le besoin de clarifier le champ de la gouvernance, voire de la repenser. La gouvernance serait « à la croisée des chemins » (J. Bossuyt). Il conviendrait de repenser les pratiques dominantes qui se sont développées autour de la gouvernance depuis deux décennies (A. Olukoshi) et de parvenir à une nouvelle génération de projets de gouvernance (J.A. Fogaça de Medeiros, F. Ngaruko et S. Sako). Toutefois, la littérature, qu’elle soit scientifique ou institutionnelle, ne semble pas encore fournir une diversité des regards permettant de sortir de la pensée dominante sur le sujet, ni même d’aider à comprendre et traduire en politiques publiques la dynamique en cours.

Une pensée en création

Il semblait donc important d’essayer de réunir de nombreux acteurs pour laisser se dessiner les contours de la diversité du débat. Le nombre et la qualité des personnes ayant répondu à l’appel sont significatifs de l’intérêt que ce thème présente dans la réflexion sur le développement. On laissera bien entendu au lecteur le soin de tirer les enseignements des différents articles qui figurent dans cet ouvrage collectif. Mais il est intéressant de noter que si les auteurs ont été sollicités sur la base d’une problématique générale, le plan aura évolué jusqu’au dernier moment. Et plus encore, qu’au-delà de la richesse des idées, ressortent, sans que cela ait été anticipé à ce point, des axes transversaux forts. Ceux-ci ne concernent pas seulement la gouvernance de l’Autre, concrètement des pays récipiendaires de l’aide, mais aussi la gouvernance mondiale. Ils sont valables pour tous les continents. Résultant d’une analyse des leçons tirées d’une première génération de politique de développement en matière de gouvernance et, surtout, d’une réalité qui s’impose dans sa diversité et sa complexité, il est utile de souligner ces idées-force5 :

1. La nécessité de dépasser l’approche techniciste ainsi que les utilisations prescriptives et dogmatiques de la gouvernance et de son évaluation est confirmée. Presque tous les articles du présent ouvrage l’évoquent. Certains l’affirment plus directement, tels A. Olukoshi, qui appelle à « l’abandon de la notion de gouvernance telle qu’elle est le plus souvent utilisée, dans une perspective anhistorique, passe-partout et unilinéaire », traduite en termes techniques, et à « repenser les pratiques dominantes qui se sont développées […] depuis deux décennies », ou M. Sauquet et M. Vielajus qui proposent « une prise de distance par rapport à la gouvernance comme simple outillage institutionnel calqué sur les modèles démocratiques occidentaux ». C. Arndt et C. Oman rappellent notamment les limites de la logique quantitative dans l’élaboration des indicateurs de gouvernance.

2. Un consensus semble émerger également sur le rétablissement de la dimension politique de la gouvernance. Ceci implique de facto l’ouverture des outils conceptuels et disciplinaires au-delà du champ économique. J. Rojas Elgueta et P. Calame rappellent que, de l’Amérique latine à l’Asie, la croissance et le développement économiques sont certes fondamentaux mais pas suffisants : la question de la gouvernance démocratique légitime est au coeur du débat. C. Santiso montre notamment l’importance de l’analyse du pouvoir et de la légitimité politique en matière de gouvernance financière. Il s’agit de s’intéresser à tous les aspects de la gouvernance (politiques, économiques, sociaux, culturels, etc.) couvrant, selon Ph. Darmuzey, « l’ensemble des activités de la société ». Et celui-ci ajoute : « La notion de “gouvernance démocratique” exprime clairement le caractère dynamique et évolutif, multidimensionnel et politique de la gouvernance. » « . Ces idées-force sont présentées avec en référence les articles (par auteur) qui portent le plus directement sur les thèmes concernés. Pour apparaître comme idées-force, les thématiques ont été identifiées du fait de leur récurrence, voire de leur redondance dans un nombre certain d’articles du présent ouvrage.

3. Ainsi, comme le montre D. Darbon, l’analyse politique de l’articulation entre l’État, le pouvoir et les sociétés s’ajoute à l’analyse purement managériale. Bien plus, l’imbrication entre État et société, en lieu et place du fossé ou du parallélisme, est le principe de la légitimité du pouvoir. C’est tout l’enjeu de la dialectique légalité et légitimité dont le contenu exclusivement occidental est questionné (S. Mappa). En effet, la gouvernance apparaît comme une méthode d’analyse et de compréhension de l’exercice du pouvoir. Elle renvoie au processus décisionnel au sein de tous les groupements sociaux (l’État, l’entreprise, les collectivités, les associations, la cellule familiale, etc.) et à tous les niveaux (du local au mondial).

4. Le prisme de la gouvernance renouvelle l’approche des questions relatives au pouvoir politique, à l’action collective et à la gestion des conflits, intrinsèques à toute société. La décision politique fait intervenir une multiplicité d’acteurs de légitimité diverse – locaux, régionaux, voire internationaux – aux côtés de l’État. L’action collective est fondée sur des objectifs partagés. La gestion du conflit est renforcée par un accord entre les parties en opposition sur les règles de procédures qui président à la compétition politique.

