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Enjeux et méthodes d’un réel partenariat entre les pouvoirs publics et les habitants

Intervention de Teolinda Bolívar , Architecte et Docteur en urbanisme, lors du forum de Pékin sur la gouvernance face à l’évolution des sciences et des technologies - Juin 05

June 2005

Face à l’urbanisation accélérée et au développement de quartiers populaires autoproduits, il s’agit aujourd’hui de repenser les rapports entre pouvoirs publics et habitants et de mettre en place un réel partenariat entre les acteurs. Celui-ci passe avant tout par la reconnaissance et la valorisation des quartiers populaires urbains auto-construits, l’échange d’expériences et l’établissement d’un vrai dialogue. La prise en compte de l’ancien pour penser une nouvelle gouvernance, le principe de subsidiarité active et la notion de territoire sont également considérés comme les clés d’une gouvernance nouvelle.

Table of content

Plan :

  • L’urbanisation de la planète et l’autoproduction des territoires populaires

  • De la méconnaissance à la reconnaissance des quartiers populaires autoproduits

  • De la reconnaissance des barrios populaires autoproduits à l’obligation de les habiliter et de remédier à leurs carences

  • Partenariat et habilitation urbaine

  • Principes pour l’habilitation intégrale des barrios populaires autoproduits

  • Clés pour le succès de l’habilitation intégrale des barrios : Le partenariat (pouvoirs publics–professionnels–habitants); l’appui de l’État ; le dialogue et l’organisation des habitants

  • Vers des formes de gouvernement au temps des métropoles

Introduction

Me voici, dans ce forum, avec mes paroles, pour témoigner d’une expérience de longue haleine dans la lutte pour la reconnaissance et la valorisation des territoires urbains contemporains auto construits par les usagers (les habitants aménageurs ) ; un sentier sinueux, construit de manière collective, avec les habitants des barrios populaires, et avec de nombreuses autres personnes et institutions ; un chemin éclairé et enrichi par l’apport de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme .

Nous venons du Venezuela, un pays très petit en comparaison de la Chine. Le Venezuela représente environ un dixième de votre territoire, et notre population actuelle, vingt-cinq millions d’habitants, correspond approximativement à un cinquantième du continent qu’est la République chinoise.

S’agissant d’un thème aussi vaste que celui qui nous réunit, la gouvernance, nous apporterons quelques considérations sur certains aspects des formes possibles de gouvernement surtout pour les nouveaux territoires populaires urbains, construits lors des dernières décennies, en marge de l’institutionnel, aussi bien dans notre pays que dans beaucoup d’autres.

Ainsi, nous tâcherons de répondre aux interrogations que soulève la construction d’un réel partenariat entre les pouvoirs publics et les habitants. Ce partenariat aurait pour objet de contribuer à la résolution des problèmes qui empêchent les habitants de jouir d’une vie urbaine acceptable dans ce nouveau siècle et début de millénaire. Pareillement, nous considérerons essentielle la création de nouvelles formes de partenariat, nécessaires pour une nouvelle gouvernance. Une organisation neuve qui surgisse de l’ancienne, une transformation dans la continuité.

Au cours du développement de ce thème, nous préciserons également les questions de méthodologie découlant de l’échange des expériences. De même, nous garderons à l’esprit les aspects qui garantissent la participation libre, plurielle et responsable des habitants, en associant les divers agents urbains qui assureront un réel partenariat. Finalement, nous mettrons en évidence l’importance de la subsidiarité active et évoquerons la question du territoire comme clé de la gouvernance de ces territoires constituant les agglomérations urbaines contemporaines.

