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Análisis

Gouvernance, légitimité et légalité au Mali

Intervention de Bintou SANANKOUA au colloque IRG/ARGA de Bamako (Mali), janvier 2007

2007

Comment la gouvernance malienne a-t-elle évoluer à travers l’histoire et les changements de sources de légalité et de légitimité ? Sur l’enracinement de la gouvernance dans les dynamiques endogènes, l’histoire du Mali est significative par la continuité de son organisation qui se trouve bouleversée par l’intégration de facteurs non africains.

Cette contribution s’inscrit dans le cadre du colloque organisé par l’IRG et L’ARGA en janvier 2007 à Bamako (Mali). Elle s’inscrit plus particulièrement dans la session de débat sur « LE CHOIX DES DIRIGEANTS ».

Contenido

Par rapport au thème général, le choix des dirigeants, j’ai intitulé ma présentation: «Gouvernance, Légitimité et légalité au Mali», non pour restreindre le sujet, mais, parce que le Mali actuel, héritier du Grand Mali, du Mali des grands empires de l’Afrique de l’Ouest est un résumé de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest sahélo-saharien, objet de notre réflexion. Son histoire ininterrompue, du IXe au XVIe siècle, de l’empire de Ghana à la chute de l’empire Songhay en 1591, a couvert l’Afrique du lac Tchad à l’océan Atlantique. Pendant ces longs siècles, le centre et les périphéries se sont déplacés, mais l’histoire est restée ininterrompue.

Les maux dont souffre l’Afrique aujourd’hui, (pauvreté,maladies, conflits, corruption) sont attribués à la mauvaise gouvernance.

La deuxième raison de cet intitulé est que ce Mali, à travers ces siècles, a connu et pratiqué toutes les formes de gouvernance endogènes à l’Afrique: des plus simples, au niveau de la tribu, aux plus élaborées, dans les sociétés lignagères ou segmentaires, les royaumes, ou les empires. Il a connu toutes les formes de construction d’État, du regroupement consensuel à la domination par la force. Le Mali est un concentré, un résumé de l’histoire de la gouvernance dans la région.

Le Mali a mis au point, très tôt, des modes de gouvernance qui lui ont permis d’organiser dans la paix, la stabilité et la sécurité, les rapports entre les différentes composantes de la société, les modes de production économique et de transmission du pouvoir. Il a élaboré des outils et mécanismes pour régler les crises et les conflits internes et externes. Les gouvernants tiraient la légalité et leur légitimité des référentiels culturels, sociaux et économiques internes. La nécessité de l’autorité est culturelle, elle est profondément et anciennement ancrée dans les esprits dans cette partie de l’Afrique.

Les maux dont souffre l’Afrique aujourd’hui, (pauvreté,maladies, conflits, corruption) sont attribués à la mauvaise gouvernance. La bonne gouvernance est brandie comme la solution de tous ces maux, la panacée, et de plus en plus comme la conditionnalité de l’aide extérieure.

Quand le Mali avait l’initiative et était responsable de son propre destin, il a réglé de façon autonome la question de la gouvernance, ce qui lui a valu une histoire continue, plusieurs fois centenaire. Aujourd’hui, avec l’évolution et les changements qu’elle implique, les différents contacts avec le monde extérieur, la question de la gouvernance intègre des facteurs non africains au point que les peuples africains ne s’y reconnaissent pas.

L’objet de cette présentation est de montrer l’évolution de la gouvernance au Mali à travers les différentes périodes historiques, les changements des sources de la légalité et les problèmes de légitimité que pose le suffrage universel.

Avant la colonisation

Avant la colonisation, le culte des idoles et des anciens, morts ou vivants, avait une importance particulière dans la société. Les classes d’âge donnaient les repères.

Une assemblée d’adultes formalisait le choix du dirigeant.

