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Conceptions antagonistes de la citoyenneté

Citizenship in Latin America

Autor : Evelina Dagnino

Por Martin Vielajus

mayo 2004

Contenido

L’ambivalence du terme de citoyenneté en Amérique Latine révèle en réalité un combat entre deux projets de société radicalement différents, accordant chacun à cette notion une dimension bien particulière.

Le mot de citoyenneté, dont l’utilisation s’est multipliée au cours des trente dernière années, est intimement lié au processus de démocratisation progressivement mis en place en Amérique latine, mais aussi à la manière de concevoir ce cheminement vers la démocratie. L’auteur oppose ainsi deux mouvements parallèles qui confèrent chacun au concept de citoyenneté des significations bien différentes.

Cette notion est tout d’abord devenue une référence commune à l’ensemble des mouvements sociaux qui ont pu s’affirmer au sortir des régimes autoritaires. L’affirmation de ce terme de citoyenneté endosse alors une double fonction. Il plaide tout d’abord pour le développement d’un système véritablement démocratique, mais aussi pour l’expansion de cette pratique démocratique et l’acquisition de droits à des populations autrefois exclue de toute reconnaissance politique. Il s’agit ainsi de lutter contre le lien existant entre un système social hiérarchisé et pratique politique excluante. Le point de départ de cette conception de la citoyenneté se résume dans la formule « le droit d’avoir des droits » , le recours à cette notion de droits étant l’un des éléments centraux de l’ensemble de ces mouvements sociaux dont les revendications peuvent être spécifiques (mouvements de femmes, mouvements environnementalistes, minorités ethniques, mouvements homosexuels etc.) Le « droit » du citoyen ,’est plus alors simplement conçu sous sa forme juridique mais il implique la construction d’un nouveau contrat social. Le statut de citoyen n’est plus confiné à la relation entre un individu privé et l’Etat, mais il engage l’ensemble des relations sociétales et impose la constitution d’une dimension « publique » de la société. Cette vision de la citoyenneté « au-delà » du simple rapport à l’Etat trouve notamment une illustration dans la mise en place de système de démocratie participative, notamment au travers de l’expérience brésilienne du budget participatif qui est appliquée aujourd’hui dans une centaine de villes du pays.

La force mobilisatrice et la charge symbolique du terme de citoyenneté ont également servi une appropriation de la notion par le discours néo-libéral qui présente de fait une vision de la citoyenneté largement divergente. Le concept est avant tout réduit à une dimension individuelle au travers de laquelle le processus d’acquisition de la citoyenneté correspond au processus d’intégration au marché. L’individu devient citoyen en devenant producteur et consommateur. De fait, la reconnaissance de droits comme principe central est mise de coté en tant que principe anachronique et obstacle potentiel au développement de ce marché.

La citoyenneté ne définit plus une valeur normative destinée à assure à chacun un ensemble de droits universels. De ce fait, les politiques sociales sont perçues non plus comme des réponses à des citoyens muni de droits sociaux, mais comme une forme de charité publique ou privée vis-à—vis d’individus « dans le besoin » . La dimension de solidarité collective et de responsabilité publique de la citoyenneté est remplacée par une forme de responsabilité morale individuelle. Cette conception néo-libérale de la solidarité semble notamment dominante dans l’action nouvelle des fondations d’entreprise, soucieuse d’attacher à leur image publique le vernis d’une « responsabilité sociale » et qui forment aujourd’hui une grande partie de l’énigmatique « troisième secteur’.

Cette expression de « troisième secteur » illustre en réalité la volonté de la pensée néo-libérale, de proposer une conception « minimaliste » de la société civile et de s’opposer à l’extension de l’espace public au-delà du contrôle gouvernemental. La tendance croissante à criminaliser les mouvements sociaux (en témoigne le regard que porte les autorités brésiliennes sur des groupes tels que le Mouvement Sans Terre ou certains syndicats nationaux) permet aux gouvernement de désigner les éléments de la société civile qu’il juge acceptable, et qui se présente ainsi comme représentants de l’ensemble des revendications de la société. La désignation de ces interlocuteurs privilégiés de la société civile témoigne ainsi de cette exigence de l’Etat d’un contrôle de l’ensemble de l’espace public.

Commentaires

Le concept de citoyenneté relève du champ de la normativité, il définit une manière d’être ensemble en précisant les modalités de l’intégration sociale et politique des individus . Ce faisant, il rappelle la nature volontairement et politiquement construite de toute société. L’analyse d’Evelina Dagnino illustre clairement le lien qu’il existe entre la construction d’un idéal de citoyenneté, la détermination de ses champs d’application dans les domaines juridiques, économiques ou sociaux, et la mise en place d’un modèle de société spécifique.. La mise en tension entre un idéal politique et social égalitaire et une réalité effective, caractérise ainsi le modèle de « citoyenneté sociale » latino-américaine. Celui-ci affirme de fait cette dimension largement normative. Le fondement égalitaire de ce modèle condamne en effet ses promoteur à dénoncer en permanence sa non réalisation dans les fait. La citoyenneté devient alors, selon les termes de Joseph Yvon Thériault (La citoyenneté, entre normativité et factualité. Revue Sociologie et société, automne 1999), « plus un processus, un fait générateur, qu’un modèle à réaliser » . Face à cette conception, la vision pragmatique de la pensée néo-libérale, centrée sur l’intégration de l’individu aux logiques du marché, remet en cause cette aspiration à créer, au travers de la citoyenneté, l’ébauche d’un nouveaux contrat social.

Cette opposition de deux manière de penser la citoyenneté pose ainsi la question suivante

Une redéfinition de la citoyenneté est-elle à même de poser la première pierre de nouveaux contrat social ? En d’autres termes,: « Sommes-nous toujours capables de représentation collective qui transcende l’intérêt individuel […] Sommes-nous toujours capables de quitter momentanément l’univers factuel des relations sociales pour réaliser des actions qui s’appuient sur l’idée d’une commune appartenance au monde ?  » . (Joseph-Yvon Thériault)

 

Citizenship in Latin America

Evelina Dagnino

Latin American Perspectives. Janvier-Mai 2003

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