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La réforme des institutions financières internationales

Sans une réforme profonde de leur architecture, les Institutions financières internationales resteront le reflet d’une gouvernance mondiale sans véritable légitimité.

By Pierre Calame

September 2001

Les institutions financières internationales (IFI), FMI et Banque Mondiale sont sous le feu des critiques. Elles ont peu évolué dans leur mandat et leurs structures malgré une évolution radicale du contexte depuis leur création et sont, de ce fait, devenues des outils d’action des pays riches sur les pays pauvres. Cette situation appelle plus que des modifications à la marge ; elle nécessite une profonde réforme de structure autour de deux axes :  - une nouvelle architecture du système financier et fiscal international- de nouveaux fondements et de nouvelles règles de fonctionnement pour les IFI, conduisant à une approche plus ouverte, plus transparente et plus pragmatique et, surtout, réunissant les conditions d’une gouvernance légitime.

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Banque Mondiale et FMI sont parmi les cibles favorites des ONG. Etant, dans les faits les outils les plus opérationnels de la gouvernance mondiale, actuellement aux mains des pays riches, leur réforme est un test majeur d’une réforme de la gouvernance mondiale elle-même.

Le constat

Le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM) ont été créés il y a un demi siècle. Le premier pour assurer la stabilité des grandes monnaies, la seconde pour la reconstruction de l’après-guerre.

Leur mandat se trouve limité dès l’origine par les USA qui n’avaient pas accepté les propositions de Keynes visant à instaurer un système monétaire mondial.

S’agissant d’outils financiers ils sont aux mains de leurs actionnaires donc en pratique des pays de l’OCDE représentés par des fonctionnaires de leurs ministères des finances respectifs.

Depuis 50 ans ils ont traversé toute l’histoire économique et politique. Le contexte dans lequel ils opèrent et leur rôle effectif ont radicalement évolué sans que leur mandat et leur mode de fonctionnement évolue en conséquence.

  • a. Une structure fondamentalement inchangée malgré des évolutions radicales de leur contexte : la suppression de la convertibilité du dollar en or ; la globalisation des marchés financiers ; l’instabilité financière qui en résulte avec la crainte de « risques financiers systémiques » (contagion) ; la financiarisation des économies ; l’internationalisation du capital ; l’interdépendance des économies ; la multiplication d’Etats présumés souverains après les indépendances ; la foi dans l’Etat comme moteur du développement, largement partagée au cours des années soixante puis, par un mouvement de balancier dans les années quatre vingt, le discrédit de l’Etat et l’éloge inconditionnel de l’économie de marché.

Les institutions financières internationales ont su s’adapter à tous ces changements et les ont, parfois, suscités ou amplifiés mais sans que leur architecture soit revue en conséquence.

  • b. Des outils d’action des pays riches sur les pays pauvres :FMI et BM interviennent aujourd’hui essentiellement en dehors des pays de l’OCDE doncen dehors du territoire de leurs actionnaires principaux.Ils sont devenus de ce fait un outil privilégié d’action « des pays riches », en particulier les USA, sur « les pays pauvres ». Inévitablement ce sont les préoccupations de ces pays riches - éviter les effets de contagion des crises financières locales et imposer une certaine conception de l’économie mondiale – qui l’emportent.

  • c. Une position particulièrement visible et exposée :dans les relations internationales, FMI et BM sont loin d’être les plus gros manieurs d’argent public ou privé. Du côté de l’Aide Publique au Développement ils viennent loin derrière les coopérations bilatérales ; du côté de l’argent privé, loin derrière les flux d’investissement privé qu’il s’agisse d’investissements directs ou de prêts. Comment expliquer alors leur visibilité ? Plusieurs facteurs : a) ils sont aux avant postes sur les dossiers chauds : la dette des pays pauvres ; la transition de l’Union Soviétique, les crises financières de 1997 ; b) agissant par des prêts ils sont en mesure de les subordonner au respect par l’emprunteur d’un ensemble de conditions (en particulier les fameux Plans d’Ajustement. Structure –PAS-). Contrairement aux relations internationales classiques, fondées en apparence sur les relations entre Etats souverains, ils institutionnalisent le droit d’ingérence; c) en l’absence de fiscalité propre de la communauté internationale ils sont à l’échelle mondiale, aux côtés de l’OTAN et de l’OMC, les seuls « outils opérationnels » multilatéraux significatifs. Les agences de l’ONU ne disposent que de peu de moyens et sont des espaces de négociation diplomatique plus que des outils d’action opérationnels guidés par une logique claire. Elles sont donc réduites en pratique à « compter les points » ; d) les Institutions financières internationales ont été les principaux « propagateurs de la doctrine néolibérale- globalisation des marchés et orthodoxie macro économique - . En situation de rappeler quelques vérités d’évidence sur les dérives et le laxisme des Etats et des services publics, ils l’ont fait avec un dogmatisme universalisant à la fois peu tolérable et peu performant.

