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Le secteur associatif face à la Convention sur l’Avenir de l’Europe

La mobilisation et la contribution de la société civile dans la rédaction de la Constitution européenne

By Maxime Montagner

December 2005

La Convention sur l’avenir de l’Europe a travaillé pendant dix-huit mois dans le but de rédiger la Constitution européenne. Tout au long de cette période, le secteur de la société civile habitué au plaidoyer à l’échelle européenne s’est engagé à Bruxelles afin de faire reconnaître les intérêts des citoyens dans le Traité constitutionnel. De son côté, la Convention a constitué une véritable « fenêtre d’opportunité politique » en permettant aux associations de s’exprimer. Si le traité constitutionnel demeure un texte « a minima » , il semble que la méthode de la Convention ait permis un échange fructueux entre organisations de la société civile et institutions politiques.

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Le Traité instituant une Constitution pour l’Europe a été élaboré selon une méthode particulière. Alors que les précédents Traités européens ont été négociés à huit clos et sont le résultat de marchandages politico-diplomatiques entre les différents Etats membres de l’Union Européenne, la Constitution est le fruit de dix-huit mois de travail. De janvier 2002 à juillet 2003, la Convention sur l’Avenir de l’Europe a eu pour principale tâche de rédiger ce texte. Présidée par Valéry Giscard d’Estaing, la Convention a regroupé 105 membres issus des gouvernements et des parlements nationaux des Etats membres et des pays candidats, du Parlement européen ainsi que de la Commission européenne.

Tout au long de la période de travail de la Convention, ses membres se sont réunis en session plénière et en groupes de travail dans le but de simplifier les Traités précédents et de proposer un nouveau texte, voué à chapeauter l’architecture juridique de l’UE. Pendant la campagne référendaire en France mais également dans d’autres pays, la Constitution a été critiquée sous le prétexte qu’elle aurait été rédigée d’une façon opaque, sans tenir compte des aspirations des citoyens et des associations représentatives de la société civile. Les conventionnels auraient travaillé de manière confidentielle et auraient écouté les seuls intérêts des Etats membres et des milieux économiques.

Cette fiche propose de relativiser cette représentation en revenant sur les processus qui ont permis la rédaction de la Constitution européenne. Plusieurs commentateurs ont parlé de l’apparition d’une « méthode conventionnelle » . Cette méthode, caractérisée par un processus de prise de décision relativement ouvert aux acteurs extérieurs, constituerait un nouvel espace de gouvernance dans le sens où elle a permis d’agréger des intérêts différents voire divergents : intérêts des institutions européennes, des Etats fondateurs, des nouveaux entrants, des milieux économiques et, en partie, des organisations de la société civile.

Comment la Convention a-t-elle mis sur pied des mécanismes visant à recueillir les contributions et revendications du secteur de la société civile ? Quels ont été les « outils politiques » qui ont permis aux organisations de la société civile d’exercer leur lobbying auprès de la Convention? Et, au final, dans le Traité constitutionnel, quels éléments, quels articles, sont le fruit de l’engagement et du lobbying du secteur associatif auprès de la Convention?

L’analyse que nous proposons à travers cette fiche est issue d’une recherche empirique effectuée pendant l’été 2003 à Bruxelles auprès du secteur associatif engagé face à la Convention sur l’avenir de l’Europe . Il nous a paru intéressant de revenir sur les modes de gouvernance propres à la Convention sur l’avenir de l’Europe. En effet, ils pourraient servir de modèle pour le développement futur d’un dialogue civil à l’échelle européenne.

