ficha de lectura
Au-delà des stéréotypes, les favelas aujourd’hui à Rio.
De Favela Bairro aux épineuses questions de régularisation foncière : la progressive intégration des quartiers d’habitat populaire dans la ville.
Autor : IBAM en partenariat avec UN Habitat dans le cadre du programme Cities Alliance
Por Audrey Séon
5 de octubre de 2008Contenido
Résumé
Les favelas sont devenues une « icône » de Rio, et même une image touristique de la ville. Archétypes des fractures sociales et urbaines de la ville, ces quartiers ont déjà derrière eux un siècle d’histoire. Mais ce n’est que suite au retour à la démocratie qu’une progressive prise de conscience de la nécessité de reconnaître ces quartiers comme parties intégrantes de la ville se fait jour. Le programme Favela Bairro va contribuer à cette intégration des favelas à la ville formelle. A partir de 94, le programme se met en place puis s’étend progressivement comme le montre cette analyse d’un document de l’IBAM (Institut Brésilien d’Administration Municipale). Il s’agit pour nous de percevoir l’évolution, c’est-à-dire le processus à l’œuvre, et également de poser un regard moins caricatural sur les favelas en mettant en avant leur diversité et également les dilemmes qui se posent aujourd’hui en matière de régularisation foncière, celle-ci n’ayant pas du tout été privilégiée durant la mise en œuvre du programme Favela Bairro.
Pourquoi s’intéresser à l’institutionnalisation du programme Favela Bairro et aux nouvelles questions qui se posent aujourd’hui en matière d’habitat populaire? La réponse nous est donnée par ces extraits d’entretiens :
Le programme Favela Bairro a été innovant en 94 et constituait une réponse originale pour traiter un aspect institutionnel et pas seulement matériel. C’était un moyen pour la municipalité d’entrer dans la favela et de reconnaître les citoyens qui habitaient là. Alberto Paranhos
Aujourd’hui la priorité doit être donnée à la question sociale, sans aucun doute possible, elle ne peut plus attendre. Mais ce thème est lié à l’environnement. La délimitation des favelas est une priorité pour conserver le massif de la Tijuca. Des favelas comme Alto da Boa Vista, la Rocinha ou Borel sont en train de manger peu à peu la forêt et de détruire le patrimoine écologique de Rio. Renato Boschi
Le programme a été intégré à l’administration et ne dépend plus du politique. C’est très improbable qu’un maire décide de supprimer le programme Favela Bairro, symbole de l’inclusion de la favela dans la ville. (…) avant, les favelas ne figuraient pas sur les cartes. La question de la régularisation foncière est aujourd’hui un autre problème. L’IPP procède en concédant des titres de propriété, mais en vérité, cette régularisation n’est pas une préoccupation des habitants parce qu’ils savent déjà qu’ils ne peuvent pas être expulsés. Ce processus est très coûteux et le contrôle difficile. Jeronimo Leitão
Depuis sa naissance en 1994, le programme Favela Bairro est devenu tout un symbole, celui de la reconnaissance de l’existence même des favelas. Aujourd’hui, les favelas sont aujourd’hui transformées en argument touristique pour une ville comme Rio. Sans chercher à idéaliser, à uniformiser ou à créer des confusions autour de ces quartiers populaires dispersés dans la ville, si proches et à la fois si loin des zones d’habitation plus aisées, on ne peut se passer de les analyser. Pour comprendre ce qu’il en est aujourd’hui, il faut faire un détour par l’histoire socio-économique du Brésil, mais aussi politique. Les favelas sont apparues suite à la guerre des Canudos, et aux migrations économiques venues depuis le Nord Est du Brésil vers la capitale du pays. Ces migrations se sont poursuivies après l’abolition de l’esclavage à la fin du XIXème siècle. Réservoir de main-d’œuvre pendant de longues années, oubliées des pouvoirs publics, les favelas deviennent des lieux de résistance pendant la dictature militaire face à une politique de « remocões » (déplacement, destruction et relogement des habitants dans des habitats sociaux) violente et indigne. Ce n’est qu’avec la démocratisation du pays et du jeu local que, progressivement, les favelas vont acquérir un autre statut et commencer à avoir une place dans la ville. Et cela, même si ces quartiers suscitent toujours autant de méfiance parmi les classes moyennes et les élites cariocas et qu’ils sont malheureusement en proie à la violence de la guerre entre la police et le trafic de drogue.
