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Entretien

A Brou, à La Havane ou à New York nous avons exactement la même préoccupation : comment faire pour qu’il y ait une cohésion sociale dans la ville ?

Les petites villes peuvent aussi être des acteurs de la coopération décentralisée

Personne interviewée : Jean-Marc Deschamps: Maire de Brou-sur-Chantereine, membre de Cités-Unies France.

Par Geoffrey Pleyers

Table des matières

Présentation de la personne interviewée

Jean-Marc Deschamps: Maire de Brou-sur-Chantereine, membre de Cités-Unies France.

Brou-sur-Chantereine (4 300 Habitants, Seine-et-Marne, France)

Questions et réponses

Quels sont selon vous les trois principaux défis de la cohésion sociale ?

Il est difficile de parler de cohésion sociale sans parler d’inclusion sociale ou d’intégration sociale. Se posent aussi les questions de justice sociale : il ne peut pas y avoir de cohésion s’il y a des injustices, et dans ce cadre, la fiscalité est également un outil pour la cohésion sociale. Il faut notamment une égalité d’accès aux droits : on a par exemple beaucoup parlé récemment des droits de la ville et de l’égalité d’accès dans ce domaine. Le défi dans une ville est que tout le monde ait sa place, au même niveau que les autres, et qu’il n’y ait pas de gens au bord de la route.

Dans notre commune, nous sommes précisément en train d’élaborer un programme autour de la cohésion sociale où nous nous proposons de travailler plus particulièrement sur l’enfance, sur la culture et sur le social proprement dits. Ce sont des secteurs qui requièrent le développement de politiques publiques globales. Pour que tout le monde ait accès à la culture, il faut que l’on développe des politiques le permettant. Les rapports humains liés à la coopération décentralisée rentrent aussi dans la culture et tout le monde dans une ville doit y avoir accès. C’est un véritable défi !

L’accès à l’éducation et à la santé sont d’autres défis importants en matière de cohésion sociale. Lorsque des gens ne peuvent pas se soigner parce qu’ils n’en ont pas les moyens, c’est un problème. Et plus il y a d’inégalités, plus la cohésion sociale est difficile. La cohésion sociale représente en effet un travail permanent, qui s’inscrit notamment dans ce que l’on appelle aujourd’hui le développement durable.

Mais plutôt que de défis liés à la cohésion sociale, je parlerais d’objectifs que l’on se fixe. A Brou, nous nous sommes fixé comme objectif que chaque personne de la ville puisse avoir le même niveau d’éducation citoyenne, de façon à ce que chacun puisse parler avec chacun de façon égale, y compris avec les élus, qui ne sont pas toujours des gens très éduqués. Il y a donc un défi pédagogique et éducationnel. Le défi, ou plutôt l’objectif, est d’aboutir à une participation citoyenne pleine et entière. C’est essentiel pour la cohésion sociale et l’inclusion sociale. La participation, ce n’est pas un instrument politique, c’est un facteur d’inclusion sociale, dans la mesure où l’on parle vraiment de participation citoyenne et non pas de consultation. Elaborer des politiques publiques avec les habitants, c’est un grand facteur de cohésion sociale.

Je crois beaucoup à l’éducation populaire, qui est très forte en Amérique Latine. Chez nous, cela n’existe plus ou pratiquement plus, malheureusement. J’ai été très surpris la première fois que je suis allé au Brésil pour rencontrer nos partenaires. A Porto Alegre, j’ai rencontré un monsieur qui ramasse les détritus de la ville dans son petit chariot et se promène avec 400 kg d’ordures. Il a 60 ans et est capable, après sa journée de travail, d’aller à une réunion de citoyens dans le cadre du budget participatif et de discuter de la dette extérieure du Brésil ! Cela en France, c’est tout de même très très rare, malheureusement.

Un autre défi en matière de cohésion sociale concerne l’emploi et l’activité. Nous voulons faire en sorte que chacun ait au moins une activité. Même si ce n’est pas une activité rémunérée, l’essentiel est que chacun fasse quelque chose de sa vie. Et notre rôle en tant qu’élus de proximité, c’est de travailler à l’émancipation des gens. Sinon, on ne sert à rien. Faire des routes, des trottoirs et ramasser les crottes de chien, n’importe qui peut le faire. Par contre, si nous avons un vrai projet sociétal, en promouvant une dynamique pour prendre du recul et monter le débat, nous aurons vraiment gagné quelque chose.