L’urbanisation de la planète et les barrios populaires autoproduits

Nous considérons, avec d’autres auteurs, que le territoire a changé de fonction et s’est transformé. La croissance sans précédent de l’urbain a provoqué des modifications que nous n’aurions jamais pu imaginer il y a à peine 50 ans. De plus, ces évolutions se sont réalisées à des vitesses vertigineuses, utilisant des mécanismes et des procédés que tous ne peuvent pas concevoir : les auto-producteurs eux-mêmes, les organismes de contrôle urbain surtout et les bureaux de planification en général. Comme l’illustre très bien un ami chercheur suisse : « Le monde contemporain est en voie de développement urbain, mais sans que personne ne puisse dire exactement à quoi ceci conduira… » (Pedrazzini, 1996:32)

Dans beaucoup de pays du monde, ces processus de croissance urbaine ont été, d’une certaine manière, réalisés et contrôlés par les milliers et/ou millions de personnes qui ont créé les nouveaux territoires urbains, à travers des occupations illégales de terrains, auto-produisant ainsi des urbanisations résidentielles en adéquation à leurs savoir-faire et cultures d’habitants aménageurs, à leurs us et coutumes, et à leurs possibilités économiques et sociales.

Nous sommes partis de l’hypothèse selon laquelle les territoires construits reflète le désir de changement de ceux qui vivaient dans les campagnes ou les petits villages. Ils aspiraient, peut-être, à une meilleure existence que celle d’habiter la terre où demeurèrent et vécurent leurs pères et leurs ancêtres. Cependant, nous constatons et reconnaissons que ces territoires, construits par des personnes et des familles dans le besoin qui, pour la plupart, ignoraient le rôle de l’urbaniste et du constructeur, contiennent une infinité de problèmes et de déficiences sur le plan de la vie urbaine. Dans ces territoires, la qualité de vie est très inférieure à la moyenne. Ces processus sont ceux qui ont provoqué les transformations des villes et l’émergence, à partir de celles-ci, des métropoles ou agglomérations contemporaines. Comme le disent Calame et Talmant, (1997 : 198-199) :

“Au lieu de la fin des villes, nous avons assisté en trente ans a une métropolisation massive du monde. Certes il ne s’agit plus des villes de papa et de grand-papa avec leur franche délimitation entre la ville et la campagne mais plutôt de conurbations, de «régions urbaines» pouvant s’étaler sur des centaines de kilomètres. Il n’empêche, l’espace est plus polarisé que jamais. La gestion des marchés de l’emploi qualifié, les services publics ou privés de formation, de santé et de culture, les facilités de déplacement, la densité des relations humaines, la multiplication des opportunités de toutes sortes, la possibilité des petits boulots, l’existence de services spécialisés aux entreprises, la proximité des clients, de l’information, des centres de pouvoir, tout contribue à faire de la grande agglomération un pôle de développement malgré les inconvénients multiples de l’encombrement de l’espace”

De la méconnaissance à la reconnaissance

C’est une obligation, une certitude, de dire que le monde de la fin du vingtième siècle et au début du vingt-et-unième vit dans ces immenses métropoles contemporaines, où les quartiers populaires autoproduits forment un monde nouveau dont la reconnaissance demande de coûteux efforts et dans lequel sont vécues aussi bien l’intégration que l’exclusion sociales. Accepter que le nouveau surgisse de l’ancien résulte d’un long combat. C’est l’expérience de beaucoup d’entre nous, et je peux en témoigner.

La reconnaissance de nombre de nouvelles urbanisations, certaines auto-produites par leurs habitants occupant illégalement les terrains, a été difficile. Aujourd’hui, nous pouvons dire que cela a été une mission possible ; au moins au Venezuela où officiellement la majorité de ces barrios nés illégalement sont acceptés et incorporés aux territoires urbains soumis à la planification . Les barrios populaires illégaux ont été reconnus, bien que pour une certaine partie de la population et pour des acteurs importants, cela se soit toujours fait à contrecĹ“ur.

Ces barrios étaient là, sous nos yeux, mais ceux qui détenaient le pouvoir ne voulaient ou ne pouvaient pas les accepter. Pendant les dernières décennies du vingtième siècle, ils demeurèrent des territoires construits, néanmoins invisibles aux yeux de divers hauts fonctionnaires.