Les instruments mis en place par la Convention pour écouter la société civile

En décembre 2001, la Déclaration de Laeken, rédigée par le Conseil européen, a convoqué la Convention sur l’Avenir de l’Europe et a annoncé dans le même temps la création d’un forum visant à recueillir les revendications des acteurs extérieurs à la Convention: « Pour élargir le débat et y associer l’ensemble des citoyens, un Forum sera ouvert aux organisations représentant la société civile (partenaires sociaux, milieux économiques, organisations non gouvernementales, milieux académiques, etc.). Il s’agira d’un réseau structuré d’organisations qui seront régulièrement informées des travaux de la Convention. Leurs contributions seront versées au débat. Ces organisations pourront être auditionnées ou consultées sur des sujets particuliers selon des modalités à déterminer par le Présidium. »

Avant même la convocation de la Convention, les organisations de la société civile se sont vues reconnaître un rôle d’envergure dans le processus de rédaction du texte constitutionnel. Dès le mois de mars 2002, le Praesidium ( l’organe chargé de diriger la Convention) s’est interrogé sur la place de l’opinion publique dans les débats et sur l’importance de faire participer la société civile à travers le forum et une session plénière consacrée essentiellement à l’audition des organisations. « Il est essentiel que les travaux et les résultats de la Convention recueillent l’appui sans réserve de la population européenne. L’opinion publique devrait être en mesure non seulement de suivre de près les travaux de la Convention (raison pour laquelle ses sessions sont ouvertes au public et ses documents sont publiés), mais aussi de verser sa contribution aux travaux de la Convention.»

Concrètement, pendant toute la durée de la Convention, plus de 300 organisations ont envoyé quelques 800 contributions à travers le forum, établi à travers un site Internet. Ces organisations sont en majorité établies au niveau européen (réseaux et fédérations qui regroupent plusieurs dizaines de membres) mais un certain nombre d’entre elles proviennent également des niveaux nationaux et locaux. Leurs domaines d’action sont très variés : protection de l’environnement, sauvegarde des droits sociaux fondamentaux, droits des femmes, coopération internationale…

Le forum était accessible à toutes les organisations, indépendamment de leurs tailles ou de leurs représentativités. Les revendications envoyées au forum étaient lues par le secrétariat de la Convention avant d’être communiquées aux conventionnels. Si le forum on-line a permis un accès ouvert à la Convention, il a également été critiqué pour son manque de rationalisation : il apparaît qu’un bon nombre de revendications ont tout simplement été ignorées par les conventionnels.

Pour tenter de réguler et d’organiser le dialogue entre conventionnels et représentants de la société civile, la Convention a décidé d’organiser des rencontres directes au cours desquelles les deux groupes d’acteurs ont pu échanger et faire connaître leurs points de vue. Ainsi, une session plénière spécialement consacrée à l’écoute de la société civile s’est déroulée les 24 et 25 juin 2002. Présidée par M. Dehaene, vice-président de la Convention, elle a établi un contact institutionnalisé et par conséquent, relativement réussi entre deux attentes : celle des ONG basées à Bruxelles réclamant un accès facilité aux travaux de la Convention et celle du Praesidium, animée par la volonté de légitimer la Convention.

Lors de ce rendez-vous, une cinquantaine d’intervenants, issus des ONG européennes mais également des think-tanks, des collectivités locales et des gouvernements nationaux, ont pu faire passer leurs messages aux conventionnels. Concrètement, chaque orateur disposait de cinq minutes pour convaincre les membres la Convention. Les organisations ont été choisies en fonction de leur renommée et de leur engagement à l’échelle européenne. Afin de préparer cette session plénière, huit groupes de contacts ont été établis en juin 2002. Chacun d’eux a couvert un secteur donné de la société civile et était présidé par un membre du Praesidium.

 

Le Comité Economique et Social Européen a également facilité le dialogue entre la Convention et les organisations de la société civile. Le CESE a organisé un groupe de travail permanent sur la Convention ce qui a contribué à renforcer l’accès des ONG à l’information. Huit «rencontres d’information et de dialogue sur la Convention Européenne» se sont déroulées tout au long des débats. Toutes les associations intéressées pouvaient y participer. Pendant ces rencontres, de nombreux documents ont été distribués aux participants. Pour la plupart, il s’agissait des contributions des ONG, des documents officiels de la Convention ainsi que des discours de personnalités devant la Convention. Un dialogue entre les différentes organisations de la société civile a pu se nouer au cours de ces rencontres, les acteurs ont appris à se connaître. Le rapporteur de ces rencontres, un observateur au sein de la Convention, était chargé de synthétiser les demandes des organisations et de les faire parvenir à la Convention lors des séances plénières. De ce fait, le Comité Economique et Social a réellement eu un rôle de courroie de transmission de l’information entre la Convention et les organisations de la société civile puisque l’information a pu circuler dans les deux sens.

