Analyse
L’Union Européenne : un espace de gouvernance en construction
La notion de gouvernance : un paradigme pertinent pour étudier le système politique de l’UE.
Par Maxime Montagner
décembre 2005Depuis une dizaine d’années, l’Union Européenne est de plus en plus envisagée comme un espace particulier de gouvernance. Cette fiche s’attache à définir et à analyser différentes facettes de la « gouvernance européenne » en s’appuyant sur des exemples concrets et de pratiques politiques courantes à l’échelle européenne.
Table des matières
L’Union Européenne est une construction politique atypique. Pour preuve, Jacques Delors, président de la Commission européenne entre 1985 et 1995, n’a pas hésité à qualifier la Communauté européenne d’« objet politique non identifié » . De leurs côtés, Marc Abélès et Irène Bellier, deux politistes, parlent de « bizarrerie communautaire » lorsqu’ils évoquent l’intégration européenne dans leurs travaux.
Nous pourrions sans difficulté allonger la liste des expressions utilisées afin de souligner la complexité et l’originalité de la construction européenne. Ce système politique particulier est le fruit de plus de cinquante ans d’histoire mouvementée et de compromis. L’UE ne cesse d’évoluer mais, en dehors des grands rendez-vous politiques (introduction de l’Euro en 2002, référendum de mai 2005 en France), les questions européennes sont bien souvent ignorées des médias. En même temps, « Bruxelles » constitue un bouc émissaire commode pour la plupart des hommes politiques nationaux. Quant aux citoyens, selon les sondages Eurobaromètres, ils ont conscience que l’Union Européenne gère de plus en plus leur vie quotidienne mais avouent ne pas bien comprendre son fonctionnement interne.
Dans cette situation, comment parler de l’UE? Comment expliquer son fonctionnement aux citoyens ? Comment rendre compte des différents intérêts, issus des différents acteurs (institutions européennes, Etats membres, acteurs privés…), qui s’affrontent tout au long du processus de prise de décision politique ? Tout simplement, comment peut-on envisager, étudier et pourquoi pas réformer ou rénover la construction européenne ?
Dès les années cinquante, les juristes et les politologues se sont intéressés de près à la construction européenne. Des générations de chercheurs ont tenté de comparer l’intégration européenne avec des modèles préexistants. Ainsi, les études s’intéressant à l’UE ont tour à tour utilisé des outils et des concepts issus du droit international public, du droit constitutionnel comparé ou encore de la sociologie des relations internationales. Si ces disciplines proposent des outils théoriques et des cadres cognitifs intéressants pour envisager la construction européenne, elles ne parviennent pas à cerner la réalité et l’originalité des processus. La majorité des auteurs qui utilisent les « outils classiques » de la science politique passent à côté de la plupart des caractéristiques fondamentales du « policy-making » de l’UE dans ses fonctionnements les plus quotidiens. En effet, si les concepts et les réflexions théoriques sont importants pour modéliser une réalité, l’observation empirique des processus ne doit pas être occultée.
Depuis une dizaine d’année, le concept de gouvernance, issu de la littérature économique anglo-saxonne (corporate governance), est de plus en plus utilisé pour aborder et analyser les politiques publiques, la stratégie des acteurs ou tout simplement la vie politique à l’échelle européenne. Le vocable « gouvernance » a ensuite été repris par les institutions elles-mêmes qui l’utilisent désormais de manière récurrente, au risque de le rendre inopérant.
Cette fiche propose de définir et d’analyser l’Union Européenne en partant du concept de gouvernance. Il s’agit tout d’abord de présenter une définition négative de l’UE en expliquant en quoi elle n’est ni un Etat ni une organisation internationale classique. Nous aborderons ensuite différentes procédures utilisées par les institutions en tâchant de les analyser à l’aide des réflexions centrées sur l’étude de la gouvernance européenne.
