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Analyse

L’impulsion du processus de transition : la nature de l’impulsion en Chine

Par Karine Gatelier

septembre 2005

La Chine occupe une place à part dans cette étude des pays en transition dans la mesure où sa transition n’a pas été le fruit d’un conflit ou d’un changement de régime. Elle procède de décisions politiques prise après la mort de Mao. Le point de départ de la « mue du grand dragon rouge » peut être vu dans l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 et dans la mise en place par celui-ci d’une politique de réformes tranchant radicalement avec l’ère maoïste.

Table des matières

La nature des réformes : quelle démocratisation depuis la mort de Mao?

La portée des réformes de Deng Xiaoping a été essentiellement économique et sociale. L’Etat s’est retiré de nombreuses sphères de la société chinoise qu’il contrôlait étroitement auparavant, impulsant une transition économique et sociale plus que politique. En effet, au plan politique, en dehors des réformes institutionnelles mises en place depuis trente ans, les avis demeurent partagés.

Le changement apporté par Deng Xiaoping est pourtant sans précédent, en particulier au niveau du débat politique au sein du Parti. D’aucuns estiment en effet que l’ouverture des débats au sein du Parti constituerait les prémisses à la libéralisation de l’ensemble du champ politique chinois. Certains dirigeants chinois eux-mêmes proposent que la démocratie interne au Parti soit la première étape de la réforme politique.

Pourtant, la vision des dirigeants ne ressemble que de très loin à une véritable démocratisation : « en Chine, le sens donné à la démocratie interne au Parti est celui de centralisme démocratique.1 » Or, ce concept a été affirmé par Mao en 1957 (repris de Lénine) et il met davantage en valeur le terme « centralisme » que celui de « démocratique ». « En un sens, [le centralisme démocratique] n’est pas coercitif : il peut y avoir des débats, les membres du Parti peuvent contester les documents du Parti et exprimer différentes opinions. Mais la conclusion est fixée d’avance. Le but du débat est de parvenir à un accord avec le Parti. La démocratie n’est que le moyen, l’unité est le but.2 " L’attachement au centralisme démocratique a été répété par les dirigeants successifs, y compris par Hu Jintao.

Par conséquent, d’un point de vue politique, les avancées restent minces : « la Chine est donc indéniablement un pays en transition, mais rien ne permet de dire que cette transition puisse, à terme, s’avérer démocratique. Bien au contraire, (…) le régime s’apparente par certains aspects corporatistes au fascisme dans son souci de monopoliser la représentation de toutes les catégories sociales. C’est qu’il existe une constante dans l’attitude du parti depuis la répression des étudiants de Tiananmen en 1989 : la volonté de forclore toutes les initiatives émanant de la société civile »3.

Le processus de transition a lieu dans une relative continuité du régime politique. Il convient par conséquent de se garder d’une comparaison avec les pays de l’ex bloc soviétique dans lesquels la transition a été précédée par l’effondrement du système politique et l’abandon de son idéologie dominante.

Il apparaît même que le pouvoir chinois a récemment durci sa position politique. Les réformes ont eu en effet des conséquences déstabilisatrices pour la société chinoise : la hausse des mécontentements liés aux inégalités sociales et économiques et au taux de chômage croissant qui sont autant de risques politiques pour le pouvoir chinois. Mais la corruption endémique, le système fiscal encore rudimentaire et la perte de légitimité du Parti l’empêchent d’agir efficacement contre ces problèmes.

Une réforme démocratique ne semble cependant pas être la solution choisie par les dirigeants chinois. Au contraire, le niveau actuel d’agitation semble convaincre une majorité d’entre eux qu’il faut tenir fermement les commandes pour faire adopter des politiques sévères, dont les avantages ne deviendront évidents qu’à long terme pour la population.

Comme le montre la décision adoptée lors de la quatrième session plénière du Comité Central en septembre 2004, pour le pouvoir chinois, ce qu’il faut donc entendre par réforme politique est une réforme au sommet de l’Etat afin de le rationaliser et de le rendre plus efficace et non une ouverture à la démocratie.

