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Le concept de gouvernance dans les discours de la Commission européenne: Quel apport européen aux débats internationaux sur la gouvernance dans les politiques de développement?

Travaux réalisés par Maxime Montagner dans le cadre des Journées Européennes du Développement

By Maxime Montagner

En l’espace de cinq ans, la Commission européenne a considérablement affiné sa conception de la gouvernance. A travers les « Profils de gouvernance » et le système des « Tranches incitatives », l’institution veut lier une partie du 10ème Fonds Européen de Développement (FED) aux résultats des réformes engagées par les Etats ACP. Pour certains, la nouvelle approche de la Commission viserait avant tout à privilégier les intérêts stratégiques de l’UE, pour d’autres, il s’agirait tout simplement de promouvoir une approche européenne de la gouvernance.

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La première édition des Journées européennes du développement qui s’est déroulée à Bruxelles en novembre 2006 a été intitulée « Forum gouvernance ». A travers cette dénomination, la Commission européenne a voulu signifier sa volonté de situer les questions liées à la gouvernance au cœur des débats. Un des principaux objectifs de cette rencontre était la présentation des nouvelles stratégies de coopération au développement de l’UE1. De plus, il s’agissait pour la Commission de mettre en avant l’Initiative Gouvernance qui est au centre de la programmation du 10ème Fonds Européen de Développement à destination des 78 Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Alors que dans les différents Etats ACP, les fonctionnaires des Délégations de la Commission élaborent pour la première fois les Profils de gouvernance, outils directement liés aux nouvelles stratégies européennes, il nous a paru intéressant de revenir ici sur les discours de la Commission concernant la gouvernance.

Cette notion, si elle est utilisée par la Banque Mondiale et les différentes institutions européennes depuis une dizaine d’années, est devenue l’axe central des politiques européennes de développement avec la signature de l’Accord de Cotonou en 2000. Depuis, la Direction Générale Développement de la Commission publie régulièrement des communications visant à expliciter et à affiner ce concept. Plus récemment, elle s’est attachée à le traduire, en pratique, dans ses relations avec les Etats du Sud. Les différents documents traitant de la programmation du 10ème FED attestent en effet de la volonté de la Commission de rendre davantage opératoires ses discours sur la gouvernance.

En l’espace de cinq ans, depuis la signature de l’Accord de Cotonou, il semble que nous assistions à une évolution significative de l’approche de la gouvernance par la Commission européenne. Quelles sont les principales innovations introduites à travers les récents documents de stratégies ? Que penser des Profils de gouvernance ? Font-ils office de nouvelles conditionnalités pour les Etats partenaires ? Enfin, quelles sont les principales différences et similitudes entre les approches de la Commission européenne et de la Banque Mondiale?

Nous tentons ici de répondre de manière succincte à ces interrogations en envisageant tout d’abord l’évolution de l’utilisation du concept de gouvernance par la Commission européenne. Il s’agira ensuite de revenir plus précisément sur le Profil de gouvernance avant de comparer ce nouvel outil aux instruments proposés par la Banque mondiale.

1.Evolution de l’utilisation du concept par la Commission européenne

Lors des Journées européennes du développement, de nombreux débats ont abordé la nouvelle approche de la Commission dans le domaine de la gouvernance. Selon certains commentateurs, nous serions passés d’une situation de simple mise sur l’agenda politique du thème gouvernance dans les relations entre l’UE et les Etats ACP à la progressive redéfinition de ce concept afin de le placer au cœur des priorités de la coopération européenne. A partir des documents publiés par la Commission ces dernières années, nous tentons de faire le point sur cette évolution.

  • L’apparition de la gouvernance dans les politiques européennes de développement

La signature de l’Accord de Cotonou en 2000 a constitué un changement de paradigme sans précédent dans les relations entre l’UE et les Etats ACP puisque le dialogue politique a été mis au centre du Partenariat. De nouvelles questions ont été placées à l’ordre du jour comme la participation des acteurs non étatiques, le respect des droits de l’homme, la bonne gestion des affaires publiques, la corruption ou encore la migration. Pour l’UE, il ne s’agit plus simplement de « faire du développement », comme c’était souvent le cas sous les différents Accords de Lomé entre les années 70 et 90, mais plutôt d’entretenir un dialogue approfondi sur des questions jugées essentielles qui concernent les deux parties signataires de l’Accord. Cotonou contient également un instrument (les Articles 96 et 97) qui permet de suspendre la coopération en cas de corruption ou d’atteintes graves aux droits de l’homme.