Une définition négative : ce que n’est pas l’Union Européenne…
Le droit international public reconnaît généralement deux types d’acteurs: les Etats et les Organisations Internationales. Si les spécialistes de l’Union Européenne étaient capables de classer leur objet d’étude dans l’une ou l’autre de ces catégories, ils disposeraient de modèles afin d’analyser son système politique. Hors, il semble que l’UE ne soit ni un Etat, ni une organisation internationale au classique du terme.
L’Union Européenne ne saurait constituer un Etat puisque, classiquement, la notion d’Etat suppose trois éléments fondamentaux : un territoire, une population et une autorité souveraine. S’agissant de l’élément territorial, l’Union ne possède pas de territoire propre mais le droit communautaire s’applique sur le territoire des Etats membres de l’UE. Il est vrai que la notion de « territoire communautaire » fait une apparition progressive dans la doctrine ainsi que dans la jurisprudence. Cependant, la définition de ce territoire reste liée aux définitions nationales.
En ce qui concerne la population, si la citoyenneté européenne est reconnue par le Traité de Maastricht, celle-ci s’ajoute mais ne se substitue pas aux citoyennetés nationales. De plus, la population d’un Etat constitue généralement une nation ou rassemble des groupes humains connaissant de grandes similitudes culturelles et exprimant un certain « vouloir vivre ensemble » . S’agissant de l’UE, les différences culturelles et linguistiques sont telles entre les différents peuples que la notion de « population européenne » n’est pas encore une réalité en soi.
Enfin, le dernier élément constitutif de l’Etat est l’exercice d’une autorité souveraine sur le territoire et la population (détenu par un gouvernement central par exemple). L’Union ne dispose pas de la souveraineté mais les Etats membres ont consenti des transferts de compétences dans certains domaines prévus par les Traités. L’Union et ses Etats membres se trouvent donc dans une situation dans laquelle l’exercice de la souveraineté est partagé. Si les Etats fédéraux connaissent également cette situation, au sein de l’Union, les Etats membres détiennent encore le monopole de la contrainte physique. L’Union est quant à elle dépourvue d’autorité officielle dotée de capacité de police garantissant l’exécution effective des politiques adoptées. Les pouvoirs régaliens restent, pour l’instant, du seul ressort des Etats membres.
Au final, si l’Union Européenne présente certains traits étatiques, elle ne saurait en aucun cas être analysée comme un Etat.
L’approche classique des juristes consiste alors à considérer l’Union comme une organisation internationale. Longtemps, le courant réaliste a envisagé l’intégration européenne comme une simple coopération entre des Etats rationnels qui resteraient les seules entités souveraines. Ainsi, le droit communautaire ne serait qu’une variante du droit international public. Cette vision s’appuyait sur le fait que l’Union avait été créée par des traités relevant du droit international public. Cependant, au fil de la construction européenne, la Cour de Justice des Communautés Européennes a profilé un ordre juridique spécifiquement communautaire grâce à la reconnaissance de caractéristiques propres à l’UE. Les principes du droit communautaire les plus connus sont sa primauté (sur le droit des Etats membres) et son effet direct (le droit communautaire s’applique aux Etats membres mais également directement aux personnes physiques et morales). De plus, alors qu’au sein des organisations internationales, les décisions sont généralement non contraignantes, l’ordre juridique communautaire autorise la contrainte et les sanctions de type obligatoires à l’égard d’un Etat membre qui ne respecterait pas ses engagements.
Au travers de ces courtes démonstrations, il parait évident que l’UE ne saurait constituer un Etat ni même une organisation internationale à proprement parler. L’ordre juridique créé par les Traités successifs et développé par la Cour de Justice est donc unique. Dans ce sens, l’UE constitue un système politique dépourvu de modèles référents ce qui pourrait expliquer que les courants classiques de la science politique ne soient pas parvenus à modéliser d’une façon convenable le processus d’intégration européenne.
La gouvernance européenne : un espace et une construction dynamique régis par les intérêts des différents acteurs du jeu institutionnel.
