Analyse
Stratégies et répertoires d’action des ONG lors des Journées européennes du développement
Travaux réalisés par Maxime Montagner dans le cadre des Journées Européennes du Développement
Par Maxime Montagner
En prévision des Journées européennes du développement organisées par la Commission européenne, certains réseaux associatifs ont élaboré une véritable stratégie de plaidoyer pour faire passer un message alternatif aux discours institutionnels. En s’appuyant sur la sociologie de l’action collective, cette fiche propose de revenir sur l’engagement des organisations de la société civile face à un événement organisé par la Commission européenne.
Table des matières
« Il y a des discussions qui traînaillent dans l’air. On me dit que l’on voudrait plaquer notre modèle de gouvernance sur les pays africains…». Dans son discours introductif aux Journées Européennes du Développement (JED) dont les débats étaient centrés sur la gouvernance, Louis Michel a clairement fait allusion aux revendications émanant des réseaux associatifs.
Le Commissaire européen, personnalité à l’origine des JED qui ont regroupé près de 2000 personnes à Bruxelles en novembre 2006, était la principale « cible politique » du plaidoyer des réseaux d’ONG pendant cette manifestation. Quelques unes de ces organisations, en apprenant la tenue de cet événement éminemment médiatique, ont décidé d’organiser un « événement parallèle » aux JED appelé le Séminaire de la société civile sur la gouvernance juste et démocratique . Organisée en amont des JED, cette rencontre visait à « dénoncer les contradictions des politiques de la Commission européenne et à consolider la position des acteurs de la société civile pendant l’événement officiel de la Commission». Pour les organisations de la société civile (OSC), il s’agissait avant tout de présenter une conception alternative, « venue du terrain » au concept de gouvernance prônée par la Commission européenne.
Depuis une dizaine d’années, les OSC présentes à Bruxelles ont su développer des relations en réseaux (network governance) se situant sur différents niveaux de décision (multi-level governance) dans le but de profiter des diverses « fenêtres d’opportunités politiques » offertes par les institutions européennes. L’organisation de ce séminaire par les OSC est un exemple de l’engagement et de la volonté des réseaux associatifs d’influencer les discussions institutionnelles à l’échelle européenne. En s’attardant sur l’analyse de la mobilisation des OSC face aux JED, nous pourrons aborder des questions plus générales liées à la place des réseaux associatifs au sein de la gouvernance européenne. En effet, quelles stratégies permettent de peser sur les acteurs institutionnels? Quels « répertoires d’action collective » les OSC empruntent-elles? Profitent-elles des « fenêtres d’opportunités politiques » ouvertes par les institutions ?
Avant de répondre à ces questions, il est nécessaire de revenir sur quels concepts issus de la sociologie de l’action collective. Dotés de ces outils d’analyse, nous aborderons ensuite l’espace ouvert par la Commission aux acteurs de la société civile lors des JED avant de nous attarder sur leurs stratégies pour faire passer leurs messages aux décideurs.
Sociologie de l’action collective appliquée à l’espace politique européen
La sociologie de l’action collective est une sous-catégorie de la sociologie politique qui se dédie à l’étude et à l’analyse de l’engagement politique des groupes sociaux. Cette discipline permet de mieux comprendre les relations entre les institutions (détentrices du pouvoir) et des organisations qui, engagées sur différents niveaux, utilisent des outils et des stratégies qui leur permettent de défendre et de faire reconnaître leurs intérêts aux détenteurs du pouvoir.
A l’aide de concepts utilisés par la sociologie de l’action collective appliquée à l’espace politique européen, il s’agit dans les pages suivantes de revenir sur les relations entre les réseaux associatifs et la Commission européenne lors des Journées européennes du développement. Ce détour théorique nous permettra de mettre en lumière les différents enjeux de l’engagement des OSC au niveau européen.
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Les réseaux de la société civile ( Concord et autres…)
Le concept de « réseau » est étudié par les auteurs spécialistes de l’action collective. Il nous est très utile afin d’aborder des organisations comme la confédération Concord ou les réseaux Eurostep ou Aprodev et, dans une moindre mesure l’ONG ActionAid International.
Les réseaux peuvent être qualifiés d’issue networks (ou de réseaux thématiques) si on emprunte la typologie établie par Rhodes et Marsh : « le réseau thématique regroupe des acteurs autour d’un problème ou d’une revendication. Les participants au réseau peuvent être nombreux, leur identité est variable (des membres peuvent se retirer, d’autres entrer dans le réseau) et l’interdépendance entre les membres est limitée au thème en question ».
