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Analyse

Exister par le foncier et le demeurer en l’adaptant aux nouvelles exigences et réalités

Intervention de Ousmane TRAORE au colloque IRG/ARGA de Bamako (Mali), janvier 2007

Entre institutions coutumières et justice moderne: quelles articulations? Cet auteur africain tente de décrire sans complaisance les réussites et les insuffisances dans la gestion du foncier qui est ici un prisme pour analyser le couple tradition-modernité. Au sein de cette réflexion sur les enjeux du pluralisme juridique, des pistes d’analyse et des solutions alternatives sont aussi explorées.

Cette contribution s’inscrit dans le cadre du colloque organisé par l’IRG et L’ARGA en janvier 2007 à Bamako (Mali). Elle s’inscrit plus particulièrement dans la session de débat sur « LA GESTION DU BIEN PUBLIC ».

Table des matières

« Le premier occupant est toujours le chef de village (Dougoutigui). »

« Qui Terre a, guerre a. »

« La Terre à celui qui la travaille. »

« La femme a pour domicile la résidence de son mari. » « Qui accueille aujourd’hui, sera accueilli demain. »

« La femme est cette personne qui appartient à la famille de son père, puis dans un second niveau à la famille de son mari, et en fin à la famille de son fils. »

« Les conflits fonciers naissent, grandissent mais ne meurent jamais. »

« Il est interdit de pêcher la nuit. » « En cas de conflit entre l’éleveur et l’agriculteur, la vérité est toujours du côté de l’agriculteur, car selon un adage bien connu, le champ ne se ‘ déplace pas, c’est l’animal qui se déplace’ donc qui a tort. »

« Quel que soit le montant qu’on me proposera, je ne vendrai pas ma Terre. » « Mon puits que je creuse est à moi, et à moi seul, mais dès que le niveau baisse, seule ma famille a le droit d’usage (droit exclusif). »

Ces expressions même simples à première vue, cachent des en- dessous profonds et hautement révélateurs, de sociétés qui construisent leurs pensées autour d’un vécu réel, proche d’eux. Dire que la « façon de dire est plus importante que ce qu’on dit » est bien la seule façon de pénétrer la pédagogie rurale de ces pensées.

Il faut donc aborder ces sociétés avec simplicité, esprit de profondeur, quand bien même il y a un risque de divergence d’interprétations. Surtout lorsqu’on n’appréhende pas le fond des pensées et le sens des messages.

Ces avertissements valent précaution, et obligent parfois à des tentatives de cheminement approprié. Nous sommes ici, dans l’essence même du pouvoir réel de l’homme dans nos sociétés. Les vicissitudes de ce pouvoir, ses versants les plus visibles et aussi les plus cachés se trouvent derrière ces expressions (rapport avec la femme, avec l’autre, etc.). Le vieil Africain « savant » parle à des non-savants appelés à décrypter les messages à partir de codes dont l’accès est fonction du milieu social, du niveau d’absorption des sciences du milieu et des responsabilités confiées. Cette conception initiatique de la connaissance est partout présente dans l’Afrique rurale. Le thème « Entre tradition et modernité, quelle gouvernance pour l’Afrique ? » vient à son heure, tant aujourd’hui la pensée et l’oeuvre des intellectuels africains sont considérées comme insignifiantes et peu « rentables » par rapport aux nombreux et multiples problèmes qui se posent et qui demeurent sans réponses. Pourtant, tout au long de l’histoire de l’humanité, il nous a été donné de constater que les peuples ont toujours fait face aux problèmes qui les ont assaillis.

Alors ils ont cherché et trouvé des solutions appropriées.

Est-ce dû à une organisation supérieure de ces sociétés? à une conscience aiguë de la classe dirigeante ? ou alors à une nécessité historique sans laquelle toute vie humaine deviendrait inutile ou anéantie ?

Nous allons tenter ici une radioscopie de nos sociétés, pour déceler dans leur construction les malfaçons et les piliers qui ont su soutenir l’édifice, piliers qui aujourd’hui, annoncent des signes de décrépitude ou d’affaissement. Peut-être parce que le sol a vieilli ou a atteint ses limites d’adhésion, peut-être parce que les constructions nouvelles qui ont été édifiées autour ont agi sur les premiers soubassements, soit qu’elles aient été réalisées avec des matériaux plus solides, soit qu’elles aient été conçues pour justement ébranler nos soubassements. Face à cela, nous devons réaffirmer sans honte notre être profond et nos valeurs culturelles.

L’Afrique qu’on disait mal partie, bloquée, ou refusant le développement, est-elle entrain de perdre tous les tisserands de sa « natte », comme le disait Joseph Ki Zerbo avant sa mort ? Devons- nous reconnaître, avec Amadou Hampathé Ba, que toutes les bibliothèques africaines sont éteintes ou difficilement renouvelables ?

Dans la réalité de tous les jours, l’Afrique est meurtrie (guerre, sécheresses, Sida, déforestation, famines), exclue de la mondialisation (économie attardée, mal gouvernée, technologie peu avancée, analphabétisme généralisé, agriculture peu compétitive, etc.). Toutes ces contraintes mettent en jeu deux types de sociétés : les sociétés avancées, industrielles et les sociétés non avancées parmi lesquelles l’Afrique occupe une place « d’inquiétudes questionneuses ».