5. Gouvernance et démocratie ne doivent pas être confondues, comme le rappelle A. Olukoshi, et ce même si la forme idéale de gouvernance doit être démocratique dans son contenu. La gouvernance interroge en effet la légitimité au-delà des élections et de la notion de représentation. La gouvernance « démocratique » ne désigne donc pas la finalité institutionnelle de la gouvernance, mais souligne sa nature de processus d’association à la prise de décisions (J. Rojas Elgueta) autour d’un État légitime (J.-M. Châtaigner). La gouvernance démocratique doit être légitime, insistent H. Pereira Rosa et O. Sy. Les institutions sont enracinées dans le social, montrent S. Rumin, S. Bellina et H. Magro.

6. Dès lors, le « développement institutionnel », axe fort de nombreuses politiques et projets de développement, vise aussi, au-delà de la technique, à renforcer l’ancrage sociologique des institutions et l’institutionnalisation du pouvoir pour que l’ingénierie institutionnelle soit le vecteur du pluralisme politique incarnant la pluralité sociale (M. Leclerc- Olive). Le renforcement des capacités, institutionnelles et humaines, est donc au coeur des politiques de gouvernance. Il s’agit de renforcer les capacités locales et de définir les programmes de renforcement des capacités institutionnelles en fonction du contexte politique spécifique et du parcours historique concerné (A. Dokeniya, C. Garrity et S. Pradhan). C’est que la gouvernance démocratique « ne fabrique pas un résultat mais un parcours » (J.-M. Châtaigner). Cela passe par la création d’espace d’interaction entre les acteurs (dont l’institution publique).

7. La nécessité de dynamiques multi-acteurs ou interacteurs, dans le cadre d’espaces de dialogue, fondées sur des réseaux ainsi que sur la capitalisation du savoir et des expériences, est fortement développée. C’est dans ce cadre que des politiques publiques négociées s’élaborent et que l’institutionnalisation du pouvoir s’anime, du local au global, autour de la définition de projets collectifs et de l’intérêt général. Il s’agit d’un axe majeur d’application de la gouvernance dans les politiques sectorielles et des démarches partenariales public-privé (J. Rojas Elgueta) en termes de délivrance effective du service public ou de délivrance équitable des services de base. Cela requiert un État (central et décentralisé) garant de l’intérêt général établissant l’articulation et la responsabilité réciproque des acteurs dans le cadre de politiques nationales (P. Victoria). C’est également toute la logique qui préside aux nouvelles dynamiques de gouvernance (G. Houngbo ; M.-A. Savané ; J.-P. Vidon, O. Loubière et M. Roy ; P. Laye).

8. La légitimité et l’efficacité du pouvoir, dans le contexte de mondialisation et d’action publique participative, conduisent à l’approche territoriale de la gouvernance : la recherche, pour un problème donné, de l’espace de régulation le plus adéquat et l’adaptation du périmètre des politiques publiques aux trajectoires et aux besoins des populations. Le territoire, nous rappelle C. Lopes, est l’intersection des niveaux local et global. Il est « l’espace d’articulation d’intérêts distincts et de rapports de force entre acteurs politiques, économiques et sociaux relevant de multiples échelles ». C’est, notamment, tout l’enjeu de production du territoire attaché à la dimension politique de la décentralisation (M. Tidjani Alou).

9. La gouvernance locale, ancrée dans le territoire local, constitue l’espace privilégié de mobilisation des acteurs de la gouvernance ; elle constitue un espace de vie, d’apprentissage de la citoyenneté, de confrontation des différents intérêts et des différentes sources de légitimités, de nombreuses dynamiques économiques (notamment de l’informel), de cohabitation interethnique, etc. La décentralisation de la gestion publique dans le cadre d’une gouvernance démocratique locale favorise la refondation de l’État par l’émergence d’une « citoyenneté fondée sur un nouveau contrat social » (J.-P. Elong Mbassi), par une redéfinition de l’action publique en favorisant de nouveaux modes de relations entre autorités publiques et société (J. Fogaça de Medeiros). C’est dans l’articulation entre les échelons de gouvernance que chacun se renforce. La double dynamique d’affirmation de la gouvernance locale et de l’intégration régionale est au coeur du processus de refondation politique de l’État (J.- P. Elong Mbassi). Ce sont également les enjeux de complémentarité entre la gouvernance économique, locale et nationale, et une intégration dans l’économie mondiale étudiés par F. Yatta ou encore la question de la gouvernance urbaine dans le contexte de mondialisation mise en exergue par C. Goldblum et A. Osmont.