 

A travers les différents instruments mis en place par la Convention ( forum, session plénière ad hoc et le rôle du CESE), les organisations de la société civile, tous domaines confondus, ont pu faire connaître leurs visions de la construction européenne et tenter de faire apparaître leurs préférences politiques sur l’agenda de la Convention (et donc dans le texte de la Constitution). L’ensemble des acteurs interrogés a reconnu le haut degré d’ouverture de la Convention face aux acteurs extérieurs: un des principes fondamentaux de la bonne gouvernance. Avant de voir dans quelle mesure le secteur associatif a réussi à faire reconnaître ses intérêts auprès de la Convention, il convient de s’attarder quelques instants sur les stratégies (les répertoires d’action) des organisations de la société civile afin d’orienter les travaux de la Convention sur l’Avenir de l’Europe.

Les stratégies des organisations de la société civile pour atteindre la Convention:

Avant de travailler face à la Convention sur l’avenir de l’Europe, les organisations de la société civile engagées dans le « plaidoyer politique » à l’échelle européenne ont participé à d’autres événements d’envergure qui les ont mobilisés pendant plusieurs mois. Si des précédents existent, ils sont peu nombreux. La mobilisation la plus importante a sans doute été au cours de « la Convention I »  : la Convention chargée en 2000 de rédiger la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. A cette occasion, la société civile européenne a eu l’opportunité de s’exprimer et de chercher des moyens appropriés pour se faire entendre.

Autre précédent, la rédaction du livre blanc sur la Gouvernance européenne. A ce sujet, les associations se sont également mobilisées mais leurs accès aux débats (au sein de la Commission) étaient beaucoup plus restreints qu’au cours de la Convention I. Tout au long de ces travaux, les organisations de la société civile ont collaboré, ont appris à se connaître et ont développé des instruments pour structurer leur action. A chaque nouvel enjeu, les acteurs non gouvernementaux se rapprochent, se reconnaissent et se fédèrent mutuellement.

En décembre 2001, lorsque la Déclaration de Laeken convoque la Convention, les acteurs de la société civile se connaissent, sont déjà structurés en réseaux et plateformes européens. Il s’agit pour eux de développer de nouveaux instruments pour travailler en relation avec la nouvelle Convention. Avant même décembre 2001, certaines organisations développaient des réflexions autour d’une future constitution européenne et oeuvraient pour l’ouverture de travaux à ce sujet. Très vite, les réseaux présents à Bruxelles ont donc inscrit les travaux de la Convention sur leurs agendas.

Les réseaux européens sont formés avant tout selon leur domaine d’action politique. Les plus importants sont par exemple la Socialplatform (réseau européen des ONG du secteur social), Green 10 (réseau d’ONG environnementales) ou encore Concord (associations engagées dans le développement international). Cette séparation verticale par activité est due au fait que ces acteurs sont consultés par les différentes Directions Générales de la Commission européenne pour des politiques spécifiques. Les réseaux oeuvrant dans des domaines différents n’ont donc pas forcément intérêt à se réunir.

Cependant, face à la Convention, l’enjeu est différent. Il s’agit d’élaborer une Constitution qui reprendra toutes les prérogatives de l’Union Européenne, donc l’ensemble des politiques communautaires. S’il est capital de représenter des intérêts spécifiques et thématiques, dans différents domaines, le travail face à la Convention requiert un regroupement des réseaux de manière horizontale, pour proposer une vision d’ensemble de la construction européenne.

Les acteurs de la société civile ont eu conscience de ce défi et, dès février 2002, l’idée de la création d’un Groupe de Contact de la Société Civile est lancée. Sur l’initiative de la Socialplatform, plusieurs réseaux et plateformes européens se sont rencontrés pour développer de nouvelles actions face à la Convention. Une nouvelle organisation regroupant les quatre grands réseaux d’ONG ainsi que la Confédération Européenne des Syndicats voit le jour : le GCSC.