A mi-chemin entre une organisation internationale et un Etat de type fédéral, l’espace politique créé par l’intégration européenne constitue désormais un champ d’étude à part entière des sciences politiques. Il est reconnu que l’Union Européenne ne laisse pas apparaître de manière évidente un centre de pouvoir (un gouvernement central). Ainsi, nous pouvons envisager l’intégration européenne comme un espace de gouvernance en construction. S’il existe de nombreuses définitions du terme de gouvernance, nous n’en retiendrons ici que deux.
Pour James Rosenau, le concept de gouvernance regroupe un « ensemble de règles reposant tant sur le jeu des relations interpersonnelles que sur des lois et des sanctions explicites » .
Pour appliquer cette définition à l’UE, il est possible de voir dans les « lois » et les « sanctions » l’ensemble du droit communautaire dérivant des Traités ainsi que les procédures et règlementations fixées par les institutions. Quant au « jeu des relations interpersonnelles » , il pourrait s’agir des relations établies de manière non officielle entre les fonctionnaires et les députés européens d’un côté, les représentants des différents groupes d’intérêt présents à Bruxelles de l’autre. En effet, si les processus de prise de décision au niveau européen sont établis par des règles et des procédures juridiques, ils se déroulent également de manière officieuse, dans les « couloirs » des différentes institutions…
Afin de détailler davantage la notion de gouvernance, il est intéressant d’utiliser une autre définition, issue d’un ouvrage de Pierre Muller et Yves Surel : « La gouvernance apparaît bien comme un mode de gouvernement (ce dernier terme étant entendu au sens large), dans lequel la mise en cohérence de l’action publique (construction de problèmes publics, des solutions envisageables et des formes de leur mise en oeuvre) ne passe plus par l’action d’une élite politico administrative relativement homogène et centralisée (qui tend à perdre, de ce fait, son relatif monopole de la construction des matrices cognitives et normatives des politiques publiques), mais par la mise en place de formes de coordination multi niveaux et multi acteurs dont le résultat, toujours incertain, dépend de la capacité des acteurs publics à définir un sens commun, à mobiliser des expertises d’origines diverses et à mettre en place des formes de responsabilisation et de légitimation des décisions » .
Cette acception du terme de gouvernance semble « coller » parfaitement au système politique européen. En effet, il n’existe pas au sein de l’UE un organisme détenant le pouvoir d’une manière exclusive. Selon cette définition, de même qu’au sein de la vie politique quotidienne de l’UE, le pouvoir, au lieu d’être la propriété de quelqu’un (individu, groupe, parti politique…), doit résulter d’une négociation permanente entre différents acteurs sociaux, constitués en partenaires d’un vaste jeu. Ces acteurs sociaux sont les institutions européennes mais également les Etats membres de même que les acteurs privés ou les collectivités territoriales. En fait, tout l’enjeu de la politique au niveau européen est d’être capable de déterminer comment et par qui sont fixées les règles du jeu.
Pour Paul-Henri Spaak, un homme politique belge connu pour son engagement à l’échelle européenne, « l’intégration européenne n’est pas un être mais un devenir, elle n’est pas un résultat mais l’action devant mener à ce résultat » . Ainsi, rien ne semble figé et définitif au sein de l’UE car la possession du pouvoir résulte d’une négociation constante. C’est pour cette raison que le terme de gouvernance est de plus en plus préféré à celui de gouvernement pour qualifier le processus de prise de décision politique au niveau communautaire.
La séparation organique des pouvoirs est un autre élément fondamental de la gouvernance en même temps qu’elle est inhérente à la méthode communautaire. Contrairement à l’échelle nationale qui connaît généralement une séparation nette entre les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, l’espace européen est caractérisé par une séparation des pouvoirs en fonction des intérêts des différents acteurs présents dans le processus de prise de décision.