Ceci nous obligerait à nous regarder nous-mêmes, avant de regarder les autres, à nous culpabiliser avant de culpabiliser les autres, à nous sortir de nous-mêmes, pour nous concilier avec nous mêmes, à nous réapprendre ce qui nous a rendus dans le passé grands et prestigieux. Enfin à comprendre notre déchéance, à l’assumer et à renouveler nos énergies. Nous devons aujourd’hui, apprendre à négocier les changements nécessaires, les virages imposés, tout en demeurant nous mêmes.

Le champ d’application de cet exercice, a été volontairement axé sur le foncier, c’est-à-dire, prosaïquement la gestion de la Terre. Elle met en présence dans une société organisée, des acteurs qui produisent, renouvellent leurs richesses en respectant des règles et pratiques coutumières adaptées et acceptées par la société. Pour vivre les hommes, ont besoin de produire et pour produire il est indispensable d’édicter des règles en créant un référent unique applicable à tous et accepté de tous. Nous avons choisi, le foncier parce qu’à travers lui, on réalise toute la complexité de nos sociétés, leur génie créateur, et l’aptitude culturelle de l’ensemble des populations qui les aide à résister, à demeurer elles mêmes.

Tout comme de nos jours, le pouvoir des sociétés industrielles, la puissance de leur organisation reposent entièrement sur l’entreprise, hier nos sociétés étaient fondées sur des règles et des modes de gestion traditionnels de la Terre.

En réalité, la terre doit être abordée en terme d’utilisation, d’implantation (peuplements) et d’occupation. L’ensemble des techniques de gestion de la Terre est régi par des us et coutumes, produits d’une longue histoire et résultant par ailleurs d’une longue résistance et ténacité des autorités et institutions locales, qui bon an mal an, devaient assurer la tranquillité et la paix dans les communautés.

L’examen du foncier ouvre pour nous une porte vers la tradition et la modernité. Il nous renvoie à nous mêmes, et nous oblige à pénétrer l’avenir, tout en ayant à l’esprit que la Terre, demeure le seul capital sûr pour les populations rurales. Elle seule, est à même de souder les membres de la communauté, d’aider à opérer les changements souhaités à condition d’en savoir user. Les développements qui suivent veulent mettre en évidence d’une part le génie africain à travers la gestion de la Terre, et d’autre part les insuffisances et contraintes rendant la gestion difficile et trouble. Ils proposent également des solutions alternatives ou des pistes de recherche, peu coûteuses et bien adaptées à nos réalités.

Le génie africain à travers la gestion de la Terre

Pour bien comprendre une société, il est bon de partir des règles qu’elle-même a élaborées pour gérer un bien commun. C’est le cas en Afrique et surtout au Mali, s’agissant de la Terre.

En effet, dans les villages, il est difficile de voir un homme chef de famille, sans un champ dont il soit propriétaire ou qu’on ait mis à sa disposition, alors que les sans-abri sont courants dans les villes. Dans les fractions nomades, aucun homme ne se voit interdit de paître ses animaux dans les pâturages, sauf dans des cas exceptionnels où la violation de la règle de droit a atteint un seuil intolérable.

La Terre est un don de Dieu

Logée dans cette vision sacrée, la Terre ne peut être assimilée aux autres biens de la Nature. Ne l’ayant pas créée ou n’ayant pas été doté par Dieu de pouvoir la créer, l’homme se voit réduit à sa plus simple expression. D’où l’obligation pour lui, de respecter les lois de la Nature régissant la Terre, au risque de mettre en colère son créateur. Cette conception impose à l’homme des obligations et l’adoration de la Terre. D’ailleurs c’est dans cette Terre qui l’aura toute sa vie nourri, lui et tous les membres de sa famille.

La Terre source de pouvoir

Dieu a créé la Terre, mais en la créant l’a fait habiter au début par des génies protecteurs. Ceux-ci ont existé avant l’homme. Et c’était à eux à l’origine que Dieu avait confié la Terre. L’homme venu des cieux, suite à une punition divine, devra passer des pactes avec les génies. C’est seulement avec leur accord que les hommes seront autorisés à s’installer sur les Terres.

Généralement, ce passage se fait grâce à des sacrifices rituels (colas, égorgement de poulets ou de moutons, préparation de repas pour les génies etc.). Une fois ces sacrifices faits, conformément aux prescriptions du génie habitant les lieux, les hommes pourront aisément s’installer. C’est à partir de ce moment que les génies délègueront leurs pouvoirs au premier occupant, qui prendra possession du Territoire et commencera à dessoucher (droit de hache) ou à brûler (droit de feu).

Ces droits résultant de la toute première occupation, confère au premier occupant des pouvoirs de chef des lieux, ou comme on le dira plus tard, de chef de village ou parfois de chef des Terres.

Ce droit de premier occupant, très abondant, devra se perpétuer. À partir de ce droit, le premier occupant devient le chef de toute la communauté (ancêtre). Ceux qui habiteront ces lieux, seront installés avec son autorisation, et à la condition de l’accomplissement symbolique et instantané d’un rituel (colas, bande de coton). Ce rituel autorise l’occupant à s’installer et à utiliser la Terre dans des clauses purement sacrificielles, nourricières et de droit d’usage éternel.

