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Análisis

Les processus de transition politique sont généralement encadrés par la communauté internationale. L’Afghanistan et la Bosnie-Herzégovine présentent, tous deux, des cas d’intervention internationale lourde. En Afghanistan, la présence internationale, est prise dans un nœud de paradoxes entre la lutte contre le terrorisme et la réorganisation de l’Etat ; ces deux logiques s’opposent et pourraient, à terme, compromettre la pacification du pays. En Bosnie-Herzégovine, l’encadrement international fait courir le risque d’une dépendance nuisible à la reconstruction du pays. Enfin, l’Ouzbékistan offre un exemple des conditionnalités que posent les organisations internationales et intergouvernementales à l’assistance internationale et de la confusion entre politique et développement. Ces politiques se révèlent être une source d’inégalités et de conflits.

Contenido

Les trois exemples de l’Afghanistan, de la Bosnie-Herzégovine et de l’Ouzbékistan, illustrent les difficultés de l’intervention internationale dans les théâtres de sortie de crise. Les moyens mis en oeuvre ne sont pas toujours à la hauteur de l’ampleur des tâches à accomplir : pacification, reconstruction, réorganisation de l’Etat, démocratisation, développement, réconciliation – n’est pas toujours à la hauteur des moyens mis en œuvre. La multiplicité des acteurs internationaux intervenants crée des divergences d’intérêts entre eux. Enfin, les stratégies doivent être pensées en fonction des logiques des acteurs internes. L’exercice est périlleux et le moindre écueil porte une atteinte à la légitimité des acteurs internationaux qui peut leur être fatale.

Afghanistan, le piège des objectifs contradictoires

L’ONU est représentée en Afghanistan par la MANUA (Mission d’Assistance des Nations Unies en Afghanistan). Présente depuis mars 2003, elle est reconduite tous les 6 mois. L’OTAN a récemment pris la direction de la FIAS (Force Internationale d’Assistance à la Sécurité) et enfin l’opération militaire initialement lancée contre le régime des Talibans est maintenue et se consacre à la lutte contre le terrorisme (Operation Enduring Freedom – OEF). Enfin les différents acteurs internationaux militaires et civils se sont réorganisés au sein des Equipes de Reconstruction Provinciales (EPR) pour tenter de rapprocher leurs mandats antagonistes. Mais le bilan de la politique globale de stabilisation reste mitigé.

La reconstruction du pays se trouve prise dans le feu croisé de plusieurs contradictions. Nous en évoquerons deux : la réorganisation de l’Etat et sa nécessaire consolidation face à la contractualisation de ses services publics et à la lutte anti-terroriste qui nécessite des alliances de convenance et renforce dans leurs positions des acteurs hostiles à l’émergence d’un Etat central fort.

Le Monde1 expose très bien le dilemme posé par l’aide extérieure et la répartition des pouvoirs entre le gouvernement afghan et les acteurs internationaux. D’un côté, les donateurs internationaux affirment que le gouvernement doit être consolidé et qu’il doit prendre ses responsabilités de gouvernance face à sa population. D’un autre côté, leurs actions perturbent l’exercice du pouvoir comme, par exemple, en offrant des salaires bien supérieurs que ceux proposés par le gouvernement. Sur le principe, les donateurs s’accordent à vouloir renforcer les autorités afghanes en leur donnant les moyens de leur politique mais beaucoup font valoir que l’administration manque de ressources humaines, qu’elle est très largement corrompue et politisée ce qui risque de déséquilibrer la distribution de l’aide. En conséquence, ils gardent la gestion de l’aide internationale sous leur contrôle. Cette dynamique crée un obstacle au renforcement de l’Etat, elle pose, de plus, des problèmes de positionnement pour plusieurs organisations étrangères travaillant dans ce cadre international.