10. La coopération au développement devrait donc changer de nature au profit de ce que J. Bossuyt qualifie de « révolution copernicienne ». L’auteur plaide pour « un changement de paradigme » dans les modes de penser l’appui à la gouvernance. Les acteurs du développement s’affirment comme des acteurs politiques à part entière dans les pays récipiendaires. La gouvernance démocratique questionne directement, écrit J.-M. Châtaigner, « notre approche du partenariat » et « in fine la place que les institutions de développement accordent plus ou moins généreusement aux pays partenaires : co-financeur, maître d’oeuvre, maître d’ouvrage, évaluateur, bénéficiaire, client, consommateur forcé, ou même “mendiant” ».

11. Naturellement, cette approche relance le débat sur la conditionnalité face à l’incitation, sur le dialogue face aux sanctions. Ce questionnement est particulièrement sensible dans la nouvelle approche de l’Union européenne, qui favorise une politique incitative (Ph. Darmuzey).

12. Enfin, repenser la gouvernance de l’aide conduit de facto à interroger « l’action collective internationale » car, précisent J.-M. Severino et O. Ray, « l’aide publique au développement cristallise les aspirations à une meilleure gouvernance mondiale ». La définition du bien commun et de l’État de droit au niveau mondial (M. Delmas-Marty) représente ainsi un enjeu majeur de l’amélioration de la gouvernance mondiale. Si les obstacles sont nombreux, notamment pour la définition du bien commun, la dynamique des biens publics mondiaux confirme que les défis posés par la gouvernance sont communs (environnement, eau, pandémies, démocratie, sécurité, etc.) et appellent à une gouvernance mondiale adaptée.

Ainsi, le présent ouvrage apparaît au final comme l’assemblage d’une pensée qui émerge avec des voix diverses retraçant des expériences et des sensibilités différentes, mais qui in fine convergent, même s’il serait sans doute présomptueux de parler d’une nouvelle tendance interdisciplinaire et interculturelle de pensée.

Cet ouvrage n’a bien entendu aucune prétention à l’exhaustivité et encore moins à la définition de vérités absolues. Il s’inscrit moins dans une démarche descriptive (ainsi de nombreux aspects traditionnels de la gouvernance ne sont pas directement traités) que dans une dynamique analytique ouvrant des pistes de compréhension, d’interrogations et de propositions. « La compréhension n’est-elle pas le projet6 ? » Cette réflexion a vocation à déboucher le plus concrètement possible sur des applications pratiques en matière de gouvernance ainsi qu’à l’élaboration par la communauté internationale de politiques de développement et d’outils adaptés aux enjeux identifiés de la gouvernance, et ce en partant des réalités.

Dans cette perspective, l’ouvrage est structuré en six parties. La première propose un tour d’horizon des enjeux de la gouvernance sur les différents continents et de la gouvernance mondiale. Les trois parties suivantes sont consacrées à ce qui apparaît comme les axes clefs, nécessitant des éclairages nouveaux, de la gouvernance démocratique. Les deux dernières parties visent, à partir de l’analyse des enjeux et des axes clefs identifiés, à proposer des éléments de réflexion et des pistes concrètes pour repenser les politiques de développement et redéployer les outils de la coopération au développement dans un sens cohérent avec le nouveau paradigme porté par l’approche de la gouvernance démocratique.

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La première partie propose un regard particulier sur les enjeux et les modes de gouvernance en cours sur chaque continent, ce, en lien avec des interrogations sur la gouvernance de l’aide dont l’impact sur la gouvernance mondiale est d’ailleurs analysé dans le dernier article. Du croisement de ces regards transparaissent les pistes qui seront explorées dans la suite de l’ouvrage, que ce soit pour approfondir la réflexion sur certains constats ou pour élaborer des propositions. En effet, il était important de planter le décor en rappelant les réalités et les ancrages socioculturels, historiques, économiques et politiques de chaque contexte particulier. Cette partie comprend cinq articles.

