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Islam et société civile

A chaque modèle politique son type de société civile ?

Por Martin Vielajus

  • 15-03
  • Cuaderno 

    Palabras clave : Religión y política ; Identitad Mundo árabe

    Contenido

    Cette fiche-débat se fonde sur l’analyse de deux auteurs de la relation problématique entre la religion musulmane et la notion ambiguë de société civile.

    Civil society in the Muslim world. Contemporary perspective. Ed. Amyn B. Sanjoo

    L’après-guerre froide et l’évolution politique de l’ancien bloc soviétique ont fait émerger une réflexion nouvelle sur le rôle et le statut de la société civile. Au sein de cette réflexion, un courant de pensée majoritaire, incarné notamment par d’E.Gellner, s’est appliqué à mettre en avant le principe selon lequel la société musulmane telle qu’elle se définit n’a pas la capacité de produire des institutions ou des associations de contre-pouvoir, et d’introduire ainsi une forme de pluralisme démocratique. Cette analyse considérant l’Islam comme un modèle politique radicalement opposé à celui de l’Occident va dans le sens de la très problématique thèse du “clash des civilisations” de Huntington.

    La supposée absence d’une société civile musulmane apparaît comme la conséquence de la faiblesse d’une classe bourgeoise autonome, d’une bureaucratie et d’un cadre légal commun peu structurés, et de la relative absence de centre urbains indépendants. Cette situation socio-politique est-elle si aisément identifiable? Est-elle le fruit spécifique de l’Islam?

    Amyn B. Sanjoo propose ainsi de reconsidérer les rapports ambigus entre l’Islam et un modèle de société civile qui reste définir.

    Il n’existe tout d’abord pas “un” Islam, unique et homogène. 1,2 milliards d’individus constituent le monde musulman aujourd’hui, qui se caractérise par une diversité géo-culturelle, une grande variété de niveaux de vie et de profils démographiques : cela ne permettant pas de mettre en avant un “destin commun” des peuples musulmans.

    Pour autant, il existe dans la société musulmane des éléments communs de définition d’une société civile spécifique. L’imbrication des sphères “civiques” et religieuses est le point de départ de cette définition. De fait, le rôle de la shari’a (loi islamique) est un des éléments fondamentaux du débat. Selon l’analyse de Hamid El Amouri. (voir la fiche Les sociétés civiles au Maghreb ou le bon usage de la modernité), l’ordre religieux, au travers du cadre de la shari’a, régit l’ensemble des relations sociétales et ne laisse de fait aucune place à la contestation « civile » . Cependant, Amyn B. Sajoo affirme dans son analyse que de larges segments de cette loi religieuse sont en réalité entre les mains d’acteurs privés jouissant d’une certaine autonomie. De cette imbrication des sphères naît également une autre particularité propre à la société civile musulmane. Le terme même de “civility” engage un impératif d’éthique sociale et de solidarité. La société civile se définit alors moins en tant qu’élément d’opposition au pouvoir de l’Etat (comme le suppose la conception occidentale du terme) que comme une forme d’institution parallèle procurant aux populations les services sociaux vitaux et régulant une partie des activités sociales.

    Amyn B. Sanjoo souligne ainsi l’existence d’une forme de société civile spécifique à l’Islam et capable de le renforcer à sa manière une forme le pluralisme politique et le débat démocratique. Dans la même optique, l’analyse de John Esposito va plus loin en appelant aujourd’hui les occidentaux à repenser leur approche d’un certain nombre de mouvements politiques musulmans afin de les intégrer réellement dans le processus de décision politique de leur pays.

    Islam and civil society. Esposito John, 1996

    De même que Amyn B. Sanjoo, John Esposito tente à travers son analyse de souligner l’importance du rôle de la religion vis-à-vis de la réaffirmation d’une société civile dans les pays à majorité musulmane. L’existence de “guilds”; forme de fédérations de travailleurs regroupés autour d’un code d’éthique professionnelle ou de fraternités religieuses telles que les tarigahs dont le rôle reste majeur au sein des services sociaux et éducatifs témoigne de la vitalité d’associations relativement autonomes, nées des préceptes de l’Islam. C’est même bien souvent au travers de cette fonction sociale que la société civile acquiert sa légitimité et entame une forme de contestation vis-à-vis de la capacité de l’Etat à satisfaire les besoins de sa population. Dans les territoires palestiniens, les associations islamiques procurent de l’aide à environ 9 000 orphelins et 5 000 familles, répondant ainsi aux nécessités de l’urgence sociale du pays. Cette dimension de solidarité sociale est un élément fondateur de la “dawa”, l’appel à l’Islam, et permet une forme d’islamisation « par le bas » des populations dans le besoin.

    L’affirmation du rôle de l’Islam dans la sphère publique se traduit aussi et surtout au travers de la fondation de partis politiques. Leur représentation nationale reste largement problématique vis-à-vis d’une position proche du “fondamentalisme laïque” (selon les mots de John Esposito) des gouvernements algériens, turcs, ou encore Egyptien. L’avènement de cette nouvelle forme d’Islam politique est notamment incarné par les succès électoraux du Front Islamique du Salut algérien - qui peut se prévaloir d’être le premier parti politique islamique légal, dans une tradition nationale de parti unique - mais aussi du Refah turc, ou du Parti de la Renaissance tunisien. La lutte des gouvernements cherchant à préserver leur pouvoir contre ces mouvements politiques islamiques s’effectue notamment sous couvert de “lutte contre le terrorisme” permettant à l’occident d’adopter une attitude d’indifférence, sinon de complaisance, vis-à-vis de ces manoeuvres politiques. Ce faisant, les nations occidentales procurent à ces gouvernements des excuses pour la mise en place d’une répression systématique (touchant notamment des islamistes modérés et parfois apolitiques). Du même coup, cette attitude répressive peut avoir tendance à marginaliser ces mouvements, radicaliser leurs revendications et notamment à utiliser des modes de contestations plus violentes pour faire entendre leur voix.

    Les réalités de l’Islam politique viennent aujourd’hui se confronter aux images occidentales d’une menace Islamique monolithique et rendent nécessaire l’adoption d’une nouvelle attitude des gouvernements occidentaux vis-à-vis de la répression menée contre ces mouvements.

    Une dernière question découle de cette analyse : pourquoi assiste-t-on aujourd’hui à ce renouveau d’un Islam politique ? La réponse de John Esposito est de concevoir cette “alternative” islamique comme le résultat de l’échec des modèles et des imaginaires politiques du monde musulman. Alternative tout d’abord vis-à-vis de l’échec des formes laïques du nationalisme arabe à constituer une véritable identité nationale. Echec également des gouvernements autoritaires à légitimer leur pouvoir au travers de régime basés sur les forces de la police et de l’armée, cachant par ailleurs la faiblesse de leurs institutions et la corruption généralisée du système. Alternative enfin face à l’hégémonie du modèle politique et culturel occidental.

    Commentaires.

    Cette double analyse nous amène à repenser la notion même de “civile” au regard de l’Islam. Selon l’analyse de Heba Raouf Ezzat (Beyond methodological modernism: towards a multicultural paradigm shift in the social sciences, Global Civil Society Yearbook 2004/5, Sage Publications) l’Histoire politique occidentale a progressivement attribué au terme “civil” une dimension emprunte du rationalisme laïque qui caractérise l’essor d’un Etat moderne. Après avoir été longtemps exclu du champ sémantique du terme “civil”, le facteur religieux retrouve au travers de ce type d’analyse, une place fondamentale au sein de la définition d’une société civile en construction.

     

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