Análisis
Des règles du passé aux choix aléatoires des dirigeants actuels
Intervention de Atsutsè Kokouvi AGBOBLI au colloque IRG/ARGA de Bamako (Mali), janvier 2007
enero 2007Programa Legitimidad y arraigo del poder
Cuaderno Entre tradition et modernité, quelle gouvernance pour l’Afrique?
Palabras clave : Filosofía de la gobernanza ÁfricaS’inscrivant dans une réflexion sur les moyens d’atteindre en Afrique une gouvernance démocratique et efficace, cette fiche pose la question des conditions d’accès au pouvoir des dirigeants de la période pré-coloniale à nos jours. L’auteur souligne que cette question relève avant tout d’une certaine conception de l’autorité et en appelle à la responsabilisation des populations africaines.
Cette contribution s’inscrit dans le cadre du colloque organisé par l’IRG et L’ARGA (Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique) en janvier 2007 à Bamako (Mali). Elle s’inscrit plus particulièrement dans la session de débat sur « LE CHOIX DES DIRIGEANTS ».
Contenido
Cette fiche pose la question des conditions d’accès au pouvoir
Si la gouvernance, un terme non encore reconnu dans le dictionnaire de l’Académie française, peut être comprise comme l’ensemble des caractéristiques propres au gouvernement d’un pays, une bonne gouvernance doit s’entendre par une direction politique clairvoyante et efficace et une mauvaise gouvernance, une direction politique qui ne l’est pas.
Ainsi, sous-développée et globalement nettement en retard en matière de développement par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique dans son ensemble est le siège des tensions inter-ethniques, d’antagonismes inter-religieux, de la pauvreté de masse avec la malnutrition, la faim et les famines, de dures répressions avec des violations massives des libertés et droits humains et des guerres civiles dont la cause est imputée à la mauvaise gouvernance.
Il est reproché aux gouvernements africains de ne pas se soucier de l’objet de la politique qui, selon Edmund Burke, écrivain et homme politique britannique du XIXe siècle, vise à « assurer le développement et réduire les inégalités » dans tout pays. Encore que, deux cent dix années après la mort du Britannique, l’objet de la politique, suite aux progrès considérables faits par le genre humain en matière d’exercice du pouvoir d’État, peut être entendu aujourd’hui par « assurer le développement et réduire les inégalités dans le respect des libertés, des droits de l’homme et de l’État de droit ». Une action qui ne peut être menée efficacement que si les gouvernants mesurent correctement les enjeux mondiaux, s’inspirent des leçons de l’histoire nationale et universelle et prennent à coeur les aspirations de leurs populations au développement authentique.
En ce sens, la gouvernance reste quelque chose de très complexe, compliqué et difficile à cerner : elle dépend des valeurs intellectuelles et de la vitalité propres des peuples et nations concernés, de leur histoire nationale, de l’environnement international et des rapports de force mondiaux, de leurs relations avec l’étranger, de leurs ambitions collectives et place sur l’échiquier international et surtout du sens de responsabilité de leurs élites dirigeantes. Des conditions qui sont loin d’être réalisées dans les sociétés africaines actuelles, dominées de l’extérieur et sans indépendance réelle pour s’affirmer, au point que cela interpelle l’intelligentsia et les gouvernants et pose avec acuité la question de leurs conditions d’accession au pouvoir.
Du choix des dirigeants dans le passé précolonial
Quoique les institutions politiques des États africains précoloniaux fussent tous d’essence monarchique, elles étaient généralement loin d’être autocratiques d’autant que dans cette Afrique-là, ne devient pas chef qui veut : ni l’appartenance à la famille régnante ni la richesse ni la puissance ne confèrent à quiconque le droit de diriger toute communauté humaine constituée.
Au niveau des plus petites communautés qu’étaient les clans ou lignages résidant dans les villages, puis les tribus et ethnies rassemblées en royaumes voire plusieurs ethnies constituant des empires, les chefs étaient généralement choisis, excepté en cas de conquête de force et par usurpation, dans une famille régnante selon des règles établies. Ces règles remontent à la nuit des temps quand les tout premiers groupements humains constitués étaient des assemblements de familles en clans ou lignages, puis, ces derniers en tribus et, enfin, ces tribus en ethnies qui n’étaient guère des formations sociales schismo-génétiques 11 : dirigés par des chefs de famille puissants et détenant une lourde autorité sur l’ensemble de sa famille, ces derniers, regroupés dans les clans ou lignages, habitant tous dans un village constitué, délèguent généralement à la famille de l’un des leurs la responsabilité de dire les prières et de faire les libations et sacrifices divers aux dieux et de gérer sous leur contrôle vigilant les affaires communes, à commencer par la sécurité et le règlement des différends.