A de nombreuses reprises, les terrains conquis par les « sans-abri» n’apparaissaient pas sur les plans de la ville (Bolívar, 1996). Nous avons lutté pour rendre visible l’invisible. Postulons que ces territoires construits constituent la ville-barrio , (Bolívar, 1996: 57-58).

De la reconnaissance des barrios auto-produits à l’obligation de les habiliter et de remédier à leurs carences

Toute cette complexité de production et ses résultats a provoqué simultanément d’innombrables limitations qui devinrent des carences pour les habitants des barrios dans leur vie quotidienne. Ces territoires des pauvres, des exclus, constituent des fragments importants des métropoles ; ensemble, ils forment ce que nous appelons la ville-barrio. Pour les adapter à la vie urbaine, il est indispensable de les habiliter : créer les conditions pour qu’ils atteignent un niveau de vie acceptable. C’est un devoir qui reste à accomplir. Au sein du gouvernement actuel, on parle de « dette sociale » .

Nous insistons sur le fait que l’habilitation doit se faire, aussi bien pour les barrios existants avec leurs carences que, de manière préventive, dans ceux qui en sont à leur processus de construction. En effet, il n’existe pas de logements à la portée du pouvoir d’achat de la population à faible revenu, qui ne cesse d’alimenter la croissance des métropoles contemporaines. En conséquence, il faut apporter une aide à la construction des barrios pour qu’ils aient et ce, dès le début, les services et équipements nécessaires, afin de réduire les coûts matériels et psychologiques.

A ce sujet, en guise d’avertissement, nous aimerions attirer l’attention sur les logements construits, bien que cela ne soit pas le centre de nos réflexions. Ceux-ci, malgré leur précarité, constituent pour beaucoup le seul foyer et ils ont un sens que nous ne pouvons pas mettre de côté ou négliger. Cette observation doit être prise en compte et accompagner toute intervention dans les barrios. Détruire les foyers de milliers de familles est un sujet très délicat, pour les pouvoirs publics comme pour toute la société, et l’on doit en être conscient lors de la réalisation des projets d’amélioration ou de construction de logements. Il nous paraît nécessaire d’insister sur le fait que démolir un barrio auquel sont attachées d’innombrables familles ne doit pas être fait, à moins qu’il n’existe pas de remèdes aux graves maux et dangers qu’il peut présenter . Pour cette raison, et pour prévenir les difficultés et les carences matérielles qui se présentent lors de la construction sans appui professionnel et sans ressources économiques, nous considérons qu’il n’est pas indiqué de laisser occuper des terrains dont l’urbanisation serait très coûteuse et impossible à réaliser convenablement pour des personnes à revenu faible.

Nous insistons : il est indispensable d’assurer l’habilitation des barrios populaires. Le temps de l’invisibilité est déjà passé, les barrios autoproduits ne sont pas transitoires, ils sont faits pour durer. Personne ne peut croire aujourd’hui que les parties de la ville construites par les habitants aménageurs seront démolies. Ces fantaisies resteront l’apanage du siècle précèdent. De plus, nous sommes conscients de la souffrance qu’entraîne la perte de la maison intérieure ( Boyer,J-P et Barreto, A, op.cit).

Partenariat et habilitation urbaine

Pour que l’habilitation intégrale des barrios mène aux résultats escomptés, il faut considérer comme agents sociaux clés : les habitants constructeurs, les représentants du gouvernement à ses différents niveaux, les professionnels et techniciens. Paraphrasant le dicton africain, nous dirons : une marmite n’est pas soutenue par un ou deux appuis, elle en a besoin d’au moins trois ; ceux que nous venons de mentionner.

