Interview

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Comprendre l’évolution de la gestion urbaine de Bogotá depuis une quinzaine d’années

Entretien avec David Luna, élu à la Camara pour Bogotá

David Luna

By Flora Dancourt

October 2008

Table of content

David Luna

David Luna est un jeune politicien d’une trentaine d’années, avocat spécialisé en droit administratif (Université de Rosario). Il a également été diplômé sur les questions de « Gouvernement, gérance et politiques publiques » (Université de Colombie).

Entre 1998 et 2000, il est conseiller municipal de la localité de Chapinero. Le début de sa carrière politique est marqué par une volonté significative d’amélioration de l’environnement et de la qualité de vie des habitants, notamment au regard des questions sociales et de sécurité.

Il est également conseiller de la Ville de Bogotá et ce, à deux reprises, réélu la deuxième fois avec 90 000 votes, l’un des résultats les plus élevés obtenus. Sa popularité relayée par les médias fait de lui l’un des meilleurs conseillers de la Ville. Il est également connu pour son projet « Consejo Cómo Vamos ». Il est aujourd’hui élu à la Cámara, l’équivalent de l’Assemblée Nationale française. Son parcours politique lui a permis de travailler sur des territoires à des échelles et des enjeux différents : élu d’arrondissement, il est ensuite conseiller de la capitale, puis élu dans une instance d’envergure nationale (tout en continuant de défendre les intérêts de la ville).

Contextualisation et motivation de l’entretien

L’entretien, d’une durée d’une heure, a été réalisé en avril 2008 par Carolina Valdes, architecte-urbaniste colombienne et membre de l’association Urbanistes du Monde. Pourquoi aller voir un élu représentant à la Cámara dans le cadre d’une étude sur les questions de la gouvernance urbaine à Bogotá, c’est-à-dire sur des thématiques urbaines locales qui ne sont a priori pas du ressort d’une institution comme la Cámara, l’équivalent de l’Assemblée Nationale française ?

Il faut tout d’abord comprendre ce qu’est la Cámara de Representantes de Colombia (la Chambre des Représentants de Colombie). Il s’agit de la chambre basse du Congrès. Elle est composée de 166 représentants élus au suffrage universel pour quatre ans. David Luna a été élu à la Cámara dans la circonscription du district capital : à ce titre, il représente les intérêts de la circonscription de Bogotá à l’échelle nationale.

Le parcours de David Luna est intéressant dans la mesure où ses mandats successifs l’ont amené à entrevoir les interventions de différents échelons institutionnels. Les enjeux en matière de gestion urbaine diffèrent selon qu’on soit conseiller municipal d’une localité de 120 000 habitants, conseiller d’une ville-capitale de plus de 6 millions et demi d’habitants ou élu dans l’une des deux chambres du Congrès, l’organe législatif de la Colombie. Un élu avec un tel parcours, de surcroît un homme politique jeune, représentant d’une nouvelle génération de politiciens, peut enrichir de façon significative la réflexion autour de la question de la gouvernance urbaine à Bogotá, en particulier en ce qui concerne le rôle des acteurs politiques et institutionnels. Par ailleurs, David Luna est particulièrement placé pour traiter ces questions de part sa formation en politiques publiques.

Entretien retranscrit

Flora Dancourt : Comment expliquer cette renaissance de la ville de Bogotá ces quinze dernières années ?}}}

David Luna : Deux composantes sont essentielles dans le succès de la gestion urbaine de Bogotá : la composante technique et surtout la composante politique qui constitue le facteur clé de la réussite de la planification urbaine d’une ville. Comment a fonctionné cette composante politique à Bogotá ?

Ce sont tout d’abord des textes juridiques qui président au fonctionnement politique de la ville. Notamment dans la Constitution de 1991 il y a un chapitre particulier consacré à Bogotá. Cette particularité, ce traitement différentiel accordés à Bogotá se justifient par le fait que cette ville est la capitale politique du pays, le centre urbain qui concentre le plus d’habitants et présente le plus gros PIB. Toutefois, la ville ne dispose pas d’un statut à part, cela a été débattu.

L’autre chose à dire sur la composante politique de la réussite de Bogotá concerne les différents maires qui se sont succédés depuis une quinzaine d’années. C’est véritablement une chance pour la ville d’avoir été gouvernée par des maires dynamiques, chacun à leur manière.

  • On peut tout d’abord parler du mandat de Jaime Castro (1992-1994) qui a changé en profondeur l’organisation de la Ville. On retient de son mandat deux choses : tout d’abord, une volonté de mettre en place une nouvelle politique financière en matière de gestion de la ville. Cette politique a permis un assainissement des finances publiques de Bogotá (création de nouveaux impôts, système de trimestrialisation…). Il s’agit de la composante technique dont je parlais précédemment. En matière politique, on assiste à une réorganisation politico-administrative de la Ville.