« Comment renforcer la crédibilité d’un gouvernement alors que la plupart des secteurs publics sont régis par des organismes internationaux ?  » 2. La Banque mondiale a en effet mis en place un « partenariat de performance » (Performance-based partnership) dans certaines provinces de l’Afghanistan. Elle a ainsi pu imposer ses priorités dans le domaine de la santé. Cet accord est critiqué d’une part parce qu’il établit un système de santé afghan presque entièrement organisé sur la contractualisation des acteurs privés et d’autre part parce que le suivi n’est organisé que pour une durée de 3 ans, sans aucune perspective de reprise en main ultérieure par les Afghans. La Banque Mondiale admet au contraire que le choix de privatiser l’aide médicale par l’intermédiaire des ONG permet un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds et de la situation sur le terrain. Finalement, la question posée par Médecins Du Monde est la suivante : « Souhaitons-nous devenir les sous-traitants des organisations internationales via le ministère de la Santé pour les soins de santé primaire ? Si la réponse est « oui » , à quel prix cela se fera-t-il pour notre indépendance et notre éthique ?  » . Leur décision a été de ne pas participer à la contractualisation des services de santé et de garder leur indépendance. Ils continuent de distribuer des soins dans des régions qui ne sont pas couvertes par la politique du ministère de la Santé.

Par ailleurs, le dilemme de la stabilisation reste entier : la nécessaire éradication de la violence est une stratégie militaire qui suppose de pouvoir compter sur des alliés. Or ces alliances entretiennent les forces centrifuges de l’Etat central et renforcent la concurrence féroce à laquelle il doit faire face. Cet objectif militaire s’oppose à une dynamique de reconstruction qui repose sur des moyens tels que le développement économique et social, la démocratisation de la vie politique et les actions diplomatiques.

Les actions développées par les acteurs internationaux connaissent plusieurs effets de bord :

  • le choix de transformer le pays sans développer les institutions afghanes ;

  • la faiblesse des institutions : elles reflètent les pouvoirs existants, les gouvernants trouvent des soutiens dans les réseaux souterrains ;

  • la fuite des cerveaux vers les ONG, les OI et les entreprises étrangères ;

  • un Etat dépossédé de ses prérogatives ;

  • un investissement financier faible (programme de reconstruction le moins coûteux comparé aux Balkans et au Timor oriental) ;

  • une incompatibilité entre les intérêts immédiats de la communauté internationale et des donateurs et les tâches indispensables à une paix durable onéreuses et longues.

L’augmentation du nombre d’attentats suicides et d’actes de terrorisme visant les soldats de l’ISAF, au cours de l’été 2005, montre à la fois qu’un acteur majeur du jeu politique intérieur – les Talibans – ne peut pas être simplement évincé et que la légitimité de l’action internationale est en cours d’érosion.

Bosnie-Herzégovine, le piège de la dépendance

Depuis la signature de l’accord de Dayton (novembre 1995), la construction de l’Etat de Bosnie Herzégovine est encadrée et soutenue sous plusieurs formes par la communauté internationale :

  • Le Bureau du Haut Représentant (OHR en anglais) a été institué pour coordonner les aspects civils de l’accord et établir les contacts entre les 3 parties, les encourager à respecter les termes de l’Accord et coopérer.

  • L’OSCE, dès 1996, prend la charge primordiale de superviser les élections, en même temps qu’elle est investie plus largement dans les domaines des droits de l’homme et de la démocratisation.

  • Plusieurs agences de l’ONU sont enfin engagées pour des missions spécifiques (UNHCR) et les volets militaires (IFOR, SFOR, MINUBH, IPTF).

Cette présence internationale dans les domaines sécuritaires et politiques a développé une dynamique de dépendance dans laquelle à la fois l’inertie et l’aggravation de la situation enferment le pays dans un cercle vicieux.

Le processus de dépendance connaît plusieurs origines :

  • les représentants des pouvoirs locaux ne se sentaient pas responsables de la situation du pays, ils voyaient davantage leur rôle dans la défense des intérêts de la population face aux représentants de la communauté internationale.

