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Asamblea Constituyente

Retos y oportunidades

Autor : Enrique AYALA MORA

Por Solveig Hueber

Enrique Ayala présente dans cet article une vision socialement engagée des enjeux véritables de l’Assemblée Constituante, en mettant en garde contre certains écueils à éviter quant au sens de celle-ci, à ses objectifs, et à ses limites, en tirant certains enseignements de l’histoire constitutionnelle et politique équatorienne.

Contenido

Enrique AYALA MORA

Historien, directeur de l’Université Andine Simon Bolivar (UASB), et dirigent du Partido Socialista-Frente Amplio

Les leçons du passé

La Constitution comme outil de légitimation politique et de domination économique

Enrique Ayala part d’un double constat : l’histoire républicaine équatorienne a été marquée par une forte instabilité politique (et par ricochet, par une forte instabilité de l’ordre constitutionnel), qui contraste avec la continuité des structures économiques et sociales tout au long de cette période ; en effet, si l’Equateur a été régi successivement par 18 Constitutions depuis 18301, aucune n’a véritablement attaqué le système économique et social du pays.

D’une part, l’adoption d’une nouvelle Constitution a été à de nombreuses reprises dans l’histoire républicaine l’instrument de légitimation d’un gouvernement de fait ; il s’agissait en effet d’un moyen fréquemment utilisé par les chefs d’Etat parvenus au pouvoir par coup d’Etat, et rompant de ce fait l’ordre constitutionnel, pour donner une base juridique à leur gouvernement, en devenant « Président constitutionnel »2. Comme l’évoque Enrique Ayala, « La constante adoption de nouvelles Constitutions n’a été liée à la nécessité de changement que de rares fois. Elle est plutôt liée en réalité à l’instabilité politique que les fréquentes dictatures ont engendrée. Au cœur de l’affrontement politique, des gouvernements de fait étaient établis et la Constitution en vigueur alors abrogée. Au bout d’un certain temps de régime dictatorial, le retour au régime juridique se réalisait par l’intermédiaire de l’émission d’une nouvelle Constitution, qui en général, entrait en vigueur avec le nouveau gouvernement élu »3.

D’autre part, le contraste entre instabilité politique et continuité de l’ordre économique s’explique par le contrôle des classes économiquement dominantes sur l’ordre politique et juridique équatorien, qui ont su tirer avantage de ces changements récurrents d’ordre constitutionnel pour conforter les structures économiques du pays: « Les classes dominantes se sont chargées d’altérer fréquemment les normes, projetant une sensation de changement, pour maintenir intactes dans le fond les conditions socio-économiques d’exploitation et de pauvreté dans lesquelles elles ont maintenu historiquement la majorité du peuple équatorien. L’illusion des changements politiques sans affecter les structures de base de la société a été l’une des duperies les plus fréquentes, dans notre vie en tant que pays, qui ont bénéficié aux puissants et à leur allié, le capital monopolistique international »4.

Bilan mitigé de la réforme constitutionnelle de 1998

Ainsi, même la réforme constitutionnelle de 1998 n’a pas échappé à cette règle selon Enrique Ayala5 ; en effet, si en matière de droits et garantis, d’importantes conquêtes juridiques sont réalisées en 1998 (notamment la reconnaissance de la diversité du pays, des droits des peuples indigènes et des noirs, des femmes, des enfants et autres secteurs sociaux), en revanche, sur le plan économique, la réforme constitutionnelle sert à mettre en œuvre les réformes néolibérales, qui impliquent une perte du contrôle de l’Etat sur les principales ressources naturelles et services.

Il faut rappeler que la réforme constitutionnelle de 1998 est le fruit deux projets politiques opposés: le projet néolibéral du bloc dominant, représenté politiquement par l’alliance PSC6-DP7-FRA8 et le projet de la société civile, mené par les mouvements sociaux, particulièrement le mouvement indigène9 ; au cours de la période d’assemblée constitutionnelle, la majorité parlementaire de droite connaît un revirement du fait de la rupture de l’alliance PSC-DP, ce qui va favoriser le projet de la société civile10. Les deux forces politiques parviennent ainsi à tirer leur épingle du jeu alors que le rapport de forces politiques était au départ défavorable aux mouvements sociaux11: la droite parvient ainsi à établir les réformes économiques escomptées12, et les mouvements sociaux à obtenir un élargissement des droits.