De son côté, Julien Weisbein envisage le réseau comme « une forme d’organisation et de coordination de l’action collective caractérisée par un faible degré de formalisation et de coordination, l’absence d’une stricte division du travail ou des frontières et hiérarchies au sein du groupe, et la plurifonctionnalité des individus du groupe ou des liens qui existent entre eux. »
Ces deux définitions se rejoignent afin d’accentuer le caractère mouvant des membres qui composent les réseaux. En fait, il semble que la structure organisationnelle (la forme) ne soit pas primordiale pour les membres puisque c’est avant tout le problème posé (le fond) qui motive l’engagement. Pour cette raison, la Confédération Concord ainsi que d’autres réseaux thématiques engagés au niveau européen sont avant tout envisagés dans le secteur académique comme des « groupes d’intérêts ».
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Des réseaux agissant en tant que groupes d’intérêt
Les ONG et réseaux associatifs peuvent être analysés comme des groupes d’intérêts agissant à l’échelle européenne. Une des fonctions de ces groupes est de « faire pression sur les détenteurs des positions de pouvoir bureaucratico-politiques en accédant à la position d’acteur pertinent reconnu, ou à tout le moins existant, dans la définition des politiques publiques en général ou de certaines politiques sectorielles ».
A travers l’organisation du séminaire de la société civile, les représentants d’Action Aid International, de Concord et des autres réseaux avaient un objectif très précis : mettre au point une contribution commune qui regroupe un maximum d’acteurs en vue de la transmettre au niveau décisionnel, en l’occurrence aux fonctionnaires de la Direction Générale Développement et au Commissaire Louis Michel. Les OSC visaient également à toucher un public plus large avec la mise en place d’un plan média à destination des opinions publiques.
Ces réseaux doivent maîtriser un ensemble de compétences afin d’atteindre leurs objectifs et de faire connaître leurs positions et leurs intérêts aux cibles politiques. Pour Sabine Saurugger, qui s’intéresse aux questions liées à la représentation au niveau européen, les réseaux ont la nécessité de « pouvoir parler « Bruxellois », de posséder du capital social mobile et, en particulier, d’être capable de transformer la présentation de demandes en formes d’expertise. Il est nécessaire de comprendre le fonctionnement des structures de comitologie de l’Union européenne et de savoir comment utiliser les médias. »
Ces spécialistes de la politique au niveau européen sont mandatés par leurs membres afin de faire remonter les préoccupations venant du terrain. Ainsi, dans le domaine de la gouvernance dans les politiques européennes de développement, les réseaux ont la responsabilité de porter à la sphère politique européenne la vision locale de ce que devrait être la bonne gouvernance. A titre d’exemple, nous pouvons citer le réseau CIDSE qui a consulté ses membres afin de publier un document visant précisément cet objectif . A travers cette publication, CIDSE espère offrir aux décideurs européens une approche « issue du Sud » de la gouvernance.
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Les répertoires d’action collective : avec quelles ressources faire pression ?
Les réseaux, les groupes d’intérêts, ont différents moyens à leurs dispositions afin d’atteindre leurs objectifs. En sociologie de l’action collective, ces moyens (ou ces ressources) sont appelés les « répertoires d’action collective ». Ces répertoires peuvent se placer sur un registre contestataire ( manifestation, occupation de lieux publics, boycottage, grève de la faim…) ou viser à interpeller l’opinion publique (coups médiatiques de Greenpeace par exemple, conférences de presse, distribution de tracts et circulation de pétition…).
D’autres répertoires d’action collective, avant tout utilisés par les groupes proches du pouvoir, privilégient le recours à l’expertise ou à l’organisation de forums et de colloques regroupant des représentants des institutions détentrices du pouvoir et des groupes d’intérêt. Ce dernier répertoire, de même que le recours aux médias, a été privilégié par les réseaux associatifs qui ont organisé le séminaire de la société civile préalable aux JED.
Pour chacun de ces répertoires, il est important d’être attentif à la manière dont l’action est présentée et labellisée par les groupes ( protestation, lutte, campagne, lobbying, recommandation…). Dans le cas de l’engagement des réseaux face aux Journées européennes du développement, il s’agissait vraisemblablement d’une campagne visant à influencer les débats des JED et à faire émerger une vision alternative du concept de gouvernance au sein de l’arène politique européenne.