 

Cette coordination ad hoc a été créée dans le but d’accorder, de conjuguer et de rationaliser l’activité d’organisations différentes mais poursuivant des objectifs de nature identique ou voisine. Le Groupe de contact s’est fixé des objectifs précis. Il œuvre pour la construction de réseaux (nationaux et européens) de la société civile, vise à rassembler toutes les revendications de ses membres et veut constituer une voie d’accès privilégiée à la Convention. Son but est de renforcer la prise de conscience des acteurs de la société civile autour de l’enjeu de la Convention. De plus, il veut générer des débats et des actions au niveau national, avant tout dans les dix pays entrant en mai 2004 dans l’Union Européenne.

En parallèle à ce travail de mobilisation de ses membres, le GCSC a lancé la campagne « Act4Europe » dont le but était d’agir en direction de la Convention à travers des contributions au Forum et des rencontres informelles avec les conventionnels.

En pratique, des rencontres mensuelles ont eu lieu entre les différents réseaux constituant le GCSC afin de formuler des revendications communes. En ce qui concerne les méthodes de travail, chaque secteur (social, droits de l’homme…) a agit de manière individuelle dans son propre domaine (les ONG du développement ont fait du lobbying afin d’améliorer les politiques relevant de la DG Développement). Les contributions du GCSC étaient davantage horizontales dans le sens où elles envisageaient l’Union dans sa globalité.

Au total, six revendications ont été adressées à la Convention.. Elles appellent à une Europe plus ouverte sur le monde, fondée sur des valeurs et des principes de paix et de solidarité. D’un lobbying sectoriel, les organisations de la société civile seraient donc passées à un lobbying plus politique, oeuvrant pour une vision particulière de la construction européenne.

La création du groupe de contact est sans aucun doute l’élément le plus significatif de l’engagement des organisations de la société civile face à la Convention sur l’Avenir de l’Europe. En dehors de cet outil original, d’autres ONG ont tenté d’atteindre les conventionnels par divers moyens. Certaines associations ont par exemple organisé des envois massifs de cartes postales aux membres de la Convention afin de leur signifier la prise de conscience de la population face à un problème particulier. D’autres réseaux ont préparé des rencontres informelles entre des représentants associatifs et des conventionnels afin de faciliter les échanges d’informations. Bien souvent, ce sont les rapports interpersonnels (relevant de la micro sociologie) qui ont été décisifs. Ainsi, certains membres de la Convention ont joué un rôle primordial pour tenter de faire remonter les intérêts du secteur associatif au cœur du processus décisionnel de la Convention. Par exemple, Anne van Lancker, eurodéputée flamande et membre de la Convention, s’est engagée tout au long des différentes phases de travail de la Convention à participer à de nombreuses rencontres avec les ONG et à proposer des amendements favorables au secteur associatif au sein des groupes de travail de la Convention.

Ces quelques pages n’ont pas pour vocation de détailler de manière exhaustive les différentes relations entre le secteur de la société civile et la Convention sur l’avenir de l’Europe. Il s’agit simplement d’éclairer des processus qui ont vite été oubliés lors des campagnes référendaires qui se sont déroulées en 2005 dans différents pays européens.

Afin de pouvoir juger de l’efficacité du plaidoyer associatif auprès de la Convention, il est intéressant de se pencher désormais sur les résultats du lobbying de la société civile. Concrètement, y a-t-il eu des répercussions significatives de l’engagement des organisations de la société civile dans le texte constitutionnel ? Les ONG ont-elles facilité l’émergence de nouvelles opportunités pour les citoyens européens dans la Constitution?

Les répercussions du lobbying associatif dans le texte de la Constitution européenne

Il n’est bien évidemment pas possible ici de résumer l’ensemble des revendications des organisations de la société civile auprès de la Convention. Nous avons donc choisi de privilégier l’étude des ONG travaillant dans le secteur social, représentées entre autre par le réseau Socialplatform.

Très schématiquement, les revendications des associations civiques face à la Convention peuvent être classées en trois grandes catégories en fonction de leur domaine d’action: les droits fondamentaux, le rôle des associations dans la gouvernance européenne et les attentes des citoyens au sujet des politiques de l’Union Européenne.