Ce trio est indispensable au processus de production, de reproduction ou de transformation de l’existant, pour garantir de bonnes conditions d’habitabilité. Omettre un seul de ses agents sociaux implique que le résultat ne sera pas réalisable et n’atteindra pas le nécessaire optimum. Les habitants aménageurs seuls ne peuvent pas garantir, dans la majorité des cas, le résultat matériel suffisant pour qu’un territoire déterminé remplisse les conditions d’habitabilité dont a besoin la personne humaine depuis toujours. Ils ne peuvent pas non plus garantir les services et équipements dans les établissements humains, ni dans les unités d’habitations et moins encore quand celles-ci ont plusieurs étages. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire que les représentants des pouvoirs publics, élus ou pas, travaillent en partenariat avec les habitants et que ces derniers obtiennent l’appui des professionnels et des techniciens.

Cet indispensable appui aux habitants et le travail en partenariat, au moins avec les trois groupes d’agents précédemment cités, sont urgents pour aménager les terrains qui serviront de base aux logements auto-produits à partir du « rancho » , par les sans-abri. De même, cet appui restera nécessaire lorsque nous passerons aux autres phases de développement des édifications, alors constituées de plusieurs étages et tellement collées les unes aux autres que nous les appelons « macizado »  : la massivité.

Ceci est le cas de nombreux barrios des villes latino-américaines et, nous l’imaginons, sur d’autres continents.

Principes pour la habilitation intégrale des barrios

Penser comment rendre vivables les barrios existants, déjà reconnus, les territoires produits et reproduits par les habitants aménageurs presque seuls , est une tâche délicate que l’on ne peut pas remettre à demain. Cette problématique doit être explorée de nouveau et libérée des pièges tendus par beaucoup de forces politiques dans nos pays. Il faut analyser à fond la question, en utilisant la méthode adéquate. Dans ce processus, l’échange d’expériences est essentiel. Ce chemin, nous l’avons parcouru avec la FPH, et il peut s’illustrer en premier lieu par la réunion réalisée à Caracas en 1991, avec de hauts fonctionnaires de différentes parties du monde travaillant sur des questions relatives aux quartiers dégradés dans leur pays. A partir de l’important travail réalisé, coordonné par Pierre Calame, fut produit – dans une sorte de genèse collective –, un texte connu sous le nom de la Déclaration de Caracas. Ce texte fut révisé par la suite, enrichi, puis ratifié, en 1993, à Salvador de Bahia (Brésil). Dans cette dernière version sont développés six principes que nous énonçons ci-après :

1. Connaître et reconnaître les dynamismes dont les quartiers populaires sont le siége ;

2. Consolider le statut des habitants ;

3. Rechercher des formes adaptées de représentation des habitants en complément de la démocratie représentative ;

4. Transformer l’action publique pour l’amener à être plus globale, moins sectorisée ;

5. Subordonner les rythmes administratifs aux rythmes sociaux ;

6. Concevoir des financements adaptés aux moyens et préoccupations des habitants.

Les principes 1, 2, 3, 5 et 6 ont trait aux conditions d’un véritable partenariat entre les acteurs de la société et entre les pouvoirs publics. Nous insistons catégoriquement : il faut que les acteurs puissent exister et se constituer en partenaires (c’est le sens du deuxième principe : consolider le statut des habitants); il faut que leurs logiques et leurs contraintes ainsi que leurs capacités et leurs connaissances, soient reconnues (c’est le sens du premier et du cinquième principes) ; il faut que de part et d’autre une liberté existe pour construire une action commune sur la base des intérêts partagés (c’est le sens du troisième principe sur les formes adaptés de représentation).

Le quatrième principe met en lumière le lien profond entre la capacité de l’administration publique à aborder globalement les problèmes et son aptitude à entrer en relation avec les autres acteurs de la société. Pour entrer en partenariat, les pouvoirs publiques doivent pouvoir reconnaître les interlocuteurs dans leur totalité et ne pas les obliger à se découper en autant de dimensions que les services administratifs eux-mêmes. De ce fait, seule une capacité nouvelle des organisations publiques et de leurs agents à traiter ensemble des liens entre les défis dont ils ont la charge peut permettre à l’action publique elle-même d’être pertinente vis-à-vis des acteurs sociaux au service desquels elle prétend oeuvrer. (Calame, 2003:175-6)

Clés pour le succès de l’habilitation intégrale

En plus des principes énoncés, nous pensons devoir détacher et amplifier des aspects relatifs à certains d’entre eux, afin qu’ils soient perçus comme indispensables dans les chemins de l’habilitation intégrale des barrios, en les valorisant et en supprimant leurs carences.

