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Entrevista

La gauche marocaine et la transition démocratique

Driss Lachgar

Por Zineb Gaouane, Madeleine Elie

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Driss Lachgar

Driss Lachgar est le président du groupe USFP (Union Socialiste des Forces Populaires) à la Chambre des Représentants.

Cet entretien est partiellement traduit de l’arabe.

Q-Pensez-vous les pays du Maghreb  constituent un ensemble homogène, politiquement, socialement et culturellement cohérent, avec des spécificités propres ?

Historiquement et géographiquement, le Maghreb constitue une région homogène. Géographiquement, les pays sont reliés par la Méditerranée. Les pays situés au sud de cette mer sont tous influencés par une histoire commune aux deux rives de la Méditerranée..

L’histoire commune des pays de la région ne se traduit pas par des trajectoires politiques identiques, bien au contraire. La divergence est ainsi très forte entre les pays ayant choisi le parti unique et ceux ayant optés pour le multipartisme.

Les problématiques politiques sont assez voisines, même si elles se posent à des degrés d’intensité différents : c’est le cas du phénomène amazigh, de l’unité linguistique, des problèmes religieux liés à la montée de l’islamisme, etc. Mais le traitement de ces divers problèmes diffère d’un pays à l’autre. Par exemple, l’Algérie a fait le choix d’annuler les élections au lendemain de la victoire des islamistes, alors que le roi du Maroc a déclaré qu’il accepterait le résultat des élections législatives de 2007, quelle que soit la majorité sortante.

Q-La Libye occupe-t-elle une place spécifique au sein des pays du Maghreb ?

La Libye diffère des trois autres pays du Maghreb. La révolution libyenne de 1969 l’a éloignée du reste du Maghreb. L’ouverture récente du pays et son souci de réconciliation avec l’Occident favoriseront peut être sa réintégration dans la région.

Paradoxalement la Mauritanie, semble plus facilement intégrable à l’ensemble maghrébin.

Q-En tant que membre du parti socialiste marocain, quelle est votre perception du rôle   et de la place des différents partis de gauche au Maghreb ?

La notion de parti politique ne recouvre pas la même réalité dans les différents pays du Maghreb. Le Maroc fait exception, le royaume ayant opté pour le multipartisme dès l’indépendance. Dans les autres pays, seul le parti en lutte contre le colonisateur a gouverné après la déclaration d’indépendance – le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) en Tunisie et le Front de Libération nationale (FLN) en Algérie. A l’inverse, au Maroc, le parti qui a mené le pays vers l’indépendance s’est retrouvé dans l’opposition. Le Maroc se différencie là de la plupart des pays du tiers-monde.

Ce point de départ explique aussi pourquoi les socialistes marocains regardent toujours vers le Nord et non pas vers leurs voisins, auxquels ils ne s’identifient guère. La situation a légèrement changé avec la création dans les années 1980 d’un parti kabyle en Algérie, le Front des Forces socialistes. Ce parti, effectivement de gauche, fait partie, comme nous, de l’Internationale socialiste. En Tunisie, il convient de parler d’une « gauche du gouvernement » qui a révolutionné la société tunisienne il y a cinquante ans avec Bourguiba.

Nos alliances se nouent plutôt avec des partis « national-démocrate », qui ont lutté pour l’indépendance comme le: FLN (Front de libération nationale) et le Front des forces socialistes en Algérie ou le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) en Tunisie. Les liens entre ces partis, nés pendant la lutte pour l’indépendance, ne sont pas forcément des liens entre des partis de gauche.

Q-Quelles sont les origines de l’Union Socialiste des Forces Populaires?

L’UNFP (Union nationale des forces populaires), devenue ensuite USFP, a été créée en 1959 à la suite de la réunion des « communes unies de l’Istiqlal », représentant « la gauche » de ce parti.

Q-Quelle place dans l’échiquier politique vous semble occuper les islamistes?

Les islamistes font partie de l’extrême droite en ce sens qu’ils demandent de revenir quatorze siècles en arrière pour réinstaurer l’institution du califat ou pour que la femme mette le voile.

Q-L’institution monarchique incarne–t-elle des valeurs de droite ?

Pas vraiment. La divergence entre l’opposition et la monarchie se situe sur un autre terrain. Une grande question divise les Marocains depuis 1956. La monarchie avait pour priorité la construction et l’édification d’un Etat fort. En revanche, les mouvements nationaux ayant lutté pour l’indépendance avaient pour priorité la construction d’un Etat marocain démocratique. Cette divergence a poussé les partis politiques ayant lutté pour l’indépendance à passer dans l’opposition. .

Q-Vous avez déclaré le 8 mai 2006 : « Il nous faut impérativement passer de la transition démocratique à l’Etat moderne et démocratique. Il est grand temps d’ouvrir un dialogue sur la réforme de la loi suprême. » Qu’en est-il actuellement ?

La réforme constitutionnelle est indispensable mais elle doit se mener par étapes. On ne peut pas demander au roi du Maroc de devenir la reine d’Angleterre ou le roi d’Espagne. Le Maroc est complètement différent. Le roi joue un rôle essentiel d’équilibre politique, notamment grâce à son statut de Commandeur des croyants. L’adoption du nouveau code du statut personnel en constitue un excellent exemple. Lorsque le Premier Ministre Youssoufi a présenté le projet de réforme du statut de la femme, les islamistes s’y sont sauvagement opposés. Mais, dès que le roi s’est saisi du dossier, le texte a été adopté sans grande difficulté. L’article 19 s’avère donc indispensable au royaume pendant cette période transitoire. En effet, c’est le roi qui initie et appuie tous les changements démocratiques.