D’une manière générale, les revendications des ONG appellent à plus de droits pour les citoyens européens. Les associations civiques veulent une Europe plus centrée sur la sphère sociale, plus ouverte et davantage démocratique. Elles appellent à la rédaction d’un texte constitutionnel clair, basé sur des valeurs et des objectifs permettant aux citoyens de se reconnaître dans le projet européen.

 

En ce qui concerne les droits fondamentaux tout d’abord, les revendications sont avant tout axées sur l’incorporation des instruments juridiques internationaux dans la Constitution européenne. Les associations ont ainsi recommandé l’adhésion de l’UE à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. De même, elles ont demandé expressément la reconnaissance juridique de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. Leur lobbying s’est également orienté vers les premiers articles de la Constitution qui énoncent les valeurs et les objectifs de l’Union. En effet, les associations sont conscientes que ces premiers articles seront fondamentaux puisqu’ils résumeront l’orientation politique future de l’UE. Les associations du secteur social se sont donc longuement battues afin de faire reconnaître telle ou telle valeur, tel ou tel principe dans le Traité constitutionnel.

A la lecture du projet de Constitution tel que remis par la Convention au Conseil européen en juillet 2003 , force est de constater que la grande majorité des revendications listées ci-dessus se sont en partie retrouvée intégrée dans le texte. Certes, le lobbying des associations n’est pas le seul responsable de l’intégration des valeurs et des objectifs de l’Union relativement novateurs comme « le développement durable » , la « solidarité entre les générations » ou « la non-discrimination » . Cependant, l’action des représentants associatifs a certainement facilité la reconnaissance de ces principes puisque le but principal de leur lobbying a été de proposer des valeurs sûres, solides et inaliénables qui permettraient à l’Union de poursuivre son action politique en total respect des droits fondamentaux acquis au cours des trois derniers siècles. L’incorporation de la Charte des Droits Fondamentaux dans la Partie II de la Constitution ainsi que l’article 9 qui envisage l’adhésion de l’UE à la CEDH sont également de grandes avancées pour le secteur associatif et pour les citoyens en général. Au sujet des droits fondamentaux, les organisations de la société civile ont accueilli le projet de Constitution avec enthousiasme.

 

Un autre domaine de prédilection des associations civiques a été le plaidoyer pour la reconnaissance des organisations de la société civile dans la future gouvernance européenne. Par exemple, une revendication récurrente a concerné la demande de différenciation claire et précise dans le futur traité constitutionnel entre deux types de démocratie : la démocratie représentative et la démocratie participative. Les réseaux ont non seulement demandé un accroissement du pouvoir du Parlement européen (la seule institution européenne à être élue directement) mais également une place de choix pour la consultation des ONG dans le futur traité. L’intégralité des ONG a travaillé pour la reconnaissance d’un véritable dialogue civil à l’échelle européenne. Les associations souhaitaient que les procédures encadrant les relations entre les institutions européennes et le secteur non gouvernemental soient « gravées dans le marbre » de la Constitution.

Les réseaux européens du secteur social ont également exercé leur plaidoyer en faveur du respect des critères fondamentaux de la bonne gouvernance telle qu’indiqués dans le livre blanc sur la gouvernance européenne parue en juillet 2001. Elles ont appelé à davantage de transparence dans les travaux des institutions européennes et ont souligné l’importance de la responsabilisation des différents acteurs, avant tout de la Commission européenne. De même, la « sacralisation » de la stratégie de Lisbonne et la constitutionnalisation de la «Méthode Ouverte de Coordination » ont été des revendications importantes de la société civile.