  • Après Jaime Castro vient le mandat d’Antanas Mockus (1995-1997 et 2001-2003). Il y avait une difficulté importante pour Antanas Mockus car il connaissait assez mal la ville et sa gestion, à la différence de Castro. La réussite de son mandat vient du fait qu’il a vite compris la nécessité de s’accompagner de techniciens compétents pour pallier ses propres méconnaissances.

Ce que l’on retient avant tout de son mandat c’est le volet éducatif et pédagogique valorisé dans sa politique.

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    • Cela est passé par un travail sur la politique d’éducation : le travail auprès des professeurs, la valorisation des sciences et des technologies dans les programmes éducatifs…

    • C’est également l’administration d’Antanas Mockus qui a promu tout un ensemble de règles de vie, une sorte de guide du « vivre ensemble » : respect des normes et des règles de vie, égalité des habitants de Bogotá dans l’usage de l’espace public…

    • Enfin c’est sous ce mandat que l’habitant de Bogotá prend une place nouvelle au sein du processus décisionnel et de gestion de la Ville. Le programme Obras con saldo pedagógico est un bon exemple de la valorisation des processus participatifs dans les programmes de la Ville.

  • Quand Enrique Peñalosa (1998-2001) devient maire de Bogotá, il connaît déjà bien la ville et son organisation. C’est un homme politique phare de Bogotá qui a pris des décisions importantes pour la ville, des décisions qui ont parfois été controversées. Ce qui est majeur dans sa politique c’est le travail qu’il a réalisé autour du concept d’espace public. Il ne s’agit pas d’un concept qu’il aurait inventé : il l’a plutôt récupéré, mis en valeur auprès des habitants. L’accès à l’espace public est devenu un droit fondamental inscrit dans la Constitution. C’est une notion prégnante dans la politique de Peñalosa, une vision déclinée à l’ensemble des interventions publiques de son administration.

La politique d’Enrique Peñalosa c’est : la création de TransMilenio (un important système de transports en commun), la construction de voies piétonnes, de pistes cyclables, l’accès au sol urbanisé pour les populations les plus défavorisées (Metrovivienda)… En terme d’occupation d’espace public le piéton est l’acteur privilégié aux dépens des automobilistes : c’est en quelque sorte une question d’équité sociale dans la mesure où les automobilistes représentent la frange supérieure de la société (ils constituent un pourcentage minimum par rapport à l’ensemble de la population).

L’autre point notable du mandat d’Enrique Peñalosa concerne la réorganisation de l’administration de la Ville. Des entités spécialisées ont été créées dans un souci d’une meilleure efficacité des pouvoirs publics. Dans tel ou tel domaine les responsabilités engagées étaient telles qu’il fallait créer des entités à caractère spécifique (sur la base de partenariats public-privé) pour traiter ces thèmes : c’est le cas pour la question du logement social (Metrovivienda) ou des transports en commun (TransMilenio).

FD : On a l’impression qu’Enrique Peñalosa a insufflé un véritable changement dans la gestion de la Ville et dans la mentalité de ses habitants…

DL : Oui c’est vrai. Il y a eu un gros investissement en faveur de Bogotá, une véritable dynamique… On dirait que c’est une dynamique qui est retombée aujourd’hui. L’administration actuelle (de Samuel Moreno) semble en inertie : on attend toujours la construction d’un pont, la construction du métro dont Samuel Moreno a fait son champ de bataille, la résolution des problèmes de TransMilenio…

La ville de Bogotá a une dynamique propre qu’elle suit, notamment grâce au travail réalisé par les administrations précédentes. Cependant cette dynamique doit être portée par une administration sinon elle retombe, d’où la responsabilité des administrations et des politiques.

 

FD : Même si la figure du maire est essentielle, reste le problème de la compatibilité entre la planification à long terme et la durée, courte, des mandats politiques… C’est véritablement une question clé de la gestion urbaine d’une ville.

DL : Oui, c’est pourquoi à Bogotá il y a eu plusieurs tentatives pour assurer une certaine continuité des administrations en place. Ce sont les cas d’Enrique Peñalosa et d’Antanas Mockus qui ont cherché à conserver une partie des administrations du mandat précédent. Peñalosa a eu une certaine chance parce qu’il a vu se concrétiser nombreux de ses projets ; la plupart des maires ne le voient pas et restent très soucieux de leur popularité, ce qui implique une vision à court terme de la ville.

L’outil majeur pour assurer une planification urbaine à long terme c’est la loi POT (Plan de Ordenamiento Territorial – « Plan d’aménagement du territoire »). Cet outil d’aménagement permet de réfléchir sur le long terme à une gestion urbaine d’échelle globale. L’existence de tels outils me tranquillise quant à la question de la planification à long terme.

