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note de lecture

Le mythe d’une société civile comme instrument du pouvoir politique marocain

Le charme discret de la société civile. Ressorts politiques de la formation d’un groupe dans le Maroc « ajusté » . Myriam Catusse.

Auteur : Myriam Catusse

Par Martin Vielajus

janvier 2005

« Le pouvoir repose partiellement sur une machinerie de l’illusion dont la « société civile » serait l’une des dernières créations » .

Table des matières

Myriam Catusse

Myriam Catusse, politologue, est chargée de recherches au CNRS - IREMAM (Aix-en-Provence), après avoir été allocataire de recherche au CESHS (Rabat) et Jean-Monnet Fellow à l’Institut Universitaire Européen de Florence. Sa thèse sur « L’Entrée en politique des Entrepreneurs marocains » (1999), a été suivie de travaux sur les interactions entre réformes économiques et politiques, notamment au Maghreb.

Le prestige « talismanique » de la société civile serait-il une réponse à la crise manifeste des partis marocains ? Au travers du constat de la création, par A. Lahjouji d’un nouveau parti politique, Forces citoyennes, sur les bases d’une ancienne confédération patronale, M. Catusse analyse les relations intimes qu’entretiennent la société civile et le monde politique marocain et pose ainsi la question suivante : la société civile marocaine est-elle l’instrument d’une dépolitisation ou bien le lieu d’un retour au politique ?

La légitimité acquise par l’étendard de la société civile au Maroc pousse à mettre en avant les ambiguïtés de la notion et de la réalité qu’elle recouvre.

Le mythe d’une société civile informelle, diverse et spontanée est en effet mis en cause. Le déploiement de la notion de société civile marque au début des années 90 l’émergence d’un nouveau groupe relativement homogène, soutenu par des intellectuels et journalistes marocains, mais aussi et surtout labellisés par la communauté internationale (Union Européenne, institutions ONUsiennes etc.). Ce groupe, sociologiquement uniforme (majoritairement constitué de diplômés de l’enseignement supérieur, vivant à Rabat ou Casablanca), s’organise autour d’un paradigme théorique commun. La société civile s’unie notamment autour d’un discours de moralisation de la vie publique, revendiquant un nouveau concept de l’autorité fondé sur les exigences de transparence, modernité, démocratie, et citoyenneté. Celle-ci apparaît ainsi comme un « espace extrêmement structuré, par des valeurs, par des positions et par une idéologie dominante » .

L’emploi de la notion même de société civile dans le discours politique s’inscrit, selon M. Catusse, au travers de la tradition politique occidentale de la contestation à l’Etat, notamment vis-à-vis d’un Etat autoritaire. L’autonomie affichée de la société civile marocaine et son regard critique vis-à-vis de l’autorité étatique semble vouloir se fondre dans cette pensée. Cependant, la réalité des rapports entre société civile et Etat peuvent amener à repenser cette notion comme une forme de « cheval de Troie politicien » . Le brouillage des frontières entre monde politique et société civile permet en effet à celle-ci de faire irruption sur la scène politique comme une forme alternative à la représentation démocratique. La création par le gouvernement d’un Espace associatif, et la multiplication des partenariats entre ces deux sphères dans les nouveaux projets de logement ou d’emploi donne à la société civile une nouvelle légitimité. L’exemple de la création du nouveau parti Forces citoyennes est également significatif de cette iruuption de la société civile dans l’espace politique, en ce qu’il revêt à la fois le caractère technique et développementaliste de la société civile marocaine et la fonction d’adversaire politique national de son statut de parti. Le rôle de certains personnalités à la fois hommes politique et figure phares de la société civile, telle de O.Azziman, qui fonde entre son passage au ministère des Droits de l’Homme et au ministère de la justice, l’Organisation marocaine des droits de l’Homme, incarne aussi cette ambiguïté des frontières entre ces deux sphères.

Quel est donc le rôle de cette irruption de la société civile dans le jeu politique marocain? L’idéal-type d’une « société civile » hérité du paradigme néo-libéral s’inscrit dans la « mise en récit » du changement politique marocain. Celui-ci permet, selon M. Catusse, de construire le scénario idéal de la transition démocratique. Cependant, les conséquences de la victoire de ce nouvel acteur sur les adversaires du jeu politique traditionnels sont ambigus.

L’affirmation de la société civile sur la scène politique est en effet la consécration d’une victoire de la logique consensuelle sur la polémique politique, « ni droite, ni gauche » , libérée d’une lutte politicienne ayant perdu tout crédit.

La société civile apparaît donc en réalité comme un mythe nécessaire pour maintenir la stabilité d’un système politique en crise. C’est l’idéal d’une société civile vibrante utilisant en permanence une rhétorique du changement qui permet cette stabilisation.

Ce que dénonce M. Catusse au travers de cette analyse, c’est bien évidemment le danger d’instrumentalisation par le pouvoir politique traditionnel. « Le pouvoir repose partiellement sur une machinerie de l’illusion dont la « société civile » serait l’une des dernières création » .

Commentaires :

L’auteur s’engage, au travers de l’analyse de l’utilisation du mythe de la société civile, dans une dénonciation de la vision modélisatrice des transitologues occidentaux. L’idéal démocratique semble dans le contexte marocain tel qu’il est analysé par M. Catusse, devenir l’instrument du pouvoir politique.

Cependant, cette vision « instrumentalisée » de la société civile dépend de la définition même que l’auteur accorde à ce terme, et des restrictions implicite qu’elle suppose. La question savoir à quel point la sphère politique et la société civile peuvent réellement être distinctes. Une conception partagée par de nombreux théoriciens de tradition anglo-saxonne (voire notamment la fiche document Civil society, the underpinnigs of American democracy – Brian O’Connel) englobe au sein de cette notion de société civile, les acteurs du jeu politique traditionnel, modifiant ainsi la problématique même d’une forme d’instrumentalisation d’une société civile autonome par la sphère politique.

 

Références documentaires

Le charme discret de la société civile. Ressorts politiques de la formation d’un groupe dans le Maroc « ajusté ».

Myriam Catusse.

Revue internationale de politique comparée

vol 09 - no 2 - été 2002

Voir Aussi