Si ce traité ne fait pas explicitement référence au terme de gouvernance, il prend soin de détailler différents éléments qui se retrouveront, plus tard, dans les discours de la Commission au sujet de la promotion de la « bonne gouvernance » dans les Etats ACP. L’Accord insiste avant tout sur la « bonne gestion des affaires publiques ». La légitimité de l’Etat semble être la priorité du Partenariat UE/ACP :

« Dans le cadre d’un environnement politique et institutionnel respectueux des droits de l’homme, des principes démocratiques et de l’État de droit, la bonne gestion des affaires publiques se définit comme la gestion transparente et responsable des ressources humaines, naturelles, économiques et financières en vue du développement équitable et durable. Elle implique des procédures de prise de décision claires au niveau des pouvoirs publics, des institutions transparentes et soumises à l’obligation de rendre compte, la primauté du droit dans la gestion et la répartition des ressources, et le renforcement des capacités pour l’élaboration et la mise en œuvre de mesures visant en particulier la prévention et la lutte contre la corruption. » 2

En 2003, la Communication de la Commission « Gouvernance et développement » 3 revient sur l’approche européenne. Ici, les termes de « gouvernance » et de « bonne gouvernance » sont mêlés ce qui introduit une certaine confusion entre un concept et un objectif des politiques de développement de la Commission (instaurer la bonne gouvernance dans les Etats ACP). La gouvernance est alors envisagée comme un « problème national » des Etats ACP : « La gouvernance peut s’appréhender sous des angles différents selon les situations propres à chaque pays. […] La bonne gouvernance doit être analysée et promue sur une base nationale spécifique. Elle ne peut s’appréhender sur la base d’un modèle universel, mais plutôt sur la base de situations existantes.»

Ce document de référence insiste également sur la nécessité d’envisager progressivement un cadre politique abordant les questions liées à la gouvernance et plaide « pour une approche pragmatique à l’égard de la gouvernance et de l’usage qui peut être fait des indicateurs ».

Sans s’étendre davantage sur cette communication, nous notons simplement que, depuis la signature de l’Accord de Cotonou jusqu’aux années 2003/2004, les questions liées à la gouvernance n’étaient pertinentes pour la Commission que dans la mesure où elles étaient envisagées sur le long terme et à travers un débat ouvert avec l’Etat ACP. A ce titre, la gouvernance faisait partie des « six domaines prioritaires » des politiques de coopération au développement de l’Union Européenne.

  • La gouvernance dans le consensus européen pour le développement

Louis Michel, Commissaire européen au développement, le rappelle sans ménagement : « Au cours de ces derniers dix-huit mois, l’Union Européenne a réalisé une véritable révolution de sa politique de développement ».4 Pour lui, cette révolution est marquée par l’adoption de nouveaux documents de stratégie tel le Consensus européen pour le développement ou la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide.

Davantage qu’une révolution, nous postulons plutôt pour la mise en place d’un processus visant à rendre opératoires les discours institutionnels des années précédentes. En effet, après une lecture attentive des nouveaux documents de la Commission, nous ne constatons pas l’émergence d’une nouvelle façon de « faire du développement » puisque les principes fondamentaux n’ont pas véritablement évolué (cohérence, appropriation, complémentarité, gouvernance, participation…). Cette révolution prônée par le Commissaire belge se traduirait plutôt par la volonté d’axer les politiques de développement vers une culture du résultat, de l’évaluation et de la mise en place d’objectifs facilement mesurables.

 

La communication « La gouvernance dans le consensus européen pour le développement », parue en août 2006, vise à placer la gouvernance dans ce nouveau registre. Dans le contexte de la programmation du 10ème FED, il s’agit, pour la Commission, de traduire, dans la pratique et au niveau des différents Etats ACP, les discours des années précédentes: «L’objectif de la Commission est de donner une place nouvelle, plus stratégique, à la gouvernance dans la coopération au développement »5. Dans ce même document de travail de la Commission, il est envisagé différentes solutions afin de mettre au point des « modes de faire communs » et des « questions de procédures » pour traduire de manière opérationnelle les discours sur la gouvernance.

