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De l’usage du concept de gouvernance dans les politiques de développement - Note de synhtèse du dossier
Travaux réalisés par Maxime Montagner dans le cadre des Journées Européennes du Développement
December 2006Le concept de gouvernance est utilisé par l’ensemble des acteurs engagés dans les politiques européennes de développement. Cette fiche vise à revenir brièvement sur les différentes conceptions de la gouvernance avant d’aborder quelques enjeux liés à ce nouveau paradigme.
Table of content
La gouvernance est aujourd’hui au cœur de la plupart des programmes, des projets et, plus largement, des politiques de coopération au développement. La quasi-totalité des acteurs institutionnels et non gouvernementaux engagés dans ce secteur fait désormais appel aux problématiques liées à la gouvernance. Cette notion apparaît dans l’ensemble des documents de stratégies et est souvent présentée comme un défi à relever, comme une solution qui permettrait d’améliorer à la fois l’impact des politiques publiques de développement et la situation économique, sociale, politique et environnementale des pays du Sud.
Il est incontestable que l’apparition de la gouvernance sur l’agenda politique international constitue un nouveau paradigme des politiques de développement. Il y a plus de quinze ans, la Banque mondiale a été le premier acteur à aborder cette notion. Très rapidement, d’autres institutions et bailleurs du fonds (les agences onusiennes, les agences de coopérations nationales et la Commission européenne) ont intégré ce concept à leurs politiques. Ensuite, selon un processus de «spill-over», ou de débordement, les acteurs issus de la société civile, et en particulier les organisations non gouvernementales du Nord, ont engagé à leurs tours des programmes et des projets plaçant la gouvernance au cœur de leurs activités.
Un concept, pour être opératoire, doit avoir un sens partagé de tous. Comme celui de « société civile », le concept de gouvernance est souvent considéré comme une boite à outils bien pratique. Les différents acteurs, selon leurs propres conceptions du terme, peuvent y trouver des éléments et des applications concrètes qui leur permettront d’engager toute une gamme de discussions et de programmes liés, de près ou de loin, à ce nouveau paradigme.
Devant l’importance d’un tel concept mais également face à ses multiples définitions, il nous a paru intéressant de revenir sur les différentes conceptions des acteurs. Ce retour est, de notre point de vue, primordial puisque la plupart des enjeux attachés à la gouvernance dans les politiques de développement découlent en grande partie de sa(ses) définition(s).
Afin de rendre nos propos davantage concrets, nous placerons notre analyse au cœur de l’actualité politique européenne. En novembre 2006, la Commission Européenne a organisé à Bruxelles un événement sans précédent : les Journées Européennes du Développement. Pendant une semaine, la gouvernance a été placée au centre des débats, des rencontres et de différentes manifestations qui se sont déroulés en présence de responsables politiques européens et africains ainsi que de nombreux représentants d’organisations et de réseaux issus de la société civile du Nord comme du Sud.
Au cours de ces journées de travail et de débats, les participants ont pu échanger sur les récentes évolutions de la politique européenne de développement. Dans son discours introductif, le commissaire européen au développement Louis Michel a orienté d’emblée les débats en affirmant : «le thème gouvernance s’impose naturellement comme l’élément central de toute politique de développement».
Sans prétendre répondre à l’ensemble des interrogations liées à l’émergence du concept de gouvernance dans les politiques européennes de développement, nous proposons d’apporter notre contribution aux débats qui se sont déroulés lors des Journées Européennes du Développement1. Peut-on dresser une typologie des diverses utilisations du terme gouvernance en vue de clarifier et donc de rendre davantage opératoire cette notion? Dans quels cadres, dans quels espaces et par quels acteurs ce concept est-il utilisé? Derrière une notion communément acceptée par l’ensemble des acteurs, quels sont les différents enjeux liés à son utilisation?
Avant identifier les enjeux liés à la gouvernance dans le cadre des politiques (européennes) de développement, il est nécessaire de tenter une clarification du concept en l’envisageant dans trois espaces différents: l’espace politique de l’UE, les Etats du Sud et le « champ organisationnel » de la société civile.
