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Entrevista

La coopération décentralisée : « miroir » de nos propres pratiques.

Pan de la sensibilisation aux problématiques du Sud, la coopération ne peut que servir la cohésion sociale, en nous confrontant à nos propres problèmes et à la manière de les résoudre.

Betty de Wachter: Coordinatrice Association des communes et villes en Flandres– International

Por Estelle Mairesse

Contenido

Betty de Wachter: Coordinatrice Association des communes et villes en Flandres– International

Betty de Wachter est la Coordinatrice des affaires européennes et internationales au sein de l’Association des communes et villes en Flandres. Siégeant à Bruxelles, capitale de la Flandres, cette organisation, qui emploie 110 personnes, est la porte-parole des 308 communes et villes de cette région auprès de l’Etat fédéral belge et du gouvernement flamand. Elle représente ainsi les intérêts d’environ 6 millions d’habitants sur les 10 millions que compte la Belgique.

Extension (Flandres) : 13 522 km²

Situation : la Région flamande est l’une des trois régions de la Belgique fédérale (les deux autres étant la région de Bruxelles-Capitale et la région wallonne), occupant la partie nord du pays. Le siège de l’association se trouve à Bruxelles.

Principales fonctions de l’associiation : porte parole des communes et villes flamandes auprès de l’Etat fédéral belge et du gouvernement flamand.

Questions

Selon vous, par ordre de priorité, quels sont les trois principaux défis de la cohésion sociale au sein de votre ville et/ou association ? Et pourquoi ?

Je peux citer les problèmes les plus urbains. Je considère la Flandres comme une grande ville, dotée d’une densité de population très élevée.

Aujourd’hui, nous devons faire face à la problématique de l’entente entre les populations venues d’ailleurs, notamment maghrébine et turque. Ces populations se sont souvent installées dans les quartiers délaissés, en général à la périphérie des villes. De temps en temps, des frictions ont lieu avec les personnes déjà installées dans ces quartiers. Déjà en difficulté et en situation d’exclusion, celles-ci acceptent difficilement qu’on leur demande d’intégrer ces nouveaux arrivants, alors qu’elles-mêmes ne le sont que très imparfaitement dans la société. Ainsi on commence à penser en « nous et eux », dans lesquelles ces nouvelles populations sont nommées, de manière politiquement correcte, « nouveaux flamands », « co-citoyens » ou « allochtones » (en opposition à autochtones). Comme dans beaucoup de pays, le changement de mentalité est lent. A ce propos, je tiens à mentionner qu’en octobre 2006, nous avons connu les premières élections communales avec des électeurs étrangers non-européens.

L’on observe également une répercussion des problèmes mondiaux au niveau local avec une radicalisation des deuxième et troisième générations de migrants vis-à-vis des événements internationaux. Cela est particulièrement visible à Bruxelles, où le problème entre Turques et Kurdes à la frontière entre l’Irak et la Turquie s’est répercuté, des enseignes kurdes ayant, par exemple, été brûlées. « Les problèmes lointains sont aussi les plus proches. » Les problématiques internationales se projettent directement dans la réalité des villes.

Beaucoup d’efforts ont été faits à la périphérie des villes pour remédier aux phénomènes d’exclusion et de paupérisation. Nous essayons de toujours garantir les éléments de base, en particulier l’habitat et l’accès à l’emploi, notamment des jeunes. Des programmes culturels sont aussi mis en place. Néanmoins, de sérieuses difficultés demeurent. En Flandre, le chômage est devenu faible (5 %) et l’offre d’emploi est réelle, mais celle-ci n’est pas en adéquation avec les possibilités des personnes demandeurs d’emploi (problème de l’éducation, ou de formation non ciblée, problème de la langue, par exemple). Ceci se situe surtout à Bruxelles où le chômage reste élevé. Quant à la discrimination à l’emploi, bien qu’elle soit illégale, elle n’en demeure pas moins réelle.

Le troisième point que je souhaite soulever n’est pas un problème à proprement parler, mais il est en rapport direct avec les deux premiers. C’est pourquoi il est important. Il s’agit de la question de la sensibilisation aux questions mondiales, via la coopération.

Notre plus grand défi est de déterminer la manière de sensibiliser les gens, en Belgique, à la coopération. Nous devons trouver une « autre façon de faire et d’agir, de réfléchir, de penser » la coopération. Nous pouvons dire que c’est une tentative d’élaboration d’un nouveau paradigme de la coopération. Il est nécessaire de faire « attention » à ce qu’il y ait une réciprocité dans les échanges, une relation de partenariat et non plus une relation donneurs-receveurs, une participation des citoyens ici et là-bas. C’est une vision à travailler constamment.