La conquête progressive des droits et garantis

Le peuple au cœur des conquêtes sociales

Enrique Ayala rappelle que la conquête progressive, dans l’histoire constitutionnelle équatorienne, de droits et garanties et d’espaces de participation réelle, s’est réalisée grâce à la lutte du peuple. Il insiste tout au long de l’article sur le fait que la mobilisation du peuple a été le seul moteur des transformations sociales en Equateur, et que les Assemblées Constituantes n’ont jamais rempli ce rôle. Tout au plus, elles ont consolidé sur le plan juridique des processus de changement social et politique qui la précédaient. « Dans le passé, les Assemblées Constituantes furent un espace d’affrontement et de manigances du pouvoir entre les classes dominantes. C’est seulement la lutte sociale de base qui rendit possible que certaines d’entre elles reprennent des élans transformateurs et rénovent les institutions »13. C’est ainsi qu’au 20ème siècle, « grâce à l’influence des courants socialistes », il fut établi que l’Etat devait garantir, outre des droits civils et politiques, des droits sociaux fondamentaux14.

Or, si l’on ne peut nier que la mobilisation sociale soit un élément moteur de transformations sociales, on ne peut toutefois pas non plus sous-estimer le moment constituant en lui-même, comme lieu de transformations politiques (cf. infra).

Les enjeux de l’Assemblée Constituante

Un lieu de rencontre politique

Il ne faut pas perdre de vue que la Constitution est l’instrument juridique au sein duquel se cristallise un rapport de force entre différentes tendances et différents projets politiques, à un instant T de la vie politique d’un Etat (comme nous l’avons vu avec la réforme constitutionnelle de 1998). Enrique Ayala encourage à « regarder au-delà » de la nature juridique de l’Assemblée Constituante, pour comprendre l’enjeu politique qui se joue au sein de cette arène; d’où l’importance d’une participation active de l’ensemble des secteurs de la population. « Nombreux sont ceux qui ont considéré l’Assemblée Constituante comme une sorte de panacée pour tous les maux du pays. On a absolutisé sa nature juridique » « mais l’organisme ne s’épuise pas dans sa propre nature légale. Il doit être avant tout considéré comme un fait politique, dans lequel s’exprimeront les contradictions de la société équatorienne. L’Assemblée Constituante ne pourra atteindre son objectif d’impulser des changements progressistes seulement si elle exprime vraiment dans sa composition les grandes majorités de l’Equateur. Il est évident que l’Assemblée doit être légale, mais avant tout elle doit être légitime, c’est-à-dire acceptée par les gens comme une institution idoine avec un grand soutien de base dans la citoyenneté »15.

La réforme du système économique doit passer au premier plan

Enrique Ayala considère16 que trois réformes profondes sont demandées depuis plusieurs décennies par divers secteurs politiques et citoyens : la lutte contre le néolibéralisme (et l’instauration d’un système économique et social équitable et de la justice sociale), la réforme politique (qui permette une plus grande participation citoyenne au sein des pouvoirs publics), et la lutte contre la corruption. Or, ces trois réformes à mettre en œuvre ne revêtent pas selon lui le même degré d’importance, et il considère que la réforme politique ne doit pas éluder le véritable enjeu de l’Assemblé Constituante qui est d’ordre économique17. Or, il craint que les réformes économiques soient reléguées au second plan et que toute l’attention se porte sur la réforme politique18. « Le plus grave qu’il puisse se produire c’est que nous tombions dans le piège de consommer toute l’énergie à se battre pour quelques changements politiques alors que la dimension socio-économique reste inchangée »19.