La gouvernance dans les politiques de développement : quelles applications, dans quels cadres ?
Dans le cadre des politiques européennes de développement, il est possible d’envisager le concept de gouvernance pour qualifier trois arènes politiques distinctes. L’identification de ces arènes est certainement le premier pas en vue de rendre plus opératoire une notion qui, si elle est communément acceptée, trouve rarement une définition partagée de tous.
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La gouvernance appliquée à l’espace européen et aux politiques communautaires
Le concept de gouvernance peut s’employer afin d’analyser l’espace politique européen en construction ainsi que le processus de prise de décision au niveau communautaire. Lors des Journées européennes du Développement, de nombreux participants ont fait référence à la nécessité pour l’Union Européenne d’ « améliorer son propre espace de gouvernance» et de devenir aux yeux des Etats partenaires un « modèle de gouvernance ».
En utilisant le terme de gouvernance dans leurs revendications, de nombreux acteurs, avant tout issus des organisations de la société civile, ont voulu mettre en cause les capacités de l’Union européenne à promouvoir la bonne gouvernance à l’extérieur sans être parvenue, au préalable, à régler ses problèmes en interne.
Sans nous étendre sur la définition de la gouvernance appliquée à l’espace européen2, nous pouvons l’aborder simplement à travers la capacité des institutions européennes et des Etats membres à produire des politiques publiques, des programmes et des projets qui répondent aux attentes et aux préoccupations d’une majorité d’acteurs engagés au niveau européen (secteur privé, réseaux associatifs, citoyens en général…). La notion de gouvernance appliquée à l’échelle européenne renvoie également à celle de consensus dans la prise de décision politique.
Pour illustrer plus spécifiquement le concept de gouvernance appliqué aux politiques européennes de développement, il peut être pertinent de s’attarder sur certains principes dont se réclame la Commission. Ces principes ont largement été rappelés lors des Journées européennes du développement.
A travers le Livre blanc sur la gouvernance européenne de 2001, la Commission engage un débat sur la légitimité des institutions européennes aux yeux des citoyens et des acteurs extérieurs3. Ce Livre blanc propose une série de mesures afin, entre autre, de rapprocher les citoyens du projet politique européen et d’améliorer la position de l’Union Européenne au sein des grandes instances internationales. Ce document clé annonce cinq principes fondamentaux de la bonne gouvernance interne à l’UE: l’ouverture, la participation, la responsabilité, l’efficacité et la cohérence.
Ces principes sont applicables de manière générale à l’arène politique européenne mais également aux différentes politiques européennes dont les politiques de développement. En effet, les principes d’ouverture et de participation font appel, par exemple, à la capacité et à la volonté de la Commission européenne (et des Délégations dans les pays Partenaires) d’élaborer les documents de stratégies en suivant des processus participatifs.
Le principe de responsabilité (ou accountability) rappelle quant à lui la nécessité pour les institutions européennes (avant tout la Commission) de rendre des comptes auprès des autres acteurs mais également d’afficher leurs responsabilités en cas de litige ou de dysfonctionnement sur le terrain.
Enfin, le principe d’efficacité vise par exemple à détecter le niveau adéquat de prise de décision (subsidiarité) tandis que le principe de cohérence introduit la nécessité pour les différentes Directions Générales de la Commission (développement, commerce, environnement, agriculture…) d’œuvrer de manière coordonnée. En effet, il serait « contre-productif » et donc incohérent pour l’Union Européenne de vouloir à la fois soutenir la production de lait en Afrique de l’Ouest (en soutenant des organisations locales de producteurs par les biais de projets cofinancés au titre de sa politique de développement) tout en encourageant l’exportation à bas prix de lait en poudre européen dans ces pays ( au titre de sa politique commerciale).
Cinq ans après la parution du Livre blanc sur la gouvernance européenne, ces principes ne sont pas encore appliqués dans la pratique. L’Union Européenne doit donc s’attacher à améliorer sa propre gouvernance interne (son fonctionnement) et respecter les principes qu’elle a énoncés avant d’aborder la gouvernance de ses Etats partenaires. Ce constat reprend, en substance, le message principal des différents réseaux d’ONG présents à Bruxelles lors des Journées européennes du développement.