Afin de justifier la place centrale que joue désormais la gouvernance dans les politiques de développement, la Commission étend une fois de plus sa conception de cette notion. L’expression « gouvernance démocratique » fait son apparition et tend à remplacer le terme souvent controversé de « bonne gouvernance ». De même, afin de légitimer sa nouvelle approche, l’institution avance qu’ «un consensus se dégage progressivement sur la pertinence d’une approche large de la gouvernance dans la coopération au développement, fondée sur des objectifs et des principes universels » 6. Alors que la communication de 2003 réfutait l’idée d’un « modèle universel » de gouvernance, les documents de 2006 font appel à certains principes et objectifs qui feraient consensus parmi les différents pays du globe.

Si les récents documents n’avancent pas de définition précise de la gouvernance démocratique, ils se contentent d’énumérer les différents éléments qui en font partie : « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’appui aux processus de démocratisation et la participation des citoyens dans le choix et le contrôle de ceux qui gouvernent ; le respect de l’Etat de droit et l’accès pour tous à une justice indépendante ; l’accès à l’information ; la sécurité humaine […] » 7. Le concept de gouvernance démocratique ne se limite plus simplement à la simple « bonne gestion des affaires publiques » présent dans l’Accord de Cotonou mais englobe désormais tout un ensemble de droits des citoyens et de questions géopolitiques (migration, sécurité internationale, gestion des ressources naturelles…).

A ce titre, les questions liées à la gouvernance sont devenues, selon la Stratégie de l’UE pour l’Afrique, la deuxième priorité de la Commission en terme de politiques de développement, priorité placée juste après la réalisation des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement.

2. Les profils de gouvernance : un outil visant à réformer en profondeur les Etats ACP?

Le profil de gouvernance est l’illustration parfaite de la volonté de la Commission de rendre opérationnels ses discours sur la bonne gouvernance et la gouvernance démocratique. Les Profils ont été élaborés par les services de la Commission au cours des années 2005 et 2006. Ils constituent un outil analytique, une grille de lecture, visant à mesurer et à évaluer la situation d’un pays. A ce titre, les profils traitent aussi bien des questions politiques, économiques, institutionnelles que financières, environnementales ou encore sociales.

Si cet outil permet d’établir effectivement une « photographie » de la situation de gouvernance d’un Etat à un instant précis, tout l’enjeu de cette nouvelle approche consiste à identifier les relations de pouvoir qu’elle introduit. En effet, le Profil de gouvernance établi par la Commission constitue-t-il un modèle de gouvernance ? Vise-t-il à comparer les Etats entre eux ? L’UE tente-t-elle d’imposer sa propre vision de ce que devrait être la bonne gouvernance ? Toutes ces questions ont été au cœur des débats de la première édition des Journées européennes du développement.

  • Le processus d’élaboration du Profil : quelle place des acteurs ACP dans la définition des stratégies ?

Le profil de gouvernance est constitué d’une série de questions réparties en neuf chapitres. Ces questions abordent les droits de l’homme ( La liberté d’expression est-elle reconnue et effectivement exercée par les citoyens?), la corruption ( Quels sont les secteurs dans lesquels sont rapportés des cas de corruption ?), la gouvernance économique ( Le climat des affaires est-il de nature à attirer des investissements de nature privée ?) ou encore la sécurité civile (Existe-t-il des signes de désordres civils ?)8 .

Cette grille de lecture a été établie à Bruxelles au sein de la DG Développement afin de lier la programmation du 10ème FED à une évaluation qualitative des pays. Lors de cette programmation (en cours au deuxième semestre 2006), les Délégations de la Commission dans les Etats ACP doivent répondre à ces différentes questions en vue d’établir le diagnostic du pays. Le profil doit être rédigé par les fonctionnaires de la Commission sur le terrain avec l’aide des représentants des Etats membres de l’UE présents dans le pays. Par contre, selon un document interne à la Commission, l’Etat ACP en question n’a pas vocation à intervenir au cours de l’élaboration du profil :

« Le profil de gouvernance ne doit pas être nécessairement réalisé conjointement avec le pays partenaire mais celui-ci doit être informé de sa teneur (sans négociation et approbation) au cours du dialogue relatif à la programmation.» 9

Le document de la Commission visant à expliquer aux fonctionnaires la méthode afin de rédiger les profils entre en contradiction partielle avec les différentes communications de la même institution qui abordent le principe d’appropriation des stratégies par les Etats : « La Communauté promouvra activement, à l’intérieur des pays, un dialogue participatif sur la gouvernance […] Il s’agit d’un élément essentiel pour construire des programmes de réforme qui soient impulsés par les pays eux-mêmes ». 10

En effet, le fait que les Etats ne soient pas conviés par la Commission lors de la rédaction de leur propre profil de gouvernance est un réel problème. De même, aucun représentant du Parlement ou de la société civile ne participe à l’élaboration de ce document qui aura pourtant de grandes répercussions sur la coopération future entre l’UE et l’Etat ACP.

