Analyse
L’impulsion du processus de transition: des dynamiques intérieures dominantes
Par Karine Gatelier, Claske Dijkema
septembre 2005Programme Légitimité et enracinement du pouvoir
Dossier Sortie de crise, l’émergence d’un pouvoir légitime
Mot-clés : État Réforme des institutions ; Démocratie ; Conflits El Salvador ; Russie ; Pologne ; Bosnie-Herzégovine ; Amérique du Sud ; EuropeL’ouverture d’un processus de transition tient à un changement remarquable dans la vie politique de l’Etat. Dans le cas d’un conflit armé comme d’une confrontation entre un pouvoir dictatorial de type soviétique et une opposition, une modification des rapports de force conduit les belligérants, ou les groupes antagonistes, à négocier.
L’analyse fondée sur la dichotomie entre les dynamiques internes et les dynamiques externes qui sont à l’origine des impulsions pour le changement montre que certains processus de transition sont dominés par des facteurs internes, même si le contexte plus global, dans les pays voisins ou culturellement proches ou encore international, influe partiellement. Les cas de la Russie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Pologne et du Salvador illustrent nos analyses.
Table des matières
La dichotomie sur laquelle est fondée cette analyse – dynamiques externes / dynamiques internes – permet en réalité de dégager des tendances dominantes dans les processus de transition et dans leur déclenchement. La convergence des intérêts entre les acteurs internes et externes est essentielle pour la réussite du processus et la dichotomie interne / externe permet d’analyser la nature de l’impulsion au changement, non la totalité des facteurs qui l’ont rendue possible. Ainsi dans les cas que nous étudions, les forces propres à la société étudiée et les dynamiques internes du conflit restent déterminantes dans l’impulsion qui a provoqué cette série de changements.
Les dynamiques internes d’un système dans sa globalité
La distinction entre facteurs internes et externes dans le cas de la Russie reste délicate dans la mesure où cet Etat représente le cœur d’un système qui en s’effondrant a entraîné la chute de quantité d’autres. Ce sont bien les réformes initiées par le premier secrétaire du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev, dès 1986 qui ont ouvert une brèche et permis les contestations de 1989 en Europe centrale. Dans un second temps, ces libéralisations ont encouragé les forces réformatrices et les mouvements indépendantistes au sein de l’URSS. Nous considérons que ce retour d’influence des oppositions d’Europe centrale constitue un élément interne au système soviétique dans la mesure où nous le traitons comme un système unique – monopartisme et économie planifiée – compte-tenu de l’intégration idéologique de l’ensemble.
Les facteurs internes comme impulsion au changement prévalent en Bosnie-Herzégovine et en Pologne : les dysfonctionnements d’un système politique et économique (Yougoslavie) et la résistance d’un syndicat autonome (Pologne) ont été toutefois corrélés avec un ou plusieurs facteurs externes – démocratisation dans les Etats voisins, modifications des relations avec les alliés. Le système politique yougoslave entre en délitement dès la mort de Tito en 1980 et l’Etat d’urgence est déclaré en Pologne en 1981, pourtant il faut attendre entre 8 et 11 ans de statu quo, période de maturation des résistances (Pologne) ou de pourrissement des relations entre républiques fédérées et entre individus (Yougoslavie) : au printemps 1989, le gouvernement polonais ouvre les négociations avec les représentants de Solidarnosc (négociations de la Table Ronde) et au printemps 1991, la Yougoslavie se délite sous le coup des déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie et entre en guerre.
Salvador
Le Salvador s’inscrit dans cette chronologie : le conflit s’enlisait quand le soutien financier, américain comme soviétique, a disparu. Les premières négociations ont débuté en 1984 et l’accord de paix signé en août 1990 entre le gouvernement salvadorien et le FMLN (Accord de Genève). Face à l’impasse militaire, les deux parties se sont finalement rendues à l’évidence que la seule possibilité de sortie de crise était la négociation.
C’est surtout à partir de novembre 1989 avec la grande offensive de guérilla qui toucha pour la première fois les zones résidentielles de San Salvador que le processus a évolué de façon significative. Le conflit atteignait alors tous les secteurs de la population y compris les plus aisés. Le bombardement par les forces aériennes de quartiers populaires et l’assassinat de six jésuites oeuvrant en faveur de la paix ont mis en avant aux yeux du monde la brutalité de l’armée salvadorienne. Le régime avait dès lors perdu sa légitimité à l’intérieur – incapacité à protéger son électorat naturel – et à l’extérieur car il était poussé par la guérilla à une escalade de violence. N’étant plus en position de force, il n’avait d’autre choix que de négocier.
Avant cela, les acteurs n’étaient pas “mûrs” pour les négociations : plusieurs tentatives de négociations avaient échoué car les conditions posées par le gouvernement étaient inacceptables (désarmement de la guérilla). Par ailleurs, l’armée étant financée et le pouvoir soutenu par Washington, le gouvernement espérait une sortie victorieuse du conflit.
Selon Joaquin Villalobos, ancien commandant de la guérilla salvadorienne, la paix est donc davantage la conséquence du rapport interne des forces que de facteurs externes : l’impasse militaire dans laquelle se trouvaient les parties, le désir de paix au sein de la population ainsi que les offensives de la guérilla touchant des secteurs de la population jusque là relativement épargnés. Il ne faut cependant pas négliger le contexte international et notamment les nombreuses remises en cause de la fin de la guerre froide. Après trois ans de méfiance envers le processus de négociations, les Etats Unis ont enfin choisi une solution politique. Les deux parties au conflit et leurs soutiens régionaux et internationaux respectifs ont alors demandé l’intervention du Secrétaire Général des Nations Unies en 1990.
Dans un contexte de fin de Guerre froide, à la fin des années 1980, a eu lieu aux Etats-Unis une remise en cause de la moralité et de l’efficacité de leur politique au Salvador. Alors que Reagan prônait l’option militaire pendant huit années, l’administration Bush opta pour une approche plus pragmatique, ouvrant une sortie vers la paix tout en n’écartant pas la voie des armes. Les Etats-Unis ont stoppé l’aide aux militaires à la suite de multiplications des pressions internes s’opposant à la poursuite de cette aide par George H.W. Bush. Avec l’effondrement du bloc socialiste, la guérilla a perdu elle aussi ses principaux soutiens internationaux et a pu renouveler sa ferme volonté d’intégrer la vie politique légale. Les négociations étaient alors animées par une relative symétrie de pouvoir qui a permis d’obtenir des accords de paix satisfaisants et viables, aussi bien pour le gouvernement que pour le FMLN.
Suite aux accords de paix, un nouvel acteur a vu le jour sur la scène politique : le FMLN. Lors des élections de 19941, le FMLN est apparu comme la deuxième force politique nationale. Le parti a perdu les élections présidentielles mais a remporté 15 municipalités et 21 sièges sur 84 à l’Assemblée législative. Depuis le FMLN a gagné en force. Il possède désormais 31 sièges contre 29 pour l’ARENA à l’Assemblée législative et détient 77 municipalités dont la capitale San Salvador.
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