L’association des principaux acteurs et l’approfondissement des actions de chacun de ces groupes d’acteurs

Les acteurs et les actions sur lesquels nous avons enquêté le plus possible, et les sujets sur lesquels nous continuons aujourd’hui d’avancer, à travers des expériences relatives aux processus d’intervention pour la transformation et/ou l’amélioration de l’habitat dans les barrios autoproduits par les familles, nous permettent de clarifier toujours plus la situation. Il est urgent de mener un travail conjoint entre constructeurs par nécessité, habitants aménageurs, professionnels de différentes disciplines, techniciens, et bien sûr, avec les représentants des différents niveaux du gouvernement.

La participation et le dialogue permanent des habitants ou usagers sont fondamentaux

Ce qui nous paraît le plus important dans les travaux que nous poursuivons avec les habitants est de favoriser leur expression libre et responsable. Ceci pourra permettre l’approfondissement de l’association avec d’autres agents de la société. Dans notre pratique, nous privilégions la parole de ceux qui ont agi sans avoir l’opportunité de s’exprimer, et nous les aidons à construire leur parole. Ne pas se taire, s’estimer autant comme personnes humaines que comme ingénieurs et architectes sans diplôme qu’ils sont : ceci est prouvé par le résultant, au vu de tous, de la plupart des villes et conglomérats urbains existants de par le monde. (Rosas, 2005).

L’organisation des habitants

Un autre élément fondamental dans les processus d’urbanisation précaire des barrios réside en l’organisation des habitants. Nous affirmons que celle-ci constitue un des agents sociaux qui ont assuré la réalisation des barrios du monde. A travers l’histoire de leur genèse, nous voyons que ces organisations ont été exigées par les représentants des pouvoirs publics afin qu’ils aient un interlocuteur, et dans certains cas, pour leur donner des matériaux afin de faire d’elles des entrepreneurs constructeurs .

Actuellement, dans le contexte formé par la nouvelle constitution vénézuélienne, le moyen pour la prise en compte des communautés et groupes de voisinage est l’organisation et, en particulier, les organisations porteuses d’autogestion. En conséquence, la gestion des ressources retombe sur celles-ci, aussi doivent-elles démontrer leur efficacité et leur compétence à rendre les services requis.

L’association des professionnels et techniciens avec les habitants aménageurs

Nous considérons qu’elle constitue le premier chaînon du processus. Nous tenons à souligner le fait que durant notre expérience de travail, sollicitée par les habitants en tant que professionnelle universitaire sans intérêt politicien ou autre, nous avons fait face à de grandes carences matérielles non satisfaites et à une sorte de mésestime de la part des fonctionnaires envers les habitants.

L’appui du gouvernement sous ses différents aspects

La transformation d’un habitat précaire vers de bonnes conditions doit se faire avec l’appui non restreint des pouvoirs publics. Cette condition assurera le réel partenariat indispensable à la transformation.

Nous avons déjà insisté là-dessus, nous considérons que l’Etat a pour obligation d’intervenir pour habiliter les barrios autoproduits, en tenant compte du fait que ces territoires construits sont habités dans leur majorité par des secteurs pauvres et très pauvres de la population. Les exclus s’y concentrent. En plus de cela, il est nécessaire de garantir, en vue d’une faisabilité, que les territoires populaires autoproduits constituant une partie des métropoles ou conglomérats urbains bénéficient de formes de gouvernement adéquates à leurs particularités et leur état de chantier permanent (Bolivar, 1987). Or, ils sont actuellement, dans une certaine mesure, semi gouvernés.

