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Entrevista

Analyse et perspective d’un parti islamique au Maroc

Lahcen Daoudi

Por Zineb Gaouane, Madeleine Elie

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Lahcen Daoudi

Lahcen Daoudi est membre du Secrétariat général du Parti islamiste marocain de la Justice et du Développement (PJD) et Vice-Président de la Chambre des Représentants.

Q-Quel rôle joue le Parti de la Justice et du Développement  dans le paysage politique marocain ? Et comment voyez-vous son avenir ?

Le PJD joue d’abord un rôle politique. Il lui revient la lourde tâche de décliner une lecture politique de l’Islam. C’est une grande responsabilité, parce que d’autres partis se revendiquent aussi de l’islam et estiment que  nos « thèses n’ont rien à voir avec l’islam » ; de l’autre côté, on nous accuse d‘intégrisme. Nous sommes pris entre le marteau et l’enclume.

Notre mission, la plus difficile, est de développer une culture de la modération. Le PJD se considère comme un barrage contre les interprétations excessives de l’islam. Il a joué un rôle important lors du débat sur la réforme du statut de la femme. Sans le PJD, il aurait été possible que la situation vire à la quasi guerre civile. Il existe un courant gauchisant qui importe au Maroc des concepts élaborés en Occident. Je respecte l’Occident, mais transposer telles quelles des idées et des pratiques politiques occidentales dans la société marocaine provoque leur rejet. La société marocaine a réagi, en réaction, contre le projet de réforme du statut de la femme. Le PJD a assuré un rôle de médiation entre le pouvoir et la population en participant, modelant et surtout en cautionnant cette réforme. Nous avons voté au nom de tous les gens qui se revendiquaient de l’islam.

La société marocaine a beaucoup progressé depuis 1996, année de naissance du PJD. Même si nous n’avons pas pu capter toutes les formes d’expression de l’islam, nous avons clairement consolidé une interprétation modérée de l’islam dans la société marocaine.

La tâche s’avère d’autant plus ardue qu’en même temps, les autres partis, qui ont peur de perdre leur place, désignent le PJD comme un parti extrémiste. Nous avons néanmoins fait reconnaître le vrai visage du PJD, et les fonctionnaires comme les cadres sont de plus en plus nombreux à y adhérer. Alors que nous touchions seulement une certaine frange de la société, des intellectuels se joignent aujourd’hui à nous, ce qui témoigne de l’acceptation de nos thèses par un ensemble plus large de la société.

Nous souhaitons qu’un maximum de personnes puissent intégrer le champ politique pour jouer dans la transparence. Un mouvement comme Adl wa al Ihssane refuse en revanche catégoriquement d’entrer dans le jeu politique.

Le PJD tire sa force de deux choses : d’une part, le gouvernement ne répond pas aux attentes des Marocains et engendre des mécontents – que nous drainons en tant que parti de l’opposition  ; d’autre part, le projet de société et le discours du PJD sont en phase avec la réalité marocaine. Nous n’importons pas le discours de Marx ou celui du libéralisme pour le greffer sur la société marocaine. Aucun de ces deux discours ne correspond à la réalité marocaine. A l’inverse, le nôtre s’enracine dans cette société.

Notre parti est formé d’un noyau dur de 10 000 personnes au plus, dont la capacité de mobilisation est infiniment supérieure à celle des autres partis. Notre base sociale militante est essentiellement constituée d’étudiants, de professeurs, d’infirmiers en ville et d’instituteurs dans le monde rural. L’entrée au parti est très sélective. En ce moment, nous privilégions le recrutement de cadres qui représentent la « matière grise » du parti.

Q-Concrètement, quel est votre projet de société ?

Il n’existe pas de modèles, mais seulement des expériences. Le modèle est le produit d’une société où il a été greffé : vous ne pouvez pas le transposer comme une marchandise. Nous préférons partir de la réalité de notre société pour formuler des propositions compatibles avec notre milieu. En tant que musulman, nous possédons notre spécificité, notre civilisation.

A propos des droits de la femme, il faut se souvenir que la première université islamique a été construite au IXè siècle à Fès, par une femme, Fatima Fihria. A la même époque en Occident, on se demandait si la femme avait une âme ! En France, les femmes n’ont eu le droit de posséder un compte bancaire qu’en 1956, alors qu’au Maroc les femmes existent indépendamment de leur mari du point de vue personnel et patrimonial.