Une fois que le profil de gouvernance a été élaboré, il est transmis à la DG Développement à Bruxelles ainsi qu’à l’Etat partenaire. Les autorités de l’Etat ACP disposent alors d’un délai afin d’établir, sur la base d’un dialogue avec la délégation de la Commission, une « liste des engagements du gouvernement » qui vise à identifier les domaines dans lesquels l’Etat doit effectuer des réformes.

On le voit, la participation de l’Etat partenaire n’intervient qu’une fois le profil élaboré. Son rôle ne vise donc pas à identifier ses propres problèmes de gouvernance mais uniquement à informer la Commission de ses engagements en vue d’améliorer sa position face à des critères de gouvernance établis depuis l’extérieur.

La question du partage des tâches (entre la Commission et l’Etat ACP) lors de la définition des stratégies de gouvernance a largement été débattue pendant les Journées européennes du développement. La Commission a souvent été critiquée par des participants qui lui reprochaient sa volonté, plus ou moins cachée, de vouloir imposer aux Etats ACP sa propre approche de la gouvernance. Par conséquent, l’Etat se verrait dépossédé de prérogatives qui lui reviendraient dans un contexte d’appropriation des stratégies de développement.

  • Incitations ou conditionnalités ?

« L’UE attend des Etats ACP partenaires qu’ils s’engagent sur la voie des réformes nécessaires pour assurer l’impact positif et durable de l’aide au développement et de la coopération au développement ».11

A travers la mise en place des profils de gouvernance, la Commission affiche sa volonté d’impulser des réformes dans les Etats partenaires. Le but principal de ces réformes est, selon la Commission, de renforcer les capacités de l’Etat dans un contexte d’accroissement de l’Aide Publique au Développement.

Une des innovations du processus de programmation du 10ème FED est la mise en place d’une « tranche incitative » qui, liée au profil, vise à encourager les Etats ACP à respecter les engagements qu’ils ont pris afin d’améliorer leur gouvernance. Concrètement, à travers cet instrument « incitatif », la Commission s’engage à débloquer plus de 10% du 10ème FED pour encourager les Etats dans leurs réformes. Le montant de cette mesure est de 2,7 milliards d’euros alors que le montant total du 10ème FED s’élève à 22,6 milliards d’euros sur la période 2008/2013.

« L’accès à cette réserve sera conditionné par les résultats d’un dialogue approfondi conduit par la Commission avec chaque pays sur son plan de gouvernance. » 12 Dans les discours de la Commission, le terme « dialogue » est sans cesse repris dans le but de démontrer que Commission et Etat ACP sont sur un pied d’égalité dans le partenariat. Cependant, le fait de faire miroiter aux Etats une aide financière substantielle au cas où ils s’engageraient dans des réformes d’envergure pourrait remettre en cause l’égalité du partenariat. En d’autres termes, et selon certains commentateurs, la mise en place des tranches incitatives reviendrait, de fait, à conditionner l’aide (ou tout du moins, la tranche incitative) à des réformes, qui, si elles ont été élaborées selon au processus de « dialogue politique » entre les parties, se conforment avant tout à une vision européenne de ce que devrait être la (bonne) gouvernance dans les Etats ACP. Ces derniers, afin d’engranger davantage de ressources financières, s’engageraient dans des réformes sans réellement s’en approprier les processus.

3.Banque mondiale / Commission européenne: mêmes combats ?

Les questions liées aux phénomènes d’importation/exportation de modèle de gouvernance sont cruciales. Après la décolonisation, les nouveaux Etats africains ont voulu transposer le modèle étatique européen. Il est aujourd’hui flagrant de constater à quel point cette stratégie a échoué puisque la plupart des Etats d’Afrique sub-saharienne pêchent par leur manque de légitimité et d’effectivité. Les débats d’aujourd’hui sur la bonne gouvernance sont-ils à mettre au même niveau que les expériences de transfert institutionnel des années 60 et 70? La question reste ouverte.

Une chose est sûre : la grande majorité des institutions internationales incontournables proposent aujourd’hui des grilles de lecture (les Profils de la Commission) ou des indicateurs (les Worldwide Governance Indicators de la Banque Mondiale) visant à proposer sinon un modèle, tout au moins des principes, des objectifs et des données quantitativement et qualitativement vérifiables, afin de mesurer et d’évaluer la gouvernance d’un Etat donné à une période donnée.