Le droit d’occuper la Terre, imposera toujours des obligations à la charge de l’occupant. Ce dernier, selon les sociétés, doit chaque année après les récoltes manifester son allégeance au cours d’une cérémonie auprès du chef de village ou du propriétaire coutumier (danses empruntant les grandes artères du villages menant à la case du premier occupant, dépôt de bottes de mil ou de riz au domicile du chef de village). Les premiers occupants pourront toujours déléguer leurs pouvoirs à des familles alliées ou à des parents éloignés.

Dans les sociétés nomades et peulh, le droit d’épée a réglé les choses autrement. En effet la nécessité de contrôler des espaces étendus et sans sécurité a fait des plus forts les maîtres des lieux. Comme par exemple les Tinguériguefs à Goudam, les Dicko à Douentza (jusqu’à la frontière du Burkina Faso dans le passé et dans le Delta), les Ifoghas à Kidal, les Ouillimiden à Ménaka Firhoum.

Dans les sociétés africaines, l’eau et la brousse sont des lieux privilégiés, des lieux hantés par les génies. Ces génies s’incarnent dans les animaux sauvages (hyènes, biches) ou aquatiques. C’est pourquoi il a été prévu pour leur gestion des Maîtres de l’eau et de la brousse (totem). Ces maîtres sont seuls habilités à pénétrer dans ces lieux sans autorisation, alors que tous les autres hommes doivent avoir, s’ils ne veulent pas mettre leur vie en danger, une autorisation d’entrée.

À Kayes dans le village de Naéla, cercle de Yélimané, les propriétaires de la mare doivent autoriser l’entrée pour y pêcher. En cas d’inobservation de cette règle, le pêcheur au lieu de pêcher des poissons, pêche des crapauds ou quelquefois des serpents.

Dans la brousse, cette même adoration existe envers les Maîtres de la brousse : les chasseurs. Ces derniers doivent toujours donner leur accord au chasseur, qui désire faire une partie de chasse. Le non- respect de cette règle, vous conduit à une partie de chasse infructueuse ou émaillée de dangers.

Pour faciliter l’accès à la brousse, les hommes sont initiés à la science de la chasse (Donzo). Cette science mène à une autre science, celle des plantes (médecine traditionnelle). Une fois en brousse, tout s’interprète : l’étoile filante, l’accouplement des animaux. En allant un jour à la chasse à la lisière de la forêt à Kéniéba, les chasseurs aperçoivent deux animaux qui s’accouplent. Le Maître chasseur se met à réciter des secrets et ordonne à la troupe de continuer la marche. Il expliquera que ce geste n’est rien d’autre que l’annonce d’adultère dont serait victime un des membres du groupe.

Dans le domaine minier, la même remarque est valable, mais, avec des connotations mystiques plus prononcées. Il est généralement admis que les mines d’or sont aussi des gîtes de génies. Que partout, où il y a l’or, existent des génies. Les habitants des villages aurifères, sont soumis chaque année à des rites ordonnés par es chefs de villages ou par les familles fondatrices. L’année ou les sacrifices n’ont pas pu être faits ou en retard, le village le ressent dans son économie locale. La production minière cette année devient moins abondante, on dit que « l’or fuit les placers ». Dans certains cas, on considère que certaines catégories sociales souillent les mines.

En 1980 les populations de Sitakilly ont exigé de la société française BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) le sacrifice de colas blanches, d’animaux sur pied parce que, ce jour un homme de caste avait pénétré la mine, alors que les us et coutumes l’interdisent. À Kéniéba, la prégnance de ces considérations est si vraie, qu’une femme qui exploite des placers et qui obtient des pépites d’or, ne peut les vendre au marché, sans aviser son mari. Elle s’exposerait à une stérilité éternelle.

À Dialafara toujours dans le cercle de Kéniéba, les populations s’étaient révoltées contre les familles du chef de village qui sont en fait les détentrices des droits coutumiers miniers, au motif qu’elles veulent s’affranchir vis-à-vis de ces dernières. Dès l’annonce de cette nouvelle, les nouveaux révolutionnaires ont mis en cause le monopole minier du chef de village, et s’étaient livrés à des actes de sabotage et de dénigrement. Quelques mois après, les révoltés sont revenus au point de départ. Tout simplement parce que les exploitations minières n’ont généré pendant cette période aucun revenu. Les populations étant devenues pauvres.

Par ailleurs à travers les techniques traditionnelles de création des villages, nous avons noté partout, la présence des chasseurs, explorateurs des brousses découvrant toujours des lieux propices à l’habitat humain.

Le premier occupant a toujours eu, pour souci de peupler son terroir. C’est pourquoi des prières sont dites à la création des villages, demandant à Dieu de faire venir plus de monde, plus d’étrangers devant participer à la prospérité du village. C’est le cas des Niaré à Bamako (les pigeons devant s’envoler plus loin pour agrandir les limites). Toutefois, ces prières n’ont jamais pu changer le statut de l’étranger qui demeure, un exclu du foncier (restriction et contrôle du droit d’accès).