Ainsi, la partie organique20 de l’actuelle Constitution doit faire l’objet de grandes transformations, au premier plan économiques selon Enrique Ayala (à l’inverse de la partie dogmatique21 qui doit être conservée : cf. infra). Le grand enjeu pour Enrique Ayala est de « vaincre le néolibéralisme et d’implanter la justice sociale, et vaincre l’oligarchie avec le pouvoir du peuple »22 ; « Sans justice, travail, redistribution de la richesse sociale, protection des ressources, il n’y a pas de démocratie possible »23. Pour cela, il considère nécessaire la réalisation de la « démocratie radicale ».

La démocratie radicale

Enrique Ayala évoque la démocratie radicale en ces termes : « Les conditions d’extrême pauvreté dans lesquelles vivent des millions d’équatoriens sont un attentat quotidien contre la démocratie. Le futur démocratique de l’Equateur demande, en plus d’une représentation adéquate et de l’exercice des droits, des conditions qui garantissent des niveaux minimums de subsistance, accès à un travail adéquat et digne pour tous, une redistribution équitable de la richesse, une lutte effective contre les monopoles, des services sociaux adaptés, comme la santé et l’éducation. En résumé, un changement social et économique, ainsi que politique » 24. Il ajoute que la démocratie exige aussi la sécurité pour tous (ce qui implique de lutter contre la criminalité).

« La démocratie radicale, en conséquence, n’est pas une formalité ni une réforme partielle, mais une révolution, c’est-à-dire un changement du système social et économique dans lequel prédominent les monopoles et le capital impérialiste. Pour instaurer une démocratie réelle, il faut vaincre le capitalisme et avancer vers un nouveau type de société, où prévalent de nouvelles valeurs de solidarité et justice »25.

Veiller à conserver les acquis de 1998

Enrique Ayala met en garde par ailleurs des effets contreproductifs que pourrait avoir l’Assemblée Constituante, en l’absence d’un projet politique clair. « S’il ne se produit pas un triomphe écrasant des forces qui défendent un changement progressiste et populaire, l’Assemblée Constituante peut être un boomerang étant donné que ses pleins pouvoirs pourront être utilisés pour revenir sur les conquêtes gagnées jusque là »26. Les conquêtes évoquées sont celles obtenues avec la réforme constitutionnelle de 1998 en termes de droits et garanties (cf. supra). Comme le dit Enrique Ayala, concernant la partie dogmatique, c’est-à-dire déclarative, les changements à apporter sont plutôt mineurs : « Il y a beaucoup à préserver et peu à changer »27. On pourrait même aller plus loin en disant qu’il y a peu à gagner mais beaucoup à perdre.

Il convient de rappeler que l’article a été publié avant l’élection des membres de l’Assemblée Constituante. Or, étant donné le résultat de l’élection et la composition de l’Assemblée, les craintes exprimées par Enrique Ayala sont à relativiser. Cependant, le risque d’effet boomerang est bien réel, et Enrique Ayala lance un appel à la vigilance.

Nature de l’Assemblée Constituante

Souveraineté et pleins pouvoirs

Enrique Ayala insiste sur le fait qu’une Assemblée Constituante a les pleins pouvoirs28 : celle-ci se réunit en effet comme « la représentation nationale souveraine et a les pleins pouvoirs, puisqu’elle représente la souveraineté populaire, base de la démocratie »29. La souveraineté implique qu’une fois réunie, l’Assemblée décide elle-même de ses formes de fonctionnement et du délai de ses délibérations ; Il ne peut y avoir aucune délimitation préalable à ses facultés.

Enrique Ayala insiste sur le fait que pour respecter les pleins pouvoirs de l’Assemblée Constituante « il ne faut pas essayer de limiter [l’Assemblée Constituante] avec un statut [pour réguler son fonctionnement interne], qui en réalité est une réforme ad-hoc de la Constitution en vigueur pour organiser l’Assemblée »30.