Intérêt et enjeu de l’entretien

L’entretien réalisé avec David Luna met en lumière avant tout le rôle-clé des acteurs politico-institutionnels dans la gestion d’une ville telle que Bogotá. La gouvernance d’une ville est bien entendu liée aux interventions des acteurs économiques, des organisations associatives et des habitants. Cependant, il ne faut pas oublier que la gouvernance est avant tout liée (mais pas seulement) au gouvernement, c’est-à-dire au politique, représenté par la figure emblématique du maire, ainsi qu’aux administrations institutionnelles. David Luna montre d’une certaine manière que ce que l’on a appelé la renaissance de Bogotá, terme évoqué notamment au cours de l’exposition d’architecture de la Biennale de Venise1, s’explique avant tout par les interventions réussies des différents maires et administrations qui se sont succédés depuis une quinzaine d’années.

L’entretien avec David Luna effleure la question de la compatibilité entre la temporalité du mandat politique et celle de la planification urbaine à long terme. Comme n’importe quelle métropole, la Ville de Bogotá n’a pas seulement besoin d’un maire charismatique et d’une administration dynamique ; encore faut-il que les interventions de ces acteurs s’inscrivent, dans une certaine mesure, dans une vision planificatrice de long terme qui dépendrait le moins possible des aléas politiques et des ruptures entre les administrations qui se succèdent. Certains outils permettent de penser la ville à long terme et d’assurer une certaine continuité entre les différents mandats politiques : à Bogotá il s’agit de la loi POT (Plan de Ordenamiento Territorial, « Plan d’aménagement du territoire ») créée en 1997.2

L’image que nous livre David Luna de la gestion urbaine de Bogotá est loin d’être figée. Il nous présente une ville en mouvement dont la gestion a beaucoup évolué depuis le mandat de Jaime Castro :

  • L’administration du district-capitale a été constamment réorganisée dans le souci d’une meilleure gestion de la ville. Cette réorganisation est notamment passée par la création d’agences spécialisées sur une thématique précise et qui dépendent de partenariats publics-privés, compte-tenu des responsabilités dont elles sont en charge : il s’agit de Metrovivienda pour la question du logement social et de TransMilenio S.A. qui gère le système de transports en commun de Bogotá.

  • Le discours de David Luna est également révélateur de la montée en puissance du rôle des organisations sociales locales et des habitants, une place qui leur a été accordée par le pouvoir politique, en particulier l’administration d’Enrique Peñalosa dans le cadre de programmes d’amélioration du cadre de vie.

  • En lien avec la montée des processus de participation citoyenne, les politiques ont mis certains thèmes sur le devant de la scène publique. Le concept d’espace public, récupéré et valorisé par Peñalosa, cristallise de nombreux enjeux urbains pour la ville de Bogotá. C’est une thématique qui ne se cantonne pas à la seule question de l’amélioration du cadre de vie des habitants mais qui touche également à des questions sous-jacentes de sécurité et d’équité sociale.

Dans le prologue du rapport explicatif d’un programme d’amélioration du cadre de vie (Obras con saldo pedagógico – « Ouvrages avec une forte participation citoyenne »), le maire de l’époque, Enrique Peñalosa, revient sur ce concept d’espace public et explique que la ville doit pouvoir fournir les services adéquats et nécessaires ainsi qu’un cadre de vie agréable, ouvert à tous. L’espace piétonnier public constitue par exemple l’un des lieux sociaux forts de la ville à valoriser : c’est l’endroit où l’on peut marcher et se rencontrer. Le piéton doit être privilégié aux dépens des véhicules motorisés en faible nombre et symboles d’une supériorité sociale.3

Bibliographie et liens Internet

  • Site Internet de David Luna : www.davidluna.com.co/index.html

  • Rapport du DAACD (Departamento Administrativo de Acción Comunal Distrital, « Département administratif de l’action communal du District »), Obras con saldo pedagógico – Cronomagra y contenido de talleres, 2001 (date approximative de publication).

Notes

1 La Biennale de Venise est une manifestation internationale d’art contemporain au cours de laquelle des prix sont décernés afin de récompenser la meilleure participation nationale à l’exposition. La Biennale de Venise de 2006 a attribué à Bogotá le Lion d’or en tant que « Meilleure ville », récompense la plus prestigieuse de la manifestation.

2 La loi POT (Plan de Ordenamiento Territorial, « Plan d’aménagement du territoire ») correspond, dans une certaine mesure, à la Loi française SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) qui oblige les communes à se doter d’un plan de développement territorial. La loi POT de Bogotá a, permis une définition plus claire des limites de la ville : par ailleurs, elle implique la création d’un plan de développement et de planification à long terme de Bogotá.

3 Trois foyers sur dix à Bogotá disposent d’une voiture (10% à l’échelle de la Colombie).

See also