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La (bonne) gouvernance des pays partenaires de l’Union Européenne
Le second espace auquel peut être appliqué le concept de gouvernance est l’arène politique nationale des pays partenaires de l’Union Européenne. En effet, la gouvernance des pays en voie de développement, parfois déclinée en « bonne gouvernance » ou en « gouvernance démocratique » par la Commission européenne, est désormais la priorité des politiques de développement de l’ensemble des bailleurs.
Dans sa communication « Gouvernance et développement » de 2003, la Commission avance que la bonne gouvernance est « tout à la fois une question de mobilisation, de représentation et d’autonomisation réelles de la société civile, et en particulier des pauvres, et une question de capacité réelle des institutions publiques et des administrations à définir et à proposer les politiques requises ». 4
Dans un document plus récent, elle est envisagée comme « un processus de changement à long terme, fondé sur des objectifs et des principes universels et des aspirations communes qui doivent s’appliquer aux grandes fonctions régaliennes de l’Etat ainsi que dans les interactions entre les institutions publiques et les citoyens. La gouvernance démocratique met en avant l’affirmation des droits de tous les citoyens, hommes et femmes, et ne peut ainsi pas être réduite uniquement à la lutte contre la corruption ». 5
La gouvernance employée dans ce contexte est avant tout utilisée par les bailleurs afin d’encourager des réformes politiques internes dans les Etats partenaires. Après plusieurs décennies de coopération au développement inefficaces en terme de réduction de la pauvreté, la gouvernance est présentée comme une condition préalable à l’efficacité des politiques et des programmes mis en place par les bailleurs. Pour les bailleurs, l’accroissement quantitatif de l’aide à destination des pays du Sud n’aura aucun impact significatif si ces pays ne font pas de réels efforts afin d’améliorer qualitativement leurs structures étatiques.
Dans un document sur l’efficacité de l’aide, Louis Michel rappelle que cette efficacité « suppose des pays qui fonctionnent de manière effective, transparente et assurant l’égalité pour tous. C’est pour l’essentiel la conjugaison d’institutions transparentes et responsables, ayant de solides qualifications et compétences, et d’une volonté fondamentale de faire ce qui est juste. C’est tout cela qui permet à un Etat de s’acquitter de manière effective de son obligation de service envers ses citoyens»6.
A travers ses discours sur la gouvernance dans les pays en voie de développement, la Commission européenne demande aux Etats du Sud davantage d’efforts en vue d’améliorer leurs légitimités et leurs capacités à répondre aux besoins fondamentaux de leurs populations. Appliqué aux Etats partenaires de l’UE, ce concept recouvre d’autres facettes et critères mais nous nous contentons ici d’une définition générale de la conception de la Commission7.
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La gouvernance au sein du « champ organisationnel » de la société civile, du Nord comme du Sud.
Le « champ organisationnel » de la société civile est le troisième espace concerné par la notion de gouvernance. Par champ organisationnel, «on entend un ensemble d’organisations qui, considérées dans leurs globalités, constituent une espace reconnu de vie institutionnelle »8 . Le champ organisationnel de la société civile regroupe donc l’ensemble des organisations situées sur différents niveaux d’action (organisation de base, réseau, plateforme…) et différents espaces géographiques (en Europe, en Afrique…), mais qui, dans leur globalité, travaillent, a priori, dans le même sens (engagées autour des problématiques liées au développement par exemple).
Le concept de gouvernance est pertinent afin d’analyser les relations entre les différentes organisations de la société civile puisqu’il permet, entre autre, de mettre en lumière les rapports de pouvoir inhérents à ce secteur. De même, il peut offrir des outils analytiques permettant de questionner, par exemple, la représentativité de certains réseaux associatifs. Afin de s’assurer et de sans cesse contrôler le bien fondé de leurs actions, certains réseaux et grandes organisations se sont engagés dans des réflexions introspectives visant à analyser et, le cas échéant, à réformer, leurs modes de fonctionnement ainsi que leurs relations avec leurs partenaires, issus du Sud notamment.