A part du rôle de ‘sensibilsateur’ aux questions mondiales et de la coopération, les communes peuvent entamer une coopération directe avec une commune du sud. Néanmoins, il faudra remplir certaines conditions pour le faire. Si une commune souhaite mener ce type de coopération, il lui faut obligatoirement l’accord du Conseil Municipal, du collège d’échevins et maires, et du conseil consultatif. Ces trois piliers doivent être d’accord pour s’engager dans une action de coopération décentralisée. C’est un processus lent, qui laisse parfois apparaître des divergences de points de vue et une certaine incompréhension. Certains ne comprennent pas « pourquoi on va ailleurs alors que l’on a assez de problème chez nous ». Pourquoi dépenser l’argent public en voyages et visites pour discuter de l’amélioration des conditions de vie là-bas ? Pour remédier à ce manque d’intérêt dans les questions internationales, nous avons élaboré, à partir de 2003, un manuel sur la coopération décentralisée, afin de déterminer la vision qu’en avaient les communes. Ces manuel voie ses données réactualisées chaque année en fonction de l’expérience acquise. Ils évoluent constamment. Des formations, entre 8 et 10 modules, sont également proposées aux communes. Une variété de thèmes y est abordée (intégrité, corruption, politique, jeunesse, drogue, etc.). Je regrette seulement qu’il n’y ait pas plus souvent de maires présents à ces journées de formation. Ce sont en général les fonctionnaires et les échevins (conseillers municipaux) qui y assistent.

Selon vous, comment la coopération décentralisée et le dialogue bi-régional entre l’Union Européenne et l’Amérique latine-Caraïbes peuvent (ou pourraient) concourir à la résolution des problèmes que vous avez mentionnés ?

La coopération décentralisée est l’un des domaines abordés par l’association. Depuis plus de sept ans, elle mène un programme sous tutelle du gouvernement flamand. Auparavant, nous avions eu un projet pilote qui avait permis de déterminé que la coopération décentralisée avec les communes fonctionne vraiment. Depuis, un décret a été voté par le Parlement flamand (2004). Il octroie un co-financement aux villes et communes qui souhaitent s’engager dans la coopération décentralisée. A partir de 2000, nous avions aussi initié une discussion avec le gouvernement fédéral et le Ministère des Affaires Etrangères à ce sujet. La même année, un programme de coopération internationale municipal focalisé sur coopération la décentralisée avait été mis en place. Ce programme est accessible à toutes les communes belges et ainsi, nos collègues des associations Wallonne et Bruxelloise y sont impliqués aussi. Nous sommes actuellement dans une phase de changement avec des programmes de 5 ans, plus lourds administrativement pour les communes. L’association est ainsi partenaires du Ministère des Affaires Etrangères et gestionnaire de ce programme avec les municipalités.

La coopération, c’est pouvoir se comprendre mutuellement. Les administrations locales flamandes l’ont compris. 87 % d’entre elles ont un échevin en charge des Affaires européennes, des jumelages, de la coopération décentralisée, de la solidarité internationale, de la politique nord-sud ou de la coopération au développement. Nous considérons que c’est une responsabilité claire, au niveau politique, de considérer la question internationale. Néanmoins, il reste un long chemin à parcourir pour réussir à faire comprendre que les problèmes, même s’ils se situent dans un contexte de situation économique et culturelle différente, sont du même type que ceux que nous connaissons chez nous. La question du leadership politique est centrale et « nos maires pourraient apprendre beaucoup des leaderships de l’Amérique latine ou africains ».

La sensibilisation est un élément crucial. J’en ai parlé longuement. C’est tout un travail de changement de mentalité qu’il est nécessaire de mener. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous insistons sur l’importance du co-financement de la part des communes. Ces fonds propres serviront à mener un travail de sensibilisation, d’information chez nous. Une campagne très forte sur « ce qu’est être solidaire », favorisant une réflexion sur la durabilité a très bien fonctionné. L’objectif est d’encourager les comportements éthiques au Nord, notamment une façon de penser plus globalement et une responsabilité vis-à-vis de la durabilité. Au Sud, notre discours est clair et prône la responsabilité des acteurs de chaque côté. Ils doivent être prêts pour ces coopérations, car il n’est plus question de « jouer les bons Samaritains ». Les comportements doivent évoluer des deux côtés pour atteindre une réelle réciprocité dans l’échange et une coopération mutuelle.

De plus, le fait d’expliquer notre mode de fonctionnement nous oblige à avoir une réflexion critique sur les pratiques en vigueur sur notre territoire, d’avoir finalement un « miroir » de soi. Ceci nous incite à relativiser notre propre situation et permet un apprentissage des deux côtés. Il faut en particulier « attaquer » notre « eurocentrisme » profondément ancré.

Nos communes, notamment celles de petite taille (plus petites qu’en Amérique latine), me permettent de rester optimiste. De toute façon, il faut rappeler que le partenariat implique une lente évolution et qu’il donc faut être patient. Je conclurai en insistant sur le fait qu’il faut changer le paradigme de la coopération. Sans oublier que cela demande aussi des investissements.

 

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