La Terre est un ciment communautaire

Nombre d’auteurs européens et africains ont reconnu en la Terre son pouvoir unificateur des membres d’une famille ou d’une communauté. C’est autour d’elle que se constituent et se consolident les liens bio-socio-communautaires. Partant, le lien biologique est déterminant et prioritaire parmi tous les liens. Par ce bien, tous les utilisateurs passés, présents et futurs de la Terre sont reliés et rattachés à l’ancêtre fondateur (le village où est située la tombe de l’ancêtre est considéré comme le village fondateur en milieu Dogon).

Ce caractère « liant » ajouté à l’idée que la Terre est sacrée, lui donne une dimension « hors commerce », d’où l’inaliénabilité de la Terre. Dans ce schéma de raffermissement des rapports entre les hommes, les femmes sont exclues. Car, [selon la tradition], la Terre est avant tout de sexe mâle, incompatible avec le statut « souillé » de la femme, qui la rend inapte à la gestion des rites.

Dans un village, tous les habitants sont liés par des liens de sang, perpétués par des liens de mariage, et extensibles par l’existence de pacte entre la famille fondatrice et les autres (l’hospitalité africaine est un acte préparatoire d’extension et de disponibilité à installer les étrangers).

En Afrique plus une famille est nombreuse, plus son autorité sociale est dense et remarquable. Ce qui n’est pas négligeable en cas de guerre. C’est pourquoi les conflits fonciers ne sont pas souhaités ni souhaitables, en ce sens qu’ils entament inexorablement les liens déjà existants.

Aussi dans une aire bien déterminée, les populations connaissent-elles et distinguent-elles, avec aisance les fondateurs autochtones des nouveaux venus.

Les [chefs de] village, propriétaires coutumiers des Terres, sont toujours influents et bien respectés. Ceci vient renforcer leur légitimité et autorité.

Le droit de propriété est rarement transmissible à d’autres. Il est un privilège propre à la famille, non monnayable. Le propriétaire traditionnel n’est pas obligé d’habiter le territoire sur lequel ses Terres sont situées (Naéla à Djenné, les familles propriétaires sont à Bamako depuis plus d’un siècle).

Retenons que la « Terre se socialise, se parentelise, et se racialise » en milieu rural. Les modes d’accès à la Terre distinguent d’un côté, des familles propriétaires des Terres et de l’autre des familles utilisatrices des espaces, assurées et convaincues que leurs droits d’usage, ne seront jamais contrariés, tant qu’elles ne s’opposent pas au pacte qui les régit. Cette certitude qui est presque une « absoluité » est très intéressante à examiner dans un milieu où la parole donnée a un poids et un sens (aristocratie foncière). Les liens décrits plus haut, auxquels sont joints le sens de l’honneur et le respect des rites donnent à la Terre, une dimension psychologique, affective, pleine et entière. « On veut coûte que coûte en son temps gérer les Terres telles, qu’elles ont été léguées, ressembler à ceux qui nous ont précédés, et conserver dans l’intégralité tous les attributs attachés à la Terre ».

À la terre sont attachées la dignité nourricière de la famille et la raison même d’exister. Depuis le temps colonial avait éclaté le conflit entre Sossobé et Sassalbé à Mopti. Tous sont prêts à mourir pour une bande de Terre.

Quelques règles et pratiques : les institutions locales, fondements et forces du monde rural

Lorsqu’on ne connaît pas bien les institutions locales, on préfère les qualifier d’ « arriéré », de « vétuste », pour tout simplement amener les gens à les mépriser ou leur porter peu de crédibilité. Pour pénétrer ces institutions, il va falloir d’abord insister, sur le mode de transmission des connaissances dans les sociétés traditionnelles et enfin le sens même de l’éducation traditionnelle.

En effet, les sociétés traditionnelles pour incruster les enseignements dans le mental des personnes, procèdent toujours par une pédagogie d’interdictions, relayée par des proverbes, des adages. Le plus souvent, pour inculquer une leçon à quelqu’un, on préfère toujours lui dire que telle chose est interdite - un point un trait - sans autre commentaire. Cette technique qui ne laisse aucune place à la discussion, à l’échange entre le Maître et l’élève, est bien une méthode courante très efficace dans ses résultats. Ainsi la crainte de faire quelque chose d’interdit est toujours là, dissuade et freine toute velléité dans une société où l’on n’aime pas le défi, ni ne recherche la contradiction. Le résultat final, c’est bien que les vieilles personnes, qui enseignent ces interdits sont craintes et respectées. Elles incarnent la vérité, représentent sur terre les ancêtres, qui continuent à leur parler ou à leur envoyer des messages. En milieu Dogon par exemple, le Hogon, un patriarche entouré de vieux prêtres, habite le plus souvent seul, dans la case de l’ancêtre. Auprès de lui un serpent, qui souvent le lèche. Ces actions de léchage sont traduites et interprétées.

Concrètement, lorsqu’on dit par exemple dans le domaine de la gestion des ressources naturelles « qu’il est interdit de pêcher la nuit » cela signifie en fait que pêcher la nuit, ne profite pas au pêcheur, parce qu’en ce moment les poissons sont en profondeur. En plus pendant la nuit, lorsque le pêcheur tombe ou se noie, il n y a personne pour le sauver. Pour ces deux raisons évidentes l’on préfère donc interdire la pêche la nuit.

