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Análisis

Intégrer les autorités traditionnelles dans les systèmes de gouvernement démocratique : le défi de la reforme de la dualité

Intervention de Kwesi JONAH au colloque IRG/ARGA de Bamako (Mali), janvier 2007

Comme l’affirme l’auteur « un enrichissement mutuel des modes africains et occidentaux de gouvernance est possible ». Cette fiche revient sur les spécificités africaines et formule des propositions concrètes de réformes des règles et normes traditionnelles.

Cette contribution s’inscrit dans le cadre du colloque organisé par l’IRG et L’ARGA en janvier 2007 à Bamako (Mali). Elle s’inscrit plus particulièrement dans la session de débat sur « LA REDEVABILITE DU POUVOIR».

Contenido

Depuis le début des années 90, alors que l’Afrique s’engage dans un mouvement global d’affirmation de la gouvernance démocratique, deux perspectives distinctes se cristallisent autour de la notion de participation. D’un côté, les tenants d’un universalisme démocratique insistent sur le fait qu’il existe un ensemble de valeurs universelles de gouvernance démocratique auxquelles toutes les nations peuvent se fier, quelles que soient leurs différences culturelles. De leur côté, les partisans du relativisme culturel soulignent la complexité de la diversité culturelle inhérente à la société globale. Cette diversité requiert des ajustements substantiels au niveau local, quant à la forme, au contenu et au rythme de développement de cette gouvernance démocratique dans les différents pays du monde.

Sans perdre de temps sur le danger palpable de la fausse dichotomie de ces deux perspectives, il est nécessaire de souligner plutôt l’idée qu’un enrichissement mutuel des modes africains et occidentaux de gouvernance est possible. Celui-ci n’est envisageable qu’au travers d’un engagement urgent, profond et de long terme en faveur d’une reforme des règles et normes traditionnelles africaines jusqu’à présent inchangées.

Dualisme institutionnel

Depuis la période coloniale où prévalait une politique de manipulation de la règle traditionnelle africaine au profit des intérêts de l’Empire, il existe un dualisme au coeur des systèmes politiques africains. Les systèmes politiques traditionnels et modernes ont fonctionné côte à côte sans pourtant de transformation mutuelle profonde et durable. Les chefs ont été créés là ou ils n’existaient pas et l’ensemble des règles traditionnelles se sont réduites à devenir un agent de la règle coloniale. La souveraineté précoloniale avait alors disparue, et avec elle, une grande partie du respect, de la déférence et de la dignité dont elle bénéficiait.

Le coût de cette disparition, en termes de gouvernance démocratique, fut dramatique. La « redevabilité » des chefs envers les populations, pilier fondamental des systèmes politiques traditionnels, fut ainsi remplacée par une redevabilité des chefs vis-à- vis des gouvernements. Le mécontentement populaire prit la forme d’un détrônement ou d’une destitution soudaine des chefs dans les années 40, au moment même de l’apparition des combats nationalistes pour l’indépendance politique au Ghana. Le principe d’une autorité traditionnelle africaine, alors mise au service du despotisme colonial, devint étranger à la gouvernance démocratique traditionnelle.

Le destin des chefs dans l’Afrique postcoloniale n’a pas été, pour l’ensemble d’entre eux très positif. La perte de la souveraineté et la disparition de la redevabilité des chefs envers leurs sujets, fut combinée avec l’image de « collaborateurs » coloniaux pour rappeler l’attitude des gouvernements coloniaux envers les chefs.

Dans certains pays d’Afrique francophone et lusophone, l’institution fut soit abolie, soit vidée de son autorité politique. Là où l’institution n’était pas directement abolie, son sort pouvait aller d’un semblant d’autonomie à un système au service du gouvernement central. Au Ghana, le gouvernement de Kwame Nkrumah, orienté vers le peuple, a réduit les chefs à des simples appendices du gouvernement central.