Dans le premier, Henrique Pereira Rosa partage les réflexions que lui a inspirées son expérience de chef d’État en Guinée-Bissau. Il montre combien les responsabilités des gouvernements des pays récipiendaires et des donateurs se rejoignent pour construire un partenariat efficace pour le développement humain. L’auteur souligne l’importance de la gouvernance démocratique légitime. Elle n’est pas synonyme de démocratisation formelle. Pourtant, c’est à ce dernier niveau qu’intervient l’appui des donateurs. Or, l’efficacité de la réforme de la gouvernance ne peut être ramenée à la technocratie gouvernementale. Elle repose essentiellement 6. G. Pambou Tchivounda, Essai sur l’État africain postcolonial, Préface de Ch. Zorgbibe, Paris, LGDJ, 1982, p. 53. sur le renforcement de la citoyenneté. C’est bien tout l’enjeu du renforcement de l’État, dans des pays en crise notamment, qui demeure l’acteur principal de la réforme de la gouvernance, du renforcement de la citoyenneté ainsi que de l’efficacité de l’utilisation des financements internationaux et du développement. Dans le deuxième article, Ousmane Sy rappelle les spécificités de la crise de la gouvernance en Afrique par rapport à celle du monde et met en exergue les enjeux de la gouvernance africaine : la gestion publique et ses déclinaisons actuelles. Il montre comment des pistes existent, autour de la décentralisation de la gestion publique, pour refonder l’État africain et plus globalement pour la gouvernance démocratique légitime adaptée aux spécificités des sociétés concernées. Car, insiste l’auteur, il ne saurait y avoir de gouvernance démocratique sans gouvernance légitime, c’est-à-dire sans gouvernance reflétant les valeurs et principes de chaque société. Dès lors, le respect des principes universels de la gouvernance passe moins par l’application d’un modèle standard préétabli (tel que proposé par les agences de coopération, notamment avec la « bonne gouvernance ») que par une réponse spécifique à chaque contexte. Pierre Calame, dans un troisième article, établit que la gouvernance asiatique, en particulier chinoise, remet en cause, si besoin en était, le modèle normatif de gouvernance prôné par les institutions internationales. Non seulement la gouvernance asiatique n’est pas un contre-exemple de ce modèle, mais, qui plus est, elle constitue un exemple sans précédent d’efficacité et de développement économiques. Cependant, l’analyse du cas chinois à travers la grille des cinq principes généraux de gouvernance élaborée par l’auteur conduit à dépasser le cadre du développement économique et à s’interroger en termes de durabilité et de développement humain. L’efficacité devient relative et la gouvernance mondiale, avec un rôle particulier de l’Europe, est invoquée.

Dans le cinquième article, Jaime Rojas Elgueta présente l’expérience de l’Amérique latine. Les enjeux de la gouvernance se cristallisent autour des inégalités sociales qui accompagnent la croissance économique, faisant de cette région un « véritable paradoxe économique et social ». L’inefficacité des politiques d’aide au développement est soulignée. La gouvernance est au coeur de l’action politique dans la région avec comme pierre angulaire la participation des citoyens, du secteur privé (avec un rôle clef à jouer par les petites et moyennes entreprises) et des autres acteurs, car la cohésion sociale est l’enjeu de la gouvernance démocratique en Amérique latine. L’importance du local et de la gouvernance municipale, ainsi que du partenariat avec l’Europe est souligné. En résonance à ces analyses, l’article de Jean-Michel Severino et Olivier Ray expose le rôle central de l’aide publique au développement, dans la construction d’une politique publique globale, permettant de répondre aux enjeux communs de la gouvernance mondiale. Tel un prisme, elle révèle les champs possibles d’une gouvernance mondiale renforcée, les « difficultés structurelles » de « l’action collective internationale » dont le noyau dur réside dans l’appréhension commune du « bien commun ». La question de la définition de ce dernier et les difficultés rencontrées pour ce faire montrent bien que les différences de perceptions et de pratiques, là aussi, sont concrètement ancrées dans des histoires, pratiques socioculturelles, valeurs et « mythologies politiques » différentes – et peut-être même inconciliables – entre les nations occidentales, d’une part, et l’ensemble des nations, d’autre part.

Ces ancrages socioculturels et historiques des processus de gouvernance fondent la nature éminemment politique (au sens générique) de celle-ci et forgent la légitimité du pouvoir politique, que la deuxième partie explore afin de mettre en exergue les dimensions clefs sousjacentes de la gouvernance démocratique. Le pouvoir politique et encore moins la capacité de l’État (la régulation politique) ne sont figés et déracinés de leur terreau culturel et social, écrivent les auteurs dans cinq articles dédiés aux questions de légitimité, de pouvoir et d’institution.