  • Les dirigeants et la population ont trop tendance à voir l’aide internationale comme un substitut de l’Etat socialiste censé résoudre tous les problèmes. L’initiative locale est bloquée rendant trop passifs les dirigeants et la population.

  • La corruption et le crime organisé sont liés au pouvoir. Il est indispensable de respecter le principe de transparence et d’établir l’Etat de droit.

  • La fuite des cerveaux vers les organisations internationales.

  • Une élite se professionnalise et se détourne des problèmes de la base sous le coup du volet « démocratie » et « développement d’une société civile » qui représente une bonne partie de l’aide internationale. Elle est mal adaptée et ne concerne qu’une faible partie de la population.

Cette assistance trop importante ne permet pas l’émergence d’un Etat souverain et les recommandations opposées, formulées par l’administration internationale, ne permettent pas la sortie escomptée de cette impasse : un usage limité des pouvoirs du Haut représentant devrait permettre le renforcement de la prise de responsabilité (ownership), ou au contraire un usage encore plus étendu de ses prérogatives devrait combattre l’obstructionnisme et compenser les faiblesses des politiques locaux.

Pour une transition de la dépendance à la souveraineté :

Le transfert de la responsabilité et de l’autorité est déjà engagé, il ne peut être que progressif et fondé sur un authentique partenariat, clairement planifié. Il est capital que soit créée une commission indépendante ayant pour mandat d’assurer le suivi et l’évaluation critique et constante de ce processus de transfert. Elle aurait le mérite de démontrer la volonté de la communauté internationale de s’engager résolument en faveur de la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine et placerait le Parlement et le gouvernement bosniens face à leurs responsabilités3.

Sur le plan économique, d’une part, la mondialisation conduit à un développement déséquilibré. D’autre part, la transition est réduite au paradigme du passage à l’économie de marché et à la simple privatisation. Le soutien au renouvellement des structures sociales a été négligé alors que la structure de la société a été profondément atteinte. Pour prévenir une explosion sociale, une politique ad hoc doit être mise en œuvre s’appuyant sur les collectivités et administrations locales autonomes, les organisations créées au sein des communautés, les initiatives citoyennes et autres ONG de base. L’aide internationale doit adopter une nouvelle approche dans sa stratégie et associer la relance économique à la reconstruction du secteur social. Dans la même logique, les organisations internationales doivent mieux se coordonner et s’inspirer d’une aide indirecte pour renforcer les potentiels locaux. Enfin le passage de l’aide d’urgence à la croissance stable s’impose.

L’obstacle majeur dans le processus vers la souveraineté de l’Etat bosnien est l’absence de consensus sur l’avenir du pays : il n’existe pas à ce jour de volonté politique d’élaborer un projet de vie commun. La Bosnie a toutefois besoin d’un Etat fonctionnel et efficace, et au service des citoyens.

Ouzbékistan, la paix libérale : modèle de l’assistance internationale dans la transition

Lors de leur accession à l’indépendance, les républiques d’Asie centrale ont fait un accueil favorable aux organisations internationales, institutions financières internationales comme ONG. Ce choix s’est traduit par une assistance technique, des recommandations politiques et des investissements directs sous forme de prêts et de subventions.

Un certain consensus autour de la paix libérale

Un unanimisme s’est installé autour du modèle économique libéral dans un contexte de triomphe face au socialisme : le libéralisme pour garantir une paix positive. Cette paix libérale repose sur le postulat que le système libéral permet un développement durable et évite les conflits. Le libéralisme devient alors une stratégie sécuritaire, fondée sur l’idée de créer des interdépendances et intensifier les liens économiques entre les Etats. Mais en faisant des instruments économiques libéraux et des pratiques démocratiques les outils du maintien de la paix, ce modèle confond développement et sécurité.

Les fondements idéologiques de l’assistance internationale reposent sur l’extension du marché (marketization) fondée sur des modèles de monétarisation qui dictent la stabilisation macro-économique, la privatisation et la libéralisation financière. Le second modèle d’intervention est la démocratisation bâtie sur les concepts d’élections libres, de multipartisme, de société civile, de liberté de la presse et plus récemment de décentralisation et de délégation de pouvoir.