Les fonctions de la chefferie aujourd’hui

Dans le contexte démocratique actuel, les chefs traditionnels jouissent d’une autonomie non feinte dans le cadre même de la législation démocratique. Au Ghana, cette autonomie existe depuis la fin de l’ère Nkrumah en 1966. Sous le régime politique ghanéen d’aujourd’hui, les chefs traditionnels assument des fonctions à la fois non statutaires et statutaires. Les fonctions non statutaires comprennent toutes les fonctions précoloniales à l’exception des fonctions militaires, toutes des fonctions qui avaient aussi cours, d’ailleurs, pendant la période coloniale. Parmi celles-ci on peut citer le règlement des conflits de la vie civile et les procédures de réconciliation. Il existe en outre des fonctions rituelles par lesquelles les chefs appellent sur leurs sujets la bénédiction et la prospérité. Ils organisent différents types de festivités et servent de lien entre leurs communautés et le gouvernement central. Quant aux fonctions statutaires, elles comprennent toutes celles qui sont définies dans la Constitution et dans les lois du pays. Au Ghana, ces fonctions sont assumées en vertu d’institutions de la chefferie inscrites dans la constitution, allant du Conseil traditionnel au niveau local à la Chambre nationale des chefs en passant par les assemblées régionales de chefs. Les deux fonctions-clé sont le règlement rapide des conflits de chefferie, la compilation des lois coutumières et l’établissement des règles de succession applicables à l’institution de la chefferie.

Attitudes vis-à-vis de la chefferie

Un élément particulièrement déterminant du rôle de la norme traditionnelle et de ses valeurs dans la gouvernance est l’attitude de la population vis-à-vis de cette institution. La reconstruction des systèmes politique démocratiques au Ghana durant les années 60 a impliqué de rassembler les aspirations populaires sur toutes les questions nécessaires à la formulation d’une nouvelle constitution. Les présentations faites à la Commission constitutionnelle, dirigée par Justice Akufo-Addo a révélé deux perspectives opposées vis-à- vis de la chefferie au Ghana.

La première soutenait que le chef devait retrouver la position qu’il occupait avant l’avènement de l’époque coloniale, lorsqu’il occupait des fonctions politiques, administratives, militaires, culturelles et spirituelles. Opposée à cette conception, la deuxième position soutient que la chefferie devrait être éliminée des systèmes politiques et administratifs ghanéens.

La plupart des recherches effectuées par la suite ont mis en lumière un soutien bien plus important pour la chefferie que ce qui apparaissait dans le rapport de la Commission constitutionnelle de la fin des années 60. Les principaux indicateurs de ce soutien dans les recherches récentes ont été ainsi identifiés : importance reconnue du rôle des chefs ; respect pour les chefs ; estime personnelle des populations pour les chefs ; reconnaissance des chefs par les gouvernements ; contribution des chefs à l’unité nationale.

Ces recherches ont permis de découvrir que pas moins de 77,4 % des Ghanéens considèrent aujourd’hui utiles certains des rôles clefs de la chefferie, comme l’illustre clairement le tableau ci- dessous.

Source: : L. Abotchie, A. Awedoba et al in Irene Odotei and Albert Awedoba (ed) Sub Saharan Publishers, Accra 2006, p..109
RôlesOui en %Non en %
Incarnation de la culture95,0 %3,9%
Porte-parole de son peuple90,3 %8,6%
Élaborer les lois coutumières88,3 %11,5 %
Maintenir la loi et l’ordre88,2 %11,6 %
Gestion des conflits86,5 %13,3 %
Arbitrage85,2 %14,7 %
Rituels de l’État84,0 %15,8 %
Contribution a la prospérité du pays80,6 %19,0 %

Un enjeu plus polémique concerne le degré de respect dont l’institution de la chefferie bénéficie encore parmi les peuples du Ghana. Malgré le changement de destin de l’institution au cours de l’Histoire du pays, on a découvert qu’une partie significative de la population, près de 56 %, considéraient que les chefs étaient encore tenus en estime alors que 44 % ne le pensaient pas.

La réponse fut très différente en ce qui concerne l’estime réelle de chacun pour les chefs. Pas moins de 73,4 % des personnes interrogées déclaraient ainsi qu’elles « aimaient beaucoup » leurs chefs, alors que 9,3 % ne pouvait pas en dire autant. Le reste des personnes interrogées étaient soit incertaines, soit incapables de répondre.