La plupart de ces organisations tentent de s’approprier le concept de gouvernance afin d’améliorer leurs fonctionnements, d’être davantage légitimes aux yeux de leurs partenaires et de répondre à toute une série de questions engageant parfois une autocritique constructive: «Représentons-nous réellement les intérêts dont nous nous revendiquons, en particulier des groupes et individus les plus démunis ? Avec quels types d’acteurs envisageons-nous de travailler? avec les acteurs privés, les organisations syndicales…? Comment envisageons-nous nos relations avec nos partenaires OSC du Sud ?… »
Toutes ces interrogations sont autant de pistes de réflexions qui ont été abordées lors d’un séminaire de la société civile organisé en amont des Journées européennes du développement9 . Il est incontestable que ces organisations ont utilisé le concept de gouvernance puisqu’il a été mis sur le devant de la scène par les bailleurs de fonds. Cependant, en engageant des débats et des programmes d’action sur ce sujet, les organisations de la société civile gagnent inévitablement en crédibilité auprès de leurs différents partenaires, qu’ils soient associatifs au Sud ou institutionnels au Nord.
Quelques enjeux liés à la gouvernance dans les politiques de développement:
Au-delà des différents discours sur la gouvernance, le recours à cette notion dans les politiques de développement a des répercussions significatives dans la pratique. Bien souvent, les débats restent ouverts et des questions ne trouvent pas de réponses communes et partagées par l’ensemble des protagonistes (Commission, Etats du Sud, ONG européenne et du Sud…).
Ce nouveau paradigme tend à remettre en cause les façons traditionnelles de « faire du développement » en facilitant, par exemple, l’émergence de nouveaux acteurs susceptibles de bénéficier de la manne financière des bailleurs. D’autres enjeux, sur lesquels il n’y a pas toujours de consensus, sont liés au rôle de l’Etat partenaire ou à la légitimité des pays du Nord à promouvoir la « bonne gouvernance » au Sud.
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Ouverture de l’espace politique : concurrence entre les nouveaux acteurs
En l’espace d’une vingtaine d’années, nous sommes passés d’une configuration où un Etat destinataire de l’aide dialoguait essentiellement avec un Etat donateur à une situation où de nombreux autres acteurs (ONG, collectivités locales, organisations de producteurs…) se sont vus reconnaître une place dans l’arène. Dans ce contexte, un des débats liés à la gouvernance concerne la mise en concurrence des différents acteurs. En effet, les discours institutionnels sur la bonne gouvernance insistent sur le nécessaire soutien aux processus de décentralisation et sur la création d’institutions régionales et sous-entendent une participation toujours plus active des acteurs non étatiques dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.
De fait, l’Etat n’est plus l’interlocuteur naturel des bailleurs. Il entre désormais en concurrence directe au niveau du dialogue politique et de l’accès au financement avec d’autres acteurs locaux, nationaux et étrangers. Sur la question de l’ouverture de l’arène, les différents protagonistes, qu’ils viennent de la sphère institutionnelle, étatique ou non étatique, n’adoptent pas les mêmes positions comme l’ont prouvé les débats lors des Journées européennes du développement.
Bien souvent, pour les organisations de la société civile, le recours à la gouvernance signifie une amélioration de leurs propres positions au sein de l’arène face à un Etat qui doit désormais partager les ressources et les compétences10 . Ces organisations entrent également en concurrence entre elles puisque les ONG européennes ne sont plus les seuls acteurs non étatiques à pouvoir être financés par la Commission. Dans une certaine mesure, elles entrent en compétition avec des acteurs nouvellement apparus dans l’arène : les acteurs non étatiques du sud, les collectivités territoriales et, sous certaines conditions, le secteur privé.
De fait, chaque groupe d’acteur, selon sa propre définition de la gouvernance, cherchera à améliorer sa position dans l’arène et tendra à remettre en cause le rôle de l’Etat.