Pour comprendre ces évolutions et ce qu’il en est des favelas aujourd’hui, nous allons nous intéresser à une partie de l’étude réalisée à un niveau national sur l’urbanisation des favelas et la régularisation foncière dans les grandes villes brésiliennes. Ces premiers éléments seront complétés par un panorama plus récent et nous soulèverons les questions et les enjeux de gouvernance urbaine qui se posent aujourd’hui autour des quartiers d’habitat populaire.
Note de lecture : Etude d’évaluation de l’expérience brésilienne sur l’urbanisation de Favelas et la régularisation foncière. Favela bairro – Rio de Janeiro. IBAM, Assessoria Internacional – Octobre 2002 – Rio de Janeiro, RJ – 139 à 156
Langue : Portugais
Auteurs : IBAM en partenariat avec UN Habitat dans le cadre du programme Cities Alliance
Cette étude est l’occasion de mettre en avant un acteur de la gouvernance à Rio et dans l’ensemble du Brésil : l’Institut Brésilien d’Administration Municipale. Il me semble important de prendre quelques lignes pour expliquer le poids de l’IBAM dans la réflexion sur la gouvernance urbaine. L’IBAM est une organisation à but non lucratif créée en 1952, dans le sillage de la Constitution de 1946 qui couronne le mouvement municipaliste au Brésil. Dès lors, elle devient le bras technique de ce mouvement en jouant un rôle de conseil auprès de l’ensemble des municipalités pour renforcer leur capacité d’action, tout en promouvant leur autonomie et leur rôle comme éléments de base de la fédération. En 1968, l’IBAM crée un centre de recherche sur les politiques publiques et les questions municipales. Aujourd’hui, il s’agit aussi d’une école reconnue en matière de gestion et administration locale qui reçoit des fonctionnaires mais également des personnes engagées dans différents mouvements sociaux. Fort de nombreux partenariats, l’IBAM est devenu incontournable sur l’ensemble des questions locales, depuis la sécurité jusqu’à la coopération décentralisée en passant par l’éducation et l’environnement. Au-dessus de la mêlée quant aux jeux politiques, l’IBAM est un interlocuteur de choix pour l’ensemble des acteurs de la ville, notamment à Rio où il est implanté depuis longtemps.
Marlene Fernandes est la personne qui, au sein de l’IBAM, s’est chargée de la coordination de l’évaluation sur le programme Favela Bairro à Rio. C’est plus particulièrement sur cette partie que nous nous concentrerons.
Figure 1 : Vue des favelas qui occupent les collines, derrière Copacabana et Ipanema
Citations
«(…) C’est la grande différence avec le programme Favela Bairro : en un espace de temps relativement court – six ans – le programme a réussi à générer des résultats quantitatifs et qualitatifs importants et à agir dans un nombre significatif de favelas, en plus de mobiliser les indispensables ressources financières. De cette manière, Favela Bairro a obtenu notoriété et reconnaissance publique et politique, facteurs qui ont contribué à assurer sa continuité et pérennité. » p 141
Références documentaires : Sites Internet Municipalité et IBAM, article de la revue Municipios n°246, IBAM, sur les favelas aujourd’hui, articles de presse de O Globo concernant l’étude sur les conditions matérielles dans les favelas.
Résumé du Texte
Dans une ville qui compte aujourd’hui près de 6 millions d’habitants (au cœur d’une agglomération de 11 millions), 1 100 0001 personnes, soit environ 19%, vivent dans une des 600 favelas (quartiers d’habitat informel, avec une histoire et une géographie propre à Rio et aux villes brésiliennes) que compte Rio, certaines regroupant plus de 100 000 habitants. De plus, environ 318 000 personnes habitent un des 900 lotissements (loteamento) irréguliers.
Le programme Favela-Bairro est la première initiative qui va être capable de donner un vrai début de réponse au problème de l’habitat à Rio. En six ans, le programme a réussi à obtenir des résultats quantitatifs et qualitatifs ainsi qu’une certaine notoriété et reconnaissance qui ont permis, entre autres facteurs, d’assurer sa pérennité.