À leur tour, les chefs de clan ou lignage ou de village, regroupés à l’échelle de la tribu, étendue à plusieurs villages et constituant ne structure politique supérieure voire un royaume, désignent un clan ou lignage au sein duquel un chef supérieur voire un roi est choisi pour se charger à une échelle plus large des responsabilités dévolues au chef de village. Regroupant les tribus et parfois des clans ou lignage de villages autonomes, les ethnies sont des vastes groupements dirigés par rois eux aussi généralement choisis dans une famille elle-même désignée comme famille régnante par les chefs supérieurs et les chefs de village.
Au sommet de ces structures politiques, se trouvaient, dans certaines régions notamment au Soudan Occidental et central, dans le Bassin du Congo et en Afrique australe, de véritables empires rassemblant des royaumes et des chefferies : le mode de choix des chefs était loin d’être différent de ceux déterminés plus haut sauf que dans le cas d’empire constitué par conquête, il revenait à la famille du fondateur de constituer la famille régnante au sein de laquelle le dirigeant suprême est choisi au regard des qualités requises et dans le respect des règles établies.
À la mort d’un chef, d’un chef supérieur, d’un roi ou d’un empereur, les règles établies entrent automatiquement en jeu : comme sous tous les cieux où le pouvoir ne peut rester vide un seul instant, un régent, personne généralement connue pour sa sagesse et appartenant au corps de maîtres de la terre, premiers occupants du sol, est aussitôt commis avant que les corps constitués qualifiés se mettent en action pour trouver, dans la dynastie régnante, le meilleur successeur.
Comme le chef, conformément à un précepte bambara, est dans l’imaginaire collectif assimilable à un dépotoir où on jette les immondices et, à cet titre reste à l’écoute de tous ses administrés, le choix porte habituellement sur un homme dans la fleur de l’âge, bien portant, mûr et suffisamment instruit des traditions et de l’histoire de sa communauté, connu pour sa capacité d’écoute des gens et sa patience, sa générosité et mais aussi sa fermeté pour l’application des décisions de justice à prendre au cours des séances publiques prévues à cet effet.
Malgré l’influence de l’islam allant dans le sens d’une plus forte contrainte du pouvoir, un royaume comme celui du Kayor, localisé sur une partie du territoire du Sénégal actuel, était remarquable pour non seulement pour l’organisation du pouvoir et des corps constitués chargés d’assister le souverain, le Damel, dans l’exercice de ses fonction de monarque mais aussi par les règles strictes de succession au trône à la mort du souverain régnant. Comme dans le système féodal au Moyen Âge européen, le chef sait qu’il a affaire à d’autres chefs de familles, de clans ou lignages, qui règnent en petites autorités quasi indépendantes et lui, uniquement chargé de gérer les affaires communes et des différends qui peuvent subvenir entre ces groupements humains constitués : tout différend entre deux individus passe rapidement pour un différend opposant leurs deux familles voire leurs deux clans ou lignages. Sans être un souverain de droit divin qui n’avait de compte à rendre qu’à Dieu, le chef est choisi par ses semblables pour assumer les fonctions de souverain dans l’intérêt de l’ensemble des membres de sa communauté. La pratique a perduré jusqu’à la conquête arabo- musulmane puis la traite et l’esclavage des Noirs en Amérique et l’invasion et l’occupation européennes qui contribuèrent pour beaucoup au bouleversement de la nature du pouvoir, devenu plus contraignant avec le changement du mode de désignation des chefs et souverains qui se fit dorénavant par succession en primogéniture masculine ou par l’usurpation violente.
Du choix des chefs sous influence étrangère
L’invasion et la conquête des Arabes musulmans étant commencée en Afrique septentrionale par l’Égypte, en 640-642, et terminée au Maroc, en 700-710, les conquérants se lancèrent aussitôt à l’assaut de l’Espagne dès 711.
En ce début du VIIIe siècle, les mêmes Arabes musulmans entreprirent l’invasion et la conquête à de l’Afrique de l’Est par les côtes de la mer Rouge et de l’océan Indien voire par la vallée du Nil :sur les deux premières côtes, ils durent se battre contre les Aksoumites et les Ethiopiens présents en conquérants alors sur le sol de l’Arabie et furent bloqués par les combattants aksoumites puis éthiopiens christianisés, arc-boutés sur les contreforts de leurs hauts plateaux impénétrables. Ils s’établirent alors sur dans les îles et sur les côtes de la Tanzanie actuelle mais, dans la vallée du Nil, ils furent arrêtés par les Soudanais pour plus de six cents ans jusqu’au XIVe siècle.