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Remise en cause ou renouvellement du rôle de l’Etat partenaire?
La deuxième question dont la réponse ne fait pas toujours consensus parmi les différents acteurs est fortement liée à ce qui vient d’être énoncé : la place de l’Etat au sein du nouveau paradigme des donneurs. Le recours à la notion de (bonne) gouvernance amoindrit-il ou renouvelle-t-il la place de l’Etat partenaire dans les politiques de développement ?
Selon la Commission, l’instauration de la bonne gouvernance dans les pays requiert des réformes étatiques. Ces transformations visent avant tout à « assurer un impact positif et durable de l’aide au développement et de la coopération internationale » 11. La gouvernance permettrait donc de replacer l’Etat au centre du partenariat en améliorant, entre autre, ses capacités à gérer de manière opérationnelle l’aide au développement.
Pour certains représentants d’Etat du Sud, la promotion de la bonne gouvernance, loin de renforcer le rôle de l’Etat, aurait au contraire pour principale conséquence le démantèlement progressif des structures étatiques au profit d’autres acteurs. Les réformes évoquées par la Commission pourraient donc se résumer à la remise en cause du monopôle du pouvoir de l’Etat et de ses institutions. Elles impliqueraient que d’autres organisations, issues avant tout du secteur privé et de la société civile, s’engagent, parallèlement à l’Etat, dans les activités économiques et sociales.
Il est frappant de constater que la majorité des Etats partenaires de l’UE empruntent aujourd’hui un double discours consistant à la fois à reconnaître le rôle positif de la promotion de la gouvernance (afin de s’accorder avec les bailleurs) tout en revendiquant la place de partenaire exclusif des politiques et programmes de coopération.
De leurs côtés, la plupart des acteurs non étatiques se placent dans une position proche de la Commission puisque le recours à la bonne gouvernance peut faciliter, à terme, leurs financements et améliorer leurs accès au dialogue politique.
Bien évidemment, cette position n’est pas partagée par l’ensemble des acteurs non étatiques. La question de la place de l’Etat dans le nouveau paradigme de la gouvernance illustre la difficulté des différents protagonistes à interpréter les discours institutionnels de façon consensuelle.
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Modèles de « bonne gouvernance » à transposer au Sud : quelle légitimité ?
Une des critiques principales à destination de la Commission et de ses nouveaux documents de stratégies vise la mise en place d’incitations financières afin de pousser les Etats partenaires à œuvrer pour améliorer leur gouvernance. Pour certains, cette incitation reviendrait à imposer, de fait, de nouvelles conditionnalités aux partenaires de l’UE. La Commission tenterait en quelque sorte de remodeler les espaces politiques et institutionnels des Etats du Sud selon une vision europeocentrée du mode de fonctionnement de l’Etat. Dans ce sens, l’UE ne serait pas légitime dans sa tentative de transposer un modèle de gouvernance au Sud.
Si la Commission se défend de toute ingérence et revendique le caractère universel des critères de gouvernance : «Il ne s’agit pas de nouvelles conditionnalités mais de nouvelles possibilités de financement» 12, il n’en reste pas moins que du côté des autres acteurs (du Sud notamment), les choses ne s’entendent pas de la même façon…
Lors des Journées européennes de développement, certains chefs d’Etats africains ont repris en partie, la définition qui était proposée par la Commission européenne comme le président du Mali, Amadou Toumani Touré qui a affirmé : «A travers l’approfondissement de l’Etat de droit, la décentralisation et l’émergence de la société civile, le Mali est engagé aujourd’hui dans une gestion consensuelle du pouvoir ».