Dans cette perspective, il peut être intéressant de présenter une rapide comparaison des instruments proposés par la Banque Mondiale et la Commission européenne. Il ne s’agit pas ici de fournir une étude exhaustive mais plutôt d’essayer de faire émerger un éventuel apport européen aux débats internationaux sur la gouvernance

  • Quels points communs ?

La Commission le rappelle dans ses notes internes, l’élaboration des profils de gouvernance s’est basée sur les instruments existants et vise à compléter ces approches : « Loin d’être antinomiques, ces divers indicateurs constituent un ensemble d’instruments complémentaires à utiliser en fonction des situations et des problèmes rencontrés » 13. Pour cette raison, la Commission a articulé le profil avec les indicateurs et analyses existantes.

Si elle a considéré la plupart des indicateurs disponibles (Afrobaromètre, Latinobaromètre, indice de perception de la corruption de Transparency International…), les outils mis en place par la Banque Mondiale ont été privilégiés par la Commission. En effet, la banque est certainement l’institution qui possède la plus grande expérience dans ce domaine grâce à l’élaboration de six indicateurs qui mesurent et évaluent les différentes facettes de la gouvernance.

Ainsi, parmi les neuf chapitres du profil, trois reprennent explicitement la typologie de la Banque Mondiale. A titre d’exemple, le premier chapitre du profil « Gouvernance politique/démocratique » correspond au critère « Etre à l’écoute et rendre des comptes » de la Banque mondiale tandis que le critère « Qualité de la réglementation » est repris dans le chapitre « Gouvernance économique » du profil.

La Commission comme la Banque Mondiale envisagent dans leurs outils la lutte contre la corruption, la gouvernance économique, l’Etat de droit et certaines questions liées à la sécurité et aux situations de conflits. Cependant, malgré ces similitudes de taille, il semble que le profil de gouvernance proposé par la Commission n’ait pas les même objectifs que les indicateurs de la banque. De plus, le profil est plus englobant tandis que la méthodologie de la Commission est véritablement différente de celle utilisée par l’institution financière.

  • Quelle spécificité européenne ?

En ce qui concerne les objectifs tout d’abord, nous remarquons que les indicateurs de la Banque Mondiale visent avant tout à effectuer un classement de la performance des pays sur la base de données récoltées auprès d’une vingtaine d’institutions différentes. Les profils de la Commission n’ont quant à eux pas vocation à comparer les pays puisqu’ils ne sont pas élaborés à l’aide des multiples données que l’on aurait croisées. Ils sont simplement constitués d’une série de questions auxquelles doivent répondre les représentants de la Délégation de la Commission et des Etats membres au niveau des Etats ACP.

Ainsi, bien que la trame du profil soit la même dans l’ensemble des Etats, chaque configuration nationale étant différente, les rédacteurs identifieront et accentueront des critères différents selon les pays. Contrairement aux indicateurs de la Banque, les profils sont surtout élaborés à l’aide d’information davantage qualitative que quantitative. De plus, l’outil analytique de la Commission n’a pas vocation à couvrir toutes les facettes de la gouvernance tandis que l’indicateur de la Banque mondiale a une ambition beaucoup plus large : celle de devenir la référence incontournable de la mesure et de l’évaluation de la gouvernance au niveau international. A ce titre, nous remarquons que la Banque encourage les acteurs extérieurs à utiliser son « produit d’évaluation » tandis que les profils ont été créés avant tout afin de gérer la coopération entre l’UE et les Etats ACP.

Si les objectifs et la méthodologie différent entre la Banque et la Commission, les différentes composantes des outils proposés ne sont également pas identiques. Pour résumer, nous pouvons avancer que le profil de gouvernance de la Commission est bien plus englobant que les indicateurs de la Banque. Alors que l’institution financière place comme priorité les questions liés à l’Etat de droit, à la gouvernance économique et à l’adaptabilité du pays à l’économie de marché, le profil complète ces critères économiques par certains éléments propres à la politique de l’Union Européenne et qui constituent, en quelques sortes, la valeur ajoutée de l’Europe aux débats internationaux sur la gouvernance.