Michel Sauquet et Martin Vielajus ouvrent cette réflexion en montrant que toute la richesse du concept de gouvernance réside dans son approche comme l’ensemble des processus qui permettent la mise en place de régulations économiques, sociales et politiques véritablement adaptées aux réalités des sociétés. Cette perspective conduit à se dégager de référentiels normatifs et prescriptifs. Elle force la réforme des politiques de développement autour de la prise en compte de la légitimité et de l’enracinement du pouvoir, du rôle des acteurs non étatiques, et de celui du niveau local et de son articulation avec les autres échelles de gouvernance. Ce faisant, c’est la réalité des dynamiques et structures politiques de chaque société, y compris occidentale, qu’il convient d’analyser. C’est aussi le constat réalisé par Sophia Mappa, qui propose de s’arrêter, le temps d’un deuxième article, sur les notions de légalité et de légitimité : l’auteur de rappeler que celles-ci restent ancrées dans la théorie et la pratique du pouvoir politique européen et occidental. Dès lors, rétablir ces notions au coeur de la gouvernance et interroger les politiques de développement au travers de ce prisme ne conduirait-il pas, en toute cohérence, à dépasser le référentiel actuel fondé sur les valeurs occidentales ? État, pouvoir et société ne peuvent être pensés de manière autonome. Leur non-imbrication est même caractéristique de la fragilité du pouvoir politique, de l’État et des sociétés qu’il est censé réguler. Dominique Darbon montre, dans un troisième article, que la gouvernance offre une lecture des relations État, pouvoir et société, qui de managériale est désormais également devenue politique. Cela favorise la compréhension de la réalité et de sa complexité, celle du fonctionnement social et politique. L’auteur procède à cette analyse avec la notion d’États et de sociétés projetés, dans laquelle l’imbrication, entre le pouvoir politique et les sociétés, devient le principe même de la gouvernance démocratique et de la refondation/reconstruction de l’État et de la société. Ce sont précisément les pratiques de nation-building, state-building et refondation de l’État que Michèle Leclerc-Olive analyse dans son article. Elle plaide pour des politiques de refondation de l’État autour de la légitimité et sur des bases proprement politiques. L’ingénierie institutionnelle devient alors le vecteur du pluralisme politique, incarnant la pluralité sociale, et non plus celui d’une vision techniciste et instrumentale de la démocratie ou celui répondant au référentiel de la refondation culturelle avec ses risques de fragmentations ethniques et religieuses. Massaër Diallo, dans le cinquième et dernier article de cette partie, parvient à des conclusions similaires sur le rôle de la gouvernance démocratique et la sortie de crise. La durabilité de la sortie des crises, qui passe aussi par la prévention de leur répétition ou, en amont, de leur apparition, requiert de toujours tenir compte des corrélations existantes entre histoire, sociologie, fragilités étatiques et conflits. Cela doit être pris en compte et permettre une meilleure contextualisation des interventions et réponses aux crises, notamment dans le cadre multilatéral prévalant, dont l’auteur rappelle, par ailleurs, la plus-value.

La gouvernance légitime est donc intimement liée à son enracinement dans les cultures et à la prise en compte de l’historicité des sociétés, d’une part, ainsi qu’au respect des principes communs ou universaux que sont les droits de l’Homme, la démocratie et l’État de droit. Ces deux vecteurs de légitimité de la gouvernance ne sont pas antinomiques. Bien au contraire, ils s’inscrivent dans une dialectique dynamique qui doit empêcher tout repli en termes de relativisme culturel ou d’universalité comme instrument d’une culture dominante. La gouvernance démocratique inscrit la dialectique diversité-universalité dans une perspective qui dépasse celle de simples référents techniques ou normatifs, attachés à l’ordre international supra-étatique moderne.

Les cadres du débat sont ainsi posés par Adebayo Olukoshi, qui plaide pour un abandon des pratiques prescriptives dominantes dans le champ de la gouvernance. Car, montre-t-il, si la « forme idéale » de gouvernance est démocratique, gouvernance et démocratie ne sont pas pour autant synonymes. La légitimité du pouvoir constitue un préalable à la gouvernance démocratique, qui ne peut, par conséquent, aucunement être ramenée à une conception purement technocratique mais doit au contraire être réhabilitée comme une dynamique permanente, intégrant les relations de pouvoir et les parcours historiques, avec ce que cela implique de nonlinéarité et d’enracinement réel de la démocratie et de la légitimité sur le long terme. Dans le deuxième article de cette partie, Ibrahim Salama montre que la dialectique droits de l’Homme-gouvernance nécessite de dépasser les tendances au syncrétisme et de déverrouiller certains tabous. En effet, l’intégration des droits de l’Homme dans la gouvernance questionne le droit international. Elle pousse à l’affirmation d’un droit au développement, d’une part, et conduit à « démystifier » l’idée de particularités culturelles afin d’en dégager tout le potentiel positif et de ne pas tomber dans le relativisme ; d’autre part, elle plaide pour qu’indivisibilité et universalité des droits de l’Homme deviennent les véritables moteurs de la gouvernance. C’est également en référence au droit international et à la gouvernance mondiale que Mireille Delmas-Marty analyse la relation entre gouvernance et état de droit. L’affirmation croissante du concept d’État de droit au niveau national questionne inéluctablement le niveau international et le respect par la société internationale de principes de droit au-delà du droit inter et supra-étatique. C’est par l’hybridation des méthodes de gouvernance et de l’État de droit, à savoir dans la co/ordination des relations entre les acteurs et la sub/ordination des pouvoirs, que l’auteur propose de créer « le monstre juridique » destiné à encadrer la gouvernance mondiale. Les deux derniers articles de cette partie éclairent quant à eux les axes démocratie, droits de l’Homme et État de droit à travers le prisme de la gouvernance financière. Carlos Santiso montre notamment l’importance au niveau national du rôle des Parlements et de la démocratie budgétaire qui éclaire, selon l’auteur, l’un des défis de la gouvernance démocratique dans les pays en développement et les économies émergentes : l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Ainsi en matière budgétaire, la compréhension des relations entre les prérogatives du gouvernement et la souveraineté parlementaire passe par une analyse des jeux de pouvoir et des arrangements formels et informels. Des pistes nouvelles émergent en termes de réformes institutionnelles et du rôle des Parlements pour renforcer la démocratie budgétaire. Ce sont également des axes de réformes de la gestion des finances publiques pour plus de transparence et de gouvernance démocratique, mais cette fois-ci au niveau international, qui ressortent de l’analyse de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), que Jean-Pierre Vidon, Olivier Loubière et Michel Roy présentent dans le dernier article de cette partie. L’ITIE propose une démarche multi-acteurs et un processus intégré pour lutter contre la corruption. Il s’agit non seulement de lutter contre la mauvaise gestion des ressources naturelles, mais aussi de parer à cette source de fragilisation et de conflits, misant sur la consolidation de la gouvernance démocratique.