D’autres chefs d’Etat ont été plus critiques face à l’approche européenne. Paul Kagame, président du Rwanda a ainsi averti : « La gouvernance prend des formes différentes dans chaque pays puisque chaque pays a son propre modèle de gouvernance, ses propres critères de bonne gouvernance ». De même, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi a lancé comme un avertissement: « La démocratie ne s’impose pas de l’extérieur » tandis que le président Mogae du Botswana affirmait: «N’abusez pas votre aisance et notre pauvreté pour vous imposer » 13
Malgré des divergences de vue de la part des responsables politiques, la définition proposée par la Commission européenne dans ses récents documents de stratégie va, de fait, s’imposer aux Etats partenaires. Cette remarque n’a pas seulement été avancée par certains représentants des Etats du Sud mais également par différents représentants d’organisations de la société civile qui évoquaient une tentative d’ingérence européenne dans l’arène politique interne des Etats du Sud.
La question de l’ouverture possible de nouvelles conditionnalités sous couvert de bonne gouvernance a largement été débattue lors des Journées européennes du développement et constitue indéniablement l’enjeu le plus important de la mise en œuvre du 10ème Fonds Européen de Développement.
Conclusion
Comme l’ont prouvé les nombreux débats qui ont eu lieu lors des Journées européennes du développement, les différents acteurs engagés dans les politiques de développement n’ont pas les mêmes conceptions de la gouvernance. Celles-ci sont avant tout établies en fonction des espaces politiques sur lesquels les acteurs sont engagés. Elles varient également en fonction des intérêts des acteurs ainsi que de leurs relations au pouvoir.
S’il parait difficile d’établir une typologie précise des différentes utilisations de la notion de gouvernance, nous avons tenté ici de clarifier quelques enjeux de ce nouveau paradigme. En nous basant sur les discussions qui se sont déroulées lors des Journées européennes du développement, nous analysons, dans les autres fiches de ce dossier, plusieurs facettes des débats liés à la gouvernance dans les politiques européennes de développement
Notes
1 Cette fiche peut être considérée comme la fiche introductive du dossier abordant, avec davantage de détails et de précisions, les différentes conceptions de la gouvernance dans les politiques européennes de développement.
2 Voir la Fiche d’analyse : « L’Union Européenne, un espace de gouvernance en construction. »
3 Voir la Fiche de lecture : « Le livre blanc sur la gouvernance européenne »
4 Commission européenne, Gouvernance et Développement, Communication de la commission au conseil, au parlement européen et au comité économique et social européen, COM(2003)615 Final, 20/10/2003, Bruxelles.
5 Commission européenne, La gouvernance dans le consensus européen pour le développement, Communication de la commission au conseil, au parlement européen, au comité économique et social européen et au comité des régions, COM(2006)421 Final, 30/08/2006, Bruxelles.
6 Commission européenne, Compendium des stratégies de coopération au développement, DE 133, Luxembourg, Octobre 2006
7 Voir la fiche « Le concept de gouvernance dans les discours de la Commission européenne ».
8 Champ organisationel, traduction française de l’expression « organizational field » en anglais et « campo organizzativo » en italien. Définition empruntée à POWELL et DiMAGGIO « La gabbia di ferro rivisitata », in POWELL et DiMAGGIO, Il neoistituzionalismo nell’analisi organizzativa, Torino, ISTUD, La Comunità, 2000, PP 88-115.
9 Voir la fiche « Stratégies et répertoires d’action des ONG lors des Journées européennes du développement ».
10 Voir la fiche « Les organisations de la société civile et les débats sur la gouvernance »
11 Commission européenne, La gouvernance dans le consensus européen pour le développement, Communication de la commission au conseil, au parlement européen, au comité économique et social européen et au comité des régions, COM(2006)421 Final, 30/08/2006, Bruxelles.
12 Discours de Louis Michel à l’ouverture des journées européennes du développement le 15 novembre 2006
13 Discours des chefs d’Etat et de gouvernements africains lors des Journées européennes du Développement le 17 novembre 2006.
- De l’usage du concept de gouvernance dans les politiques de développement - Note de synhtèse du dossier
- Stratégies et répertoires d’action des ONG lors des Journées européennes du développement
- Les Organisations de la Société Civile et les débats sur la gouvernance : Réappropriation et revendications: comment renforcer sa position dans l’arène politique ?
- Le concept de gouvernance dans les discours de la Commission européenne: Quel apport européen aux débats internationaux sur la gouvernance dans les politiques de développement?