Le lieu d’impulsion de la transition : une transition en interne pilotée d’en haut

Ce processus a été essentiellement piloté d’en haut, c’est à dire par le pouvoir central et appliqué à la société, dans un processus top-down (de haut en bas).

Certes, les hommes politiques ne peuvent faire abstraction de la société qu’ils dirigent : même dans le cadre d’un régime autoritaire, il leur est indispensable de conserver une certaine légitimité auprès de la population. C’est ainsi que les réformes économiques et politiques lancées par Deng Xiaoping répondent à la nécessité pour le Parti communiste de se relégitimer auprès d’une population épuisée par les dix années de Révolution culturelle. De plus, les mouvements luttant pour la démocratie ont pu profiter des ouvertures laissées par le Parti pour faire avancer leur cause. Mais il n’y a pas eu d’impulsion provenant de la société et les réformes jusqu’à aujourd’hui ont été, pour l’essentiel, voulues et décidées par le pouvoir.

Les facteurs externes n’ont pas été un élément politique décisif en tant que tels, mais ils ont pu accentuer des tendances préexistantes ou atténuer certaines conséquences de la politique interne. Ils ont joué tantôt en faveur, tantôt en défaveur du processus de transition.

Il s’agit d’une part des événements secouant le bloc soviétique : l’apparition de Solidarnosc dans la Pologne des années quatre-vingt a fait craindre à l’équipe de Deng Xiaoping, alors en pleine libéralisation de la pensée, de perdre le contrôle de la situation et a pu le pousser à choisir la répression. L’effondrement de l’URSS a renforcé la crainte du désordre pour les autorités chinoises mais aussi pour les intellectuels démocrates chinois. Cela a renforcé l’idée déjà présente que la démocratie mène au chaos. Les intellectuels qui pensaient que la démocratisation permettrait à la Chine de redevenir une grande puissance se sont remis en question en voyant l’effondrement de l’URSS après la Glasnost.

D’autre part les pressions internationales concernant les droits de l’homme et la libéralisation de l’économie ont un rôle plus marginal. Elles n’ont eu aucun effet au lendemain de Tiananmen ni sur la situation au Tibet, mais les relatifs progrès de l’Etat de droit peuvent être liés à la volonté de s’afficher comme un bon citoyen du monde. Les intellectuels chinois profitent de cela et organisent leur action en tenant compte de la situation internationale. Ainsi, l’éphémère Parti de la démocratie chinois a été créé peu de temps avant la visite en Chine du Président Clinton. De même, certains estiment que l’accession de la Chine à l’OMC devrait permettre un meilleur respect de la loi et un développement de l’Etat de droit.

Mais Pékin refuse de se voir dicter sa conduite par l’étranger, comme le montre l’argumentaire à l’encontre des droits de l’Homme, dénoncés comme des normes occidentales inadaptées à la culture chinoise, ou la poursuite d’une politique dure à l’encontre de Taiwan. Le souvenir cuisant de la tutelle des puissances occidentales y est sans doute pour beaucoup.

Le processus : une évolution cyclique mais vers un enracinement des réformes

Les trente ans de réformes en Chine ont été marqués par un phénomène de balancier, les périodes d’ouverture et de relative libéralisation laissant généralement place au bout de quelques années à une politique plus dure et plus répressive. Des cycles ont pu ainsi être observés, comparables aux cycles de croissance/récession observés en économie. L’évolution de la politique de réforme a donc souvent été « deux pas en avant, un pas en arrière. »

De nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer ces fluctuations. Le premier est la peur du chaos que représente la démocratie aux yeux des dirigeants. Ils sont cependant convaincus de la nécessité des réformes. Ils naviguent donc à vue, laissant l’économie et la société se libéraliser et revenant à une politique plus austère lorsqu’ils sentent la situation leur échapper.