Concrètement, chaque institution européenne défend les intérêts d’un type particulier d’acteur. Le Parlement européen agit au nom des citoyens qui l’ont élu. Le Conseil européen (regroupant les chefs d’Etats et de gouvernements) ainsi que les diverses formations du Conseil de l’Union Européenne ( regroupant les ministres des Etats membres) représentent quant à eux les intérêts des Etats membres. Enfin, la Commission européenne est l’institution européenne par excellence dans le sens où elle oeuvre avant tout pour les intérêts de l’Union dans sa globalité. Cette dernière institution dispose conjointement des pouvoirs de proposition et d’initiative législative ainsi que des pouvoirs d’exécution et de contrôle des politiques. La séparation des pouvoirs au sens de Montesquieu n’a donc pas cours au sein du système politique européen. En revanche, la notion d’ « intérêt des acteurs » , alors qu’elle semble oubliée par la plupart des gouvernements nationaux, prend toute sa force dans les procédures communautaires de prise de décision.
Autre exemple, la procédure de codécision, qui s’impose de plus en plus comme la procédure générale d’adoption des politiques communautaires (à l’exception notable de la PAC ou de la politique fiscale), permet à l’ensemble des institutions d’être représentées. Tandis que la Commission européenne possède le monopole de l’initiative législative, le Conseil et le Parlement disposent conjointement de la faculté de modifier et d’amender la proposition initiale. Tout au long du processus, la Commission peut donner son avis sur les modifications apportées par les autres institutions. La procédure de codécision est extrêmement complexe et par conséquent illisible pour la plupart des citoyens. Cependant, elle garantit une certaine légitimité dans le sens où l’ensemble des intérêts en présence a pu participer à l’élaboration d’une politique spécifique. Il n’est pas anodin de rappeler qu’au niveau national, les gouvernements centraux agissent malheureusement bien souvent à l’encontre des parlements, et donc par extension à l’encontre des citoyens, grâce à l’action « par voie d’ordonnance » .
La pratique de la « comitologie » est une autre illustration des spécificités de la gouvernance européenne. Lorsque la Commission détient la compétence pour la mise en œuvre et l’application des normes législatives, les Etats membres peuvent contrôler l’activité de la Commission. Dans le but de garder un oeil sur l’activité de la Commission, ils ont instauré des comités d’experts, composés de fonctionnaires nationaux, qui, conjointement avec la Commission, élaborent les directives et les règlements à destination des Etats membres et des personnes physiques et morales. Il existe au total 256 comités différents qui traitent de questions spécialisées et de nature technique. Grâce à cette pratique, les intérêts de nombreux acteurs sont représentés. De même que la procédure de codécision, la comitologie, bien qu’elle rende l’action de l’Union davantage légitime, complexifie considérablement les processus et les procédures de prise de décision.
Enfin, les procédures de consultation des organisations de la société civile sont un autre exemple de l’originalité de la gouvernance européenne. Devant l’accroissement sans précédent du nombre d’organisations représentant les intérêts de différents groupes de population, la Commission a décidé de créer la base de données CONECCS1 visant à faciliter le dialogue entre les institutions européennes et les acteurs extérieurs. Après une reconnaissance par les services de la Commission, les organisations peuvent être invitées à donner leurs avis aux fonctionnaires européens au sujet des politiques spécifiques de l’Union. Si ces avis ne sont pas toujours suivis, il demeure que la plupart des organisations extérieures peuvent se faire entendre par les institutions européennes et, de ce fait, peuvent tenter d’influencer le policy-making européen.
Nous avons développé ici quelques exemples illustrant la prise en compte des intérêts des différents acteurs concernés par les politiques européennes. A l’aide de ces éléments concrets, les définitions de la notion de gouvernance semblent correspondre à la pratique politique. Afin de clarifier encore davantage la notion de gouvernance appliquée au système européen, tachons désormais d’illustrer ses principales caractéristiques.
Quelques éléments de la gouvernance européenne
Ce dernier chapitre ne vise pas à lister l’ensemble des différentes facettes de la gouvernance européenne. Nous souhaitons tout simplement revenir sur quelques caractéristiques qui nous semblent fondamentales afin d’aborder et d’étudier le processus de prise de décision à l’échelle européenne.