Si d’aventure dans un village, un animal se retrouve là parmi les hommes, il est généralement interdit de l’abattre. Car selon les traditions un animal égaré est un messager. Mieux en matière de gestion de ressources naturelles il y a, un temps et un lieu pour abattre les animaux sauvages (technique de protection des animaux). L’on mesure ainsi tous les effets du caractère fermé et brut des énoncés dans les interdictions.

Les difficultés dans la mise en oeuvre des conventions internationales signées par les États africains, s’expliquent en partie par l’existence d’us et coutumes, ancrés dans le mental collectif des populations, assis sur des valeurs et logiques propres à ces sociétés. C’est tout l’ethnocentrisme européen des valeurs contenues dans le droit international, qui est ainsi aujourd’hui mis en cause.

La force des institutions locales, réside aujourd’hui non seulement dans le caractère irréprochable des membres de ces institutions, le degré élevé de leur charge (ils sont responsables vis-à- vis des dieux et des ancêtres) et surtout dans l’exécution rapide des décisions rendues par ces instances.

Les décisions rendues sont non seulement acceptées, mais craintes de par leurs conséquences. Les récalcitrants savent bien ce qui les attend (sanctions fatales et sans appel). Une autre sanction extrême peut consister dans l’excommunication ou dans le bannissement (interdiction de séjour). Toute la société soutient un verdict, l’accompagne. La propagation de la sanction a ses effets dans toutes les contrées avoisinantes. Dans les cas extrêmes, l’individu indexé, voit son nom transposé dans des chants peu élogieux fredonnés par toutes les jeunes filles du village (honte de la famille du récalcitrant). Dans certains cas, l’épouse du récalcitrant autour du puits, se voit rejetée, exclue des cercles de conversation. Elle n’est plus invitée dans les cérémonies du village, ou lorsqu’elle se présente est immédiatement renvoyée. Elle reste le plus souvent isolée et négligée (sanction sociale).

Toutes ces raisons font aujourd’hui, que les institutions coutumières dans le règlement de conflits fonciers, sont jugées plus efficaces, que les tribunaux institués par l’État. Les résultats de l’Observatoire du Foncier au Mali (OFM) soulignent que plus de 99 % des conflits fonciers sont résolus à ce niveau. Au centre de ces institutions se trouvent le conseil de village et le conseil de famille. C’est à ce niveau que les décisions graves sont prises ou examinées.

La gestion des conflits fonciers

Ce qui nous intéresse ici, c’est bien les modes de tenure foncière, et les procédés utilisés pour résoudre les conflits. Il apparaît sans nul doute, aujourd’hui que le foncier est conflictogène. Les conflits sont mortels parfois et n’épargnent aucune catégorie d’utilisateurs. Ils sont très violents, lorsqu’ils opposent des villages à des villages. Ils ont été beaucoup aggravés par le rétrécissement des espaces dus aux différentes sécheresses à la dégradation des écosystèmes, et surtout aux pratiques culturales. Avant de comprendre toutes ces évolutions, il est nécessaire de développer les modes de gestion courants selon les us et coutumes.

Le mode, le plus fréquent est celui des prêts de Terres. Il se fait généralement en présence de témoins, [ou du conseil de village]. Cette pratique est décriée de nos jours à cause de ses fondements non écrits et la légèreté avec laquelle cette gestion est pratiquée (ce n’est pas le cas dans le cercle de Kati où les Terres cultivées par les populations de Samaya sont propriétés du village de Djoliba depuis plus de deux cent cinquante ans). Les propriétaires coutumiers ont été souvent abusés par les citadins, aidés en cela, par les dispositions du code domanial et foncier très favorables aux citadins. Les prêts en milieu rural sont souvent faits sur de longues années (plus de quarante ans sinon plus).

Le deuxième mode de gestion est la location des Terres. Cette pratique est plus ou moins maîtrisée et comporte par endroit des risques (Farika Djamna à Goundam). Le troisième mode correspond à la transmission des droits par l’héritage. Cette variante rejette les droits coutumiers et privilégie le droit islamique, favorise une appropriation des Terres par les femmes (Sape des droits coutumiers par l’islam). Rappelons enfin l’introduction par l’islam du « tarick » pour attester l’achat ou l’occupation d’un espace (région de Mopti, Tombouctou et Gao). À cette pratique s’est ajoutée l’établissement de carnet de Terres et de registre de Terres (région du Nord).

Ces pratiques montrent jusqu’à quel degré les sociétés traditionnelles sont capables de s’ouvrir et de s’adapter aux changements provoqués de l’extérieur.

S’agissant de la gestion des conflits, on note un respect à l’égard des parties en conflit, contrairement à ce qu’on pourrait penser des sociétés traditionnelles. Au cours des procès, des enquêtes approfondies sont ouvertes par le conseil de village, aidé en cela, par les imams, marabouts et les vieilles personnes (les sages). Les personnes en cause sont entendues. La parole est donnée à chacune pour s’expliquer et construire sa défense, le plus souvent à huis clos. Les membres du conseil de village après avoir écouté toutes les parties, les témoins, se donnent du temps pour se concerter, avant de prendre une décision.

Lorsque la décision est prise, les intéressés sont informés. Mais l’information portée au public est « travaillée autrement » pour préserver la dignité des protagonistes et protéger leur honneur - surtout lorsqu’il s’agit des personnalités influentes du village-. La poursuite de Soumangourou Kanté par Soundiata Keîta jusque dans les grottes de Koulikoro a mis en évidence le respect que l’on doit au vaincu, code de bonne conduite en cas de guerre.