Nous sommes fiers de notre identité marocaine. S’il existe ici des solutions, tant mieux, appliquons les et sinon restons ouverts. Prenons l’exemple du tourisme. Le PJD souhaite attirer au Maroc un million d’Européens retraités résidents, car le principal créneau actuellement, c’est l’économie résidentielle. Nous ne sommes pas fermés sur nous-mêmes ; nous avons voté les accords de libre-échange avec l’Europe, et n’avons pas voté contre ceux avec les Etats-Unis. Nous nous sommes contentés de nous abstenir, car il est impossible de travailler avec l’administration Bush.

Dans un contexte international d’ouverture, nos pays doivent être compétitifs, or à l’inverse ils régressent ! Il faut investir dans le capital humain, former les gens et aussi lutter contre la corruption. Ce sont là deux valeurs fondamentales, et les principaux chantiers du PJD. Seule l’école favorisera l’émancipation des jeunes filles.

On ne changera pas la réalité par les textes, mais sur le terrain. L’école pour tous constitue une priorité du PJD. Or, les textes actuels ne sont pas applicables, ils ont été rédigés pour montrer à l’Occident : « Regardez, le Maroc est très développé, il a les mêmes textes que vous ». Mais la réalité marocaine n’a pas changé. Le PJD, lui, souhaite un changement sur le terrain…

Q-Quelles sont vos priorités ?

Notre première priorité consiste dans la lutte contre la corruption. Ensuite, dans le capital humain. Je rêve que le Maroc devienne une société de la science, qu’il cesse d’exporter uniquement des matières agricoles et qu’il exporte des marchandises à forte valeur ajoutée. Le Maroc a la chance d’être situé près de l’Europe, le plus grand marché mondial, mais il doit devenir compétitif. Si un million d’Européens résident au Maroc, auxquels peuvent s’ajouter dix millions de touristes ponctuels, il ne sera plus nécessaire d’exporter des tomates et des haricots. Ils leur seront servis directement dans leur assiette au Maroc!

Le Maroc a changé, mais il faut aller plus vite,  au rythme de la mondialisation. La finalité est que le pays devienne compétitif au niveau international.

Q-L’islam vous semble-t-il un moyen d’arrimer le Maroc à la“ locomotive“ de la mondialisation ?

Le meilleur moyen pour accélérer le changement est de proposer aux gens un discours qu’ils comprennent. Les mots de compétitivité ou de qualité ne sont guère compréhensibles pour une partie de la population. Mais quand on cite en arabe des versets du Coran qui évoquent ces notions, le peuple les comprend. La pédagogie aux enjeux de l’internationalisation réalisée par le parti transforme les gens de l’intérieur, en utilisant leurs propres référentiels, sans avoir à importer des notions qui leur sont extérieures.

Q-Vous utilisez un discours sur la religion familier aux Marocains et vous le transposez au niveau politique. Dans ces conditions, pourquoi faites-vous peur?

Certaines personnes ont peur de nous parce qu’elles ne nous connaissent pas. C’est à nous de savoir nous présenter à ces personnes. D’autres personnes ne nous aiment pas parce qu’elles ont peur pour leur propres intérêts, et celles-là ont raison d’avoir peur.

Q-Etes-vous favorable au port du voile par les femmes ?

L’islam prône que la femme est responsable de choisir la voie qui lui convient. A elle d’assumer ses choix. Au PJD, les femmes occupent pleinement leur place. Notre parti est celui où les femmes sont les plus nombreuses au sein du Parlement.

Q-Rejetez-vous l’extrémisme ?

C’est l’islam qui rejette l’extrémisme, ce n’est pas le PJD. Toutes les sociétés sécrètent des extrémismes, qui s’emparent de l’idéologie dominante pour s’exprimer. Dans le monde musulman, cette idéologie, c’est l’islam.

Le monde a toujours été traversé par un conflit idéologique et un rapport de forces pour une position internationale dominante. Le libéralisme a perdu son principal ennemi, le communisme. Il est désormais entré en lutte contre l’islam en tant qu’idéologie contraire au libéralisme. Pour mener ce combat, il a besoin de démontrer que l’islam équivaut au terrorisme.

Lorsque l’islam consiste seulement à faire sa prière et à jeûner, les puissances libérales ne le considèrent pas comme dangereux. Mais dès qu’il devient un projet de société, elles le perçoivent comme dangereux, car il menace alors la puissance du dominateur.

 

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