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L’ambiguité du concept de société civile face au passé politique et religieux du Maghreb

Les sociétés civiles au Maghreb ou le bon usage de la modernité.

Autor : Hamid El Amouri

Por Martin Vielajus

mayo 2001

Contenido

Le concept de société civile au Maghreb se confronte à la fois aux conceptions politiques issues des préceptes de l’islam et au passé colonial de la région. Pourtant depuis le début des années 1990, ce concept a su se faire l’écho de formes nouvelles de mobilisations sociales et de solidarités transversales.

L’ordre politico-religieux issu de l’islam lie une communauté de croyants à son chef au travers d’un contrat « d’ordre divin » . Ce chef, dont la légitimité est issue de son lien généalogique avec le prophète et ses califes, a pour fonction notamment la protection de la dimension religieuse de la société. L’ordre religieux, au travers du cadre de la shari’a (loi islamique) et de la référence à la souna (conduite du prophète), régit l’ensemble des relations sociétales et ne laisse de fait aucune place à la contestation « civile » . Le lien étroit entre le politique et le religieux, le rôle de stabilité et d’unicité qu’assure la religion face au pouvoir politique exclut de fait toute velléité de constitution d’un espace autonome. La notion de société civile dans le contexte maghrébin est donc historiquement conçue avant tout comme « un vecteur d’intégration dans la configuration universelle postulée par l’Islam » (Hamid El Amouri). Le principe d’autonomie, qui représente le fondement de la conception occidentale moderne de la société civile, est directement remise en cause par cette imbrication des sphères politique et religieuse dans l’ère musulmane. Cependant, l’influence de la pensée occidentale, au travers notamment de la domination coloniale, remet en cause les principes de cet ordre politico-religieux ouvre la voie à une nouvelle forme de société civile

L’histoire d’une « société civile » au Maghreb est en effet indissociable du passé colonial de la région. L’invasion par l’occident a en effet pu remodeler le concept de société civile au Maghreb de manière contradictoire. Comme bien souvent, la domination coloniale a elle-même forgé les armes de sa propre destruction. En activant une prise de conscience collective de l’identité maghrébine en réaction à sa présence, le fait colonial permet d’établir de nouvelles solidarités de contestation. « La cristallisation de toutes les forces sociales s’est donc faite autour de l’indépendance comme mot d’ordre commun à tous les maghrébins. Cette préoccupation a permis aux société maghrébines de reprendre l’initiative pour relancer les liens de solidarités transversales (…) » (Hamid El Amouri). Le projet d’indépendance permet ainsi l’ébauche de formation d’une société civile telle que l’entend la pensée occidentale.

Cependant, à l’heure de la décolonisation, l’Etat-Nation étant le projet principal des luttes de libération, sa mise en place incarne à elle-seule la victoire de l’indépendance nationale et représente à la souveraineté. Expression de la libération, l’Etat indépendant renforce en réalité un pouvoir imposé « par le haut » , que ce soit au Maroc, en Tunisie ou en Algérie. La décolonisation ravive les formes de légitimités traditionnelles et pousse l’Etat post-colonial a s’engager dans la voie d’une centralisation forte, manifestation institutionnelle d’une unité fragile. Le pouvoir politique est ainsi caractérisé, au sortir de l’indépendance, par sa forme autarcique, dans laquelle les élites sont davantage cooptées qu’élues, et au travers duquel les élections prennent bien souvent la forme de plébiscites. Cette forme de système politique imposé par le haut a pu s’établir au travers d’un pouvoir personnalisé en Tunisie et au Maroc et au travers d’un parti dominant en Algérie. Les élites ayant été les fondateurs de ce grand mouvement de libération, elles s’intègrent en réalité au sein de cette idéologie dominante d’un pouvoir étatique fort, face auquel toute contestation pourrait être taxée d’anti-nationalisme.

Sous quelle forme une société civile a-t-elle donc pu voir le jour au Maghreb?

Sur le plan analytique, la polarisation d’une grande partie des élites au sein de cette idéologie dominante n’a pas permis de créer au sortir de l’ère coloniale, un champ d’investissement intellectuel structuré et autonome. Les préoccupations d’ordre sociales se trouvaient étouffées dans l’œuf par la prédominance du politique. L’éveil d’une expression contestataire ou même tout simplement la prise de distance d’un partie du champ intellectuel par rapport aux orientations des Etats ne se structurent qu’à partir des années 80, en parallèle d’un mouvement de libéralisation politique et sociale, mais aussi de l’émergence d’une classe moyenne en constante augmentation.

Mais l’existence de cette « société civile » se développe également à une autre niveau, plus directement pratique. Pour présenter cette autre forme de société civile, l’auteur reprend la définition du terme présentée par JF Bayart (issue de l’article « La revanche des sociétés africaines » paru en septembre 1983 dans la revue Politique Africaine). JF Bayart explore en effet les « modes populaires d’action politique » tout autant au travers des grèves et des révoltes que par le phénomène de contrebande et d’économie informelle ou encore la création de communautés théocratiques hors-Etat. Cette définition large illustre la réalité des pratiques de « détotalisation » de l’Etat mises en place par la société. Dans cet optique, l’essor d’une économie informelle puissante dans les pays du Maghreb souligne une forme de « désaffection » d’une partie de la population vis-à-vis de l’économie planifiée de l’Etat. De plus, l’existence de zones rurales marginales et de zones urbaines défavorisées, difficilement contrôlable par les autorités publiques témoigne une certaine « avancée » de la société sur le pouvoir politique.

Commentaires :

Cette analyse permet de mettre en avant dans un premier temps le rôle ambigu de l’influence coloniale dans la détermination du concept de société civile. Cependant, la conception même de société civile employée dans cet article renvoie au présupposé d’une distinction fondamentale entre Etat et société civile, cette dernière ne pouvant se placer que dans une situation de contestation vis-à-vis des institutions officielles. L’émergence d’une société civile ne semble ainsi s’affirmer qu’au moment de la libéralisation politique et sociale de l’Etat.

Cependant, le phénomène d’imbrication de l’Etat et de la société civile est une caractéristique essentielle de nombreux systèmes politiques du Sud dont l’héritage d’un pouvoir fort et patrimonial ne laisse pas de place à une autre forme de légitimité de l’action sociale. Doit-on pour autant refuser d’entrevoir, au travers de cette confusion des sphères étatique et sociétale, une autre forme de société civile ?

 

Les sociétés civiles au Maghreb ou le bon usage de la modernité.

Hamid El Amouri.

Revue Eurorient. Septembre 1997. N°1

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