Les chapitres précédents ont conduit du local au global, rappelant que la gouvernance, tout en étant profondément ancrée dans des territoires, résulte d’une articulation permanente entre ces derniers. L’affirmation de la gouvernance démocratique est corollaire de celle de la dimension territoriale de la gouvernance.La quatrième partie est dédiée à cette question. Gouvernance mondiale, intégration régionale, gouvernance locale et territoire( s) de la gouvernance s’imposent en effet comme des dimensions stratégiques de la gouvernance.

Le premier article, dû à Carlos Lopes, présente l’ensemble des enjeux qui sont attachés à la gouvernance locale pour permettre aux pays de relever le défi du développement, de la mondialisation et de lutter avec succès contre la pauvreté. Le territoire s’impose comme l’espace de création de solutions adaptées à la complexité des mutations d’un monde « glocalisé » autour « du renforcement de capacités locales en faveur d’initiatives de développement participatives et multipartenariales, fondées sur des réseaux de transferts de savoir entre acteurs du Sud ». Jean-Pierre Elong Mbassi rappelle ensuite que la légitimité de l’État en Afrique relève désormais d’un double mouvement : celui de la décentralisation et de l’intégration régionale. Si les deux participent « à » et « de » la refondation de l’État, des difficultés demeurent et des craintes quant aux risques de fragmentation de l’État perdurent. Pourtant, la décentralisation de la gestion publique procure plus de pouvoir aux autorités locales et aux acteurs non étatiques. De même, elle favorise l’émergence d’une « citoyenneté basée sur un nouveau contrat social », adaptée à la réalité sociopolitique des sociétés. Dans un troisième article, Mahaman Tidjani Alou analyse la dimension territoriale de la décentralisation et son implication dans la redéfinition des rapports entre l’État et le local. Deux pistes sont ainsi dégagées par l’auteur : la décentralisation comme politique de production territoriale et comme dynamique de construction territoriale, l’une renvoyant au rôle de l’État et l’autre à la structuration formelle de celui-ci. Évoquant le défi particulier de la gouvernance urbaine dans le contexte de mondialisation, Charles Goldblum et Annik Osmont expliquent le difficile paradoxe : l’intégration des villes dans l’économie mondiale est parfois peu compatible avec la démocratie locale participative. Au croisement des phénomènes de mondialisation, de décentralisation, d’urbanisation, François Yatta montre les déterminants de la gouvernance économique locale en Afrique, ainsi que sa complémentarité nécessaire avec la gouvernance économique nationale. Bien plus, l’auteur met en exergue les axes qui permettent à ces deux dimensions de se renforcer mutuellement. C’est une approche intégrée de la gouvernance locale, fondée sur la participation et l’équité, que José Fogaça de Medeiros présente avec les programmes de gouvernance solidaire locale. Il s’agit de redéfinir l’action publique, au niveau local, autour des principes de pluralité, de dialogue et de consensus, en favorisant de nouveaux modes de relations entre les autorités publiques et la société. L’expérience de Porto Alegre montre que de telles dynamiques sont porteuses de confiance mutuelle entre les acteurs. La participation repose sur l’existence d’espaces de débat et sur les échanges possibles entre les acteurs. Pour Pierre Laye, c’est tout l’enjeu de la médiation urbaine, dont il propose une analyse et des pistes d’institutionnalisation dans le dernier article de cette partie.

Dans la cinquième partie, les auteurs analysent les politiques de développement, procèdent à leur critique et émettent des propositions pour les transformer dans une perspective de gouvernance démocratique. La nature des programmes, le changement institutionnel, les évolutions du dispositif politique des partenaires au développement, ainsi que la gouvernance de l’aide sont mis en perspective.