Pour Charles Tilly, les répertoires d’action collective les plus efficaces sont ceux «qui savent produire le multiple le plus élévé de trois facteurs : le nombre de participants, la volonté d’agir, la netteté du programme mobilisateur».
Cette stratégie était clairement visée par les organisateurs du séminaire sur la gouvernance juste et démocratique. En effet, ils ont cherché à réunir pendant deux jours le plus grand nombre d’organisations dans le but de parvenir à la rédaction d’une série de « messages clés » à faire parvenir le plus efficacement possible à la cible politique.
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La cible politique et la fenêtre d’opportunité politique
L’expression « cible politique » signifie l’acteur visé par les groupes d’intérêts. Au niveau européen, cette cible est généralement la Commission européenne qui est qualifiée par Sonia Mazey et Jérémy Richardson d’«acteur principal du processus d’institutionnalisation dans l’Union Européenne de l’intermédiation des groupes et la voie d’accès privilégiée pour la participation de ces groupes ».
Pour revenir à notre étude, cette cible est constituée plus précisément par les fonctionnaires de la DG Développement de la Commission, et avant tout les Chefs d’Unité et les Directeurs Généraux, ainsi que par les responsables politiques comme le Commissaire européen au développement. Les JED regroupant d’autres acteurs institutionnels, la cible pouvait également être les représentants des agences nationales de coopération par exemple.
Une autre expression employée par les spécialistes de l’action collective, utile à notre analyse, est celle de « fenêtre d’opportunité politique ». A travers l’image de la fenêtre, les auteurs ont voulu décrire le moment et l’espace pendant et sur lequel les groupes d’intérêts peuvent, plus facilement que d’ordinaire, exercer leurs pressions politiques. Par exemple, lorsque le Commissaire européen à la Pêche invite les représentants des organisations professionnelles de pêcheurs à Bruxelles, la réunion organisée par l’institution constitue une fenêtre d’opportunité politique pour les intérêts des professionnels de la mer.
Dans le domaine de la coopération au développement, force est de constater que la Commission européenne n’offre pas beaucoup d’opportunité de participation aux acteurs extérieurs. Tout l’enjeu est donc de savoir si l’organisation des Journées européennes du développement constitue, pour les réseaux associatifs, une fenêtre d’opportunité par laquelle il est pertinent de tenter de faire passer leurs revendications.
La Commission et les débats sur la gouvernance : quel espace pour les OSC ?
Dotés d’instruments théoriques, il s’agit désormais de se recentrer sur les débats liés aux différentes conceptions de la gouvernance et sur les Journées européennes du développement. Dans un premier temps, nous nous plaçons du côté de la Commission européenne pour déterminer si cette institution a su créer des espaces pertinents pour consulter et recueillir les propositions des acteurs extérieurs au sujet de la gouvernance.
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Le processus de consultation en amont des JED
Quelques mois avant la tenue des Journées européennes du développement, la Commission a publié une communication intitulée la « Gouvernance dans le consensus européen sur le développement ». En amont de la rédaction de ce document de stratégie, les acteurs extérieurs à la Commission (ONG, think-tanks, agences onusiennes…) ont été invités à apporter leurs contributions à travers des « Questions à débattre ». Initiée le 6 juin 2006, cette phase de consultation sur Internet devait permettre de préciser l’approche européenne de la gouvernance. A travers cette initiative, l’institution aurait ouvert une fenêtre d’opportunité politique pour les réseaux.
Cependant, du point de vue des acteurs de la société civile, le délai de cette consultation (trois semaines) était trop limité pour permettre une réelle consultation des OSC du Nord et de leurs partenaires du Sud. Le dialogue entre la Commission et les OSC a été considéré comme « floué » puisque l’institution a établi une phase de consultation alors qu’elle avait défini, au préalable, les outils de la programmation établissant, de fait, l’approche institutionnelle de la gouvernance (Profil de gouvernance, tranche indicative…). Pour les réseaux, cette procédure de consultation n’a donc pas constitué une véritable fenêtre d’opportunité pour peser sur les choix stratégiques de l’institution. D’ailleurs, seules seize organisations ont fourni des contributions au cours de cette phase de consultation externe. En amont des Journées européennes du développement, les réseaux associatifs n’ont donc pas réellement pu faire connaître leurs positions sur l’approche européenne de la gouvernance.