Les petites villes sont donc elles aussi concernées par les défis de la cohésion sociale ?

Bien sûr, les petites villes sont évidemment concernées par la cohésion sociale. Il ne faut pas penser que c’est plus facile dans les petites villes. C’est souvent un milieu un peu fermé, comme dans les villages ruraux. Les gens se connaissent souvent tellement bien qu’ils en arrivent à se taper dessus. En fait, une petite ville, c’est une grande ville en réduit, avec des moyens réduits, une population réduite mais les mêmes problèmes que les grandes villes. A Brou, nous avons un principe qui dit que le Maire de Brou avec ses 4 000 habitants, le maire de La Havane ou celui de New York ont exactement les mêmes préoccupations : comment faire en sorte qu’il y ait une cohésion sociale dans sa ville ? Comment faire en sorte que la ville fonctionne, soit moderne, que les gens soient contents d’y vivre ? Comment contribuer à l’émancipation des gens qui y habitent ? Nous avons tous la même préoccupation, ce n’est pas un problème de taille, mais de thématique. On a par exemple réfléchi avec Porto Alegre sur cette question des transports. Dans ma commune et dans la communauté de commune dont je fais partie, on doit déplacer 30 000 personnes par jour. A Porto Alegre, c’est un million, mais finalement, c’est la même chose. Le nombre de bus est différent, c’est tout. Il y a des problèmes de routes, d’essence, de confort dans les transports. Nous travaillons sur des problématiques communes.

Je participe à cette réunion au titre de membre de Cités-Unies France et de Maire d’une commune qui a une coopération décentralisée avec Cuba et avec Porto Alegre. Ce qui prouve bien que même quand on est tout petit, on peut faire des choses ! C’est une question de volonté politique, pas une question de taille. Il y a des villes énormes qui ne font rien et il y a des petites villes qui font beaucoup.

Vous évoquez la coopération décentralisée. Qu’est-ce que ça représente pour vous ? Comment la voyez-vous et quelle est son utilité ?

Je reprendrais la définition de la coopération décentralisée de Charles Josselin, le président de Cités-Unies. Lors d’un colloque à Cuba, il a dit que la coopération décentralisée, c’est « le croisement entre la mondialisation et la décentralisation ». C’est vraiment ça. On est dans le monde et on travaille avec d’autres pays, donc on est dans la mondialisation. Et en même temps, on fait de la coopération décentralisée, c’est-à-dire que l’on est quasiment autonome pour définir avec nos partenaires ce que nous voulons faire, pour monter les projets qui les intéressent eux, mais en même temps qui nous intéressent aussi.

La coopération décentralisée, c’est la relation entre une ville ou une collectivité territoriale française et une collectivité territoriale étrangère en direct. Il est important que les maires en particuliers, mais aussi les élus, les administratifs et les citoyens, puissent parler ensemble directement, sans être sous le chapeau d’un ministère ou d’une autre institution. Bien sûr, il y a un partenariat très fort avec certains ministères qui nous soutiennent. Mais ce que nous faisons dans la coopération décentralisée, c’est nous, les villes partenaires, qui le déterminons ensemble. Cela peut être la construction d’une école, une réflexion commune sur ce qui est fait pour impliquer les citoyens dans les politiques locales, ou encore la question des transports.

Personnellement, je suis très critique face à la coopération française en Afrique et aussi parfois en Amérique Latine. Je généralise et je caricature, parce que c’est plus compliqué que cela. Mais, en gros, dans les pays que nous connaissons bien, c’est-à-dire ceux que nous avons colonisés, nous arrivons en disant : « Voilà, nous allons faire ceci. » Dans les pays d’Amérique Latine, nous ne pouvons pas arriver comme cela. Moi, je crois beaucoup à la coopération décentralisée avec les pays latino-américains, parce que, comme l’a dit Jean-Marie Bockel hier, c’est un laboratoire pour des initiatives nouvelles. La démocratie participative, ce n’est pas le Brésil qui l’a inventé, mais c’est le Brésil qui l’a mise en œuvre, et à partir de là, ces expériences se sont multipliées. Des façons de gouverner innovantes se créent en Amérique Latine. Je pense qu’au moment où l’Amérique Latine se démocratise de plus en plus, les pays européens, et notamment le nôtre, se dé-démocratise de plus en plus. Nous avons un problème et il faudrait vraiment essayer de s’imbiber de ce qui se fait là-bas.

