note de lecture
Du bon usage de la piraterie, culture libre, sciences ouvertes.
Un équilibre nécessaire entre le droit des créateurs à récolter les fruits de leur travail, et celui de la société à bénéficier de la plus grande circulation possible des savoirs et de la culture.
Auteur : Florent LATRIVE
Programme Coproduction de l’action publique
Dossier La normativité internationale comme outil de gouvernance
Mot-clés :Table des matières
Florent LATRIVE
Journaliste au service Économie de Libération, notamment chargé de la propriété intellectuelle et de l’industrie pharmaceutique. Coéditeur de Libres Enfants du Savoir Numérique avec Olivier Blondeau (Eclat, 2000), il a aussi publié Pirates et Flics du Net (Seuil, 2000) avec David Dufresne. Il est l’un des animateurs de Freescape : Biblio du Libre et de la liste de diffusion Escape_l, tous deux consacrés aux débats sur la propriété intellectuelle.
Dans son livre, Du bon usage de la piraterie, Florent Latrive met en lumière les enjeux qui sous-tendent le débat entourant la propriété intellectuelle. Il y démontre avec intelligence et humour la nécessité de mettre un frein aux velléités expansionnistes du droit de la propriété intellectuelle. La culture et la connaissance, de par leur essence même, ne peuvent être traitées comme n’importe quel autre bien et elles ne doivent pas être soumises à un régime de droit de propriété trop stricte. Il faut en effet trouver un juste équilibre entre le droit des auteurs, qui nécessite une protection légitime, et les droits des utilisateurs qui ne sauraient être négligés.
Dans son premier chapitre intitulé “ Qu’est ce qu’un pirate ? ”, Latrive montre toute l’ambiguïté que recèle le terme “ pirate ”. En effet, comme l’auteur le dit si bien, contrairement au voleur de poules qui sera “ considéré comme un voleur du Japon à Madrid, au début du XVIIIe comme aujourd’hui, et l’âge du gallinacé n’y change rien ”(1) , le “ pirate ”, lui, est plus difficile à appréhender et ce pour deux raisons. La première difficulté provient du fait que la définition du pirate change en fonction des législations nationales. Ainsi, si l’on prend la législation indienne(2) , l’on s’aperçoit que celle-ci ne reconnaît pas, sur les médicaments, la possibilité de déposer des brevets. Par conséquent un laboratoire indien qui copie des médicaments d’origine étrangère pour les revendre à un prix moins élevé ne peut être considéré comme un pirate, alors qu’un laboratoire européen qui en ferait de même se retrouverait vite devant un tribunal. La deuxième source d’ambiguïté est la nature même de la propriété intellectuelle. En effet, toute œuvre intellectuelle est produite dans le but de constituer un échange entre son auteur et le public. Cela ne fait-il pas de l’œuvre une sorte de propriété publique, qui, une fois publiée, échappe à son auteur, pour être reprise par tout un chacun ?
Ce raisonnement nous conduit à nous interroger sur les freins au partage et à l’échange des connaissances que Latrive semble avoir identifiés. C’est ainsi que l’auteur revient dans un deuxième chapitre, sur les différentes idées reçues qui entachent toute remise en cause du droit exclusif des auteurs (ou, plus souvent à l’heure actuelle, des producteurs (3) ) d’œuvres intellectuelles. L’auteur reprend notamment l’idée selon laquelle la copie de médicaments serait nuisible aux entreprises pharmaceutiques et à la recherche. Lorsqu’en pleine épidémie du virus du sida, seuls les pays du Nord peuvent véritablement accéder aux trithérapies, la situation est moralement intenable (4). Une solution existe : copier ces médicaments et les revendre à des prix abordables pour les pays du Sud. Face à la pression de l’opinion publique, outrée par le procès de Pretoria5(5) , l’ADPIC (6) est amendée et la copie est légalisée par le biais de la licence obligatoire. Ces licences permettent aux laboratoires pharmaceutiques du Sud de reproduire les nouveaux médicaments et ce sans nuire aux entreprises du Nord, comme le montre leurs bons résultats financiers.
Face à ces tentatives de restriction, la solution ne serait-elle pas de pouvoir bénéficier des savoirs et cultures libres, autrement dit gratuits ? L’auteur prend l’exemple de deux outils légaux très intéressants. Le premier, la General Public Licence (GPL), énumère les libertés (et c’est une première ! ) de l’utilisateur de logiciel(7) : liberté d’usage, de copie, de modification et de diffusion. C’est ce que l’on a appelé le copyleft (ou gauche d’auteur) pour souligner le parallèle et la totale opposition avec les mécanismes traditionnels de propriété intellectuelle. La seconde, la “ Creative Commons ” (CC) concerne les textes, la musique et la vidéo, et permet au contenu d’être diffusé et reproduit gratuitement.