Les circonstances de la mise en place de Favela Bairro :
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une augmentation de la violence urbaine et de l’exclusion sociale
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au niveau technique, un diagnostic de 1992 pointe le manque de coordination et d’intégration dans les interventions de la municipalité en termes d’urbanisation et de régularisation et l’absence d’un budget qui permette d’éviter la dispersion des ressources financières.
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les discussions et le travail du Groupe Exécutif sur les Etablissements Populaires lors de l’élaboration du Plan Directeur de 1992 font naître un consensus sur plusieurs principes repris à la base du programme : l’urbanisation comme principale politique publique vis-à-vis des favelas et l’habitat considéré et traité comme une question proprement urbaine, ce qui signifie un cadre de réflexion et de travail transversal.
Favela Bairro naît en 1994 comme une intervention de politique urbaine qui a pour but l’intégration urbanistique des favelas à la ville formelle et leur transformation en quartiers populaires.
Conception du programme :
Le projet s’est d’abord focalisé sur les aspects physiques et à proprement parlé urbanistiques, notamment en termes d’aménagement et de qualification des espaces publics, d’amélioration des infrastructures et de création d’équipements communautaires. Les concepteurs du programme sont partis de l’idée qu’une fois ces améliorations physiques réalisées, les habitants seraient plus à même de prendre en charge l’amélioration de leur propre maison. Ce travail a permis la définition légale de nombreuses rues et la reconnaissance d’espaces publics. Les habitants ont alors pu obtenir et présenter une adresse formelle permanente.
De plus, les équipements tels que les crèches, les écoles, les aires de sport et de loisirs participent eux aussi d’une logique d’intégration de ces espaces à la ville et de reconnaissance des habitants de ces quartiers comme citoyens. Avec la mise en place progressive du programme, les préoccupations sociales ont été progressivement prises en compte et intégrées : actions préventives par rapport à des publics « à risque » vis-à-vis de la violence et de la criminalité, programmes d’éducation et de formation professionnelle, légalisation d’établissements commerciaux.
La conception de la première phase du projet a cherché à agir de manière pragmatique en sélectionnant 90 favelas, où il était possible d’agir assez facilement tout en obtenant de vrais résultats, en fonction de la taille, des indicateurs socio-économiques, de l’existence de formes d’organisation communautaire, des possibilités d’urbanisation, des conditions physiques et risques potentiels, et enfin d’une dimension stratégique par rapport aux programmes précédents.
Les éléments de diagnostic ont été fournis par des études antérieures réalisées par différents organismes de la municipalité comme l’Institut d’Urbanisme Pereira Passos ou le Secrétariat Municipal de Développement Social et complétés durant la phase d’exécution du programme pour permettre l’obtention de diagnostics détaillés et une base cartographique de chaque zone d’intervention.
Le Secrétariat Municipal de l’Habitat (SMH) a été le grand artisan de ce programme et a mis en place une stratégie alors novatrice : la tertiarisation. Les cadres municipaux ont délégué l’exécution à des équipes multidisciplinaires de professionnels et se sont concentrés sur la supervision et la coordination. En partenariat avec l’Institut des Architectes du Brésil de Rio de Janeiro, le SMH lance un concours public qui aboutit rapidement à la sélection de 16 projets qui vont lancer le programme. Ce système a permis d’enrichir le programme par des apports divers et adaptés à chaque contexte, de profiter d’une expérience technique de qualité et surtout de bénéficier du soutien d’une association prestigieuse et reconnue par les élites de Rio. Un effort a également été réalisé au niveau organisationnel avec la contractualisation d’un consultant chargé d’agir comme gérant de la première phase du projet. Cette mission sera récupérée par le SMH pour la deuxième.
En 1996, le SMH étend le programme en créant Bairrinho (« Petit quartier ») pour inclure les zones comptant entre 100 et 500 domiciles puis en 1997, un projet « Grandes Favelas » permet de travailler dans les zones de taille démographique importante, en adaptant dans les deux cas la méthodologie développée au contexte.
Dans la mesure du possible, le programme n’a que peu recouru aux expulsions et relogement, un plafond de 8% des domiciles dans chaque favela ayant été négocié avec la Banque Interaméricaine de Développement (BID) qui a contribué au financement du projet. En février 2002, 4200 familles avaient été concernées par cette procédure et avaient reçu une compensation équivalant à 10 000 reais.