Dans la pratique, on procède par serment pour rechercher la vérité. Les protagonistes sont invités à faire égorger des poulets, manger de la Terre, avant de se soumettre à d’autres formalités (Pays Dogon). ÀKoulikoro, les protagonistes doivent jurer sur le Niana. Ceux qui ont menti ou travesti la vérité en sortent avec des conséquences graves dans certaines localités (morts, perte de membre, perte d’un membre de la famille, sécheresse permanente dans le champ, démence, etc.)

Dans la pratique coutumière, la portée des jugements ne prête à aucune confusion. Il n’est pas besoin de faire appel à un autre degré de juridiction pour interpréter le verdict. Les conflits pour être résolus font souvent appel à des alliés (cousinages) ou à des érudits en islam (cadi à Tombouctou). Le paradoxe engendré par l’existence de différents degrés de juridictions au niveau de l’État moderne n’existe pas ici.

Les populations sont souvent ahuries devant des jugements contradictoires prononcés par les tribunaux et relatifs à une même affaire opposant les mêmes protagonistes. Souvent pour la même affaire, elles se retrouvent avec deux verdicts. Dans le premier prononcé, les populations qui ont gagné le procès fêtent leur victoire. Dans un deuxième temps, après la demande d’appel faite par la partie vaincue, le deuxième jugement vient donner raison à celles qui ont perdu au premier jugement. Ces renversements de situation déroutent les populations et portent un coup sérieux à la crédibilité des juridictions étatiques.

En droit coutumier, tous les procès dans leur finalité recherchent la cohésion sociale, familiale ou/et communautaire. Certains verdicts sont même protégés, pour que les villages rivaux ne soient pas informés. Il y a une tendance à mettre en place très rapidement, dans le village et dans les environs, un système d’organisation et de gestion des informations pouvant ternir l’image du village : les villages où il y a trop de conflits entre les familles sont difficilement acceptés lorsque leurs habitants viennent demander en mariage des filles d’autres villages. Les valeurs sociales que les institutions locales tentent de défendre sont :

o l’Esprit des ancêtres (règle suprême),

o la dignité humaine (Mogoya ­Dambé, Borotareye, honneur, la parole donnée),

o la cohésion communautaire (intérêt public),

o les clauses des pactes sociaux (abandon de la souveraineté individuelle ou collective),

o les règlements locaux ou intervillageois (réapparition des cantons).

Le concept de propriété en droit coutumier

Tout le droit coutumier africain repose sur ce concept, dont la maîtrise s’est avérée tantôt maladroite (période coloniale), tantôt conciliante (reconnaissance par le colonisateur). À la fin on retient la reconnaissance d’une grande valeur culturelle (connaissance de soi- même).

Avant la pénétration coloniale, ce concept était dominant et généralisé et n’a jamais posé problème. Il a fallu attendre l’avènement du concept européen de « domaine éminent de l’État », et de concept de « Terres vacantes et sans maître » pour voir se rétrécir le concept de propriété coutumière. Les nouveaux conquérants, avaient en effet pour objectif l’assimilation des africains, donc la négation de leurs valeurs culturelles, ce à quoi se sont opposés les chefs coutumiers propriétaires terriens. Pour l’essentiel, ce concept a pour fondement l’idée que le Bien ici, c’est- à-dire la Terre est considérée comme un bien immeuble. Concrètement elle apparaît comme « une chose solide, compacte, permanente, durable, intacte, « non pliable », non élastique », dont la garde est confiée aux descendants des ancêtres. Ceux-ci sont tenus de la gérer conformément aux prescriptions des ancêtres et des génies protecteurs, qui eux, veillent sur les biens et les personnes de la famille et du village.

Ce bien précieux doit demeurer éternellement intact. Il a été donné aux familles pour assurer leur souveraineté alimentaire et pour préserver leur dignité humaine (un homme ou un village affamé est facilement convertible en mendiant ou en esclave). La Terre est un bien qui ne meurt pas, donc « indestructible ». Elle doit nécessairement passer à travers les mains de plusieurs générations. Il s’agit d’une appropriation amputée, [les pouvoirs du propriétaire sur son bien étant non plus absolus mais limités, sauf dans la durée : ils sont perpétuels, pérennes et immortels dans le contrôle et dans la gestion. Le bien est communautaire et avant tout biologique, doté de droits éternels transmissibles à des fins d’usages éternels], conformément aux clauses culturelles et sociales.

Ces droits immenses et denses sont pourtant « ignorés » des pouvoirs publics. Ce qui pose problème et invite à se poser des questions, puisque plus de 80 % des populations vivent ces droits, les connaissent, les respectent et les acceptent. Même l’État a fini par les reconnaître, d’abord avec beaucoup d’hésitation au début, puis maintenant avec force et conviction (confirmation de la reconnaissance des droits coutumiers, code domanial et foncier de 1955, 2000, 2002). S’il est vrai que, nos 12 000 villages et fractions sont régis par ces droits, comment peut-on les ignorer, les contourner ou tenter de les endormir ?