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Pendant les JED : l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité ?
On le voit, la nébuleuse de la société civile a souvent du mal à « entrer » dans les fenêtres d’opportunité créées par les institutions européennes. Cependant, nous assistons à une reconnaissance progressive, à une rencontre parfois facilitée entre ces deux mondes.
Les Journées européennes du développement avaient pour objectifs, selon la Commission, de réunir l’ensemble des acteurs engagés autour des politiques de développement. Cet événement devait permettre et faciliter les rencontres et les débats sur des enjeux politiques majeurs. Les réseaux associatifs ont souvent dénoncé un « show médiatique » ou une « grande messe » organisée par la Commission européenne afin de « vendre » sa nouvelle approche de la gouvernance. En revenant sur plusieurs facettes des JED, il s’agit de déterminer si, oui ou non, cet événement pouvait constituer une fenêtre d’opportunité pour les OSC.
Organisées par la Commission européenne, les Journées européennes du développement ont réservé un espace non négligeable aux acteurs extérieurs. Ainsi, dans l’enceinte même de l’événement, le « Village du développement » a regroupé près de 60 stands d’agences nationales et onusiennes de coopération ainsi que d’organisations de la société civile. Selon la Commission, le village du développement « reflète l’esprit d’ouverture des JED » et permet aux professionnels « d’engager de multiples contacts et d’échanger de l’information en vue de poser la base de coordinations futures ». Quoi que l’on en dise, cette initiative institutionnelle a offert une certaine visibilité aux acteurs. La plupart des réseaux associatifs présents lors du séminaire de la société civile avaient leurs stands et ont pu profiter des JED pour se faire connaître et collaborer (en réseaux) avec d’autres organisations.
De plus, plusieurs tables rondes officielles ont été organisées sur différents thèmes liés aux politiques de développement. Ces tables rondes étaient publiques et réunissaient des représentants de la Commission, des autres institutions du développement et de la société civile. Une de ces tables rondes s’intitulait la « Voix de la société civile ». A travers ces manifestations officielles, des représentants de la société civile invités par la Commission ont pu faire valoir leurs positions. D’autres représentants, faisant partie du public, ont également eu accès aux débats et ont pu poser leurs questions directement aux participants des tables rondes.
En marge des « débats officiels » puisque organisés par la Commission, les acteurs extérieurs ont pu proposer leurs propres événements pendant les JED. Ainsi, Concord a organisé un débat intitulé « Quelle gouvernance ? » qui a regroupé des représentants venus de différents horizons. A travers les différentes rencontres officielles et informelles, les représentants de la société civile ont eu de nombreuses occasions d’atteindre leurs cibles politiques.
Un autre exemple de la volonté d’ouverture de la Commission pendant les JED a été la séance introductive organisée en session plénière. Pendant cette conférence, de nombreuses personnalités ont participé comme Paul Wolfowitz, le président de la Banque Mondiale ou Ellen Johnson Sirleaf, la présidente du Libéria. La société civile était représentée à travers la voix d’Aminata Traoré, une des leaders incontournables de la société civile mondiale. Pendant son discours, Mme Traoré a critiqué très durement les politiques des pays européens en rappelant les conséquences néfastes de décisions prises en Europe sur la majorité des Etats africains. La présence et la participation d’Aminata Traoré en session plénière aux côtés de Louis Michel et de Paul Wolfowitz peut paraître anecdotique pour certains mais constitue, à notre sens, le symbole de la volonté d’ouverture de la Commission européenne. A ce titre, les JED ont constitué un événement sans précédent qui a pu, à certaines occasions, permettre aux OSC de se positionner dans l’arène.
Les réseaux européens : comment atteindre la cible politique?
Face à une fenêtre d’opportunité, les acteurs doivent s’engager dans des répertoires d’action adéquats afin d’atteindre leurs cibles politiques. Pour ce faire, ils doivent élaborer une stratégie de plaidoyer. Le séminaire de la société civile qui s’est tenu deux jours avant les JED visait précisément cet objectif
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Le séminaire de la société civile : mettre en place une stratégie
L’ONG Action Aid International et la plateforme Concord étaient les deux protagonistes principaux de l’organisation du séminaire sur la gouvernance juste et démocratique. Il s’agissait pour ces organisations de jouer sur le répertoire « nombre » afin de montrer à la cible politique toute la détermination des réseaux associatifs. Ainsi, pendant deux jours, entre 60 et 80 représentants d’ONG et de réseaux se sont regroupés et ont participé à des ateliers avec un objectif très précis : construire un message à destination des organisateurs et des participants des JED. Afin de donner davantage de légitimité à leurs actions, les réseaux européens ont invité de nombreux représentants d’organisations du Sud.