Figure 3 : Zones d’intervention du programme Favela Bairro
Régularisation urbanistique et cadres réglementaire d’urbanisation
Au vu de la priorité donnée aux interventions physiques et urbanistiques, la Municipalité s’est très vite intéressée aux principes et axes généraux d’aménagement urbain afin d’orienter la conception de projets dans chaque zone. La Municipalité a d’emblée reconnu la difficulté de faire appliquer les normes urbanistiques (Indice d’occupation des sols, usage…) de la ville formelle aux favelas urbanisées et a donc privilégié une adaptation de ces règles au cas par cas dans les Zones d’Intérêt Social Spécifique (Areas de Especial Interesse Social - AEIS). La reconnaissance des espaces publics dans chaque quartier par les autorités compétentes en fonction du Projet Approuvé de Lotissement (PAL) couronne le processus de régularisation urbanistique.
Régularisation Foncière
Le programme Favela Bairro n’inclue pas les questions de régularisation foncière et la tâche a été assignée au Programme de Régularisation Foncière, lui aussi partie de la Politique d’Habitat de la Ville. Bien que les contrats avec les cabinets d’architectes qui ont proposé les projets comprennent une partie de cadastrage, de projet d’alignement des édifices et de tenue d’un registre des biens immobiliers, ce travail de régularisation est aujourd’hui une des questions prédominantes de l’agenda Habitat.
Infrastructures
En ce qui concerne les réseaux et les services d’infrastructures, ils ont été conçus en fonction des paramètres et normes techniques des grandes entreprises concessionnaires et la Municipalité a parfois des difficultés à évaluer les connexions effectives, notamment pour l’accès à l’eau et l’assainissement dont la CEDAE (Compagnie Etatique d’Eau et Assainissement) est en charge. La collecte de déchets par la COMLURB (Compagnie Municipale de Propreté Urbaine) se fait elle avec l’aide de la communauté.
Mobilisation de fonds
En termes de financement, la municipalité a commencé à financer le projet sur fonds propres en parallèle aux négociations avec la BID qui se sont poursuivies jusqu’en novembre 1995 pour l’obtention d’un premier prêt de 246 millions de reais pour l’exécution du Programme d’Urbanisation des Etablissements Populaires de Rio de Janeiro (PROAP-RIO I) qui comprend Favela Bairro et le programme de Régularisation des Lotissements. La BID va octroyer un second prêt en 2000 d’un montant de 324 millions de reais pour assurer la continuité du programme et l’inclusion de nouvelles zones d’intervention. La contrepartie totale de la municipalité a été de 140 millions de reais pour la première phase et 216 pour la deuxième. La bonne capacité de négociation de la municipalité a permis de décrocher les emprunts dans des délais relativement raisonnables, d’autant plus que les successifs mandats de Maia et Conde expliquent l’existence d’une relative continuité, ce qui a permis d’échapper aux incompatibilités des temps politiques avec ceux des projets.
Pour ce qui est de l’amélioration matérielle des habitations par les habitants, le programme CREDIMAC permet aux foyers de contracter un crédit auprès de la Caisse Economique Fédérale (Caixa Economica Federal), notamment suite à l’orientation faite par les équipes des POUSO (Poste d’Orientation Urbanistique et Sociale) dans les quartiers.
Créé en 94, le Fonds Municipal d’Habitation s’est mis en place à partir de juillet 97, il regroupe les différentes lignes budgétaires qui ont permis de financer les programmes et projets de la politique municipale en termes d’habitat. Cependant, il est difficile de savoir si la gestion de ce Fonds a vraiment porté ces fruits et été efficace. Afin de se faire un ordre d’idée, le rapport pointe le fait que le budget annuel Habitat/Urbanisme s’élevait en 2000 à 469 456 000 de reais, soit environ 10% du total des dépenses municipales prévues au budget.
Si le programme Favela Bairro a été entièrement subventionné jusqu’alors, la municipalité espère retrouver cet investissement à travers les impôts locaux et notamment les recettes de l’IPTU (Imposto Predial e Territorial Urbano - Impôt sur les constructions et foncier urbain). Lié à la reconnaissance légale des habitations, l’IPTU ainsi que les redevances pour les services basiques sont cependant très difficiles à percevoir et les défauts de payement sont nombreux alors même que les contrôles sont rendus difficiles. Nous reviendrons sur ce thème en approfondissant les questions de régularisation foncière.