La coopération décentralisée serait donc un projet essentiellement de gauche ?

Pas du tout. La coopération décentralisée concerne les gens qui ont une vision du monde. Il y a des gens de droite qui ont une vision du monde. Il faut juste être conscient que nous ne sommes pas seuls au monde. Notre devoir d’élu local, c’est de travailler sur le local, mais si nous ne travaillons que sur le local, nous privons le citoyen d’une dimension planétaire importante dans ce processus pédagogique : le partage des cultures, des modes de vie, des façons de résoudre les problèmes. Les pays qu’on dit « développés » n’ont pas les solutions à tous les problèmes du monde.

Pour moi, la coopération décentralisée, c’est avant tout le contact humain. Il faut d’abord se connaître. Mais une fois que l’on se connaît bien, que l’on a élaboré les projets, on peut très bien ne pas se voir pendant un an. Il y a aujourd’hui bien d’autres moyens de communiquer pour éviter de dépenser l’argent public dans les voyages. Parce qu’il y a aussi certaines dérives dans la coopération décentralisée. Comme beaucoup à Cités-Unies, et visiblement comme Antoine Joly, je crois beaucoup à la coopération décentralisée, à cette relation d’abord humaine qui, ensuite, peut se développer à travers des aspects économiques, politiques ou autres.

Est-il possible de considérer la coopération décentralisée comme une nouvelle diplomatie, comme il en a été question au cours de ce Forum ?

Je ne suis pas sûr que le mot diplomatie soit très adéquat. Nous sommes des maires, pas des diplomates. La diplomatie, c’est un métier. Mais cette « diplomatie des villes », ce que nous faisons entre villes, cela peut contribuer à améliorer les rapports entre les peuples. Cela dépend de ce que l’on entend par diplomatie. Si l’on prend l’exemple de Cuba, qui a pris des positions, à mon sens légitimes, à l’égard de l’Union Européenne, donc de la France, puisque seule l’Espagne a rétabli des relations normalisées avec Cuba. Nous avons un programme de coopération décentralisée avec Cuba et nous voulons promouvoir la coopération d’autres villes françaises avec des villes cubaines. Si le gouvernement cubain refuse des projets pour lesquels le ministère français donne une subvention, on n’en sortira pas. De même, si le ministère français met des conditions à l’octroi de ces subventions, on n’en sortira pas non plus. Dans ce cas, nous sommes bien au cœur d’une certaine diplomatie. Bien sûr, ce n’est pas nous qui allons régler le problème. Cependant, par nos relations et par le travail que nous faisons entre les deux pays, nous pouvons être amenés à poser certaines questions, et peut-être faire avancer les choses.

Ce premier Forum des Collectivités locales de l’Union Européenne et de l’Amérique Latine est maintenant sur le point de s’achever. Quelle est votre opinion sur ce premier Forum ? A-t-il répondu à vos attentes ?

Je dirais « Vivement le deuxième ! ». Ce premier forum s’est très bien passé, mais comme toujours, le premier est assez compliqué à organiser et les gens arrrivent avec beaucoup d’attentes. Je trouve que ce premier forum a abordé un certain nombre de questions très importantes et qu’il a posé des jalons : nous sommes en train de construire quelque chose et la déclaration finale est intéressante à cet égard. A présent, il s’agit de poursuivre sur cette lancée car, comme le souligne la déclaration finale, il faut absolument que les collectivités travaillent avec les Etats et les Etats avec les collectivités. Dans ce sens, il est sans doute possible de parler de diplomatie partagée : les collectivités ont un rôle prépondérant dans les rapports entre les peuples, à travers les villes et à travers la coopération décentralisée. Cela doit être valorisé et il est important que les villes montrent qu’elles sont là. Je serais tenté de dire que le sens de ce forum, c’est de dire que maintenant, on ne pourra plus rien faire sans les villes. Ce n’est pas un contre-pouvoir, mais on en vient aussi à un cadre plus participatif dans les relations internationales. J’ajouterais que ce Forum était vraiment très bien organisé. Tout le monde l’a dit, mais il faut le souligner.

 

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