L’âge donnait la légitimité. On choisissait le dirigeant en fonction de l’âge, le plus âgé étant celui qui se rapprochait le plus des anciens. Le pouvoir se transmettait de frère à frère par ordre de naissance. Une assemblée d’adultes formalisait le choix. Elle pouvait décider de faire régner un frère plus jeune si l’aîné, pour une raison ou une autre (maladie, débilité, incapacité évidente), n’était pas en mesure d’assumer la charge. Le choix des dirigeants était trop important dans ces sociétés, pour que tout le monde y participe. Il était réservé à une élite gérontocratique minutieusement sélectionnée. N’importe quel vieux ne pouvait accéder au pouvoir. Il devait appartenir à l’élite qui tient sa légitimité soit de la conquête, soit de l’appartenance à la descendance des dirigeants. Le pouvoir restait toujours dans la même famille et le même clan. Toute velléité de changement provoquait une crise.

L’arrivée de l’islam influe sur tous les secteurs de la vie, y compris le secteur politique

La traite des Noirs et le commerce transatlantique ont profondément modifié la gouvernance dans les pays côtiers d’Afrique. Ils sont à l’origine des États esclavagistes dans le golfe du Bénin. Leur impact sur les États sahélo-sahariens est beaucoup plus faible à cause de leur éloignement de la côte et d’une tradition millénaire de commerce avec le monde musulman à travers le désert du Sahara et la mer méditerranée. L’élément extérieur qui va profondément influer la gouvernance dans cette partie de l’Afrique de l’ouest est l’islam.

L’arrivée de l’islam influe sur tous les secteurs de la vie, y compris le secteur politique. Le pouvoir ne se transmet plus exclusivement par voie collatérale, mais de père en fils. Ce changement de légitimité et de légalité a été à l’origine de crises de succession dans les Etats qui ont adopté la nouvelle religion, avant que la transmission du pouvoir de père en fils ne s’impose à tous, avec son enracinement. Dans les empires du Mali et du Songhaï, l’islam a marqué, de façon indélébile le fonctionnement politique, social, économique et culturel de l’État.

La Dina (1818-1862) était un État théocratique fondé au nom de l’islam et régi selon ses prescriptions. Le nouveau pouvoir, pour se légitimer demande et obtient la caution des autorités religieuses de référence de la région, les Kounta, propagateurs de l’islam qadirriya dans tout le delta du Niger et les Dan Fodio, califes de Sokoto. Elle était dirigée par le Shayk fondateur, vainqueur de la bataille de Nukuma, assisté par une grande assemblée, le Batu Mawdo, composé de 100 oulémas. L’islam ici est la seule source de légitimité et de légalité. Le renouvellement du Batu Mawdo se faisait sur la base exclusive de la culture et de l’instruction islamiques. Pour prétendre siéger à l’auguste assemblée, il fallait être âgé au moins de 40 ans, être marié, avoir un bon niveau d’instruction, c’est-à-dire comprendre et écrire l’arabe, connaître le coran, retenir par coeur au moins deux hizb2, et avoir étudié au moins huit ouvrages de droit malékite3.

À la mort de Sékou Amadou, le fondateur de l’État, son fils Amadou Sékou lui succède. Mais à la mort de ce dernier, les oulémas du Batu Mawdo sont divisés à propos de sa succession. Certains, dont des compagnons du fondateur de l’État, jugent son fils Amadou Amadou trop jeune (il avait 20 ans) et trop peu instruit pour être Amir el Mumini4, titre des souverains de la Dina. Ils proposent de préférer au fils immature, un frère, (en réalité un cousin) du défunt qui remplisse les conditions islamiques établies par le Batu Mawdo. D’autres pensent qu’il faut s’en tenir au respect formel de la tradition islamique qui veut que le fils du souverain succède au père. Une crise grave de succession éclate. Il a fallu faire appel aux traditions peul préislamiques pour éviter l’éclatement de l’État. Finalement, Amadou Amadou succède à son père. La crise est surmontée même si elle laisse des traces.