La réforme constitutionnelle ne doit donc pas, remettre en cause ses pouvoirs, mais élargir les prérogatives du Premier Ministre et du gouvernement. Par exemple, les nominations aux emplois civils ne devraient pas être effectuées par le roi, mais par les ministres compétents ; le Conseil des Ministres devrait être présidé par le Premier Ministre afin d’améliorer son efficacité ; enfin, au-delà de son rôle actuel de coordination des activités du gouvernement, le Premier Ministre devrait pouvoir jouer un rôle d’initiateur politique et prendre effectivement ses responsabilités en tant que chef du gouvernement. Les pouvoirs du Parlement devraient également être renforcés, de façon à ce que son contrôle soit effectif.

Nous sommes le seul parti à revendiquer que les forces militaires ne relèvent plus uniquement des prérogatives royales. Le gouvernement et le parlement devraient disposer d’un droit de regard sur l’armée et la police, et sur leur budget.

Les gauchistes de la société civile et les universitaires sont très exigeants sur la réforme constitutionnelle. Il convient de rester réaliste : placer la barre de la réforme trop haut ne résoudra pas les problèmes. Au Maroc, le roi représente un pouvoir au dessus des autres pouvoirs. Le temps est-il venu pour que le peuple demande une diminution des pouvoirs du roi comme en Angleterre ? C’est sans aucun doute encore trop tôt. La démocratie a mis des siècles à s’installer en Europe. Or l’Etat marocain est seulement âgé de cinquante ans.

Q-Comment le Premier Ministre peut-il engager sa responsabilité s’il ne dispose pas d’une majorité claire, ce que le scrutin à la proportionnelle rend difficile ?

Le roi a accepté notre requête que le Premier Ministre soit choisi au sein de la majorité. Nous ne pouvons plus avoir un Premier Ministre technocrate.

Le mode de scrutin proportionnel favorise effectivement le morcellement de la majorité. Mais la formation d’une coalition permet de recréer une majorité au sein du parlement.

Q-Considérez-vous le parti islamiste Justice et Développement comme un parti modéré ?

Pensez-vous sincèrement pouvoir caresser un hérisson sans vous faire piquer ? Il n’existe pas de hérisson sans épines, et c’est la même chose pour les partis islamistes. La modération de ces partis est un leurre. Entre le PJD et Al adl wa Ilhssane, la seule vraie différence est que le PJD joue au modéré avant d’atteindre son but, c’est-à-dire arriver au pouvoir.

Q-Comment expliquer le succès de ce parti islamique ?

Les citoyens ne votent pas pour le programme du PJD, mais pour un parti islamique qui joue la carte de la proximité avec le peuple.

Q-Comment expliquer l’absentéisme électoral ?

Pendant des années, l’Etat s’est positionné contre la politique et les politiciens : années de plomb, éclatement des partis politiques en formations menées par des personnalités servant leur propres intérêts. Cette situation a poussé les citoyens à démissionner de leur rôle, et cela se poursuit au fil des générations.

Q-Comment définiriez–vous les grandes étapes de l’histoire politique marocaine depuis l’indépendance ?

Les années de 1956 à 1975 ont constitué une période de grande tension, notamment entre l’UNFP et le gouvernement. En 1975 le parti a décidé, lors d’un congrès extraordinaire, de ne plus travailler dans le secret mais dans la clarté et dans le cadre de la loi. Autrement dit, il a pris la décision d’intégrer le système, malgré les carences démocratiques de la monarchie, du parlement et des communes.

Puis, de 1975 à 1993, la fenêtre de la démocratie s’est entrouverte.

Depuis 1993, la monarchie cherche à intégrer l’opposition au pouvoir, en dépit de certaines résistances, au ministère de l’Intérieur et au sein de l’armée notamment. Le trucage des résultats des élections législatives de 1993 a accentué la colère de l’opposition. Elle a refusé en conséquence de faire partie du gouvernement, malgré les propositions du monarque. La monarchie continuait en effet à refuser les ministères de souveraineté à l’USFP.

La réforme de la constitution de 1996 et notamment l’adoption du bicaméralisme, a constitué le premier grand compromis entre l’opposition et la monarchie. La constitution de 1996 est la seule que l’USFP n’a pas contestée.

Enfin, en 1997, l’alternance s’est effectivement mise en place.

La situation actuelle correspond donc toujours à cette dernière période ouverte par l’alternance de 1997 ?

Nous vivons une période de transition démocratique, à laquelle participent aussi bien la monarchie que les différentes forces politiques. Pour l’instant, la fragilité des institutions politiques amène à mener forcément les réformes en concertation avec le roi.

Q-Comment le parlement peut-il évoluer dans l’avenir ?

Depuis 1998, les députés ont beaucoup plus accompli, en matière législative, que de 1956 à 1998, ce qui témoigne de l’amélioration du fonctionnement et du rôle réel du parlement.

Q-Quelle perception avez-vous de la société civile ?

J’ai beaucoup travaillé avec la Fondation Bouabid, et je travaille avec de nombreuses autres associations de la société civile, même celles qui sont formellement opposées au régime. Les députés et la société civile travaillent régulièrement ensemble. Le parlement travaille également avec les syndicats, les institutions régionales des partis et les autres groupes d’intérêts comme les lobbies de médecins, d’architectes, etc. Un véritable dialogue entre les autorités et la société civile s’est instauré.

Q-Quels sont les pays et les organisations étrangères qui exercent une influence politique sur le Maroc ?

Le projet américain sur la région MENA (Middle East and North Africa) ne correspond nullement à la vision des Marocains de la démocratie et ils ne s’y reconnaissent pas. Ils se sentent plus proches de la politique de l’Union Européenne, même si cette dernière n’a pas encore bien saisi les spécificités du pays.

 

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