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Análisis

Rencontre des ONG françaises et chinoise

Synthèse des débats de l’Atelier « Rencontre des ONG françaises et chinoise » organisé dans le cadre du Forum Chine-Europe (Octobre 07)

Por Wojtek Kalinowski

Le Forum Chine Europe vient d’organiser en octobre 2007 un série d’Ateliers thématiques, dont un consacré aux rôles et modes d’organisation respectifs des ONG européennes et chinoises. L’objectif de l’Atelier était d’entamer un dialogue ouvert entre responsables d’ONG, et ce afin de donner à voir à la fois les points des convergences et de divergences mais aussi les pistes de travail en commun pour le futur.

Cette synthèse tente de reprendre les témoignages successifs des responsables chinois et européens en soulignant les grands défis auxquels ils se trouvent collectivement confrontés.

Contenido

Les défis du milieu non-gouvernemental chinois

A l’évidence, la notion d’ONG est bien difficile à transférer dans le contexte politique chinois. Les témoignages de l’Atelier convergent en réalité vers une distinction schématique entre deux types d’organisations, ayant chacune un caractère « non-gouvernemental » bien différent : les GONGOs d’un coté, et les organisations de base sans lien avec le gouvernement, de l’autre. Chacune de ces organisations se trouve aujourd’hui confrontée à des défis importants, à la fois en terme de légitimité, de positionnement vis-à-vis des pouvoirs publics et de ressources pour financer leur activité:

Les GONGOs ont un accès privilégié aux financement publics du fait de leur proximité à l’Etat. En revanche, elles éprouvent bien souvent de grandes difficultés à trouver d’autres sources de financements mais aussi plus largement à bénéficier d’une légitimité propre.

Yao Xiaoxun témoigne ainsi de cette difficulté de positionnement dans laquelle se trouvent aujourd’hui les GONGOs, à travers l’expérience de la Fondation pour le Développement de la Jeunesse Chinoise (CYDF). Le développement d’organisations véritablement non-gouvernementales au niveau local met davantage en lumière aux yeux des populations le lien privilégié de GONGOS telle que la CYDF avec l’Etat et entraîne une réduction de la participation de la société civile au sein de ces dernières. Deux défis se dessinent donc pour ces organisations:

  • Une adaptation au nouvel environnement de la société civile, passant notamment par la nécessité d’innover dans l’appel des organisations à une participation publique aux financements et aux activités mises en place.

  • Le développement d’un rôle plus prononcé de plaidoyer vis-à-vis des gouvernements, afin de permettre le développement du caractère véritablement non gouvernemental de leur activité. Ce défi se pose notamment en terme de mise en place de nouveaux modèles d’évaluation des politiques publiques permettant à ces organisations de jouer un rôle de contrôle de l’action publique au sein de leur secteur.

S’affirme ainsi la nécessité pour les GONGOs (nécessité notamment souligné par Liu Xuanguo de la Fondation Chinoise de la Croix Rouge) d’être les promoteurs d’une meilleure prise en compte du rôle d’une société civile plus large, et en plein développement.

Les organisations de base se trouvent quant à elles confrontées à l’obstacle de leur très faible reconnaissance par les pouvoirs publics. La relative absence d’un véritable statut pour ces organisations à but non lucratif, se traduit en premier lieu par les difficultés d’un enregistrement officiel de leur activité, les poussant bien souvent à s’enregistrer en tant qu’organisation commerciale et à payer de fait une taxe importante sur leur activité. Autre signe de cette difficile reconnaissance, l’absence de financements publics et la difficulté pour ces organisations, souvent de très petite taille, de lever des fonds privés, mettant en cause leur capacité à recruter une main d’œuvre qualifiée capable de professionnaliser la structure.

Ces organisations de base sont pourtant très nombreuses, elles représentent environ deux à trois millions d’organisations en Chine, de taille généralement très réduite. Elles sont aujurd’hui confrontées à plusieurs grands défis, que Liang Xiaoyan, de la revue Min Jian, tente de résumer de la manière suivante :

  • Un défi de légitimité : vis-à-vis de l’Etat tout d’abord. Ces organisations cherchent en effet de plus en plus à se rapprocher des financement publics et à établir des partenariats avec l’Etat. Leur situation d’isolement est en réalité bien moins le résultat d’une revendication d’autonomie totale de leur part que d’un désintérêt de l’Etat vis-à-vis de ces structures. Ce défi de légitimité concerne également la nécessité d’une reconnaissance plus grande de leur action par les populations locales auxquelles elles s’adressent.