Pendant toute la période précoloniale, les problèmes liés à l’exercice, à la gestion, et à la transmission du pouvoir ont été régi par des mécanismes internes.

Les populations se sont appropriées l’islam de rite malékite qui leur permettait de recourir largement à leurs traditions. En plus, il s’est propagé plutôt pacifiquement (à l’exception de quelques épisodes guerriers, comme la conquête almoravide de Ghana au XIe siècle, qui ne s’est pas accompagnée d’occupation ou d’invasion massive, ou la fondation de la Dina qui répondait davantage à des impératifs économiques que religieux) chez les commerçants d’abord, dans la classe dirigeante ensuite, et progressivement au niveau de la population, ce qui explique qu’il ne soit ni perçu, ni vécu comme étranger, encore moins comme une agression, contrairement à la colonisation.

Pendant la colonisation

Avec la conquête coloniale, les règles d’accession au pouvoir et à son exercice changent totalement. L’autorité est directement exercée par la puissance coloniale, selon des règles inconnues et incompréhensibles des populations. Les dirigeants qui se sont opposés avec acharnement à la conquête ont été tués ou remplacés par une branche familiale rivale ou par d’autres qui n’avaient traditionnellement aucun rapport avec le pouvoir. Leur pouvoir était celui que le colonisateur leur conférait, généralement la levée des impôts ou le recrutement pour les travaux forcés. Ces chefs, qui tenaient la légalité de la puissance occupante, n’avaient aucune légitimité aux yeux des populations, soumises à des règles qui leur étaient totalement étrangères5, réduites à l’état de sujets français, donc infantilisés et irresponsables.

Il faut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour voir la reconnaissance des droits fondamentaux des colonisés.

La réalité de la conquête française est complètement différente de leur pratique. Pour constituer des empires, il a bien fallu soumettre par la conquête d’autres royaumes. Les vaincus étaient maintenus à la tête de leurs royaumes qui devenaient des provinces de l’État central. Ils étaient juste astreints au payement annuel d’un impôt de soumission.

Il faut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour voir la reconnaissance des droits fondamentaux des colonisés y compris par la suite le droit de choisir leurs dirigeants, selon les règles définies par le colonisateur, et qui n’ont rien à voir avec les traditions africaines d’accession au pouvoir. Des règles complètement étrangères. Les premières élections organisées sont favorables aux « amis » du colonisateur. Mais très rapidement, l’élite africaine comprend et maîtrise le système, l’utilise pour vaincre le régime colonial au nom des principes de Liberté, Égalité, Fraternité.

Avec l’indépendance

Une fois l’indépendance acquise, les dirigeants africains ne changent pas les règles qui leur ont permis d’accéder au pouvoir au détriment de ceux qui en avaient la légitimité traditionnelle.

Le scrutin électoral, avec vote au suffrage universel est désormais la seule source de la légalité. Il est vidé de son contenu démocratique avec l’avènement du parti unique au lendemain de l’indépendance. Les dirigeants, y compris au niveau des postes électoraux, sont désignés en fonction de leur appartenance ou de leur fidélité au parti ou de leur « inféodation » au président de la République, chef de l’État, premier responsable du parti-État, qui nomme à toutes les fonctions.

Le scrutin n’est ni libre, ni démocratique.

Les élections, présidentielles et législatives sont organisées régulièrement, même par les pouvoirs militaires issus de coup d’État nombreux en Afrique de l’Ouest. Elles se déroulent de façon formelle et donnent les apparences de respectabilité au régime en place. Personne n’est dupe, mais tous (y compris ceux qui crient aujourd’hui à la mauvaise gouvernance en Afrique) ferment les yeux. Le scrutin n’est ni libre, ni démocratique.

Le système a perduré avec ses déviances parce qu’il y a eu appropriation par l’intégration de certaines croyances ou pratiques. Par exemple en Afrique, on ne quitte pas le pouvoir, on meurt au pouvoir. Le peuple doit se soumettre au pouvoir. En réalité on ne prend en compte ici qu’un élément, la partie qui intéresse, sans la contrepartie. On doit assurer au peuple qui se soumet la sécurité, la prospérité, le bien-être. C’était le prix ou la condition de la soumission.