En suivant une méthodologie déjà éprouvée par ce genre de réseau (à travers l’organisation d’ateliers centrés sur différentes facettes du problème), les participants au séminaire sont parvenus, à l’aide d’un certain effort de synthèse, à la mise au point de leur contribution. Composé d’une trentaine de messages clés divisés en deux parties, cette contribution visait à critiquer et à proposer : « Notre analyse : l’Europe n’est pas suffisamment légitime afin d’imposer sa vision de la gouvernance aux pays en développement » et « Notre proposition: l’Europe doit changer radicalement son approche de la gouvernance envers les pays en développement ».
En oeuvrant de la sorte, les OSC sont parvenues à concevoir un message clair et concis qui répond à l’exigence de netteté du répertoire d’action. De plus, grâce à leurs contacts avec les médias, les participants sont parvenus à toucher une cible plus large. Le séminaire a par exemple été relayé par la radio nationale belge où un participant burundais au séminaire a pu exprimer la « voix de la société civile » au sujet de la gouvernance. Deux sortes de cibles étaient clairement visées : les décideurs politiques et le grand public.
Le séminaire de la société civile a également été l’occasion, pour les représentants des OSC, de mettre au point une stratégie à court terme (pendant les JED) et une stratégie à moyen et long terme.
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Pendant l’événement officiel
Pendant les Journées européennes du développement, les OSC ont utilisé tous les canaux disponibles afin de faire connaître leurs positions. Le canal officiel a été privilégié grâce à la participation de deux représentants de la société civile aux tables rondes organisées par la Commission. Ces deux « ambassadeurs » de la cause de la société civile ont été chargés de relayer le plus fidèlement possible les messages clés mis au point lors du séminaire de la société civile. Ainsi, une représentante kenyane du bureau de l’ONG Action Aid International a participé à la table ronde intitulée « Nouveaux paradigmes des bailleurs ». Cette personne a utilisé l’espace qui lui était officiellement alloué pour aborder l’incohérence des politiques extérieures européennes et dénoncer le fait que les questions liées à la migration soient un critère de bonne gouvernance pour la Commission européenne. Ces deux revendications étaient au centre des préoccupations des OSC.
Les réseaux ont également utilisé la possibilité d’organiser des événements parallèles pour faire connaître leurs propres approches de la gouvernance. La Confédération Concord et le réseau CIDSE ont pu profiter d’un espace pour organiser des rencontres. Parfois, la Commission européenne a dépêché des représentants afin de porter la voix institutionnelle à des débats organisés par la société civile. Les échanges ont été fructueux même si, la plupart du temps, chaque acteur est resté sur sa position.
Les OSC ont également utilisé la stratégie dite « du couloir » afin de faire passer leurs revendications. Profitant de la présence sur un même lieu de représentants de plusieurs dizaines d’institutions et d’organisations, les organisateurs du séminaire de la société civile se sont engagés dans de nombreuses discussions informelles pour porter la vision « venant du peuple » de la gouvernance.
Si la majorité de ces organisations ont critiqué, a priori, l’organisation des JED, il semble que cet événement ait tout de même facilité une certaine communication entre des acteurs qui ne partagent pas la même vision de la gouvernance. La représentante d’Action Aid International ayant participé à une table ronde officielle a ainsi déclaré : « Il me semble que j’ai réussi à faire passer quelque uns de nos messages clés ». De son côté, une représentante du réseau Aprodev a considéré : « Même si ça reste une grande messe, il est assez agréable d’y participer et ça nous a poussé à nous bouger un peu pour organiser un séminaire, c’est un bon début.». Le représentant de Concord a quant à lui été plus critique sur l’organisation des JED : « Il est très grave pour la démocratie que le Parlement européen n’ait pas participé à ces journées. C’est scandaleux en terme de processus. Il y a eu beaucoup d’espace pour les ONG mais nous sommes un alibi. Les vrais leaders n’ont jamais l’occasion de s’expliquer, où est le peuple? ».