C’est que dans ce domaine, comme le montre Jean Bossuyt dans le premier article, au-delà de la complexité inhérente à la promotion de la gouvernance, les approches des bailleurs de fonds sont également questionnées. Ainsi, l’auteur plaide pour un changement de la culture de travail de ces derniers. La gouvernance traduit en effet une véritable « révolution copernicienne » de l’aide internationale, qui de fondamentalement financière et technique devient politique. Cela implique un changement de paradigme, les agences d’aide devant assumer leur rôle d’acteurs politiques. Ainsi, la plupart des partenaires au développement revoient leur dispositif institutionnel et politique à l’instar de la Commission européenne, dont l’article examine l’évolution des politiques et outils. Toujours à partir de l’expérience européenne, Philippe Darmuzey présente les innovations et les mutations induites par l’adoption, en 2006, du consensus européen en matière de gouvernance, lequel place la gouvernance démocratique au coeur de l’action extérieure de l’Union européenne. Proposant une approche pragmatique et élargie de la gouvernance, le consensus vise à établir un véritable partenariat incitatif avec les pays récipiendaires. La mise en oeuvre de recettes reflétant un modèle d’État universel à appliquer pour être reconnu par la communauté internationale serait ainsi définitivement dépassée, affirme l’auteur, au profit de la responsabilité partagée et d’un engagement à long terme dans le respect de l’appropriation. L’aide européenne encourage les pays partenaires à engager des réformes destinées notamment à renforcer la légitimité du pouvoir, et partant un État stable et accepté par tous, porteur de démocratie. Dans la contribution suivante, le Bureau pour le développement des politiques du PNUD rappelle que la « bonne gouvernance », pour le développement humain et l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement, est la gouvernance démocratique. Pour le PNUD, la gouvernance de nature démocratique est fondée sur la participation de tous à l’élaboration des décisions qui les concernent, d’une part, et sur des États « réactifs » (capables de répondre efficacement aux demandes des citoyens) et responsables (redevables, transparents, etc.), d’autre part. L’approche et les axes prioritaires de l’action du PNUD en matière de gouvernance démocratique (participation, capacités de gouverner de manière réactive et responsable, respect des normes et principes internationaux reconnus au niveau des droits de l’Homme, de l’égalité hommesfemmes et de la lutte contre la corruption) sont présentés. Dans le quatrième article, Anupama Dokeniya, Colum Garrity et Sanjay Pradhan montrent que la nouvelle stratégie de promotion de la gouvernance et de lutte contre la corruption de la Banque mondiale (2007) insiste sur l’impact positif des institutions sur la croissance à long terme et sur la réduction de la pauvreté. L’action de la Banque éloigne l’application de toute formule unique visant à renforcer, et non à substituer, les capacités locales, à concevoir les programmes-pays en fonction du contexte politique initial et en fonction des processus historiques à long terme qui déterminent les modalités et les limites de la réforme des institutions. Il s’agit de renforcer la demande de gouvernance et de développer les réseaux et partenariats multi-acteurs fondés sur la responsabilité mutuelle et la transparence dans le suivi, afin d’améliorer la gouvernance et de favoriser un développement réel et la fourniture efficace de services. Séverine Bellina et Hervé Magro reviennent, pour leur part, sur la dialectique État et gouvernance. Avec la gouvernance, le rôle de l’État est affirmé ; or de la « bonne gouvernance » à la gouvernance démocratique, le diagnostic et les actions proposées varient. Revisitant les approches développées pour analyser l’État en Afrique, les auteurs rappellent que les questions de légitimité et d’institutionnalisation du pouvoir, et donc d’action publique, sont au coeur des défis de la gouvernance. Les approches fondées sur la référence à un modèle unique, le transfert de normes et de techniques, loin de consolider ces derniers et de favoriser la refondation de l’État, les fragilisent. Le caractère nécessairement endogène des processus de développement est également au centre de la contribution de Nicolas Meisel et Jacques Ould Aoudia, qui proposent un retour sur l’analyse des institutions en économie et sur l’évolution du rôle attribué à celles-ci dans les politiques de développement. Les auteurs rappellent le coeur institutionnel des processus de développement, qui s’inscrivent dans des registres politiques, grâce à l’approche proposée par l’économie politique. C’est également du rôle de l’État dont il est question dans la contribution de Pierre Victoria, qui propose le point de vue du secteur privé et des politiques sectorielles, telles que celle fondamentale de l’eau. L’auteur montre que l’efficacité des actions de développement et l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement dans ce domaine relèvent moins de questions techniques et/ou financières que de gouvernance. Un État, garant de l’intérêt général dans le cadre de politiques publiques nationales, assurant l’articulation des responsabilités entre les acteurs (nationaux/locaux et opérateurs privés) est le meilleur gage d’un partenariat public-privé fondé sur la confiance et garant, pour les populations, de la délivrance effective du service public et du développement humain durable. Soumana Sako et Floribert Ngaruko concluent cette partie par un plaidoyer en faveur d’une seconde génération de réformes de gouvernance. L’évolution des politiques de développement vers l’affirmation de l’importance des capacités humaines, organisationnelles et institutionnelles, la participation et l’enracinement comme qualité intrinsèque des politiques publiques, et le développement humain durable sont à l’origine de l’affirmation de la gouvernance comme approche du développement depuis presque deux décennies. Cependant cela ne suffit pas à construire une approche suffisamment élaborée de la gouvernance, susceptible de pallier les contradictions et divergences existant dans la mise en oeuvre de la gouvernance. En effet, au-delà de l’affichage politique, la gouvernance reste opérationnalisée en fonction des agendas spécifiques de chaque partenaire, comme un instrument de pression, voire de conditionnalité avec des résultats peu probants.