Par infiltration progressive et islamisation notamment par le commerce, ils purent, à partir déjà du XIe siècle, entreprendre la pénétration dans les régions du Sahel, assistés par les Berbères et Touaregs islamisés : cette islamisation a imposé des systèmes de gouvernement à succession dynastique familiale directe conformes aux pratiques arabo-islamiques même dans les communautés qui se sont librement converties à l’islam.
Entre l’invasion et la destruction de l’empire de Sonhraï, au Soudan occidental, par les Marocains à la bataille de Tondibi, en 1591, et celles du Soudan oriental par les troupes égyptiennes de Mohamed Ali en 1822-23, le tiers nord de l’Afrique jusqu’aux marches méridionales du Sahel était devenu le champ d’expansion pour conquérants musulmans, bâtisseurs de royaumes et empires.
C’étaient des États esclavagistes dont le pouvoir, généralement autoritaire, pour ne pas dire despotique, s’accommodait de l’esclavage : la succession au pouvoir y est dynastique et familiale comme c’est encore le cas au nord du Nigeria où la famille de Usman Dan Fodio, le grand conquérant et fondateur d’empire du début du XIXe siècle règne toujours sur le sultanat de Sokoto.
Dans le même temps, à la recherche d’esclaves noirs à exporter dans le Nouveau Monde américain et dans les îles plantations de ‘océan Indien, les négriers européens dotés d’armes à feu se ruèrent par le golfe de Guinée et l’océan Indien en Afrique où leur irruption armée contribua pour beaucoup au réaménagement général dans les régions envahies : ils introduisirent des armes à feu qui donnèrent un avantage à leurs possesseurs qui, à partir des zones côtières, se mirent à constituer des royaumes guerriers et esclavagistes, spécialisés comme pourvoyeurs en bois d’ébène de leurs commanditaires, négriers européens. Dans ces États sans ambitions collectives pour les populations asservies, la succession au pouvoir ne pouvait être que dynastique dans la famille du bâtisseur de l’État esclavagiste ou se faire au hasard d’une usurpation sanglante. Dans le même temps, les régions isolées ou lointaines d’accès difficiles aux razzias négrières, les chefs et souverains traditionnels avaient conservé au pouvoir ses pratiques traditionnelles de succession sauf que, pour protéger les communautés des menaces négrières, le pouvoir revient désormais à des chefs reconnus comme des combattants aguerris pour une meilleure défense de la communauté. Avec le reflux de la traite esclavagiste et le réaménagement endogène de la carte politique africaine qui s’ensuivit, de 1830 et 1880, les villages, royaumes et empires constitués pouvaient se répartir en États avec des modes d’accession au pouvoir combinant les pratiques traditionnelles de désignation par les corps constitués à la succession dynastique par primogéniture masculine en passant par la combinaison des deux. Des pratiques que les techniciens européens de la colonisation les plus avisés maintinrent après avoir vidé le pouvoir de toute autorité ou changé carrément de dynasties régnantes en renversant celles qui s’étaient montrées hostiles à la présence étrangère. En effet, il y eut de formes principales d’administration coloniale : d’une part, la formule de l’« Indirect Rule » dont le futur Lord Frederick John Dealtry Lugard fut le zélateur dans les colonies britanniques et qui conservait les structures politiques traditionnelles en Afrique occidentale notamment au Nigeria et en Gold Coast, et en Afrique australe avec des structures monarchiques maintenues au Swaziland, au Basutoland, actuel Lesotho, au Bechuanaland, actuel Botswana, et, en Afrique de l’Est, en Ouganda et au sultanat de Zanzibar; d’autre part, la formule de l’«Administration directe » principalement imposée dans les colonies françaises et du portugaises, sans oublier la combinaison des deux systèmes dans les colonies allemandes, espagnoles et italiennes, les chefferies et royautés à la tête des nouvelles collectivités territoriales constituées presque partout, furent totalement vidées de toute autorité et leurs responsables, souvent soumis ou compromis avec les occupants coloniaux, sont nommés assez parmi les combattants supplétifs des troupes coloniales et connus pour leur forte capacité de nuisance. D’essence étrangère incontestable, le pouvoir de ces chefs, hommes liges des colonisateurs, servait tout simplement comme courroie de transmission des instructions et ordres du colonisateurs et, de plus, jusqu’à l’indépendance des pays africains, ces responsables nommés étaient à la merci des colonisateurs. Au lendemain des indépendances africaines, il fallait, au regard des expériences socio-historiques diverses vécues par leurs populations, que l’intelligentsia dans les nouveaux États constitués réfléchissent minutieusement sur la nature du régime politique, monarchie ou république, appelé à leur servir d’orientation générale. Pour ne l’avoir pas fait, les sociétés africaines se retrouvent aujourd’hui sans orientation politique clairement définie et sans institutions politiques efficaces.