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Stratégies à moyen et long terme
Si les représentants des OSC sont restés mitigés face à l’opportunité offerte par les JED, ils ont tous affiché leur volonté de continuer leur mobilisation au-delà de l’événement. Pour la majorité des participants, les JED restent une introduction, un point de départ dans leur stratégie de plaidoyer au sujet des questions liées à la gouvernance
Les réseaux ont proposé plusieurs initiatives pour continuer dans l’élaboration d’une définition alternative de la gouvernance. En terme d’actions concrètes, ils se sont engagés à Ĺ“uvrer dans le domaine de la recherche-action dans le but de proposer des indicateurs de gouvernance issus directement du terrain. Ce travail devra être effectué avec les OSC des Etats du Sud. Ces indicateurs seraient le contre-pied des Profils de gouvernance introduits par la Commission. Dans un registre similaire, il a été proposé de rassembler les bonnes pratiques en terme de gouvernance afin de capitaliser les expériences. Enfin, les participants au séminaire de la société civile ont affiché leur volonté d’augmenter leurs capacités de lobbying auprès de l’Union Européenne et d’autres cibles sur les questions de gouvernance.
Les réseaux, agissant en tant que groupes d’intérêts, envisagent d’utiliser avant tout le répertoire de l’expertise afin de proposer des modes alternatifs d’évaluation de la (bonne) gouvernance. Ils espèrent ainsi gagner en légitimité auprès de la Commission européenne.
Conclusion
Les Journées européennes du développement n’étaient pas une rencontre internationale classique visant à la prise de décision politique. Lors de cet événement, tout a été débattu mais rien n’a été décidé. En ce sens, les JED n’ont pas constitué une véritable fenêtre d’opportunité politique au sens strict pour les OSC. Ces acteurs savaient qu’ils ne révolutionneraient pas l’approche institutionnelle de la gouvernance en participant à cette manifestation.
Cependant, les JED ont constitué indéniablement une innovation dans le sens où la Commission européenne a affiché sa volonté de réunir l’ensemble des acteurs concernés par les politiques de développement et d’engager des débats autour des différentes facettes de la gouvernance. Dans l’ensemble, les OSC, qui étaient plutôt sceptiques sur cet événement, ont su utiliser leurs ressources internes et s’engager sur différents répertoires afin de profiter de l’espace qui leur était offert. Si elles veulent améliorer encore leurs positions dans l’arène, les OSC doivent désormais prouver leurs capacités à devenir des acteurs réellement pertinents et donc une ressource utile pour les institutions en général et la Commission européenne en particulier.
Notes
1 Les principaux initiateurs de ce séminaire étaient les organisations ActionAid International, Concord, CNCD, Aprodev, Eurostep, Eurodad…
2 In LE GALES P et THATCHER M. (dir.), Les réseaux de politiques publiques. Débat autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, 1995.
3 WEISBEIN Julien “Travailler en réseaux”, in OFFERLE Michel, La société civile en question, Problèmes politiques et sociaux n°888, La Documentation Française, Paris, mai 2003
4 OFFERLE Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien, 1998
5 SAURUGGER Sabine, La professionnalisation de la représentation des intérêts. Quelle légitimité pour la société civile au niveau communautaire ?, Manuscrit, 2004
6 CIDSE, Gouvernance et coopération pour le développement. Perspectives de la société civile sur l’approche de l’Union Européenne, 2006
7 TILLY Charles, Les origines du répertoire d’action collective en France et en Grande Bretagne, Paris, Fayard, 1986
8 MAZEY Sonia et RICHARDSON Jérémy, « Pluralisme ouvert ou restreint ? Les groupes d’intérêts dans l’Union Européenne », in L’action collective en Europe, Paris, Presse de Sciences po, janvier 2002, pp 123-161
9 Concord, Whose governance, document du groupe de travail Cotonou, juillet 2006
10 Voir la fiche « Les organisations de la société civile et les débats sur la gouvernance »
- De l’usage du concept de gouvernance dans les politiques de développement - Note de synhtèse du dossier
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- Les Organisations de la Société Civile et les débats sur la gouvernance : Réappropriation et revendications: comment renforcer sa position dans l’arène politique ?
- Le concept de gouvernance dans les discours de la Commission européenne: Quel apport européen aux débats internationaux sur la gouvernance dans les politiques de développement?