Bibliografia

  • Enrique AYALA MORA, “Asamblea Constituyente: Antecedentes históricos y bases programáticas para su realización”, in AYALA MORA Enrique, QUINTERO LOPEZ Rafael, Asamblea Constituyente, Retos y Oportunidades, Ediciones La Tierra, Quito, 2007, p.11-48

Notas de pie de página

1: Les Constitutions sont celles de 1830, 1835, 1843, 1845, 1851, 1852, 1861, 1869, 1870, 1878, 1884, 1897, 1906, 1929, 1945, 1946, 1967, 1979; si l’on inclut la réforme constitutionnelle de 1998, l’Equateur atteint le nombre de 19 Constitutions depuis son indépendance.

2: On peut citer par exemple, la Constitution de 1835 par laquelle Rocafuerte, proclamé le 31 janvier 1835 chef suprême de la nation, cherche à être reconnu Président Constitutionnel de la République, et ainsi, légitimer son mandat de chef d’Etat ; ou bien la Constitution de 1843, qui va servir à légitimer le retour au pouvoir de Flores, mais qui, dans l’esprit et dans le fond, comporte peu de changements par rapport à la Constitution antérieure (celle de 1835); ou encore, la Constitution de 1869, qui avait pour objectif la légitimation du pouvoir de Garcia Moreno ayant organisé un coup d’Etat, et qui était jusqu’alors président intérimaire ; la Constitution de 1869 ne présente pas non plus de modification substantielle par rapport à la Constitution de 1861. C’est encore le cas en 1878.

3: E. AYALA, p.22

4: E. AYALA, p.14

5: Voir E.AYALA, p.21, 24

6: Partido Social Cristiano

7: Democracia Popular

8: Frente Radical Alfarista

9: pour consulter les contenus des deux projets :

voir Napoleon Saltos Galarza, « comentario a la ponencia “alcances de la reforma constitucional” », in Alcances y limitaciones de la reforma política en el Ecuador 1998, editores Galo CHIRIBOGA ZAMBRANO y Rafael QUINTERO LÓPEZ, Quito-Ecuador, 1998, p.111; p.114-115

10: L’alliace PSC-DP, qui s’était constituée quelques temps avant et qui parvient à faire avancer le projet néolibéral sur deux axes fondamentaux, politiques et économique, se dissout sur le thème de la sécurité sociale. Cela donne place à une nouvelle majorité d’un équilibre instable, ouverte aux propositions de la Convergence Démocratique, composée de Pachakutik, ID, Nuevo país et Socialismo. Cette nouvelle majorité permet d’avancer sur certains points du projet démocratique: la réforme sociale et politique, la réforme éthique, la sécurité sociale, le développement durable et la défense de l’environnement, et la garantie de la stabilité constitutionnelle.

voir Napoleon Saltos Galarza, « comentario a la ponencia “alcances de la reforma constitucional” », in Alcances y limitaciones de la reforma política en el Ecuador 1998, editores Galo CHIRIBOGA ZAMBRANO y Rafael QUINTERO LÓPEZ, Quito-Ecuador, 1998, p.115-120

11: c’est pour cela que Enrique Ayala met en garde contre les risques de retournements politiques que peut comporter l’Assemblée Constituante : cf. infra

12: réformes ayant trait aux « areas estratégicas », à la paralisation des services publics, au renforcement de l’autorité politique de l’exécutif pour favoriser la gouvernabilité, à la modification des fonctions de l’Etat , en particulier sa capacité de régulation du marché et de la propriété.

13: E.AYALA, p.36

14: Voir E.AYALA, p.17

15: E. AYALA, p.35

16: E.AYALA, p.26 et s.

17: E.AYALA, p.37

18: Par réforme politique, il faut comprendre l’organisation des pouvoirs de l’Etat

19: E.AYALA, p.38

20: La partie organique de la Constitution est relative à l’organisation des institutions de l’Etat.

21: La partie dogmatique concerne l’ensemble des droits et garanties reconnus par la Constitution

22: E.AYALA, p.12

23: E. AYALA, p.17

24: E. AYALA, p.17

25: E. AYALA, p.18

26: E.AYALA, p.36

27: E.AYALA, p.39

28: Voir E.AYALA, p.30-32

29: E.AYALA, p.30

30: E.AYALA, p.32

 

Ver también