  • d. Le moyen d’imposer aux pauvres une rigueur unilatérale : qu’il s’agisse de la dette publique externe, de la gouvernance, des investissements privés hasardeux, de la gestion de l’instabilité financière, des conditions du développement économique, de l’exploitation des ressources naturelles, du rôle et du financement des services publics, des priorités dans les investissements publics, FMI et BM sont progressivement apparus comme l’outil des riches imposant aux pauvres une rigueur qu’ils ne respectent pas eux-mêmes (comme beaucoup de coopérations bi ou multilatérales donnent aux autres des leçons de « bonne gouvernance » qu’elles n’appliquent pas) et faisant supporter aux plus faibles et au prix fort des sacrifices unilatéraux, au nom de la nécessité de résoudre des problèmes dont les pays riches sont largement responsables.

  • e. Les promoteurs de remèdes souvent contre productifs et de sacrifices à sens unique :le discrédit des Institutions financières internationales s’est aggravé du fait que les remèdes imposés se sont révélés souvent contre productifs, en tout cas pour les pays auxquels ils ont été appliqués. Concrètement, le FMI a effectivement contribué à éviter la propagation de la « crise asiatique » en 1997, qui aurait eu des effets potentiellement dévastateurs pour les marchés financiers des pays riches. La BM a de son côté contribué à éviter que la « crise de la dette » ne déstabilise de proche en proche les systèmes bancaires des pays riches. Mais les remèdes imposés pour cela aux pays montrés du doigt (ex URSS, Corée, Thaïlande, Indonésie, Mexique, Brésil pour le FMI, pays pauvres pour la BM) ont été en général à la fois très coûteux au plan social et hasardeux voire contre performants au plan économique. Là aussi, tout se passe comme si les riches, pour limiter l’effet d’instabilité d’un système qu’ils ont eux-mêmes créés, incapables de discipliner leurs propres opérateurs, faisaient peser sur les pauvres la totalité de la responsabilité et des sacrifices. Si des sacrifices, même bien moindres, avaient été demandés à la société européenne ou américaine pour prix du maintien du système celui-ci aurait été réformé depuis longtemps !

  • f. Les complices involontaires de gouvernements irresponsables : FMI et BM, par nature, ont pour interlocuteurs les représentants des Etats nationaux, supposés être les mandataires fidèles et efficaces de leurs peuples. D’où le paradoxe d’organismes qui traitent avec des Etats que, doctrinalement, ils cherchent à affaiblir. D’où aussi le caractère paradoxal des critiques qui leur sont adressées puisqu’on leur reproche à la fois de ne s’en tenir qu’à une vision macro économique (FMI) et de ne pas consulter les populations locales (BM) et d’attenter de façon scandaleuse à la souveraineté des Etats !

En tout état de cause, cette obligation de traiter avec les Etats donc de se situer au plan de la « diplomatie » (relation entre Etats) plutôt qu’au plan de l’espace « domestique » des interdépendances mondiales, comme c’est le cas des actes commerciaux et des investissements privés, les a conduits à avoir partie liée avec des gouvernements souvent non démocratiques, inefficaces ou corrompus, ce qui rend particulièrement scandaleux que les sacrifices qu’ils imposent soient supportés par une population qui n’a rien demandé et n’a bénéficié de rien.

Cet ensemble de constats a fait, indépendamment du sérieux de la qualité des personnes qui y travaillent, de la BM et du FMI les symboles d’une gouvernance mondiale jugée illégitime.

Les constats qui précèdent conduisent à penser que des adaptations à la marge du mandat, du rôle, de la doctrine et du mode de fonctionnement des Institutions financières internationales ne suffiraient pas à recréer des conditions satisfaisantes d’efficacité et de légitimité : on ne peut demander à de simples institutions financières, quelle que soit leur bonne volonté et leur talent, de corriger les défauts structurels du système.

