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Expérience

Metrovivienda, une entreprise à capital public chargée de la question du logement social à Bogotá

Une solution innovante proposée par les pouvoirs publics face à la croissance urbaine informelle

Par Flora Dancourt

Comment faire face au déficit chronique d’offre de logements dans la capitale ? Comment l’administration publique peut-elle traiter notamment la question du logement social dans une ville telle que Bogotá ? En 1999, l’administration d’Enrique Peñalosa tente de trouver une réponse à ces questions en créant Metrovivienda, une entreprise industrielle et commerciale à capital public chargée de la promotion du logement social. Les pouvoirs publics mettent en place un système original dans lequel une entreprise privée à fonds publics fournit des terrains aménagés, choisit des projets de logements proposés par des promoteurs (sous certaines conditions de prix de vente) et accompagne les ménages dans l’achat des logements sociaux réalisés.

Table des matières

Résumé

Comment faire face au déficit chronique d’offre de logements dans la capitale ? Comment l’administration publique peut-elle traiter notamment la question du logement social dans une ville telle que Bogotá ? En 1999, l’administration d’Enrique Peñalosa tente de trouver une réponse à ces questions en créant Metrovivienda, une entreprise industrielle et commerciale à capital public chargée de la promotion du logement social. Les pouvoirs publics mettent en place un système original dans lequel une entreprise privée à fonds publics fournit des terrains aménagés, choisit des projets de logements proposés par des promoteurs (sous certaines conditions de prix de vente) et accompagne les ménages dans l’achat des logements sociaux réalisés. Ce bref éclairage sur Metrovivienda – la description de sa mission, de son fonctionnement et d’un projet urbain que cette entreprise a réalisé – montre comment une métropole d’Amérique latine, confrontée à une croissance urbaine chaotique et informelle, peut proposer des solutions innovantes en matière de gouvernance urbaine afin de traiter la question du logement social.

 

Comme de nombreuses grandes métropoles du Sud, Bogotá n’échappe pas à la démesure de sa croissance démographique depuis plusieurs années. La croissance urbaine qui découle de cette augmentation de population a été largement peu maîtrisée. Une faible intervention des pouvoirs publics en matière de planification urbaine et une offre dérisoire de logements accessibles ont conduit la masse d’immigrants à construire de manière informelle leurs logements.

Il s’en est suivi le développement d’un urbanisme illégal et anarchique, aujourd’hui compliqué et coûteux à remodeler. Les coûts de réaménagement de ces quartiers sont en effet bien plus élevés que ceux engendrés par la création ex-nihilo de quartiers urbains de même taille. Les pouvoirs publics se sont rendus compte qu’il était plus pertinent et moins coûteux de prévenir – c’est-à-dire de proposer une offre de logements accessibles dans un quartier aménagé et équipé – plutôt que de guérir en procédant à un « colmatage » et à un réaménagement d’aires urbaines anarchiques et sous-équipées. L’enjeu est d’autant plus important que la population de la capitale qui dépasse aujourd’hui de loin les six millions d’habitants, devrait atteindre au moins les huit millions d’habitants pour l’année 2010.

L’administration d’Enrique Peñalosa (1998-2001) s’est posé le problème. Comment offrir à moindre coût de nouveaux logements dans des quartiers urbains de qualité ? Dans quelle mesure est-il possible de transformer l’industrie de la construction de logements pour qu’elle offre en nombre conséquent des logements accessibles à toute la population de Bogotá ? L’enjeu et les responsabilités engendrées étaient tels que la solution devait être neuve et efficace : l’administration en place à choisi de créer une entité autonome et spécialisée, en charge de la question de l’approvisionnement de sol aménagé et de la promotion de logements sociaux. Cette innovation a remis en cause le schéma classique de gouvernance en matière de gestion urbaine dans la mesure où le promoteur du logement social ne s’avère pas être une administration publique ou un bailleur social mais une entreprise industrielle et commerciale rattachée à la municipalité de Bogotá.

Mission, structure et fonctionnement de Metrovivienda

Plusieurs facteurs encouragent le développement illégal de quartiers informels : des facteurs socio-économiques (la pression démographique, les bas revenus) et des facteurs liés aux limites du marché et à la faiblesse des interventions des pouvoirs institutionnels en place. Compte-tenu du coût élevé de construction, produire une offre de logements sociaux en nombre important est une tâche compliquée, qu’il s’agisse de logements sociaux pour les ménages à bas revenus (« les logements d’intérêt social », las Viviendas de Interés Social) ou ceux pour les ménages à très bas revenus (« les logements d’intérêt prioritaire », las Viviendas de Interés Social Prioritario)1. Plusieurs éléments expliquent le coût élevé de la promotion et construction de logements sociaux, notamment :

  • la question des déséconomies d’échelle (le coût unitaire d’un lot de taille restreinte est plus élevé que celui d’une opération de plusieurs lots d’une surface globale plus grande),

  • la durée élevée des procédures de concertation et d’obtention des permis de construire,

  • les impôts et les questions juridiques,

  • la spéculation et la capture de plus-values.

L’offre de logements à Bogotá est depuis de nombreuses années déficitaire face à la forte demande.