  • Un défi juridique : il s’agit avant tout d’avancer dans la reconnaissance d’un statut juridique de ces associations leur permettant d’obtenir un financement public, et de l’articuler avec ses fonds privés potentiels.

  • Un défi de gouvernance interne et de professionnalisation de sa main d’œuvre : les organisations de base se caractérisent aujourd’hui par une déficit de moyens financiers et humains qui les cantonne à une échelle d’activité très étroite.

  • Un défi de renforcement des connections entre ONG locales et ONG internationales. Wendy Wu de l’association Chinoise The Mother’s bridge of love exprime notamment la difficulté, pour un ONG Chinoise active au niveau international, à trouver de véritables relais locaux en Chine mais aussi à passer la barrière de l’enregistrement juridique sur le territoire chinois. Plusieurs témoignages vont dans le sens de cette difficulté d’enregistrement sur le territoire chinois des ONG à vocation internationale, notamment celui d’Isabella Nitschke, de l’organisation Human Rigths in China, organisation basée aujourd’hui à Hong-Kong. Frank Van der Valk, responsable d’une partie des projets de collaboration d’OXFAM/Novib en Chine, revient également sur le contrôle étroit porté sur les ONG étrangères lors de leur intervention sur le territoire chinois. Chacun de ces témoignages insistent ainsi à la fois sur la difficulté et sur la nécessité d’une collaboration étroite entre une société civile internationale et les acteurs nationaux de la société civile chinoise.

Il existe des structures ayant aujourd’hui pour mission de renforcer et de professionnaliser ces organisations, au travers notamment d’un soutien financier, d’une offre de formation etc. C’est le cas notamment de l’Institut for Civil Society de la Sun Yat Sen University (Zhu Jiangang). Celui-ci tente ainsi d’établir des espaces de dialogues et de renforcement mutuel entre ces acteurs épars de la société civile, bien souvent isolés, au travers notamment d’une collaboration avec le magazine Civic Life, retraçant les enjeux et les difficultés de cette société civile naissante..

Par ailleurs, un acteur décisif du développement de la société civile chinoise est aujourd’hui, selon Liu Xuanguo (Fondation Croix Rouge), le monde de l’entreprise. De plus en plus d’entreprises établissent aujourd’hui leur propre Fondation à but non lucratif, ou reversent des dons financiers non-négligeables à d’autres organisations à but non lucratif. Cette tendance est largement appuyée, voire imposée par le gouvernement chinois qui cherche à mettre en pratique, du moins en apparence, le principe de responsabilité sociale des entreprises. Comment comprendre les effets de cette orientation forte de la société civile vers des financements privés, en terme notamment de conception plus ou moins fonctionnelle du rôle de la société civile ? C’est une interrogation qui court tout au long de l’Atelier.

Une reconnaissance progressive et inégale de l’action des ONG en Europe

A la base de la réflexion sur l’émergence du milieu des organisations non gouvernementales en Europe se pose tout d’abord de manière transversale l’enjeu de l’existence du droit d’association. Ce n’est qu’à partir de la reconnaissance officielle d’un droit d’association véritable qu’à pu se construire en Europe un secteur non-gouvernemental à la fois autonome et reconnu par l’Etat.

Le cas particulier de la France est intéressant dans ce domaine. L’héritage de la Révolution Française se caractérise notamment par l’affirmation de la toute-puissance de l’intérêt général, et la difficulté de concevoir de ce fait, l’existence d’organisations intermédiaires entre les citoyens et l’Etat. Le XIXè siècle marque ainsi cette difficulté d’organisation du monde associatif, et ce n’est qu’en 1901 qu’est reconnu ce droit d’association aux citoyens. Aujourd’hui l’Etat français ne peut en aucun cas empêcher à des citoyens de se réunir en association, si leurs objectifs ne vont pas dans un sens contraire à la loi.

La France compte ainsi aujourd’hui plus d’un million d’associations dans des secteurs très variés, et dans des rapports aux pouvoirs publics également largement divers.