Une profonde réforme doit donc être entreprise. Elle comporte deux grands volets : une nouvelle architecture du système financier international ; de nouveaux fondements et modes de fonctionnement pour les Institutions financières internationales elles-mêmes.

Une nouvelle architecture du système financier et fiscal international

Elle comporte elle-même deux dimensions : la mise en place de régulations mondiales du système financier et monétaire international et la constitution d’une assiette fiscale internationalepour assurer à la communauté internationale des moyens d’une action « domestique » planétaire.

  • 2.1 La mise en place des régulations mondiales du système financier et monétaire

Cette mise en place est peu claire pour l’instant. On peut retenir, parmi les pistes avancées :

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    • la création de « monnaies régionales » par grande région du monde et d’un dispositif de « prêt en dernier ressort » à ces grandes monnaies, solidarisées entre elles par des limitations de leurs fluctuations (comme dans le SME - système monétaire européen - avant l’Euro). Cela implique l’acceptation par tous les pays, à commencer par les USA, de « règles de convergence » et de disciplines macro économiques communes relatives à la balance des paiements et au déficit budgétaire. Le modèle de la construction européenne progressive, transposée aux relations entre régions du monde est la référence la plus utile.

    • la création d’une unité de compte commune (panier des monnaies régionales )pour les échanges internationaux, ce qui rendrait plus difficile la situation actuelle où les USA peuvent manipuler à leur profit l’unité de compte de fait, le dollar.

  • l’action directe sur les marchés financiers pour se centrer, une fois limités les problèmes d’instabilité liés aux fluctuations monétaires, sur les mécanismes d’instabilité organique des marchés financiers. L’instabilité est liée à : la déconnection entre économie financière et économie réelle ; la prime excessive à la liquidité ; la préférence pour les placements à court terme ; l’opacité des modes de rémunération des banques et leur intéressement au nombre de transactions ; l’insuffisante transparence des informations relatives aux bilans des entreprises non financières et financières ; le manque d’évaluation sociale et environnementale des entreprises ; l’irresponsabilité des actionnaires ; l’absence d’indépendance des analystes financiers ; les mécanismes actuels de gestion des fonds de pension. Chacun de ces aspects appelle des réponses spécifiques.

    • La dissociation des fonctions de la monnaie et la définition d’une monnaie de réserve.

  • 2.2 La constitution d’une fiscalité mondiale

La question de la fiscalité mondiale est traitée dans le cahier de propositions sur la gouvernance mondiale. Tant que des règles fiscales claires ne sont pas établies, notamment en créant une assiette fiscale fondée sur la consommation de ressources naturelles limitées et lentement renouvelables, et tant que l’ONU n’est pas réformée en privilégiant les relations entre régions du monde de tailles comparables il est illusoire de placer sous contrôle de l’ONU, avec la règle hypocrite « un pays une voix » à laquelle personne ne croit vraiment, des outils opérationnels de financement comme le FMI et la Banque Mondiale. Les conditions de leur légitimité doivent donc être cherchées non par une mise sous tutelle mais par une réforme de leurs mécanismes de fonctionnement.

De nouveaux fondements et de nouvelles règles de fonctionnement pour les Institutions Financières Internationales

Il s’agit tout simplement d’appliquer à ces institutions desprincipes de bonne gouvernance tels qu’ils ressortent, non d’une idéologie et de recettes mais de l’expérience internationale.

La réforme du mandat et du mode de fonctionnement devrait faire du FMI un outil de stabilisation des relations financières internationales intervenant pour assurer que la fluctuation des cours relatifs des monnaies régionales demeure limitée et de la Banque Mondiale un gestionnaire de prêts à long terme agissant principalement par l’intermédiaire de Banques Régionales et pour promouvoir un développement responsable, pluriel et solidaire. Leurs agents auraient mission de rechercher et proposer dans chaque situation une réponse adaptée au problème posé, sur la base d’un ensemble d’analyses contradictoires publiques des actions passées.