Latrive démontre bien qu’il paraît sommaire de vouloir “ bloquer ” l’utilisation d’une connaissance, et de la marquer d’un titre de propriété, comme n’importe quel autre bien de consommation. En effet, si l’on y regarde de plus prêt, toute création est d’origine collective. Tout comme La Fontaine a puisé son inspiration chez Esope, Newton rendait hommage à Galilée et Descartes. Pourquoi donc restreindre la portée d’une œuvre intellectuelle, alors que celle-ci est d’origine commune par son inspiration ? Pourquoi empêcher d’autres créateurs, à leur tour, de s’inspirer de cette nouvelle œuvre ? Et c’est de là que découle l’importance du domaine public. Ainsi, de nombreux auteurs proposent de changer le vocable actuel entourant la notion de domaine public et le remplacer par un lexique plus positif. En effet, ne dit-on pas “ tomber dans le domaine public ” ? Pourquoi, à travers l’idée de chute, taxer de négativité le passage de la sphère privée à la sphère publique ? Il faudrait donc remplacer l’expression “ tomber dans le domaine public ” par “ monter au domaine public [qui] est autrement plus porteur d’espoir et d’ambition que d’y choir. Monter, c’est s’élever plutôt que de déchoir. Plutôt que d’être seulement déchu de ses droits, l’auteur pourrait y voir une consécration favorisant la plus large connaissance et circulation de son œuvre ”(8).
Avec la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels, l’extension et le renforcement des droits d’auteurs, l’on assiste “ au découpage du monde en tranches de propriétés ”(9) . La construction, par des droits de propriété, de parcelle de savoirs dont l’accès est limité, voire interdit, freine les nouvelles créations. C’est pourquoi l’auteur émet le souhait de parvenir un jour à une coalition du domaine public. Ainsi, il faudrait regrouper en une seule association les informaticiens militant pour le logiciel libre, les fermiers lutant contre l’appropriation du vivant, les ONG prônant l’accès de tous aux médicaments, les artistes fatigués de voir leur inspiration tronquée… tous pourraient ainsi agir ensemble pour défendre le domaine public. Ainsi, l’on en revient à la notion de biens publics mondiaux. Les livres, les médicaments, ou plus largement la santé et la connaissance devraient être considérés comme des biens publics mondiaux, et non comme des marchandises dont la vocation première est de générer un maximum de profits.
Dans son livre, Latrive utilise cette notion de biens publics mondiaux ; l’on regrettera cependant la conception trop réductrice qu’il en adopte. Si son plaidoyer en faveur d’un assouplissement des règles relatives à la propriété intellectuelle est éloquent, il est en revanche dommage que l’auteur considère que seuls des biens immatériels peuvent être qualifiés de biens publics mondiaux. Ainsi les objets concrets, matériels “ sont toujours des biens privés ”(10) . Cette affirmation guère satisfaisante vient du fait que Latrive, à sa décharge, a repris la définition du PNUD qui énonce qu’un bien public mondial pur est non-rival et non-excluable (11). Or, par cette vision purement économique, de nombreux biens, qui devraient être considérés comme des biens publics mondiaux, ne peuvent être inclus dans cette catégorie. Il en va ainsi par exemple pour l’eau (puisque X prive nécessairement Y de la quantité d’eau qu’il vient de consommer). C’est pourquoi il paraît nécessaire de passer à une définition plus politique, découlant de choix sociétaux (12). Ainsi, aux biens publics mondiaux immatériels identifiés par Latrive, l’on pourrait rajouter des biens matériels et, par conséquent, étendre significativement la protection du public face au tout économique.
Notes
1 Florent Latrive, Du bon usage de la piraterie, culture libre, sciences ouvertes, Exils Editeurs, 2004, à la p 26.
2 Malheureusement modifiée depuis la parution du livre en 03/2005.
3 L’auteur utilise d’ailleurs à ce sujet une image saisissante à la p 97 : “ le droit d’auteur créé pour Lamartine échoit aujourd’hui à Universal Music et à la Star Ac’. Le brevet de Pasteur est désormais celui de l’Oréal ou d’IBM ”.
4 William Clinton, “ AIDS is not a Death Sentence ”, The New York Times, 1er décembre 2002.
5 Les multinationales pharmaceutiques y défendaient le monopole de leurs brevets et voulaient ainsi interdire toute reproduction et diffusion à moindre coût de leurs médicaments, tels ceux de la trithérapie, malgré l’urgence sanitaire.
6 ADPIC : Accord sur les aspects de droit de propriété intellectuelle qui touchent au commerce.
7 Il faut noter que parfois la GPL est utilisée pour des œuvres littéraires.
8 Patrick Altman, “ Domaine public : une ascension plutôt que la chute ! ”, en ligne sur : < www.vecam.org/article.php3?id_article=255>
9 Florent Latrive, Du bon usage de la piraterie, culture libre, sciences ouvertes, Exils Editeurs, 2004, à la p 147.
10 Florent Latrive, Du bon usage de la piraterie, culture libre, sciences ouvertes, Exils Editeurs, 2004, à la p 32.
11 Voir “ Biens publics mondiaux, la vision économistique ” par François Lille, en ligne sur : www.bpem.org
12 Voir “ Une vision écologico-humaniste ” par François Lille, en ligne sur : www.bpem.org
Références documentaires
Du bon usage de la piraterie, culture libre, sciences ouvertes, Exils Editeurs, 2004.
En libre accès: http://www.freescape.eu.org/piraterie/complet.html