Du choix aléatoire des dirigeants actuels
Le mode actuel de désignation des dirigeants en Afrique souffre de l’état de dépendance dans lequel se trouvent les pays africains qui, dans la réalité, tout en étant décolonisés, ne cessent de demeurer intégrés dans la sphère d’influence ou dans la zone d’expansion des nations industrielles avancées qui ont un besoin vital de leurs ressources naturelles et marchés.
À ce titre, le mode actuel de désignation des chefs dans les pays africains, objet de l’attention particulière des forces et puissances étrangères dominatrices, est sujette au vieux principe colonial « diviser pour régner » des Romains conquérants dans le cadre d’États constitués non pour rassembler et assurer le développement et réduire les inégalités chez les populations concernées mais plutôt pour « entretenir entre elles la haine, la zizanie, la discorde, le désordre et l’anarchie » pour mieux les dominer selon les propos du echnicien de la colonisation que fut le maréchal français Joseph Gallieni.
Avec des États qui, pour la plupart, ne sont guère l’expression des ambitions collectives de leurs peuples mais plutôt la marque des intérêts et privilèges octroyés aux gouvernants par les forces et puissances étrangères dont ils sont les commanditaires, le choix des dirigeants relève plutôt de combinaisons hardies que des règles formellement inscrites dans les Constitutions. Certes, dans les monarchies ou républiques établies en Afrique, des règles strictes régissent le choix des chefs et des responsables administratifs. En dehors des rois du Lesotho, du Maroc et du Swaziland, désignés selon de vieux règlements traditionnels établis, les présidents de République africains sont élus au suffrage universel direct. Mais ce suffrage universel relève plus du recours bonapartiste au vote plébiscitaire qu’à un scrutin libre, équitable et transparent répondant aux normes démocratiques universellement reconnues. Même dans ce cas, les résultats souvent arrêtés à l’avance résultent de fraudes, d’irrégularités et de tripatouillages dont sont complices les forces et puissances étrangères préoccupées de la pérennité au pouvoir des leurs hommes liges. La nomination aux postes de responsabilité dans l’Administration, même formellement objet de concours basés sur l’appréciation des compétences requises, est sujette à des arrangements fondés sur le népotisme, le clientélisme et les considérations tribalo-ethniques et régionalistes qui desservent souvent les plus méritants et rendent les services publics souvent inefficaces comme du reste les entreprises parapubliques. En fait, ces errements dans le choix des dirigeants dans les pays africains témoignent de la fragilité des États constitués sur la base de systèmes et régimes politiques inadaptés aux réalités socio- historiques et aux ambitions, aspirations et espérances des sociétés africaines actuelles.
Du système politique adapté à la modernisation des sociétés africaines
En réalité, posée avec une acuité extrême, la problématique du système politique le meilleur pour gérer les sociétés africaines dominées de l’extérieur et aspirant au développement et à la démocratie va de pair avec celle de la nature même de l’État africain à construire pour gérer le pouvoir et s’en servir comme moteur du développement et de la réduction des inégalités dans la liberté et la justice. À ce sujet, la question se pose de savoir comment développer et démocratiser des sociétés dominées de l’extérieur et en crise en oubliant que les pays industriels confirmés et de démocratie avancée de nos jours sont passés presque tous successivement du régime de despotisme éclairé à celui de l’État libéral, puis, à l’État démocratique évoluant actuellement vers la société démocratique dans laquelle le pouvoir d’État est appelé à se diffuser progressivement à la base vers les citoyens mieux informés, mieux instruits et mieux éduqués. Et on ne peut oublier le régime de dictature, système politique d’exception, aujourd’hui systématiquement décrié mais destiné à gérer temporairement un état d’exception dans le but de favoriser le retour à la normalité institutionnelle : il est d’ailleurs toujours d’actualité dans les vieux États démocratiques sous les formes d’état d’urgence et d’état de siège, constitutionnellement institués pour gérer avec le concours des forces armées les situations de crise grave qui dépassent les possibilités des institutions régulièrement établies pour gouverner. Convaincus de la difficulté de la gouvernabilité des sociétés démocratiques, des philosophes, penseurs politiques voire hommes politiques comme ceux regroupés dans la Commission trilatérale 12n’ont pas hésité pas à penser à un contrôle voire une réduction des libertés et des droits de l’homme pour que les sociétés industrielles avancées soient gouvernables.