À la longue ce système est devenu insupportable. Le pouvoir ne jouait pas sa partition. Il n’assurait pas à l’ensemble du peuple ce que celui-ci était en droit d’attendre de lui, la sécurité et le bien-être. Seule une minorité, constituée par les parents, amis et alliés profitait du système. Le plus grand nombre était exclu et du pouvoir et des richesses nationales.

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’élite politique et intellectuelle avait demandé l’application de la devise de la république française, Liberté Egalité Fraternité. Depuis, elle s’est totalement disqualifiée par la pratique, la complicité ou la collaboration avec un pouvoir autocratique et partisan. C’est la société civile, particulièrement les femmes, les jeunes, les syndicats et les magistrats, qui exige à partir des années 90, le respect des principes démocratiques et l’instauration du multipartisme.

Les Maliens, ne se reconnaissaient pas dans un pouvoir qui ne leur apportait ni le bien-être, ni la sécurité6. Ils s’en débarrassent par une insurrection populaire très violente, connue sous le nom de révolution de mars 91. Une transition pilotée par un Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) est chargée de rattacher le Mali à la modernité en le dotant d’institutions démocratiques et républicaines. Le Mali tourne ainsi définitivement le dos à son histoire et à sa culture politiques. La constitution de 1992, la charte des partis, et la loi électorale 7 le font basculer dans le concert des nations démocratiques et modernes, où seul le suffrage universel confère légitimité et légalité.

Quelle est la légitimité du suffrage universel dans le contexte malien?

L’élection est le mode d’expression de la démocratie. Le vote au suffrage universel est le moyen de sa mise en oeuvre. Il fait participer tout le mode, y compris les jeunes, au vote, donc au choix des dirigeants. Tout le monde peut être candidat à toutes les élections, et devenir président de la République, député ou maire. Les critères d’éligibilité sont ceux exclusivement définis par la loi.

Ces nouvelles sources de la légalité et de la légitimité ne prennent en compte ni l’héritage politico-institutionnel, ni les mécanismes de reproduction du pouvoir en Afrique. Comme déjà mentionné, seule une élite, d’un certain âge, aristocratique, guerrière ou maraboutique, pouvait accéder au pouvoir. Les dirigeants procédaient à une large concertation, et exerçaient le pouvoir de façon collégiale. Tous ceux qui étaient concernés par une décision étaient consultés avant qu’elle ne soit prise, mais tout le monde ne participait pas à la prise de la décision. On voit bien ici que la notion de démocratie n’était pas inconnue des Maliens, même si sa base n’était pas large, seulement aristocratique, guerrière, ou maraboutique.

De la manière dont les choses sont perçues actuellement, le suffrage universel confère la légalité sans garantir la légitimité. La population malienne est constituée à plus de 70 % d’analphabètes qui ne comprennent pas grand-chose au nouveau mode de désignation des dirigeants, qui, de toutes façons n’a pas amélioré leurs conditions de vie. La multitude de partis politiques ne correspond à aucune réalité politique ou sociologique sur le terrain. Les populations ne se reconnaissent pas ou ne se retrouvent pas dans le système des partis qui mobilise une très faible proportion sur une base et selon des critères qui ne leur sont pas familiers.

Quelle est la légitimité des dirigeants issus d’un scrutin où à peine un quart des électeurs prend effectivement part au vote?8 Quelle est la légitimité des dirigeants dont les modes de désignation (suffrage universel) ne représentent et ne signifient rien dans la mémoire collective de la grande majorité de la population ? Quelle est la légitimité des dirigeants dans lesquels les administrés ne se reconnaissent pas ? Quelle légitimité le suffrage universel confère-il aux dirigeants mal élus, quand toutes les phases préparatoires et les résultats des élections sont systématiquement contestés par l’opposition qui les ont perdues ? Quelle est la légitimité des vainqueurs d’un scrutin quand ils sont contraints de faire participer les perdants à la gestion des affaires pour pouvoir gouverner ? Quelle est la validité du suffrage universel pour une population à majorité analphabète ?