Les barrios auxquels nous nous référons, sont des territoires que nous avons parfois nommés « realengos » , qui comme adjectif en Espagnol signifie domanial, appartenant au domaine de la Couronne ou de l’État. Nous utilisons l’expression selon son usage courant, pour connoter le fait que ces territoires ont paradoxalement des caractéristiques de liberté et d’exclusion vis-à-vis des règles et des formes établies pour d’autres parties de ville. Dans ces territoires, s’exacerbe souvent la grave crise de gouvernabilité qui existe de diverses manières dans la majorité des régions du monde.

Vers des formes de gouvernements au temps des métropoles

Je vais me permettre d’insister sur le fait que sont requises – et je partage l’idée de les rechercher – des formes de gouvernement plus ouvertes et adaptées au temps des métropoles contemporaines, telles qu’elles sont, non seulement selon leurs constructions formelles, mais aussi avec leurs barrios autoproduits, avec leurs centres dégradés et modernisés en partie, avec leurs ensembles de logements d’intérêt social, avec leurs urbanisations autorisées et avec celles qui ne le sont pas – appelées dans certains pays urbanisations pirates. En conclusion, des formes de gouvernement qui soient pour tout le territoire urbain, pour tous les citadins et citoyens, qui, nous l’espérons, puissent jouir de droits égaux (et que cela ne se fasse pas pour des citoyens de première catégorie et de seconde catégorie, ou de troisième, comme c’est le cas au Venezuela tout du moins).

Ce changement et cette transformation dans la manière d’aborder les gouvernements urbains requièrent autant la décision ferme et courageuse de les mener à bien, que la prise en compte de l’époque des métropoles et de l’opportunité de les rendre vivables. Nous réitérons qu’un gouvernement pour les métropoles contemporaines qui veut réussir, doit se fonder sur ce qui a cours et a eu cours dans nos villes et dans nos métropoles paradoxales ; il ne peut pas, par conséquent, ne ignorer les barrios et leurs habitants qui ont inventé et créé des moyens de survie au sein de la pauvreté face à l’opulence.

Nous y trouvons de belles et simples expressions de solidarité, constituant peut-être des signes annonciateurs d’une société nouvelle, mais nous trouvons aussi des expressions de conflit, parfois de lutte de pouvoir, d’agressivité, de mort… Comme le dit un chercheur vénézuélien se référant aux habitants des barrios urbains : «Leur praxis existentielle n’est pas la production mais la relation interhumaine, parfois pacifique-amoureuse, parfois conflictuelle-agressive, mais toujours relation. » (Moreno, 1993:424).

Un gouvernement métropolitain qui aspire au succès devrait prendre comme point de départ l’échange d’expériences sur ce sujet et sur ce qu’il se passe dans nos métropoles, dans nos villes. Il est indispensable de construire les nouvelles formes de gouvernement urbain avec les habitants, dans les territoires qui se sont formés petit à petit, entre légalité et illégalité, dans lesquels fleurit le pluralisme juridique, où il existe nombre d’organisations, certaines à l’état embryonnaire, d’autres étant introduites et reconnues dans de nouvelles législations, certaines apparues récemment, créations de citoyens de toutes strates sociales.

Parler de « nouvelles formes » n’amène pas à tout réinventer. Un gouvernement urbain – au Venezuela – doit aussi prendre en compte les différentes formes de gouvernements existants : municipalités, préfectures, directeurs civils, assemblées paroissiales, associations de voisinage, et plus récemment, les juridictions et tribunaux paroissiaux (Loi organique des Tribunaux et des Procédures de Paix). Le nouveau doit émerger de l’ancien.