En effet, il est facile de déceler la « marque de fabrique » spécifiquement européenne dès le premier chapitre centré sur les questions de gouvernance politique/démocratique avec les questions « Le gouvernement a-t-il signé et ratifié le statut de la Cour Pénale Internationale ? » et « Si la peine de mort n’a pas été abolie, dans quelles circonstances et pour quels motifs est-elle appliquée ? ». Sur les sujets des Droits de l’Homme, il serait en effet difficile d’imaginer la Banque Mondiale, qui se base avant tout sur des données issues d’instituts américains plus ou moins proches de pouvoir en place, aborder des questions qui font encore largement débat aux Etats-Unis.

Dans le domaine de la « bonne gestion des ressources naturelles », nous identifions également quelques questions qui reflètent les préoccupations européennes (à travers des campagnes d’organisations non gouvernementales notamment): « Dans l’éventualité où le pays est concerné par la production et le commerce illégaux des « diamants de la guerre », le gouvernement participe-t-il et coopère-t-il au système de certification du processus de Kimberley ? ».

La protection de l’environnement, domaine oublié par la Banque Mondiale, apparaît également dans les profils avec les questions liées à l’encadrement des industries extractives et à la déforestation. De plus, dans le domaine de la gouvernance sociale, les thématiques du travail décent et de l’égalité homme/femme sont présentes. Enfin, un chapitre entier est consacré au « contexte international et régional ». Ici, la Commission insiste sur les questions liées à l’intégration régionale, aux migrations et au mécanisme d’évaluation par les pairs instauré par le NEPAD. Ce chapitre regroupe de nombreux domaines qui complètent la vision européenne de la gouvernance. Dans ce sens, le profil de la Commission se démarque considérablement des outils instaurés par la Banque Mondiale.

Conclusion :

Les Profils de gouvernance sont des instruments visant à promouvoir certaines « préférences collectives européennes » auprès des Etats ACP. En choisissant le concept de gouvernance démocratique, la Commission européenne a délibérément choisi d’élargir les débats sur la bonne gouvernance initiés par la Banque Mondiale à des questions plus amples touchant à la fois aux sphères politiques, sociales, environnementales et parfois même culturelles… Cette approche ambitieuse de la gouvernance a le mérite d’aller au-delà de la simple insertion des pays dans l’économie mondiale envisagée par les institutions financières internationales comme l’unique vecteur de développement et comme un critère incontournable de bonne gouvernance.

Dans cette optique, l’Union Européenne a véritablement une approche qui lui est propre et, dans une certaine mesure, est légitime dans sa tentative de faire émerger ses préoccupations au sein des arènes globales. Cependant, il s’agit de savoir si les « préférences collectives européennes » peuvent véritablement être envisagées comme des leviers pour le développement des pays du Sud ou si elles renvoient plutôt à des objectifs servant avant tout aux intérêts et aux objectifs européens.

Notes

1 Voir les différents documents publiés par les institutions européennes depuis 2005: le consensus européen pour le développement, la stratégie de l’Union Européenne pour l’Afrique, la gouvernance dans le consensus européen pour le développement… Ces documents sont regroupés dans le Compendium des stratégies de coopération au développement publié par la Commission en octobre 2006.

2 Alinéa 3 de l’article 9 « Eléments essentiels et élément fondamental » de la partie II « La dimension politique » de l’Accord de Cotonou.

3 Commission Européenne, Gouvernance et Développement, Communication de la commission au conseil, au parlement européen et au comité économique et social européen, COM(2003)615 Final, 20/10/2003, Bruxelles.

4 Commission européenne, Compendium des stratégies de coopération au développement, DE 133, Luxembourg, Octobre 2006.

5 Commission européenne, Document de travail des services de la Commission, Evaluation de l’impact de la communication « La gouvernance dans le consensus européen pour le développement », SEC(2006)1021, Bruxelles.

6 Commission européenne, La gouvernance dans le consensus européen pour le développement, Communication de la commission au conseil, au parlement européen, au comité économique et social européen et au comité des régions, COM(2006)421 Final, Bruxelles.

7 Idem

8 Commission européenne, Document de travail des services de la commission accompagnant la communication intitulée « la gouvernance dans le consensus européen pour le développement », SEC(2006)1020, Bruxelles.

9 Idem

10 Commission européenne, Le consensus européen pour le développement, 2006/C46/01

11 Commission européenne, La gouvernance dans le consensus européen pour le développement, Communication de la commission au conseil, au parlement européen, au comité économique et social européen et au comité des régions, COM(2006)421 Final, Bruxelles.

12 Idem

13 Commission européenne, Document de travail des services de la commission accompagnant la communication intitulée « la gouvernance dans le consensus européen pour le développement », SEC(2006)1020, Bruxelles.

 

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