Toutes ces questions et bien d’autres montrent les difficultés d’appropriation par les populations, de modes d’accession au pouvoir qui leur sont étrangers.

L’anecdote suivante rend bien compte de la situation et illustre les conflits de légitimité. Lors des élections législatives de 1998 à Nara, un mari a chassé du domicile conjugal son épouse, parce qu’elle avait voté pour la liste du parti de son frère, un parti différent et concurrent de celui de son mari. Pour l’épouse, elle devait être du côté de son frère et le soutenir dans toutes les situations. Si un jour elle avait un problème grave, c’est ce dernier qui serait tenu de s’occuper d’elle. Pour le mari, son statut d’époux, et de chef de famille, lui donne droit à l’obéissance de sa femme qui doit se ranger de son côté en cas d’adversité, et lui obéir en toutes circonstances. Comment pourra-t-il demander dans la ville à d’autres de voter pour la liste de son parti s’il n’est même pas capable de faire voter dans ce sens sa propre femme ? Une femme qu’il a épousé en payant une dot et qu’il entretient à la maison ! C’est le comble de l’humiliation. Il a fallu faire appel aux mécanismes endogènes de règlement interne des conflits pour sauver le couple.

Quelle est la légitimité du multipartisme dans le contexte d’une telle réalité socio-culturelle ?

Les populations se sont adaptées ou se sont approprié à leur manière les modes de fonctionnement moderne qui leur sont imposés. L’adhésion à un parti politique, en ville et en campagne, ne se fait pas en fonction d’un programme ou d’un projet de société, mais en fonction des relations de parenté, d’amitié, d’alliance ou autre. Pendant les campagnes électorales, les notabilités des villages reçoivent tous les candidats ou représentants des partis avec la même déférence, acceptent les honneurs 9 et tous les supports de campagne de tous les partis. Ils se répartissent entre les différents partis qui comptent, de façon que, quel que soit le vainqueur du scrutin, le village se trouve toujours du côté du gagnant.

Les populations rurales rentrent de plus en plus dans le jeu avec la décentralisation et les élections de proximité. Dans les communes rurales, le chef de village (chef traditionnel) conserve ses prérogatives et cohabite avec le maire élu qui représente la nouvelle légitimité. Quand les populations ont compris l’importance du maire, elles ont réglé la question à leur niveau. Elles se mobilisent fortement pour les élections communales contrairement aux élections nationales. En plus, quelle que soit l’appartenance politique du maire, une fois les élections terminées, elles font taire les différences politiques. Le conseil communal, le chef de village et ses conseillers travaillent ensemble pour le développement de la commune. Dans les communes urbaines, le parti politique qui gagne les élections en impose aux autres.

La démocratie est une forme de gouvernance universelle, suffisamment moderne pour que les Africains ne l’adoptent pas, dans un contexte de mondialisation. Il est de la responsabilité des élites, intellectuelles et politiques, d’interroger les lieux de fabrication de nos identités pour retrouver nos repères et intégrer l’esprit de notre héritage politico-institutionnel et de notre culture dans ces nouvelles modes de gouvernance.

Il faut pour cela « quitter la natte de l’autre », comme dirait le doyen feu Ki Zerbo, natte de l’autre conçue pour nous couper de nos racines. Nous devons donner à nos langues nationales la place qu’elles méritent dans notre système éducatif. En continuant à enseigner dans une langue étrangère, qui véhicule une autre culture, il serait difficile d’enraciner les jeunes dans leur propre culture, sans parler des difficultés pour maîtriser le système. Aujourd’hui, la plupart de nos États allouent plus du quart du budget national à l’éducation. Pourtant il y a de plus en plus d’enfants non scolarisés, de plus en plus de diplômés au chômage dans des pays où on a besoin de tout. L’école et l’université sont en crise partout dans nos pays !

