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note de lecture

L’émergence d’une société civile à Cuba

Etat et société civile à Cuba.

Auteur : Hugo Azcuy Henriquez.

Par Martin Vielajus

mars 2003

Dossier 

Mot-clés : État ; mouvement social Cuba ; Amérique du Sud

Table des matières

L’évolution de la notion de société civile, et de l’emploi du terme dans la société cubaine reflète les transformations profondes du rôle de l’Etat cubain, de ses capacités de contrôle de l’espace social.

L’assimilation des termes de « société civile » au développement de la « société bourgeoise » a bien longtemps exclu de fait l’étude de cette notion de la sphère des sciences sociales cubaines. Selon l’idéologie dominante, la société civile est alors synonyme d’instrument de lutte contre le socialisme, et doit appartenir au passé de l’histoire cubaine. Les bouleversements politiques d’Europe de l’Est initiés par des membres d’une nouvelle société civile émergente, témoignent au regard de Cuba, du danger de cet instrument politique bourgeois.

De plus, la politisation de la société cubaine réduit de fait l’espace de l’activité sociale autonome que la pensée occidentale définit communément comme « société civile » . Cette politisation de la société résulte notamment du puissant sentiment communautaire cristallisé autour de l’idéologie révolutionnaire, sentiment bien souvent renforcé au cours des précédentes décennies par l’affrontement à des forces externes hostiles au système révolutionnaire. L’absence de cet espace autonome est également le fait d’un modèle d’organisation sociale centralisé et égalitariste ne permettant pas de concevoir une forme de régulation sociale et de modèle sociétal en dehors du cadre étatique:

L’activité aassociative est ainsi centralisé au sein de six organisations de masse (telles que la Central de Trabajadores de Cuba ou la Federacion de Mujeres Cubanas) regroupant une très grande majorité de la population. La gestion rigide et égalitariste des salaires divisant l’univers salarial en vingt-quatre catégories de travailleurs illustre également le caractère supposément uniforme de l’espace social cubain.

Ce n’est qu’au travers de la perte relative des capacités de l’Etat à exercer cette centralisation et à maitriser cette cohésion de la sphère sociale que s’affirme la notion ambigue de société civile.

L’apparition d’une forme d’économie privé et l’affirmation du marché sont les facteurs principaux de cette émergence d’un espace public autonome. Le surgissement du marché brise en effet la forme spécifique d’intégration sociétale cubaine au travers de « l’apparition d’espaces qui, n’étant pas régulés par l’Etat, s’éloignent de la politique et du sens social qui primait dans l’imaginaire collectif » (Hugo Azcuy Henriquez). L’égalité des salaires devient en pratique impossible vis-à-vis de la nécessité de mise en place d’incitations spéciales au sein des activités les plus dynamiques, mais aussi et surtout du fait de l’émergence d’une sphère privée qui détermine son propre mode de régulation économique. La perte de contrôle des prix du marché accentue encore davantage des différences de modes de vie jusqu’alors inexistantes ou du moins inconnues au sein de la société cubaine. L’Etat cubain progressivement « décentralisé » n’est plus désormais le modèle unique d’intégration sociale et doit faire face à une relative modification du concept de politique.

L’un des moteurs de cette affirmation d’un nouveau rapport à l’Etat est notamment lié à la dévalorisation économique de secteurs tels que l’éducation ou la santé dont les salaires demeurent figés et peu avantagés. C’est au sein de ces secteurs que le soutient d’organismes non-gouvernementaux internationaux est le plus présent, contribuant à la formation de nouvelles entités sociales internes, relativement autonomes.

Pourtant l’apparition des ces nouveaux acteurs internes de la société civile ne se place pas, selon Hugo Azcuy Henriquez en opposition radicale face à l’Etat. Il s’agit avant tout d’adapter le système institutionnel aux nécessités du pluralisme émergent. L’auteur souligne que la reconnaissance de cette pluralité ne passe pas forcément par l’adoption d’un « modèle institutionnel calqués sur les systèmes politiques des grandes puissances capitalistes » . L’exigence d’une indépendance totale de la société civile face à l’autorité étatique et l’exclusion du marché de la définition de cette notion sont deux éléments qui, selon Hugo Azcuy Henriquez, doivent être remises en cause pour comprendre la réalité d’une « société civile » cubaine dont l’autonomie ne se mesure qu’au travers de sa liberté d’expression dans le cadre même de l’Etat autoritaire cubain.

Commentaire :

La perspective historique que nous donne à voir Hugo Azcuy Henriquez met en avant le rôle de la société civile vis-à-vis d’un Etat en perte de contrôle. La création d’un espace social autonome naît de la progressive désintégration du modèle social unifié et étatique.

Cependant, la question demeure de savoir si l’affirmation d’un espace social véritablement autonome peut naître dans un contexte autoritaire. La notion de société civile pose le problème de la forme de l’Etat, et interroge Hugo Azcuy Henriquez sur son refus d’associer société civile et démocratie.

 

Références documentaires

Etat et société civile à Cuba.

Hugo Azcuy Henriquez.

Alternatives Sud Volume V. 1998

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