Un enjeu problématique dans les politiques ghanéennes depuis la période coloniale concerne le pouvoir qu’a le gouvernement d’accorder ou de confisquer sa reconnaissance aux chefs. La réforme, dans le Ghana postcolonial, a répondu à ce problème en transférant la responsabilité aux chambres régionales et nationale des chefs, qui sont les institutions formelles reconnues pour les chefs. Curieusement, quelque 59 % des personnes interrogées estimaient nécessaire que le gouvernement accorde aux chefs une reconnaissance officielle, alors que 32 % estimaient inutile une telle reconnaissance.

L’un des aspects sombres de la chefferie au Ghana est la prévalence des conflits entre chefs dans tous les coins du pays. Environ la moitié des personnes interrogées disent avoir de tels conflits dans leur zone, tandis qu’environ 41 % disent ne pas en avoir.

Pourtant, 48,1 % des gens étaient tout à fait d’accord sur le fait que les chefs sont un facteur d’unité au sein de leur peuple, 33,9 % étaient d’accord, et seulement 7,1 % n’étaient pas d’accord, et 2 % pas du tout d’accord.

L’impératif de la reforme

Etant donné le soutien considérable dont bénéficient les règles de la tradition dans la population, il est très étonnant qu’aucune initiative sérieuse de reforme n’ait vu le jour pour rendre ces règles plus compatibles avec les exigences d’une gouvernance démocratique moderne. Depuis que la démocratie a été réintroduite au Ghana en 1992 bien des réformes ont pourtant été faites. Tout d’abord, une constitution démocratique libérale a été promulguée en 1992 ; un système politique multipartite et crédible fut établi ; une commission électorale indépendante opère de manière effective depuis quatorze ans ; les processus électoraux ont constamment été réformés à la demande des partis politiques ; un parlement effectif opère depuis 1993 ; un système de justice indépendant fonctionne sans crainte ni favoritisme ; un système de gouvernements locaux décentralisés promeut la démocratie et le développement au niveau local depuis 1988/89 ; enfin, une société civile de plus en plus forte revendique de manière légitime un espace dans l’arène politique.

Ce qui doit être fait

Afin d’amener les institutions politiques traditionnelles en cohérence avec la gouvernance démocratique moderne, les valeurs traditionnelles de redevabilité, transparence et d’État de droit doivent être questionnées, revisitées et affinées. Des années de subordination aux gouvernements coloniaux et postcoloniaux, la perte de la souveraineté la redevabilité et la dignité ont désorienté et même déformé les institutions démocratiques traditionnelles. La tâche est aujourd’hui de faire un retour dans l’histoire afin d’aller les rechercher et les affiner.

Ramener les institutions traditionnelles dans un forme de gouvernance moderne pourrait prendre plusieurs formes :

  • Une forme institutionnelle tout d’abord : amener les autorités traditionnelles dans les institutions de gouvernance locales, en les constituant comme des éléments de conseil pour les administrations ou les gouvernements régionaux. Il est également possible de constituer ceux-ci en une seconde chambre du Parlement ou des Assemblées nationales.

  • Il faudrait ensuite introduire des statuts modernes supplémentaires permettant de jouer des rôles nouveaux au sein des processus de gouvernance (par exemple, de nouvelles qualifications en matière d’éducation) : réformer les normes et les formes de régulation concernant la succession et la destitution afin de donner une voix plus importante aux populations; évoluer vers des procédures plus transparentes ; enfin, codifier les traditions et les lois coutumières.

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Les sociétés africaines sont aujourd’hui à la croisée des chemins dans le développement d’une gouvernance démocratique. Elles sont face à une opportunité sans précédent d’apporter leur propre contribution à la gouvernance démocratique en injectant les valeurs de la démocratie traditionnelle au coeur des systèmes politiques traditionnels. Ce qui apparaît aujourd’hui comme une condition fondamentale est la poursuite de réformes au sein des systèmes politiques traditionnels afin que ceux-ci soient plus adaptés à la gouvernance moderne.

 

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