Ainsi, la question du choix des chefs, intégrée au problème de la gouvernance, relève avant tout de la conception que l’on se fait de l’État. Comme une entreprise d’intérêt général, chargée de la gestion du pouvoir dans une communauté humaine constituée (peuple ou nation) avec le monopole de la coercition et de la force, l’État a besoin de jouir de l’indépendance et de la souveraineté pleine et entière pour assumer correctement la protection de ses citoyens et assumer efficacement sa mission de développement et de réduction des inégalités dans le pays sous sa juridiction. Ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays qui se veulent des républiques notamment en Afrique noire où des chefs, chefs supérieurs, rois et autres empereurs jouissent encore de prestige suffisant au point de défier l’autorité de l’État. Au vu de l’histoire des nations industrielles et démocratiques actuelles, c’est au regard de la mission qui lui est impartie que l’État est organisé allant du despotisme éclairé à l’État libéral patrimonial, puis à l’État gendarme mais démocratique qui se dilue de nos jours dans la société de liberté très avancée marquée par la démocratisation poussée de ses institutions politiques et administratives. À chacune des étapes de ce processus, le choix des chefs était fonction de leurs responsabilités : dirigeants rassembleurs, charismatiques, clairvoyants, efficaces et visionnaires, appelés à fonder ou à conduire un État de droit moderne fort et à bâtir une société industrielle et prospère, ils se révèlent rarement, parfois un ou deux par siècle et l’Afrique actuelle n’échappe pas à cette règle par l’incapacité de son intelligentsia à préparer intellectuellement les mutations sociopolitiques qui s’imposent. Les sociétés africaines d’aujourd’hui, tiraillées entre la tradition et la modernité, souffrent sans nul doute du manque de direction politique clairvoyante et efficace, qui, aux dires du dirigeant singapourien Lee Kuan Yew, est à l’origine du déclin des peuples et des nations. Mais cette lacune cache un mal encore plus profond : l’extrême difficulté voire l’incapacité dans laquelle se trouvent les élites africaines à oeuvrer à la modernisation de leurs sociétés à partir d’une nouvelle vision du monde, d’une nouvelle conception de l’existence et d’une nouvelle méthodologie d’action tout en sauvegardant les valeurs traditionnelles positives qui permettent à leurs peuples de préserver leur identité culturelle. La solution passe par une vaste entreprise de préparation intellectuelle préalable des populations africaines. Elle exige de l’intelligentsia africaine de se convaincre et de convaincre toutes les autres classes et couches des populations africaines que la vie est un combat et le monde fait de concurrence, de compétition et de combat, de penser la modernisation des sociétés africaines à l’aune des terribles enjeux mondiaux et des larges défis à relever. Sur ce point, il faut se garder d’angélisme, de candeur, d’idéalisme et de sentimentalisme et ne pas croire qu’un quelconque salut viendrait de l’extérieur. De rudes efforts et de durs sacrifices s’imposent sur une longue période, le temps nécessaire pour l’accumulation à tous les niveaux de la société et de formation intellectuelle et morale, scientifique et technique des populations. Et, cette période délicate ne peut être gérée que par un État fort, orientation démocratique avérée qu’il revient aux penseurs les plus féconds d’imaginer et aux hommes d’État au caractère trempé de construire.
Notas de pie de página
11 En anthropologie culturelle, une société est dite schismo-génétique quand ses mutations sont fondées sur la force et la violence entre ses classes et couches : sociétés européennes et même asiatiques, marquées par des luttes permanentes entre les classes et entre les couches sociales. Par contre, avant l’irruption des nations étrangères conquérantes, la plupart des sociétés traditionnelles d’Afrique, de l’Amérique précolombienne et de l’Océanie, basées sur la recherche permanente du consensus, étaient jugées stagnantes par manque de capacité interne de mutation et, à ce titre, étaient reconnues sans une dynamique interne de rupture novatrice.
12 La Commission trilatérale fut créée en novembre 1972 par des membres haut placés du Council for Foreign Relations (CFR), cercle très influent sur la politique nord-américaine, siégeant à New York, et de l’utrasecret Groupe de Bilderberg comprenant des personnalités américaines des hautes sphères de la politique, de la finance, de l’économie et de la presse et de leurs alliés ou ralliés européens y compris les réformateurs est-européens sous l’égide du dirigeant soviétique Mikhaël Gorbatchev et asiatiques. Elle a pour but officiel de rassembler toutes les nations industrielles d’Amérique du Nord, d’Europe et le Japon en vue de construire entre elles une étroite coopération politique et économique.
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