  • 3.1 Une élaboration doctrinale plus pragmatique, plus ouverte et plus transparente

Pour y parvenir, il faut surmonter un paradoxe. D’un côté le nombre d’interventions du FMI et de la BM est extrêmement élevé et fournit une base expérimentale extraordinairement riche à partir de laquelle dégager des principes directeurs. De l’autre, leurs interventions semblent, aujourd’hui encore, fondées sur des principes dogmatiques plutôt que sur les leçons de l’expérience. Paradoxe d’autant plus troublant que ces institutions, comparativement à bien d’autres institutions publiques nationales et internationales manifestent un vrai souci d’évaluation. Expliquer le paradoxe fournit autant de pistes pour le surmonter

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    • a. Sortir des dogmes : aux mains des pays de l’OCDE, et surtout des USA du fait de l’incapacité politique de l’Union Européenne de parler d’une seule voix pour proposer une vision alternative, les IFI sont plus incitées àpropager un dogme et à défendre les intérêts de leurs actionnaires qu’à bâtir une intelligence collective fondée sur l’expérience. D’où le contrôle de l’information voire sa censure (qui explique par exemple le retard de publication des analyses sur le rôle de l’Etat en Asie). Pour y faire face, il est indispensable que l’Union Européenne prenne clairement position sur les objectifs assignés aux IFI.

    • b. Elargir le mandat : Pour adapter les solutions à chaque cas concret, il faut que les agents de ces institutions se sentent un « devoir de pertinence ». Cela veut dire qu’ils aient conscience et mandat d’agir comme agents d’une fonction publique mondiale et dans l’espace domestique planétaire et non dans un rapport diplomatique. On est aujourd’hui au milieu du gué donc dans la situation la pire : une ingérence forte mais pas de légitimité profonde pour énoncer des solutions adaptées.

    • c. Assurer un véritable audit public des règles internes de fonctionnement. : comme l’Union Européenne, les IFI répugnent à analyser et rendre publics les mécanismes internes qui régissent leur fonctionnement : mode d’évaluation de la rentabilité des prêts, « cursus caché » des agents, relations entre autorités de surveillance (représentants des Etats) direction et agents, modalités internes d’évaluation, structuration des « objets » de l’action à partir de l’organigramme, système de circulation de l’expérience… Or ces mécanismes déterminent beaucoup plus sûrement la nature de l’action que les discours. Il faut donc procéder à un audit public régulier et contradictoire de ces mécanismes.

    • d. Redéfinir les relations entre les institutions et leurs « autorités de surveillance » et les institutions : la présence au sein de la BM de délégués permanents des Etats brouille les responsabilités et fait multiplier les évaluations à court terme (justification du rôle des contrôleurs) au détriment de dispositifs « d’organisation apprenante » à long terme. La présence de délégués permanents n’est pas souhaitable et doit être remplacée par l’audit périodique déjà évoqué et par une Assemblée annuelle définissant les orientations sur la base d’évaluations contradictoires. D’autant plus que les représentants des Etats actionnaires ne sont pas vraiment responsables. Il n’y a pas de système de contrôle par les parlements et le public des positions prises par ces représentants en leur nom et pas de dispositif clair d’apprentissage pour ces représentants. Les représentants des Etats à l’assemblée générale doivent suivre un processus de formation fondé sur une analyse de l’action des IFI sur longue durée et doivent être responsables à titre personnel devant le gouvernement et le parlement.

    • e. Mettre en place un système d’analyse comparative à long terme. L’action de la Banque Mondiale et du FMI ne peut s’évaluer pleinement qu’à long terme et ses résultats dépendent souvent d’une multitude de facteurs. L’évaluation au coup par coup a donc une valeur limitée et devrait être remplacée par un système permanent de capitalisation de l’expérience, au bénéfice des agents, des Etats actionnaires ou clients et d’un large public. Le système d’analyse comparative, outil permanent de capitalisation de l’expérience, associant des centres de recherche du Nord et du Sud doit être mis en place en priorité.

    • f. Créer un espace d’intelligence collective commun aux acteurs : les approches dogmatiques se situent dans tous les camps, dans les institutions financières elles-mêmes mais aussi dans l’université, les parlements, les ONG. Dans des domaines aussi complexes, seule l’évaluation contradictoire a un sens. Le dispositif de capitalisation d’expérience devrait de ce fait comporter des procédures d’avis contradictoire.

  • 3.2 Les conditions d’une gouvernance légitime

Il faut dépasser d’urgence la situation actuelle où les outils les plus opérationnels de la régulation internationale sont aussi les moins légitimes.