 

Enjeux de légitimité publique du milieu non-gouvernemental

La diversité des histoires et des cultures politiques européennes permet aujourd’hui d’appréhender des formes d’organisations non gouvernementales très différentes. Anja Kohne, du bureau Européen de l’organisation WWF, revient sur cette diversité des parcours. L’ouverture politique des pays, leur capacité de dialogue avec des acteurs extérieurs à l’Etat, sont en effet des facteurs essentiels dans la définition du positionnement des ONG vis-à-vis des pouvoirs publics. Un pays comme l’Angleterre ayant très tôt développé une culture du dialogue avec le tiers secteur a pu engendrer un nombre important d’organisations ayant un rôle de production d’expertise, et capables d’établir des partenariats véritables avec l’Etat. L’Allemagne, à l’opposé, ayant longtemps connu un système politique relativement fermé, a donné lieu bien davantage à des organisations adoptant un positionnement de plus forte confrontation, voire de moralisation de la vie politique.

De manière générale, dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest, les ONG bénéficient toutefois d’une légitimité croissante et d’une attitude de la part des gouvernements relativement positive. La reconnaissance du travail des ONG par les populations fait de celles-ci un atout de légitimation important pour les pouvoirs publics, mais aussi potentiellement un partenaire capable de communiquer autrement avec les citoyens que ne peuvent le faire les gouvernements.

Face à cette reconnaissance croissante du rôle des ONG en Europe de l’Ouest, à la fois de la part des pouvoirs publics et des populations, l’exemple de l’Europe de l’Est (notamment à travers le témoignage de Valentin Burada, de l’organisation Roumaine Fondation pour le Développement de la Société Civile) permet d’entrevoir un niveau de légitimité bien différent du milieu non-gouvernemental. Le rôle du secteur non-gouvernemental dans la production de services sociaux en Roumanie est tout à fait central aujourd’hui, puisqu’il représente, selon Valentin Burada près de 2/3 des services. Pour autant, ces ONG sont encore très largement financées à partir de bailleurs extérieurs et sont ainsi elles-même généralement bien plus redevables à ces bailleurs de fonds internationaux, qu’aux pouvoirs publics nationaux. Après un période de forte confrontation des ONG roumaines vis-à-vis de l’Etat, au moment de la transition démocratique du pays, le milieu non-gouvernemental tente aujourd’hui de se rapprocher des pouvoirs publics et de bénéficier de leur soutien financier. Cependant, leur accueil est encore bien souvent négatif, notamment dans la mesure ou celles-ci sont des vecteurs d’exposition d’une réalité sociale largement dissimulée par l’Etat. Les ONG de nombre de pays d’Europe de l’Est ont donc à faire face à un très large défi de légitimité, afin d’être reconnu comme de véritables partenaires par les gouvernements.

Ce défi de légitimité porte aussi sur la reconnaissance des ONG par les populations elles-mêmes. Pendant la période communiste, l’adhésion et le volontariat obligatoire d’une partie de la population à des mouvements associatifs entièrement sous tutelle de l’Etat laissent un héritage de méfiance et de rejet de ces populations vis-à-vis des ONG qui tentent aujourd’hui d’émerger.

Le financement des ONG

L’engagement des Etats, notamment financier, vis-à-vis du milieu non-gouvernemental, est très varié entre les divers pays Européens. La France est sur ce point en queue de pelonton, avec seulement 10% du revenu des ONG en provenance de l’Etat.

Il est toutefois nécessaire de faire la distinction entre les ONG ayant pour fonction de suppléer directement à l’action de l’Etat (dans le domaine de la santé et de l’action sanitaire par exemple), et les autres types d’organisations Dans le premier cas, le soutient de l’Etat est majeur et la collaboration est avant tout une délégation de services publics à un acteur tiers. C’est ainsi par exemple qu’une grande partie du service hospitalier est aujourd’hui assuré en France par le milieu associatif. Dans le deuxième cas, celui des ONG n’étant pas directement « déléguées » par l’Etat, ces dernières ne peuvent se développer que si elles parviennent à trouver également des fonds privés.

En dehors de ce soutien public direct, un soutien indirect tout à fait important des pouvoirs publics vis-à-vis du secteur associatif, et qui a semble-t-il largement interpellé les interlocuteurs chinois présents lors de l’Atelier, est celui de la déduction des dons faits par les particuliers à ce secteur, sur leur déclaration d’impôts. (Cette déduction est de l’ordre de 2/3 pour la France). Ce système de déduction d’impôts est aujourd’hui promu par de nombreux acteurs non-gouvernementaux chinois comme un moyen de renforcer le secteur au travers d’un financement indirect de l’Etat. Il semble, selon Liu Xangguo (Fondation Croix Rouge), déjà bénéficier à quelques GONGOs chinoises mais de manière encore très limitée.