Nous devons « quitter la natte de l’autre » en définissant nous- mêmes nos priorités. Les programmes d’ajustement structurel, la libéralisation sauvage, la privatisation des secteurs vitaux comme ceux de l’eau et de l’électricité, le dépérissement spectaculaire de l’Etat, imposés par les bailleurs de fonds, dans des pays où le secteur privé n’est pas en mesure de jouer un rôle déterminant, ne sont pas de nature à favoriser la démocratie et la bonne gouvernance.

Il est nécessaire, pour avancer et s’installer dans la modernité, de faire comprendre aux populations et le sens et le système du suffrage universel. Par exemple, aux élections législatives de 1992, les premières élections pluralistes depuis l’indépendance, au lendemain de la révolution de mars 91, les populations d’un village bobo du cercle de San ne comprenaient pas pourquoi le candidat qu’elles soutenaient est vaincu, et un candidat concurrent, qui avait obtenu moins de 30 voix, élu député. On leur avait pourtant expliqué que celui qui obtiendrait le plus de voix serait élu ! Ce qu’on ne leur avait pas expliqué et qu’elles ne savaient pas, c’est que le jour du scrutin, le chef de village ne pouvait pas dire publiquement que tous les natifs du village devaient voter Adema 10. Ce qu’il a fait, et ce qui a valu à sa liste d’être attaquée et invalidée.

Pour que les populations s’approprient les différents concepts liés à la démocratie, il faut prendre les références dans les éléments de leur culture et donner des exemples qui représentent quelque chose pour elles.

Par exemple pour l’alternance, le vote au suffrage universel donne la possibilité de maintenir ou de chasser les dirigeants du pouvoir. Dans la plupart des États précoloniaux, ne régnaient, ou ne se maintenaient au pouvoir, que ceux qui pratiquaient ce qu’on appellerait aujourd’hui « la bonne gouvernance ». Les tyrans, les faibles et irresponsables, ou ceux qui se souciaient peu du bien-être général, disparaissaient d’une manière ou d’une autre.

Les États-nations, issus du système colonial, n’ont d’autres choix, s’ils veulent être crédibles aux yeux de leurs peuples et de leurs partenaires, et s’ils veulent donner des chances à l’intégration sous-régionale, que de renforcer la démocratie en la rendant compréhensible pour les populations.

Notas de pie de página

2 Une division du coran et un ensemble liturgique.

3 C’est l’islam de rite malikite qui laisse une très grande place à la coutume qui a pénétré dans la zone.

4 Commandeur des croyants.

5 Djibo Hamani, dans sa communication au colloque international de Niamey en 2002 sur la chefferie traditionnelle et l’État postcolonial en Afrique de l’Ouest, intitulée « Des Institutions précoloniales africaines à la chefferie traditionnelle », montre comment le colonisateur français a éliminé les dirigeants africains et créé de

toute pièce la chefferie traditionnelle pour servir d’interface entre le pouvoir colonial et les populations.

6 Dans certains Etats précoloniaux, assurer à la population le bien-être, la sécurité et la prospérité était une obligation pour le souverain. S’il n’y arrivait pas pour une raison ou une autre, il était tout simplement éliminé.

7 La charte des partis et la loi électorale ont été modifié plusieurs fois pour tenir compte de l’évolution d’une jeune démocratie qui cherche sa voie.

8 La faible participation des Maliens aux différents scrutins électoraux est la grande plaie de la démocratie malienne.

9 Donner à l’hôte qui vous reçoit de la cola ou quelques billets de banque est une façon de l’honorer et marquer sa déférence.

10 Parti du président Konaré, vainqueur des premières élections pluralistes du Mali après la révolution de mars 91.

 

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