La gouvernance européenne est tout d’abord multi acteurs. Cette caractéristique est sans cesse reprise par les auteurs afin d’aborder les spécificités de l’Union. Comme nous l’avons vu précédemment, en plus des différentes institutions communautaires et des Etats membres, de nombreux groupes se sont agrégés à l’échelle européenne. Dès les années soixante, les intérêts économiques (essentiellement les grandes entreprises et les fédérations professionnelles) ont installé des bureaux de représentation à Bruxelles. Progressivement, d’autres organismes, comme les syndicats ou les organisations de la société civile, se sont engagés à l’échelle européenne. La présence de ces groupes s’explique par le fait que les processus de prise de décision sont relativement ouverts. De plus, la Commission est souvent à la recherche d’expertise que seuls des groupes spécialisés peuvent apporter. La plupart du temps, la logique du partenariat entre les groupes prévaut sur celle de l’affrontement direct. En fait, le problème semble remplacer le conflit. Il s’agit moins de s’affronter que de traiter une question spécifique.
La directive REACH (Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals) peut éclairer le type de partenariat multi acteurs à l’œuvre à l’échelle européenne. Cette « loi européenne » vise à contrôler et donc à limiter l’usage des produits chimiques dangereux pour la santé humaine. Afin de préparer sa proposition d’acte législatif, la Commission a non seulement consulté des experts nationaux mais également les représentants des industries pétrochimiques européennes ainsi que différentes organisations de protection des consommateurs et de protection de l’environnement. Au final, la directive REACH peut être ressentie comme étant un texte a minima. Cependant, le simple fait que l’ensemble des acteurs concernés ait pu s’entendre sur un sujet si primordial est un bon exemple de gouvernance multi acteurs. Désormais, le programme REACH s’applique sur le territoire des 25.
La gouvernance européenne est ensuite multi niveaux. Alors que la plupart des décisions politiques d’envergure sont prises à Bruxelles, de nombreux projets européens se déroulent au niveau régional ou local. Les politiques de cohésion sociale et territoriale sont l’illustration parfaite de la gouvernance multi niveaux des politiques européennes. En effet, afin de faciliter le développement des régions en retard économique, la Commission travaille en direct avec les collectivités territoriales sur la base de différents projets et programmes financés par des fonds spécifiques comme le FEDER, le FSE ou le FEOGA. Par exemple, la Commission entretient des contacts réguliers avec la région de l’Alentejo au Portugal et la province de Huelva en Andalousie afin de faciliter les relations économiques, culturelles et touristiques entre ces deux collectivités territoriales. Parfois même, la Commission, pour esquiver les réticences des Etats membres, passe directement par le biais des régions afin de réaliser ses objectifs. Les collectivités territoriales sont représentées à Bruxelles par le Comité des Régions qui a un rôle consultatif de plus en plus étendu. Autre illustration de la gouvernance multi niveaux, la « méthode ouverte de coordination » , initiée par la stratégie de Lisbonne en mars 2000, permet l’échange de bonnes pratiques entre les administrations nationales situées sur les différents niveaux de prise de décision. Concrètement, les fonctionnaires des collectivités territoriales sont invités par l’UE à faire connaître leurs méthodes de travail ainsi que les différents programmes qu’ils développent sur leurs territoires. Même s’il faut encore la concrétiser, cette démarche facilitera à terme l’européanisation des collectivités territoriales.
