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note de lecture

L’Etat Africain, pris entre gouvernance locale et gouvernance globale

Du ‘‘mal gouvernement ’’ à la gouvernance en Afrique

Auteur : Sandra Gondi-Gandzion et Karine Le Breton

Par Martin Vielajus

janvier 2005

Table des matières

« La gouvernance est un phénomène plus large que le gouvernement. Elle inclut des mécanismes gouvernementaux, dans le sens strict du terme, mais elle s’étend à des dispositifs informels, non gouvernementaux, par lesquels, au sein de ce cadre, individus et organisations poursuivent leurs propres intérêts » .

Au travers de cette définition proposée par Philippe Moreau-Desfarges (dans son ouvrage La Gouvernance) l’Etat devient un simple acteur de la politique, confronté à d’autres acteurs locaux et internationaux. Or, face à la légitimité précaire de l’Etat africain, ces nouveaux acteurs peuvent laisser à l’Etat un champ d’action étroit et tendre ainsi à déresponsabiliser les institutions officielles.

Le point de vue de cet ouvrage est avant tout juridique. Le secteur de la justice apporte une illustration intéressante de l’empiètement des formes de gouvernances locales sur le pouvoir des instances officielles. En effet, des tribunaux trop éloignés géographiquement d’une partie de la population, leur manque de compétences en matière de mise à jour des textes de loi mais aussi et surtout le déphasage du droit officiel - une grande partie des textes de loi datent de l’époque coloniale – peuvent pousser la population à avoir recours à d’autres instances de justice, notamment traditionnelles. Cette situation est analysée au regard de la justice Congolaise, qui observe effectivement une forme de dualité entre justice traditionnelle et justice Etatique, mais aussi bien souvent un métissage de ces deux pratiques. Cette situation de métissage est particulièrement vérifiée dans les zones urbaines, qui mêlent le droit étatique à différents types de coutumes au travers notamment de la mise en place d’associations de parajuristes ou encore grâce à l’action d’ONG telles que RCN Justice et Démocratie. C’est ainsi qu’en matière de droit « la gouvernance imagine une multiculturalité souple » (selon les termes de Philippe Moreau-Desfarges).

Un point essentiel de cette analyse est la logique « palliative » dans laquelle semble se trouver la gouvernance locale. « La gouvernance permet de survivre dans un Etat où les autorités n’ont pas les moyens, la capacité de remplir son rôle… » . Parallèle à cette forme de « déresponsabilisation » de l’Etat se forme de fait une délégitimation de l’Etat. En effet la prise en charge d’une partie des compétences judiciaires par les secteurs associatifs et non-gouvernementaux pousse la Communauté Internationale à s’adresser plus directement à ce type de partenaires.

La Communauté Internationale apparaît donc comme l’autre coté de l’étau dans lequel l’Etat africain semble enfermé. Les mécanismes d’aides, bilatérales ou multilatérale, laissent aux Etats destinataires un pouvoir de décision bien mince en ce qui concerne le type de soutient et les secteurs désignés. Dans cette perspective, la mise en place par le FMI et la Banque Mondiale des Programmes d’Ajustements Structurels sont un aboutissement de cette privation d’autorité Etatique par la Communauté Internationale. Emergent pourtant des initiatives de la part de ces institutions internationales, tentant de « restaurer à moyen terme la responsabilisation des Etats concernés » , notamment au travers du concept de « programmation glissante » fondé sur une évaluation régulière des performances de l’Etat dans le but d’une ré-appropriation de ses compétences.

Autre acteur international faisant face à l’autorité et à la légitimité étatique, les firmes multinationales. Mais si le rôle des FMN peut à son tour pousser l’Etat vers une forme de déresponsabilisation en imposant leurs propres conditions économiques, celles-ci n’entrent pas elles-même dans une logique de responsabilisation des sociétés dans lesquelles elles interviennent, et demeurent des acteurs relativement insaisissables par le droit international. (Même si aujourd’hui, des initiatives telles que le Global Compact de l’ONU, tentent d’encadrer leurs activités.)

Commentaires :

Cette analyse met en avant un processus qui n’est pas sans rappeler l’éternel combat de l’œuf et de la poule. L’Etat africain est en effet la première victime de son propre désengagement. Ce « désengagement » de l’Etat aboutit à sa « déresponsabilisation » . La « gouvernance » apparaît à la fois comme la victime de ce désengagement, cherchant tant bien que mal à survivre en palliant à ces déficits d’autorité ; et comme l’acteur principal du processus de déresponsabilisation de cet Etat.

Ce type de réflexion met d’autre part en évidence les limites et les imperfections du concept de gouvernance. Les instances qui composent la « gouvernance » sont théoriquement engagées dans une relation de négociation et de coopération, et non une logique hiérarchique qui caractériserait bien plutôt la mise en place d ‘un « gouvernement » mondial. La position de force des institutions financières internationales ou des FMN posent donc la question de la réalité de ce processus de décision « collective » dont découle le concept de gouvernance et de la place de l’autorité dans cette problématique.

 

Références documentaires

« Du ‘‘mal gouvernement ’’ à la gouvernance en Afrique »

Sandra Gondi-Gandzion et Karine Le Breton (Doctorantes au Laboratoire d’Anthropologie Juridique de Paris)

Voir Aussi