Par ailleurs, le pouvoir n’est pas un bloc monolithique : les décisions sont souvent le produit des heurts entre les différentes factions au sein du Parti et des stratégies de conquête du pouvoir par les hommes politiques. Ces luttes de factions s’observent particulièrement lors des périodes de succession à la suite de la disparition de grands leaders. Ainsi, la volonté de réforme affichée par Deng Xiaoping est très intimement liée à des considérations concernant les luttes internes au sein du Parti pour la succession de Mao4 ; il va ainsi autoriser une libéralisation de la pensée car il a besoin de rallier les franges intellectuelles pour conquérir le pouvoir face aux conservateurs. Mais les factions gauchistes conservatrices, restées influentes, l’empêcheront d’aller trop loin dans ses réformes. Au gré des rapports de force, elles pourront – toujours dans les limites autorisées par le président – influencer le jeu politique. Mais le pouvoir en place n’hésite pas non plus à les utiliser : lorsqu’il estime que le jeu politique tend trop à droite et devient déstabilisateur, il reprend les idées des factions de gauche pour lutter contre celles de droite. Au gré de ces rapports de force, l’avancée des réformes s’accélère ou connaît des coups d’arrêt.

Aujourd’hui, les luttes de factions sont beaucoup plus apaisées : il existe un certain consensus quant à l’importance de l’économie de marché et à la volonté de limiter les réformes politiques. Mais des divergences sur les priorités demeurent et les luttes pour le pouvoir divisent parfois le Parti. Ces divisions peuvent avoir des répercussions non négligeables sur la société ; c’est généralement en profitant du désordre provoqué par les luttes intestines au Parti que les mouvements de contestation venant de la société ont tenté de se faire entendre.

Malgré ces variations périodiques, on peut observer une tendance à l’enracinement des réformes. Les phases de fermeture ne reviennent pas complètement sur les acquis de la période précédente.

Avec la nomination de Hu Jintao en 2002, c’est la quatrième génération de dirigeants chinois qui arrive au pouvoir (Mao représentant la première génération, Deng Xiaoping la deuxième, Jiang Zeming la troisième). Ce sont des experts qui n’ont pas la même expérience que leurs prédécesseurs. Malgré l’absence de volonté d’ouverture politique, leurs préoccupations – maintenir la stabilité sociale et traiter les problèmes en faisant appel à des experts – ne sont finalement pas si éloignées de celles de leurs homologues occidentaux.

Peu d’analystes se hasardent à des prédictions sur les évolutions futures de la politique et la société chinoises. En trois décennies, le pays a en effet contredit la plupart des pronostics, ceux annonçant un effondrement à la soviétique comme ceux qui tablaient sur le maintien d’un pouvoir totalitaire et d’une économie rigide comme sous Mao.

Les chances de démocratiser le pays reste limitées. Les potentiels déstabilisateurs liés aux réformes ne sont pas assez forts ni assez structurés pour menacer pour l’instant le pouvoir politique. Les dirigeants, en particulier Hu Jintao, qui apparaissent comme les seuls capables d’impulser une véritable réforme, ne semblent pas prêts à partager le pouvoir. L’option choisie par Hu Jintao semble être au contraire le renforcement du Parti. Un bouleversement radical paraît donc actuellement peu probable.

Par ailleurs, le débat s’est intensifié avec l’ouverture des réformes, y compris en Chine, sur la question de savoir si toutes les sociétés doivent suivre le modèle capitaliste libéral, où le développement de l’économie s’est accompagné d’une démocratisation. Les dirigeants semblent peu enclins à suivre ce modèle, tandis que parmi la population, les mécontentements liés aux conséquences des réformes économiques semble diffuser le refus de suivre la définition occidentale de la modernité.

Le décalage entre une économie de plus en plus ouverte et une sphère politique rigide se fait cependant grandissant, ce que le pouvoir chinois devra prendre en compte pour se maintenir.

Notes

1 Liu Junning, Reform of China’s Political System : Democracy within the Party or Consitutional Democracy, Center for Strategic and International Studies, China Strategy vol. 2, 30 avril 2004,www.csis.org/isp/csn/040430.pdf

2 Wang Ruoshui, The Legacy of Mao and the Party-State, National Endowment for the Humanities China Conference, Colorado Collège, 1993, www.wangruoshui.net/beiyong/p-state.htm

3 Foessel Michaël, La Chine demeure une dictature, Revue Esprit, janvier 2004

4 Chen Yan, L’Éveil de la Chine, 2002, édition de l’Aube

 

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