Mise en place
En s’appuyant sur l’expérience du Secrétariat Municipal du Développement Social en termes de travail communautaire, le SMH a mis en place une Coordination de Participation Communautaire qui doit faciliter la participation de la population dans le processus d’urbanisation et la mise en place de projets sociaux. Il s’agit d’impliquer et de former les leaders locaux, notamment les Associations d’Habitants. Les présidents des Associations d’Habitants jouent un vrai rôle d’intermédiaire entre les équipes de la SMH et les trafiquants de drogue, ce trafic et la violence qu’il engendre constituant une difficulté de taille pour l’exécution du projet. Cependant, ce travail avec les habitants et les associations locales n’a pas été à la hauteur des expériences menées dans d’autres villes brésiliennes où des processus consultatifs beaucoup plus poussés ont été mis en place.
La phase d’exécution du projet se divise en quatre étapes : diagnostic, plan d’intervention, pré-projet, et projet exécutif. La priorité est donnée aux tâches ayant un grand impact physique dans la favela. Au moment où cette étude a été réalisée, les travaux et adduction de services basiques étaient terminés dans 85 favelas, ce qui signifie la construction de 71 équipements communautaires, 89 équipements sportifs et 330 zones de loisirs.
La supervision des projets est réalisée par le SMH avec l’appui de l’IPP. Cependant, d’autres secrétariats sont chargés de l’exécution d’une partie des travaux, en lien avec leur secteur d’intervention et malgré la volonté d’une action transversale du SMH, des difficultés de coordination sont apparues.
Situation Post-Urbanisation
Chaque institution ou organe de la municipalité doit se charger d’assurer la continuité de la prestation de services urbains et sociaux en fonction de ses responsabilités. De plus, un système de suivi et évaluation avait été voté six mois après le lancement du programme mais n’a toujours pas été mis en place. Si plusieurs études ont été lancées afin de mesurer tel ou tel résultat du programme, l’articulation de ces travaux reste plus que nécessaire afin de ne pas menacer la pérennité du projet.
Par ailleurs, des actions visant à créer ou renforcer des activités génératrices de travail et de revenus au sein ou à proximité de ces zones doivent permettre aux habitants de rester dans leur quartier après la requalification urbaine et de faire face à la valorisation immobilière occasionnée par les améliorations urbanistiques. En effet, la pression immobilière est une caractéristique majeure de la ville de Rio, qui n’épargne pas les favelas, au contraire.
Conclusion
Le programme Favela Bairro reste l’une des expériences les plus marquantes en termes de politique urbaine et d’habitat, notamment par l’échelle d’intervention retenue et par la force de son objectif principal : l’inclusion des favelas à la ville formelle par leur transformation en quartier populaire.
Figure 4 : Vue de la Favela Maré depuis l’avenue Brasil
Ouverture
Aujourd’hui renforcé par les investissements du PAC2 (Programa de Acelaração do Crescimento -Programme d’Accélération de la Croissance) lancé par le gouvernement Lula, le programme Favela Bairro a obtenu une certaine reconnaissance. (Prix de l’Exposition Universelle d’Hanovre en 2000 entre autres).
Si Favela Bairro reste aujourd’hui le programme phare du SMH, il est important de rappeler qu’il a été étendu et adapté aux interventions dans de grandes favelas (Programme Grandes Favelas) et dans les petites à travers le Programme Bairrinho. Mais comme le rappelle une étude comparative, réalisée conjointement par l’IBAM et l’IBASE (Institut Brésilien d’Analyse Sociales et Economiques) afin de mettre en perspective la communication entre les populations les plus pauvres de la ville et les agents publics, « tous les habitants des favelas ne sont pas pauvres, et dans le reste de la ville, s’est aussi formé un nouveau contingent d’exclus ». On pense effectivement à l’ensemble des habitants des rues qui investissent les arcades des grands édifices du centre ou des immeubles délabrés qu’ils squattent. Dans ce sens, le lancement d’un programme « Morando no centro » visant à réhabiliter des bâtiments désoccupés et désaffectés pour les transformer en logements et locaux commerciales commence à donner quelques résultats.