Plus près de nous à Samanko dans le cercle de Kati, la mare qui y est située reconnaît-on, avait bel et bien été achetée par un chasseur en pérégrination depuis Samaya d’où il est originaire. Il négocia avec les populations de Samanko, qui ont bien voulu l’offrir cette mare, contre une esclave et son petit enfant. Depuis les populations de Samanko savent rappeler, que la mare est certes située sur leur territoire, mais les Maîtres et les vrais gestionnaires résident à Samaya.

Dans le monde rural, de pareils cas fusent ici et là. À Bamba regroupement de 32 villages, avec pour chef-lieu Dégueré (cercle de Douentza), les autorités coutumières ont depuis le temps colonial, géré la fameuse mare sacrée. Le mystère proviendrait d’un chien mouillé, qui sortirait des forêts (brousse) dans une zone réputée cependant aride. Ce chien aurait été aperçu par une femme habituée de ses lieux, au moment où elle venait s’approvisionner en bois de chauffe. Cette femme serait originaire du village de Yanda, et serait mariée avec un homme de Bamba. Après des pourparlers, le village de Bamba se serait approprié la mare et aurait conquis ses signes de pouvoir (il existe une alliance secrète entre les gens de Bamba et ceux de Yanda).

Dans les faits de tous les jours, la séparation des droits de propriété et des droits d’usages est nette. À Mopti, le Jowro gestionnaire des pâturages, choisi par l’empereur Sékou Ahmadou est bien le propriétaire des pâturages. Il autorise chaque année leur entrée contre le paiement de redevance (le montant total des redevances a été estimé à plus de 200 millions de francs CFA /an). L’entrée de l’Eguirgol est soumise à des règles très strictes et respectueuses des lignées aristocratiques et familiales (droit de préséance).

Pour éviter des conflits entre les éleveurs et les autres utilisateurs, l’Empereur avait mis en place un code pastoral (Dina). Ce code devait permettre la gestion pacifique des ressources naturelles (herbe, eau, vache et poisson). Concrètement il s’agissait de créer les conditions de coexistence pacifique et durable entre les éleveurs (peulh), les agriculteurs (bambara, marka) et les pêcheurs (bozo).

Notons que dans ces hauts lieux de l’histoire, les hommes avaient inventé des règles de gestion étagée des espaces. Le même espace, selon la saison est utilisé par des acteurs différents, dont les activités se succèdent dans l’année car dépendantes de la lame d’eau. Avec les sécheresses, ce schéma a été fortement ébranlé.

Facteurs troublants et anachroniques des droits coutumiers fonciers

Les sociétés humaines ont toujours évolué, soit suite à des révolutions, soit suite à des changements audacieux opérés par des dirigeants connaissant bien leur peuple et maîtrisant les mutations. Les changements deviennent toujours possibles et durables, lorsque la légitimité des dirigeants est forte, doublée de l’engagement libre et volontaire des populations. Cela suppose que les mutations correspondent bien à leurs besoins vitaux et à leurs préoccupations quotidiennes. C’est pourquoi il est important d’engager des actions de communication importantes en rapport avec les leaders communautaires (cas Sida, excision, démocratie, loi d’orientation agricole, etc.).

Le droit foncier coutumier : un droit inégal, discriminatoire et oral

Tant que le droit foncier devait uniquement régir des rapports simples, essentiellement communautaires dans un contexte rural, son succès était certain. Tel qu’il a existé ou continue d’exister, le droit foncier coutumier est mal compris ou mal appréhendé, par les pouvoirs publics et la partie émergente des populations dites des « sans Terre ». Les phénomènes constatés depuis quelques décennies obligent de plus en plus à une révision des rapports. Il s’agit de démographies galopantes et de sécheresses successives (avancée du désert, pluviométrie limitée dégradation de l’écosystème, tarissement des mares, etc.).

En effet, le droit coutumier exclut les femmes, les étrangers et les gens de caste dans l’appropriation des terres. Or ceux-ci constituent aujourd’hui une frange économique démographique non négligeable. Tous les droits fonciers ruraux, à part quelques exceptions au Nord (Registre des Terres et carnet des Terres) sont oraux. Après la suppression des cantons, les autorités villageoises ont ballotté longtemps entre les exigences politiques et les contraintes administratives. Ce qui a réduit pratiquement leurs pouvoirs traditionnels. L’existence de juridictions étatiques à plusieurs degrés est venue affaiblir davantage leur autorité.

Pis, les pouvoirs liés aux droits fonciers coutumiers, ont disparu ou ont été abandonnés sous la pression des forces extérieures : introduction de l’immatriculation, apparition des règles et pratiques de l’islam, élections des chefferies pendant la première République socialiste, impacts du concept du droit éminent de l’État sur toutes les Terres et nationalisation des Terres etc. À vrai dire, on a assisté à une programmation d’extinction des us et coutumes fonciers. Malgré tout, c’est là où réside le paradoxe. « Ces derniers résistent, s’accrochent et n’entendent pas mourir ».

On assiste de plus en plus à une « activation » de ces droits, face à l’impuissance des justices modernes, et à un analphabétisme qui recule chaque année dans le monde rural. Les us et coutumes, dit-on, ont la vie très dure. Ils renferment en eux des germes d’adaptations, jugées nécessaires et indispensables et un système de rejet automatique de valeurs étrangères lorsque celles-ci s’opposent aux valeurs existantes (rejet de corps). Leur force est d’avoir existé avant la création des États.