A ce titre la réforme des IFI devrait constituer un cas d’application exemplaire des conditions de légitimité de la gouvernance mondiale : a) un socle éthique clair et une hiérarchie des normes et règles ; b) l’équité ; c) la symétrie de l’information et des risques ; d) la transparence et la responsabilité ; e) la subsidiarité active ; f) les mécanismes de contrôle et les contre pouvoirs (checks and balances) ; g) la légitimité dans l’exercice de pouvoir ; h) la qualité du dialogue avec les autres acteurs de la société ; i) l’adéquation des moyens aux objectifs ; j) des systèmes d’intelligence collective et des « organisations apprenantes ». Les derniers points ayant déjà été évoqués ci-dessus nous nous concentrerons ici sur les premiers.

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    • a. Un socle éthique clair et une hiérarchie des normes et des règles

Deux objectifs indissociables doivent être fixés aux IFI : le développement durable ; la limitation des inégalités. Ces deux objectifs doivent fonder l’évaluation de leur action.

Comme toute institution internationale les institutions financières sont tenues de respecter la Déclaration Universelle des droits de l’homme et les conventions internationales qui en découlent.

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    • b. L’équité dans le traitement et dans les sanctions

Les actes du FMI et de la Banque Mondiale prennent la forme de contrats. C’est une modalité intéressante et prometteuse car particulièrement simple et permettant d’édicter les droits et devoirs de chaque partenaire. Par contre elle rend possible toutes les hypocrisies dès lors qu’elle entretient l’illusion d’un contrat symétrique entre deux partenaires de même force et également libres de refuser ou d’accepter les termes du contrat. Cette symétrie n’existant pas il est indispensable d’encadrer les termes du contrat par un droit adéquat, s’imposant aux parties et, dans le cas des IFI, aux pays qui en sont actionnaires. Le non respect de ces conditions cadres entraîne la nullité du contrat lui-même. Les éléments d’un tel droit sont les suivants :

  • l’équité de traitement : il n’est pas possible d’imposer à un pays pauvre des disciplines, par exemple macro économiques, que les pays riches (notamment les USA) ne s’imposent pas à eux-mêmes ;

  • la proportionnalité et l’équité des sanctions : il n’est pas possible de faire supporter à des tiers les effets des sanctions ; celles-ci doivent pénaliser de façon équitable les manquements des parties. Les sanctions doivent être limitées dans le temps. Les sanctions doivent être proportionnées au dommage subi. Cette règle simple a de multiples conséquences. D’abord, l’impossibilité de faire supporter à la population pauvre d’un pays pauvre une lourde sanction pour des dettes contractées en son nom (cas de la dette). Impossibilité, ensuite de reporter sur la population de pays pauvres des imprudences commises à part égale par des acteurs économiques et financiers des pays riches et des pays pauvres (cas de la crise financière asiatique). Pour limiter dans le temps l’effet de la sanction, il faut introduire des modalités de « constat de faillite » qui interrompent le report indéfini de la dette (cas de la dette). Le préjudice subi par des banques et les Etats du fait du non remboursement doit être traité comme le règlement des créanciers en cas de dépôt de bilan d’un opérateur privé. Le préjudice subi par les banques et les Etats prêteurs du fait du non remboursement de la dette doit être évalué et mis en regard des préjudices subis par les populations des pays pauvres en application de plans d’ajustement structurel mal conçus.

    • c. La symétrie de l’information et des risques

  • La symétrie de l’information : toutes les parties au contrat (donc, dans le cas des prêts aux Etats, la population elle-même) doivent être informées de manière complète des engagements pris en leur nom ; l’obligation d’information ne peut être limitée aux mandataires, elle s’étend aux mandants.

  • La symétrie des risques : aucune décision rationnelle ne peut être prise pour un engagement à long terme sans une juste appréciation des risques. Dans le cas des pays emprunteurs les risques principaux sont liés à l’évolution relative de la monnaie dans laquelle est libellé le prêt et à l’évolution des marchés, notamment des matières premières, sur lesquels sont gagées les possibilités de remboursement. Ces risques doivent donc être équitablement répartis entre les parties.