Par ailleurs, c’est aujourd’hui la question de la régularisation foncière qui se pose avec acuité aux autorités municipales. Comme nous l’avons déjà évoqué, la régularisation foncière était sensée faire partie du programme d’urbanisation des favelas mais différentes entraves et intérêts contraires n’ont pas permis d’assurer de vrais résultats à cette politique qui viendrait achever la reconnaissance des favelas comme quartiers à part entière de la ville, desservis par les services municipaux, et de ses habitants comme citoyens bénéficiant d’une adresse légale, pouvant demander un crédit aux banques et participant par l’impôt. Les Programmes de régularisation foncière visent à viabiliser le droit à la propriété et s’adressent en priorité :
aux ensembles de la Municipalité construits et rénovés par la Riourbe (Entreprise publique, détenus par la municipalité pour la réalisation des travaux d’urbanisation) avec un objectif de 6000 biens immobiliers à régulariser, à environ 35 zones concernées par le programme Favela Bairro, soit plus ou moins 119 000 personnes, aux lotissements en voie de régularisation par l’Organisme de Gestion des Lotissements et enfin les édifices et lieux où sont relogées les 1982 familles du Programme « Morar sem risco » (Habiter sans risque).
Les instruments de la régularisation qui permettent l’acquisition du droit de propriété sont notamment l’usufruit urbain (usucapião urbano), la concession du droit réel d’usage, le terme de donation et le transfert de propriété par accord entre propriétaires et occupants.
Le SMH doit également négocier avec le Gouvernement Fédéral afin de procéder au transfert d’une trentaine de zones appartenant à l’Union, occupées parfois depuis une cinquantaine d’année par des favelas et des ensembles de logements. La municipalité veut ensuite régulariser ces zones en accordant un titre de propriété définitif aux familles concernées.
Par ailleurs, dans un Brésil qui se revendique ouvertement « multiethnique », se pose aujourd’hui la question de la reconnaissance des droits de propriété des « communautés descendantes des nègres marrons » (Comunidades remanescentes de quilombos). Depuis une dizaine d’années, ces communautés en majorité rurale ont commencé à revendiquer leur droit en application de l’article 68 de l’Acte des Dispositions Constitutionnelles Transitoires de la Constitution Fédérale de 1988 qui stipule que les « individus descendants des communautés de quilombos qui occupent leurs terres s’en voient reconnaître la propriété, l’Etat devant leur remettre les titres de propriété définitifs. » Cette reconnaissance tardive des injustices et de la violence subies par les communautés quilombolas et la réparation qui est proposée par l’octroi de titres de propriété suscite néanmoins discussions et controverses, surtout lorsqu’une communauté urbaine, située dans la Zona Sul (Zone Sud, quartiers chics de Rio) avec vue panoramique sur le Corcovado et le lac Rodrigo de Freitas, demande à être reconnue comme telle et se bat pour l’obtention des droits de propriété. Rebondissements juridiques, pressions diverses, prises de position dans les médias, depuis 1999, la famille Pinto veut faire reconnaître sa qualité de communauté quilombola urbaine et continue d’alimenter les chroniques de O Globo tout en espérant une victoire administrative afin de devenir définitivement propriétaire de la Ladeira de Sacopã. Aujourd’hui, d’autres communautés urbaines, se revendiquent quilombolas, notamment à Niteroi. Elles essaient de faire valoir leur droit et leur culture et s’engagent dans un long processus de reconnaissance qui touche à de nombreux intérêts et attise les passions.
Enfin, comme nous l’évoquerons dans la fiche suivante, le processus de régularisation foncière va de pair avec les questions qui se posent aujourd’hui en termes de protection de l’environnement et des massifs naturels que compte Rio. En effet, l’expansion incontrôlée de l’habitat, notamment des favelas, pose de vrais problèmes pour préserver la richesse et la diversité biologique de la ville.
Conclusion : L’habitat est de fait une des principales préoccupations à laquelle la ville de Rio doit faire face. Clé de voute des politiques tant sociales et qu’urbanistiques, il s’agit d’agir à grande échelle pour lutter contre l’habitat informel, notamment dans des zones à risque et améliorer la qualité de vie des habitants. Mais il s’agit avant tout d’une question de citoyenneté, de reconnaissance et de valorisation d’une certaine culture populaire, dans un pays morcelé socialement mais qui reconnaît le droit constitutionnel au logement.