Enfin, la dernière caractéristique de la gouvernance européenne que nous souhaitons développer concerne les mécanismes de contrôle de l’action communautaire. Depuis la réforme administrative adoptée par la Commission Prodi en vue d’accroître la transparence des institutions, le fonctionnement interne de la Commission est régi en partie par les principes du « New Public Management » . Concrètement, le NPM met l’accent sur les résultats et l’efficacité de l’action publique. Il s’agit par exemple de contrôler l’activité des fonctionnaires européens afin qu’ils soient productifs. De plus, le NPM encourage la création d’agences indépendantes de notation et d’évaluation. Les recours au médiateur européen, aux experts ainsi qu’à la Cour des Comptes sont d’autres exemples de mécanismes de contrôle propres à l’action de l’UE. Tandis que ces dispositifs peuvent alourdir considérablement les procédures de prise de décision et la mise en oeuvre des politiques, ils visent à rendre l’Union davantage responsable et transparente.
Dans ce dernier chapitre, nous n’avons abordé que quelques éléments de la gouvernance européenne. En fait, chaque politique, chaque processus, chaque niveau de décision, a développé un type particulier de gouvernance. Si ces quelques pages étaient uniquement destinées à introduire cette notion, les autres fiches présentes sur ce site proposent de se pencher sur des processus de prise de décision précis ainsi sur des politiques européennes concrètes. En abordant diverses thématiques telles que la Constitution européenne, le livre blanc sur la Gouvernance européenne de 2001 ou encore les politiques européennes de coopération au développement, nous souhaitons illustrer encore davantage la notion de gouvernance. En effet, s’il est important de cadrer le concept de gouvernance appliqué à l’échelle européenne, il est également intéressant de le décliner à travers divers processus politiques.
Conclusion
L’Union Européenne détient la capacité de transformer des intérêts divergents en politiques communes. Ce constat peut résumer à lui seul la pertinence du concept de « gouvernance » pour analyser le système politique européen. Afin de résumer notre démonstration, il est possible de dégager trois caractéristiques fondamentales du processus de prise de décision en Europe. Tout d’abord, les acteurs impliqués sont multiples. Ils sont à la fois communautaires et nationaux, publics et privés. De plus, la négociation et le compromis politiques sont les maîtres mots du processus de prise de décision. Enfin, la décision à l’échelle européenne est encadrée par tout un ensemble de procédures, de mécanismes de contrôle et de normes juridiques qui, s’ils sont la garantie d’une certaine efficacité de l’action publique, participent indéniablement à la complexité du système communautaire.
Cette complexité peut être donc analysée et modélisée à partir du concept de « gouvernance » . En effet, cette notion et ses différentes caractéristiques permettent d’expliquer le dynamisme ainsi que le caractère incertain, multi acteurs et multidimensionnel de la construction européenne. Cependant, pour rester opératoire, les auteurs utilisant ce concept ne doivent pas tomber dans le biais qui consisterait à gommer toute activité politique (dans le sens des idées et des courants politiques) au profit de la technicité des processus. En effet, le risque est grand de voir dans le terme « gouvernance » davantage un outil et des procédures techniques à respecter plutôt que des utopies à réaliser. Dans une certaine mesure, l’utilisation de la notion de gouvernance pourrait contribuer à une certaine dépolitisation du pouvoir au profit de la technicité et de l’efficacité de l’action publique. Il revient aux théoriciens et aux praticiens du droit communautaire de s’assurer que la réforme de la « gouvernance européenne » ne se résume pas uniquement en l’instauration d’outils et d’instruments procéduraux mais qu’elle puisse contribuer également à la construction d’une Europe fondée par le droit et basée sur des préférences collectives proches citoyens européens (protection de l’environnement, normes sociales fondamentales, rôle dans le maintien et la protection de la paix). C’est seulement à cette condition que l’Union Européenne pourra combler son déficit démocratique et avancer, en totale harmonie avec les aspirations de ses citoyens.
Notes
- L’Union Européenne : un espace de gouvernance en construction
- Le secteur associatif face à la Convention sur l’Avenir de l’Europe
- Procédures et dispositifs du dialogue entre les organisations de la société civile et la Commission Européenne
- Les acteurs non étatiques dans les politiques de développement de l’UE
- Les Acteurs Non Etatiques du Sud instrumentalisés par la Commission Européenne ?
- Le Livre blanc sur la gouvernance européenne