    • d. La responsabilité et la transparence

La « Charte des responsabilités humaines » distingue trois dimensions de la responsabilité : responsabilité des conséquences prévues ou imprévues de ses actes ; nécessité de se doter, en se reliant à d’autres, d’une capacité à agir ; proportionnalité de la responsabilité et du pouvoir. Le quatrième rapport du Treasury Committee sur la responsabilité des représentants anglais au FMI devant le parlement avance des arguments très voisins : (1) les décisions du FMI ont un impact sur le bien être des populations dans tous les pays du monde ; (2) le FMI prêche partout le « devoir de rendre des comptes » comme une des dimensions de la bonne gouvernance et il doit commencer par se l’appliquer à lui-même ; (3) le Royaume Uni, cinquième contributeur du FMI par la taille, ne peut nier sa responsabilité dans l’action du fonds.

Cette exigence de transparence et de responsabilité des institutions en tant que telles et de leurs agents vaut aussi bien au profit des citoyens des pays qui sont en dernier ressort responsables de l’action des IFI qu’au profit des citoyens des pays « bénéficiaires » ou « victimes » en dernier ressort de cette action.

Les contrats de prêts sont passés en dernier ressort par des mandataires des pays prêteurs et débiteurs et un mandataire n’exerce légitimement le pouvoir qui lui a été délégué qu’en rendant fidèlement compte à ses mandants et en étant justiciable.

Ce principe a deux prolongements :

  • dans le cas des prêts importants de la Banque Mondiale une procédure « d’enquête publique » serait imaginable ;

  • la responsabilité implique la justiciabilité. Nul besoin pour cela d’attendre la mise en place de Tribunaux internationaux. Des mécanismes de règlement des différends inspirés du droit des affaires permettraient aux responsables des IFI, aux représentants des Etats mais aussi aux représentants de la société civile de venir témoigner. Une jurisprudence de l’exercice des responsabilité se créerait alors.

    • e. La mise en œuvre du principe de subsidiarité active

Chaque pays, chaque situation est spécifique. L’ouverture de l’ancienne Union Soviétique à l’économie du marché ne pose pas les mêmes problèmes que celle de la Pologne. Les problèmes et les stratégies de développement du Burkina Faso ne sont pas ceux de l’Indonésie…

Chaque pays et chaque situation appelle donc des stratégies spécifiques mais conduites sur une longue durée. Cette capacité à conduire une politique sur longue durée conçue à partir des réalités spécifiques est la clé de la réussite quand sont en jeu des transformations culturelles, institutionnelles, technologiques, économiques.

Or, les IFI tendent au contraire à appliquer à tous les pays des solutions standardisées mais dont les ingrédients fluctuent au gré des modes et des doctrines du moment. Au lieu d’avoir des variations dans l’espace et de la continuité dans le temps on a une continuité dans l’espace et des variations dans le temps !

Pour revenir à la raison il faut que les agents des IFI aient à la fois le mandat, la liberté, la formation et l’expérience nécessaires pour mettre en œuvre le principe de subsidiarité active, en adaptant à chaque situation concrète la mise en œuvre de principes directeurs communs dégagés progressivement par l’expérience. Le paradoxe est que de toutes les institutions internationales les IFI sont les mieux préparées à la faire : travail d’équipe, séminaires stratégiques, analyse par pays. La violence des critiques qui leur sont adressées sont d’ailleurs, d’une certaine façon un hommage à leur efficacité opérationnelle et bien des coopérations publiques bilatérales adoptent les mots d’ordre de la Banque Mondiale… faute de s’être dotées de capacités équivalentes !

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    • f. Les mécanismes de contrôle et les contre pouvoirs (checks and balances)

Il n’y a pas d’exercice légitime du pouvoir sans un équilibre des pouvoirs et des moyens de contrôle. Tout cela existe en principe dans le cas des IFI et existe d’autant plus que les gouvernements qui contractent les prêts sont de plus en plus souvent ceux de régimes démocratiques soumis, en principe, au contrôle de leur parlement et de leur opinion ! Les USA pèsent actuellement un poids décisif dans ces institutions mais ils n’en sont pourtant que les actionnaires minoritaires. Il est difficile dans ces conditions de faire des IFI les boucs émissaires de déficiences imputables aux autres. La dissymétrie de fait qui s’est instituée entre les institutions et les mécanismes de contrôle ne peut pour l’instant être compensée que par l’organisation d’une opinion publique informée.

 

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