L’évolution générale va dans le sens d’une réduction considérable du rôle de l’Etat au bénéfice du secteur privé, cette orientation étant due au soutien financier des institutions internationales.

Un agenda pour la paix libérale :

  • le modèle économique libéral : les réformes, prescrites par le FMI et la Banque Mondiale, se sont concentrées sur la stabilisation macro-économique, la libéralisation des prix (énergie, immobilier, produits de première nécessité) et le démantèlement des institutions du système communautaire. Le secteur social étant jugé non viable, il a été l’objet d’une rationalisation des dépenses et d’une redéfinition des priorités vers l’aide aux pauvres. L’éducation et la santé ont été concentrées à un niveau élémentaire de satisfaction des besoins fondamentaux. Dans ce même objectif, la responsabilité des services sociaux a été transférée vers les pouvoirs locaux qui n’en ont ni les moyens ni l’expérience.

  • la démocratisation : la bonne gouvernance, pour les pouvoirs publics, pourrait être définie comme la responsabilité démocratique à travers des élections multipartites, la liberté de la presse, l’expansion de la société civile, le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Pour les entreprises, il s’agit de la réforme des services publics, la décentralisation et la lutte anti-corruption.

Cependant, les élections multipartites ne se sont pas avéré être une garantie de changement positif des régimes. Cette politique a donc été réorientée vers la promotion de la société civile pour exercer une pression sur le système politique et obtenir son ouverture. Les fonds étrangers ont ainsi afflué pour créer des organisations capables de tenir ce rôle ce qui a eu pour conséquence de multiplier le nombre d’organisations dont le domaine d’activités reflétait les préoccupations des bailleurs de fonds, produisant ainsi une dépendance vis-à-vis du financement étranger.

Une source d’inégalités et des risques de conflit

Cette période de transition coïncide avec une augmentation de la criminalité, de la pauvreté et des inégalités, particulièrement dans les pays qui ont le mieux suivi les recommandations des institutions financières. L’analyse des causes de cette situation reflète la querelle idéologique des types de développement :

  • La Banque Mondiale l’explique par la dislocation sociale et économique, l’effondrement de la production et des revenus tant de l’Etat que des ménages ; ces inégalités sont analysées comme inversement proportionnelles au déploiement des réformes ce qui rend les institutions légales responsables.

  • Pour d’autres, les inégalités sont causées par l’échelle des réformes structurelles et le retrait de l’Etat c’est-à-dire des causes nouvelles.

L’accroissement des inégalités a aujourd’hui atteint un niveau jugé dangereux du fait du ressentiment et des tensions entre les groupes sociaux. Plus le niveau d’inégalités est important moins la croissance produit un effet sur la réduction de la pauvreté, quel que soit le taux de croissance4. Dans ces conditions, l’inégalité revêt un impact politique et social sur la criminalité et la stabilité politique. Conséquences d’une politique économique excessivement libérale, elles pourraient être jugulées par des politiques spécifiques.

Les politiques des institutions internationales ont sans doute manqué de réalisme, visant à des réformes irréversibles, elles se sont fondées sur le démantèlement des institutions centralisées. De plus, les politiques jugées saines par les bailleurs internationaux n’ont pas été les plus adaptées pour les gouvernements. Aujourd’hui, les gouvernements sont enfermés dans des politiques réactives pour réduire les effets des réformes et ne peuvent avoir de visions plus larges d’investissement dans le capital humain par exemple.

Notas de pie de página

1 Le Monde du 6 avril 2005

2 Entretien avec Guy Caussé, responsable des missions de santé maternelle et infantile, Médecins du Monde, mai 2005

3 Christophe Solioz, Forum for Democratic Alternatives, Sarajevo, Bruxelles, Genève, Juillet 2003.

4 Selon une étude Cornia and Court pour UNU/WIDER.

 

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