La sixième et dernière partie est consacrée à l’identification, à la présentation et à l’analyse de propositions d’outils de coopération au développement adéquats pour la gouvernance démocratique. Les cinq articles de cette partie identifient les dynamiques indispensables d’accompagnement de la gouvernance démocratique sur la base desquelles il convient d’approfondir ou de penser la nouvelle génération d’outils de coopération.

Dans le premier article, en référence aux fameuses boîtes à outils (tool kit) destinées à mettre en oeuvre les politiques et projets de développement, Jean-Marc Châtaigner met en exergue le paradoxe actuel et les mutations nécessaires pour qui veut développer les instruments de la gouvernance démocratique. C’est que celle-ci, avec sa double dimension (approche et dispositif), bouscule, voire inverse les pratiques de la coopération au développement et la gouvernance de l’aide, puisque le rôle des pays partenaires devient central. Les objectifs et la nature même des outils de l’aide changent : il s’agit de permettre aux sociétés de développer leurs propres modalités de gouvernance. Ce sont bien la temporalité (des programmes et des résultats), la qualité même de l’intervention des bailleurs (inclusive, en réseau) et la nature même de l’évaluation (selon le contexte et les processus en cours) qui sont en jeu. Gilbert Houngbo illustre cette nécessité impérieuse de renforcer les outils innovants pour soutenir une approche nouvelle de la gouvernance qui permette à l’Afrique de dépasser les déficits structurels dans le domaine et d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement. Les initiatives phares citées par l’auteur sont au coeur d’un réajustement de l’appui du PNUD aux programmes de gouvernance en Afrique. Autour du partenariat et centrées sur les dynamiques locales (des populations et des politiques nationales), elles visent, par des processus de débats, à concevoir des moyens de réinventer la gouvernance et de renforcer la démocratie. Citoyenneté et capacités des États sont appelées au coeur de la gouvernance démocratique en Afrique. Serge Rumin nous explique, à travers l’exemple de la justice transitionnelle, que le renforcement des capacités institutionnelles ne peut plus être fondé, comme c’est généralement le cas dans les programmes actuels, sur une approche fonctionnaliste des institutions, qui en néglige l’aspect fondamental, à savoir l’origine sociale de celles-ci. C’est donc bien sur la cohésion et la régulation sociales que l’objectif du renforcement des capacités institutionnelles se focalise. Les outils d’appui doivent donc permettre les échanges, les liens et les interactions entre institutions et sociétés. Le contexte exacerbé de déconnexion entre institutions et sociétés, caractéristique des situations de fragilités, favorise cette analyse, qui est valable pour tous les programmes et instruments de renforcement des capacités institutionnelles dans une perspective de gouvernance démocratique. Dans le quatrième article, Christiane Arndt et Charles Oman nous montrent les limites des indicateurs de gouvernance ainsi que les précautions nécessaires afin d’éviter des utilisations « problématiques » ou « erronées » de ces derniers, surtout lorsqu’il s’agit de décider d’investir ou de déterminer la qualité de la gouvernance dans un pays. Les limites de ces outils résident dans leur logique quantitative, et c’est en devenant plus spécifiques et surtout plus transparents qu’ils pourraient être améliorés. Outil d’évaluation innovant et processus de gouvernance unique, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) est décrit par Marie-Angélique Savané dans le cinquième article de cette partie. Si le MAEP est désormais reconnu par l’ensemble des acteurs comme l’outil africain le plus novateur en matière de gouvernance démocratique à l’échelle du continent, l’auteur rappelle qu’il demeure encore trop méconnu dans son économie et aussi dans le processus de gouvernance qu’il incarne. Le succès et l’efficacité accrue du MAEP passent par une meilleure connaissance et la compréhension des axes clefs et des enjeux de ce dernier afin d’en permettre la critique et l’amélioration, et donc une plus grande appropriation par les acteurs africains eux-mêmes.

Notes

1. G. Hermet, A. Kazancigil et J.-F. Prud’homme (dir.), La gouvernance. Un concept et ses applications, Paris, Karthala, 2005, p. 7.

2. J.-M. Châtaigner et H. Magro (dir.), États et sociétés fragiles. Entre conflits, reconstruction et développement, Paris, Karthala, 2007.

3. Stratégie gouvernance de la coopération française, disponible également en anglais et en espagnol, déc. 2006. www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/gouvernance_ 1053/index.html.

4. COM (2006) 421 final. eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2006:0421:FIN:FR:PDF.

 

Voir Aussi