Il convient que toutes les organisations existantes soient présentes, étant donné que leur coordination et leur articulation sont indispensables au succès d’un gouvernement urbain participatif. A ce sujet, je me permet d’élargir et de préciser à l’aide d’un texte extrait de : Plateforme pour un monde responsable et solidaire (FPH, 1993:16) :

Il est nécessaire d’accorder la priorité à l’initiative locale et à la gestion locale, elles seules capables de dynamiser les liens entre les sociétés et leurs modes de vie. Il s’agit du principe de subsidiarité. Cependant, cette subsidiarité ne signifie pas que chaque collectivité est libre de faire ce qu’elle veut au sein de son territoire. La collectivité n’est pas propriétaire, mais administratrice. Elle a l’obligation d’appliquer les principes de sauvegarde, de responsabilité, de prudence, de modération. Elle peut choisir librement ses moyens, mais dans le cadre des finalités et de la cohérence énoncés à un autre niveau. C’est afin de souligner ce devoir d’articulation que nous préférons parler de subsidiarité active. Ce principe s’applique de l’un vers l’autre, du monde entier vers la communauté de base, des individus vers la planète. Les communautés sont liées entre elles par des contrats selon lesquels s’équilibrent leurs droits et leurs devoirs, autant face à leurs administrés que face à la planète et aux générations futures.

Parler de gouvernement urbain contemporain implique avant tout une recherche. Il est indispensable d’analyser les succès tout comme les échecs. Au milieu du chaos dans lequel nous vivons, qu’on a prétendu gouverner et réguler au moyen de plans et de toujours plus de plans, nous nous interrogeons sur la possibilité de contrôler un phénomène qui est toujours en processus de réalisation. Comme le dit Pedrazzini (op. cit.) : « On ne peut pas planifier la ville, tout comme on ne peut pas prédire le mouvement des nuages deux ou trois jours à l’avance. »

Le gouvernement urbain sur lequel nous parions est pour les citoyens, dans des villes où les êtres humains vivent dans d’égales conditions, où l’on ne nie pas la parole de nombreuses personnes au point de la confisquer. Que tous puissent participer et s’exprimer, y compris au sujet de la construction de projets, basés sur des expériences vécues et à travers lesquels se réinventent – parfois de manière insoupçonnée – des formes d’administration novatrices.

Conclusions

A notre avis, comme nous le signalions au début de cet exposé, la mondialisation et la nécessité de prendre en compte les nouvelles agglomérations urbaines, ayant récemment émergé au cours des processus récents et accélérés d’urbanisation, constituent une réalité qui exige des outils adéquats permettant d’établir une nouvelle gouvernance.

Ainsi, certains éléments que nous avons isolés, comme par exemple le dialogue, le partenariat et la subsidiarité active , deviendront faisables et annonciateurs de nouvelles formes de sociétés basées sur la responsabilité, la pluralité, la solidarité, l’équité.

Même si nous admettons qu’il s’agit de la gestion de la société mondiale, nous portons l’attention sur le local dans nos recherches, mais toujours en relation avec le global (comme il a été remarqué : « Le global, c’est le local sans les murs » ). De cette manière, nous affirmons notre accord avec la nécessité de combiner et concilier unité et diversité.

Le travail local apporte selon nous, nombre d’enseignements, qui peuvent être valorisés, à condition que nous mettions l’accent sur l’importance de l’échange d’expériences comme rôle clé dans la découverte de constantes structurelles.

Au cours de notre travail avec les habitants, jour après jour, nous recherchons constamment et avec persévérance, comment les aider à construire leur parole, à établir un dialogue qui contribue au partenariat respectueux , entre semblables, avec d’autres agents sociaux. A travers cela, nous créons les conditions pour que l’amélioration et la transformation des territoires populaires autoproduits soient possibles et contribuent à élever la qualité de vie urbaine dans les conglomérats contemporains.

Nous avons insisté sur le fait que pour garantir que les améliorations réalisées perdurent, se prolongent et se multiplient, nous devons participer à l’élaboration de nouvelles formes d’intervention, sans jamais oublier la subsidiarité active et que le territoire constitue la pierre de touche de la gouvernance.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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