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note de lecture

Les héritages théoriques de la notion de société civile et leur approches de la régulation démocratique

Les discours sur la société civile en relation internationale

Auteur : Virgile Perret

Par Martin Vielajus

Table des matières

L’irruption de la notion ambiguë de « société civile » dans les relations internationales masque la diversité des approches et des perspectives d’un terme qui endosse en réalité plusieurs héritages théoriques distincts voire opposés. Chacun de ces héritages associe à sa manière société civile et volonté de régulation démocratique, mettant ainsi en lumière des conceptions toute à faite différentes de la notion de gouvernance.

Virgile Perret conçoit ainsi la genèse de ce concept de société civile au travers de trois idéaux distincts : la prospérité économique des néo-libéraux, la justice sociale des néo-gramsciens et la paix universelle des néo-kantiens.

La tradition libérale peut se caractériser par une vision fonctionnaliste de la société civile. Le processus de complexification sociale croissante empêche l’Etat d’être en mesure de « piloter » seul et entraîne la perte de sa centralité. C’est l’ingouvernabilité des sociétés qui amène de nouveaux acteurs de la société civile à jouer une rôle dans la « gouvernance démocratique » . L’Etat endosse le simple rôle de gestionnaire, tandis que le secteur privé, les ONG et les mouvements sociaux constituent des « alternatives » nouvelles aux processus traditionnels de régulation et de contrôle des sociétés. Les pressions exercées par les ONG ou les sociétés multinationales constitueraient ainsi, chacune à leurs manières, des « équivalents fonctionnels au mécanismes de contrôle électoraux, législatifs etc. » (Virgile Perret). Ce principe fonctionnel pose cependant problème vis-à-vis de la légitimité de la régulation démocratique. Manque de légitimité tout d’abord au travers de la question de la représentativité de ces organismes dont les dirigeants ne sont pas élus et sur lesquels les citoyens n’ont aucun pouvoir de contrôle démocratique. Manque de légitimité également vis-à-vis des intérêts sectoriels que défendent chacun des membres de la société civile et l’absence d’une gestion d’ensemble du bien commun. La vocation sectorielle de la plupart des ONG, l’objectif de profit des entreprises permettent peu de développer une vision transversales du bien commun. La vision fonctionnaliste d’une ouverture à la société civile a, selon les termes d’Ali Kazangigil 1 : « pour mission, non plus de servir l’ensemble de la société, mais de fournir des biens et des services à des intérêts sectoriels et à des clients/consommateurs, au risque d’aggraver les inégalités… » .

La conception gramscienne, héritée en partie de la vision Marxiste de la société civile, perçoit cette notion comme « l’ensemble des organismes dits vulgairement privés (…) qui correspondent (…) à la fonction ‘d’hégémonie’ que le groupe dominant exerce sur toute la société. » . La société civile apparaît ainsi comme un lieu de socialisation pouvant susciter le consentement mais aussi potentiellement faire naître une dynamique révolutionnaire.

La politique de « néo-libéralisme disciplinaire » de la Banque Mondiale tend ainsi à intégrer de manière croissante les ONG dans ses projets, leur offrant de nouvelles perspectives de débouchés et de financements, et utilisant ainsi des composantes de la société civile comme des outils de renforcement et de diffusion de l’hégémonie néo-libérale. Cependant, la société civile se caractérise également de plus en plus par un mouvement de contestation contre-hégémonique, illustré par exemple lors de l’échec des négociations de l’OMC de 1999 ou la création de forum alternatifs (Davos, FSM etc.). Cette conception tente donc de mettre en lumière la fonction équivoque de la sphère « société civile » sans pour autant entrer dans une analyse des relations possibles entre ce pôle ambigu de consentement / contestation, et la réforme des institutions existantes.

C’est enfin au travers de la tradition Kantienne que s’affirme une autre conception de la nature et du rôle de la société civile entendue au travers de la création d’un espace public international. En mettant en cause la pertinence de la notion de territoire national comme cadre unique de la démocratie, cette vison conçoit la société civile comme un outil fondamental de la création d’une « démocratie cosmopolite » . « Le plus grand problème pour l’espèce humaine (…) est l’établissement d’une société civile administrant le droit universellement » 2 Les héritages Kantiens divergent sur des conceptions plus ou moins fédéralistes et institutionnalisées de cette démocratie mondiale, mais ont tous en commun le principe d’une unité morale de l’humanité. Cette unité morale peut ainsi émerger au sein de la notion de société civile (proche du concept Habermasien de « sphère publique » ) médiatrice de la politique et de la morale. Pourtant, la critique communément portée à cette vision est le peu de prise en compte des conflits d’intérêts et des rapports de forces qui divisent cette société civile internationale et remettent en cause le principe idéal d’une communauté délibérative. Mais la critique la plus pertinente me semble-t-il, renvoie en réalité à la possibilité même de faire naître les conditions de cette espace publique international. La construction d’une sphère publique, selon Martin Kölher 3, est liée à l’existence d’une strcuture d’autorité, à un système reposant sur le principe d’accountability (responsabilité) qui n’existe pas au niveau transnational.

Commentaires.

L’utilisation du concept ambigu de société civile dans le langage des relations internationales est aujourd’hui largement normative, bien souvent perçue comme l’instrument d’une régulation démocratique au niveau national ou international. Pourtant, se pencher sur les différentes acception de ce terme équivoque permet en réalité de percevoir les conceptions très diverses d’un idéal de gouvernance démocratique. Pour autant le bilan général de Virgile Perret, constatant qu’aucune de ces approches de la société civile n’apporte une « garantie » de régulation démocratique à la mondialisation, est ambigu. La société civile ne représente qu’un des piliers de la construction d’une nouvelle forme de gouvernance mondiale et ne peut à elle seule refonder les principes de cette gouvernance sans envisager une révolution du concept même d’autorité et une réforme des institutions qui encadrent cette sphère publique transnationale.

Notes

1 Ali Kazangigil, « Gouvernance et science. Mode de gestion de la société et de production du savoir empruntés au marché » , Revue internationale des sciences sociales, N°155, mars 1998. P.76

2 Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. Paris, Editions Pédagogie Moderne, Bordas, 1981, P.15/16

3 Martin Köhler « From national to Cosmopolitan Public Sphere » , in Daniele Arghibugi, David Held et Martin Köhler (dir).

 

Références documentaires

Les discours sur la société civile en relation internationale

Virgile Perret

Revue Etudes Internationales, Volume XXXIV, N°3, Septembre 2003

Voir Aussi