Source : Présentation PowerPoint réalisée par Metrovivienda, Programa Bogotá con Techo, mars 2004.
 Déficit de logements
1997492 150
1998520 000
1999532 401
2000544 802
2001561 140
2002578 224
2003592 093

Selon le Plan d’Aménagement du Territoire (Plan de Ordenamiento Territorial), la ville de Bogotá devait construire à partir de l’année 2004 et pour les dix prochaines années 360 000 logements afin de pallier les nécessités liées aux 1 800 000 habitants supplémentaires.

Les pouvoirs publics ont cherché des solutions pour combler ce déficit en offre de logements, particulièrement en logements sociaux : à la fin de l’année 1998, l’administration de Bogotá crée Metrovivienda, une entreprise industrielle et commerciale à capital public, chargée de contribuer à la construction sociale d’un habitat digne à travers :

  • la gestion et la provision de terrains urbanisés,

  • la promotion de projets de logements sociaux,

  • l’assistance des familles pour leur assurer un accès à un logement.

Au lieu de construire directement des logements sociaux et de les proposer aux ménages, Metrovivienda fournit seulement les terrains urbanisés et les revend, sous certaines conditions, à des promoteurs chargés de construire des logements à caractère social. Ce système permet de réduire les coûts de construction des logements sociaux par la réalisation d’économies d’échelle, la capture des plus-values et leur transfert aux familles, la réduction des frais de fonctionnement… C’est un système économique et efficace pour les pouvoirs publics qui n’ont pas besoin de procéder à des transferts de ressources publiques.

Comment intervient Metrovivienda ?

ETAPE n°1 : sélection des zones urbaines de Bogotá et de ses environs permettant de développer des projets de logements ambitieux.

 

ETAPE n°2 : achat / expropriation des terrains.

 

ETAPE n°3 ; réalisation du dessin urbanistique du futur quartier (parcs, écoles, équipements sanitaires et commerces).

 

ETAPE n°4 : réalisation des premiers travaux de services publics et de voirie (entreprises sous-traitées par Metrovivienda).

 

ETAPE n°5 : vente des terrains aménagés à des promoteurs chargés de la construction et vente de logements (à des prix contrôlés).

ETAPE n°6 : médiatisation des projets urbains auprès des familles et information sur les formes de paiement et les facilités d’achat des logements.

Un exemple d’intervention de Metrovivienda : la Ciudadela del Recreo

La Ciudadela del Recreo se trouve dans la localité de Bosa, dans le sud-ouest de Bogotá. Il s’agit du premier quartier d’intervention de Metrovivienda, quartier relativement accessible (réseau viaire et proximité de TransMilenio).

Le projet urbanistique de 1999 consistait en une action directe de Metrovivienda sur une zone de 115 hectares bruts, soit 48 hectares de surface utile. Le terme « d’action directe » renvoie au schéma décrit ci-dessus :

Vue aérienne du quartier el Recreo : Source : Présentation PowerPoint réalisée par Metrovivienda, Programa Bogotá con Techo, mars 2004

Caractéristiques du projet urbain sur le quartier de la Ciudadela del Recreo :

Projet urbain du quartier de la Ciudadela El Recreo

Source  : Présentation PowerPoint réalisée par Metrovivienda, Un nuevo modelo de expansión para Bogotá, 2000.

Les interventions de Metrovivienda ont permis d’aménager et équiper tout un quartier, en particulier en :

  • équipements éducatifs et sociaux (cinq « restaurants communautaires », cinq collèges et plus de dix jardins d’enfants, un centre logistique de distribution de nourriture, le premier « Centre Habitat » de la Ville - Centro Hábitat1),

  • aires commerciales,

  • espaces récréatifs (un parc de 1,8 kilomètres de long, des espaces piétons et pistes cyclables).

En juin 2007, la Ciudadela del Recreo était complètement urbanisé : 79 terrains ont été commercialisés (455 000 m², soit plus de 96% du total des terrains à commercialiser) et 8 272 logements ont été livrés par des promoteurs privés.

Source : données consolidées le 30/06/2007, site Internet de Metrovivienda
EtapesCiudadela El Recreo
Habilitation - Aménagement48,37 ha
100 %
Commercialisation des lots79 lots
96,3%
Livraison des logements8 272
68%

Images de synthèse – Vision urbanistique du projet de la Ciudadela del Recreo en 2000

La renaissance de la Ciudadela El Recreo

Photographie du quartier Ciudadela del Recreo en 2007

NOTES

1 Les VIS, Viviendas de Interés Social, ont pour prix maximum 19 300 $ (en 2000). Les VIP, Viviendas de Interés Social Prioritario, constituent une catégorie particulière de logement social, définie lors de la création de Metrovivienda : son prix de base maximum est de 10 000 $. On rappelle que les ménages de Bogotá sont propriétaires des logements sociaux et non pas locataires comme c’est souvent le cas en France.

2: Les Organisations Populaires de Logement – Organizaciones Populares de Vivienda – peuvent être constituées par des syndicats, coopératives, associations, fondations… L’objectif de ces organisations est de développer des programmes de construction de logements en faveur de ses affiliés et ce dans le cadre d’une économie solidaire, d’autogestion et de renforcement de la participation des habitants. Les affiliés interviennent en effet directement à travers un apport pécuniaire et/ou un travail de bénévole.

 

Voir Aussi