Des efforts de recensement de ces coutumes, s’avèrent aujourd’hui nécessaires. Les populations doivent participer à toutes ces actions et faire des suggestions pertinentes. La décentralisation doit aider à la promulgation de règlements locaux adaptés et acceptés de tous. Les États du Niger, du Sénégal, du Tchad ont déjà associé les universités à leurs programmes de connaissance et de maîtrise du foncier.

L’abondance des conflits fonciers oblige à des reformes

Le Mali en 1963 avait tenté des reformes foncières et agraires dans les régions du Nord, plus précisément dans la zone du système du lac Faguibine (Goundam). Elles ont de toute évidence, été préparées précipitamment : il y a eu un véritable choc, provoqué par la rencontre de valeurs culturelles africaines et de valeurs européennes. Aujourd’hui, toutes les régions du Mali connaissent des conflits fonciers. Partout au Mali on assiste à une « Faim de Terres ». Les conflits font l’objet de plusieurs rebondissements devant le juge judiciaire malien. Les jugements ont souvent divisé ou parfois rendu la cohabitation difficile entre les communautés.

Les solutions proposées sont chaque fois remises en cause ou inexécutées sur le terrain. L’exécution des jugements judiciaires rencontre des difficultés. Ces jugements sont ouvertement contestés par les populations (refus d’obéissance des populations). La reconnaissance des institutions coutumières par les autorités politiques et les services techniques de l’État, est demeurée timide sur le terrain.

La volonté politique à ce niveau est restée ambiguë, hésitante parfois. L’État, face à toutes ces questions, envisage en 2007 l’organisation d’États généraux pour permettre aux différents acteurs ruraux et urbains d’échanger et de trouver les solutions à leurs problèmes.

De tout ce qui précède, il paraît utile et indispensable de « dépolitiser » la gestion foncière. Tout conflit foncier politisé est dévastateur pour les populations et l’économie nationale.

Les valeurs démocratiques et le Foncier

Les valeurs telles que l’égalité, la liberté, et la justice sont-elles transposables au foncier ? Le socle traditionnel du foncier donne aux vieilles personnes des pouvoirs immenses mais rarement abusifs (Gérontocratie). Alors même que les nouvelles sociétés démocratiques prônent l’égalité entre les hommes.

Dans les campagnes, les femmes ne peuvent être propriétaires, elles sont même interdites de l’être. Leur statut triple est une des causes de cet état, résultant de la conception animiste de la Terre (être souillé). L’arrangement à ce niveau reste possible, mais doit être conduit avec courtoisie, souplesse et délicatesse pour ne pas heurter les populations. Dans les institutions traditionnelles de gestion, les femmes naturellement, sont exclues, du pouvoir politique. La femme étant considérée comme une mineure ne peut accéder au cercle des grands. Une femme de Bougouni disait ceci : « Pour qu’une femme soit dans le vestibule des hommes, elle doit être bien solide, bien préparée et … ».

Dans les villages à forte migration, la réalité a fini par imposer les femmes dans les comités de gestion de l’eau, des conflits (Yélimané, Ouani à Bourem). Faute d’hommes, les femmes ont été obligées de prendre le pouvoir ou de combler le vide occasionné par le départ en exode des hommes.

Dans la gestion traditionnelle des cités africaines, les femmes étaient aussi absentes ainsi que les jeunes. La démocratie était l’apanage des seuls hommes, choisis par le village. Cependant les décisions n’étaient ni imposées ni forcées. L’avis de tous était requis. L’objectif qu’incarnaient les dirigeants était bien l’intérêt de la communauté.

L’introduction des principes démocratiques a fortement ébranlé surtout les sociétés Tamasheq. Les chefs des tribus et factions sont en train de mettre en place des modèles intelligents et astucieux. Dans la région de Sikasso, la cogestion intégrant les nouveaux arrivants, autour de la gestion des barrages et des forages a permis de mettre en place des règles égalitaires et de partage sous l’impulsion de l’État, des ONG et de la CMDT.

Conclusion

Les droits coutumiers fonciers, malgré les actions de fragilisation qu’ils ont pu subir, demeurent encore vivaces et sont portés par plus de 80 % de la population ­qui s’y reconnaissent parfaitement ­. Leur vivacité est due à leur capacité d’adaptation et au génie de leurs détenteurs. Il ne s’agit pas de chercher, vaille que vaille à les détruire, mais à les adapter, autant que faire se peut, aux nouvelles exigences et réalités. Avant il va falloir les répertorier par communes ou par zones agro-écologiques homogènes.

L’apport des chercheurs, des universitaires, des organisations paysannes est vivement souhaité dans la recherche des solutions nouvelles. Les changements ne produisent des effets que, lorsqu’ils sont acceptés, par les acteurs concernés et organisés autour des intérêts évidents et réels. Les institutions locales ont besoin d’être réhabilitées et renforcées dans leurs pouvoirs nouvellement aménagés.

Les principes démocratiques doivent être introduits progressivement, sans brusqueries ni violences « Il faut savoir entrer dans l’avenir à reculons, ou marcher en regardant le rétroviseur ». Ceci pour éviter des accidents mortels et aux conséquences irréparables. Que Dieu nous en garde !

 

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