Par ailleurs, nombre de pays Européens demeurent relativement réticents à l’idée une part trop importante du financement privé dans les activités non-gouvernementales, comme l’illustre aujourd’hui la tendance chinoise. Ces derniers soulignent en effet la nécessité de ne pas être dépendant de toute forme d’orientation spécifique de ces acteurs privés. Il s’agit également de ne pas se trouver en contradiction avec le cœur d’activités des ces acteurs privés qui peut aller à l’encontre de l’éthique et des objectifs propre de l’ONG.

La dynamique de fédération associative

Plusieurs des participants de l’Atelier représentent des plate-formes associatives de niveau national (Coordination Sud) ou européen (Plate-Forme Sociale) et permettent ainsi de lancer le débat sur la pertinence et les objectifs d’une mise en réseau associative.

L’utilité de cette dynamique fédérative est multiple. Il s’agit tout d’abord de répondre à la nécessité d’information et de renforcement mutuel au sein du monde associatif, et ce afin d’éviter de mener des activités de manière trop parallèle et isolée. Dans le même sens, les plate-formes fédératives sont des lieux d’information sur les types de financements potentiels et les types d’interlocuteurs pertinents pour les associations. Il s’agit également d’établir des lieux de débats collectifs afin de définir des positions communes des organisations membres dans les secteurs au sein desquels elles agissent. Il s’agit enfin, au travers de cette définition de positions communes de renforcer la voie de la société civile vis-à-vis des autres acteurs nationaux et internationaux.

Cette question de l’utilité de la dynamique fédérative est particulièrement pertinente pour la Chine dans la mesure ou l’une des difficultés principales exprimée par les responsables présents est celle de l’isolement relatif des activités non-gouvernementales, de la difficulté à faire entendre sa voix au niveau des autorités publiques, mais aussi et surtout, une difficulté à établir un lien véritable avec une société civile plus mondialisée, afin de se renforcer à partir de l’extérieur.

Pistes de réflexion

Au sortir de cette démarche en grande partie « comparative » de l’Atelier, trois grandes questions émergent. Bien plus que de simples questionnements, ceux-ci représentent en réalité des défis pour les organisations de la société civile, à la fois dans leur renforcement interne et dans leur rapport à l’Etat.

  • Comment poursuivre la professionnalisation interne du milieu non-gouvernemental dans un contexte de ressources humaines et financières limitées. A l’évidence, la question se pose de manière très différente du côté chinois entre le deux types d’organisations présentées (GONGOs / organisations de base), étant donné leur niveau radicalement distincts de financement public. L’enjeu interne est ainsi notamment de parvenir à attirer un personnel qualifié et professionnel étant donné le niveau de salaire largement inférieure au secteur privé (et ce en France tout autant qu’en Chine), mais aussi de faire émerger des outils de formations spécifiquement destinés à ces nouveaux profils. La question du besoin de capacités de recherche indépendante au sein du milieu non-gouvernemental est également évoqué à plusieurs reprises.

  • Comment évoluer du côté chinois sur la question du droit d’association et la question de l’enregistrement des associations ? L’impossibilité (aujourd’hui semble-t-il remise en cause) d’enregistrer son activité dans une région au sein de laquelle existe déjà une organisation exerçant cette activité, mais aussi le manque de lisibilité des critères de choix dans cette procédure d’enregistrement sont ainsi au cœur des évolutions légales que les participants de l’Atelier appellent à mettre en œuvre.

  • Comment faire la transition d’un simple rôle de producteur de services aux populations à un rôle de plaidoyer vis-à-vis des pouvoirs publics ? Si cette question représente déjà un enjeu complexe en France, comme l’exprime notamment les expériences des participants de ce colloque, cet enjeu est bien plus largement posée dans le contexte chinois. La question plusieurs fois abordée dans ce contexte est celle de la légitimité actuelle des ONG chinoises à tenter d’influencer les politiques publiques dans leur domaine.

  • Comment renforcer le dialogue entre la société civile chinoise et les sociétés civiles étrangères ? Quel rôle les ONG chinoises peuvent-elles jouer à l’étranger, et à l’inverse quel rôle les ONG étrangères peuvent-elles jouer en Chine ? Dans ce souci de dialogue et de mise en lien de la société civile chinoise avec les acteurs étrangers, les nouvelles technologies de l’information semblent amenées à jouer un rôle essentiel. Il se dessine ainsi, parmi les conclusions de l’Atelier, une volonté forte de créer des espaces Internet d’échange sur les pratiques et les positions mutuelles des acteurs de la société civile entre la Chine et l’extérieur.

 

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