Commentaire sur la gouvernance urbaine : les processus à l’œuvre
En reprenant l’étude de l’initiative Favela Bairro, il est intéressant de mettre en avant le rôle stratégique et le leadership sur la question de la municipalité de Rio. Afin d’approfondir l’idée d’une gouvernance comme étant un processus de coordination d’acteurs, voici la relecture schématique du programme Favela Bairro en fonction de cette définition.
Schéma : Le jeu d’acteurs dans le processus de mise en place du programme Favela Bairro.
Ce schéma nous permet d’identifier les acteurs mais surtout de percevoir les exigences de coordination qu’implique la mise en place d’un tel programme. La gouvernance urbaine demande en effet que l’on s’intéresse au processus de coordination, c’est-à-dire aux mouvements, à l’évolution dans le temps. Plus que jamais, une ville correspond à des temps qui souvent entrent en concurrence et se superposent. La gouvernance nécessite une prise de conscience de cette difficulté que représente le « temps du processus ». Favela Bairro a évolué dans le temps, s’est transformé et institutionnalisé au cours des années. Aujourd’hui, il perdure mais d’autres priorités se sont greffées sur les questions d’urbanisation. Il est également intéressant de voir comment le « processus Favela Bairro » a dû convaincre progressivement : d’abord les cadres de la municipalité, puis les architectes et urbanistes de la ville, puis la BID, les habitants de Rio, etc. Cette dynamique est intéressante et met en valeur l’approche globale nécessaire pour réussir à articuler de nombreuses variables, depuis les études préliminaires, jusqu’à la mise en œuvre et l’évaluation, en passant par les étapes de formulation, de recherche de financement et enfin, les chemins tortueux de la prise de décision.
Bibliographie, Webographie.
Aspects généraux sur Favela Bairro :
www.ibam.org.br/publique/cgi/cgilua.exe/sys/start.htm
www.ucl.ac.uk/dpu/research/housing/Favela%20Bairro%20Report.pdf
Lopes Alberto, Miranda Moema, Comunicação para meios de vida urbanos sustentaveis no Rio de Janeiro, Mars/Avril 2004, IBAM, Municipios N° 246, pp 31-38
Régularisation des Quilombos :
Mattos Hebe Maria, Terras de Quilombos, Citoyenneté, mémoire de la captivité et identité noire dans le Brésil contemporain. Cahiers du Brésil Contemporain, 2003, n° 53/54, p. 115-147
Reportage sur Sacopã par l’Observatoire Quilombola :
www.koinonia.org.br/oq/uploads/noticias/3653_Reportagem_Sacopã.pdf
Caseira Cerqueira Sandra, Regularização das terras quilombolas: aspetos teoricos e praticos :
Régularisation et environnement
Machado de Mello Bueno, Laura, Regularização em areas de proteção ambiental no meio urbano, Oct 2003, Texte basé sur la conférence donnée dans le cadre du Seminário Nacional de Regularização Fundiária Sustentável, promovido pelo Ministério dasCidades, em Brasília, a 28 e 29 de julho de 2003.
Notas de pie de página
1: Revista de administração municipal p 32
2: Investissements de l’Union dans les domaines suivants : logistique et transports, énergie et questions sociales et urbaines pour un montant total de 503, 9 billions de reais. Cette manne venant de Brasilia sur la période 2007-2010 est considérable et doit renforcer les facteurs de croissance et de développement dans l’ensemble du pays. A Rio, en collaboration avec l’Etat ou la municipalité, le PAC appuie l’électrification et l’assainissement et intervient aussi dans l’urbanisation de favelas importantes. www.brasil.gov.br/pac/ - www.brasil.gov.br/pac/.arquivos/relestadual_rj2.pdf
- Au-delà des stéréotypes, les favelas aujourd’hui à Rio.
- Entretien avec M. Luiz Paulo Leal, Gestionnaire de Projets à l’Institut Pereira Passos.
- La protection d’une des plus grandes forêts urbaines au monde : le massif de la Tijuca.
- Transports Publics - Le système de navettes maritimes (Barcas) entre Rio de Janeiro et Niteroi, une histoire ancienne qui a de l’avenir
- Gouvernance et pratiques urbaines à Rio de Janeiro