 

En ce qui concerne la place de la société civile dans la gouvernance européenne, les résultats du lobbying associatif sont mitigés. L’avancée la plus importance est sans aucun doute la reconnaissance d’une certaine forme de démocratie participative dans le projet de Constitution. Le Titre VI de la partie I est intitulé « La vie démocratique de l’Union». Cette partie du texte est très intéressante pour les citoyens et leurs représentants puisqu’elle pose les bases de la future gouvernance européenne. La constitution consacre deux articles aux principes démocratiques : les articles 46 et 47. Le premier annonce que « le fonctionnement de l’Union est fondé sur le principe de la démocratie représentative». L’article 47 innove puisqu’il énonce le « principe de la démocratie participative »  : « Les institutions de l’Union donnent, par les voies appropriées, aux citoyennes et citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union » . L’alinéa 2 aborde brièvement un dialogue civil : « Les institutions de l’Union entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile » .

Enfin, l’alinéa 4 du même article permet aux ONG et associations d’introduire une proposition politique devant les institutions européennes si elles réunissent un million de signatures par voie de pétition. Cet article a été ajouté au projet initial grâce au travail de lobbying de certains réseaux représentant la société civile ainsi que grâce à certains conventionnels qui se sont durement battus pour cette idée. Il met en place un nouvel outil à disposition des citoyens et de leurs représentants pour agir sur l’Union. L’insertion de cet article dans la Constitution est un exemple concret du résultat de l’engagement du secteur associatif auprès de la Convention.

L’article 47 a été très bien accueilli par les organisations de la société civile puisqu’il initie une reconnaissance d’un dialogue civil, en parallèle du dialogue social. Cependant, le texte n’engage pas clairement l’Union à mettre en place des outils concrets de dialogue avec la société civile. Si le principe du dialogue est énoncé, son cadre et son lieu ne sont pas inscrits dans la Constitution. Certains représentants d’ONG, de la campagne Act4Europe notamment, auraient préféré substituer les termes « associations représentatives et la société civile » par la simple expression « société civile organisée». Il ne s’agit pas seulement de sémantique. En reconnaissant la société civile comme organisée, la Constitution aurait pu devenir une « porte ouverte » pour un véritable dialogue civil structuré et disposant d’un minimum d’institutionnalisation. Cependant, le simple fait que le principe de démocratie participative soit énoncé est déjà une grande victoire pour les acteurs associatifs.

 

 

Le dernier axe prioritaire du lobbying associatif auprès de la Convention a été l’engagement pour la reconnaissance de politiques européennes proches des aspirations des citoyens. A ce sujet, les réseaux se sont basés sur les sondages Eurobaromètres pour légitimer leurs actions. Selon ces sondages, la majorité des citoyens européens souhaite que l’Europe joue un rôle plus important dans le monde et envisage la construction européenne comme une des solutions possibles aux dérives de la mondialisation. D’une manière générale, les citoyens souhaitent davantage de politiques environnementales et d’actions européennes en faveur de la coopération au développement. De même, ils accueillent favorablement les politiques de cohésion sociale et territoriale.

Sur ces sujets, les réseaux ont tenté de relayer les demandes des citoyens auprès de la Convention. Cependant, l’ajout de nouvelles prérogatives politiques au niveau européen n’était pas du ressort de la Convention. Ainsi, les conventionnels qui ont oeuvré pour une Europe davantage sociale, respectueuse de l’environnement et plus généreuse envers les pays en voie de développement ont été déboutés par le Praesidium. Sur ce dernier point, le plaidoyer des réseaux de la société civile s’est révélé particulièrement infructueux car seul les chefs d’Etat et de gouvernements réunis au Conseil européen peuvent faire « basculer » des politiques au niveau européen.

Malgré certains échecs, d’une manière générale et aux dires des représentants associatifs eux-mêmes, il semble que les organisations de la société civile aient réussi à faire reconnaître la plupart de leurs revendications de base auprès de la Convention. Dans ce sens, le plaidoyer associatif aurait été efficace.

Conclusion

Pour la première fois dans l’histoire de l’Union Européenne, les associations engagées en Europe ont eu l’occasion de s’exprimer sur des enjeux généraux, abordant la construction européenne dans son ensemble. Le travail face à la Convention ne se résumait pas à un lobbying thématique ou sectoriel. Au contraire, les organisations de la société civile devaient proposer des instruments pour penser la construction européenne dans sa globalité. Il s’agissait bel et bien d’un lobbying de nature politique puisque la majorité des associations civiques a oeuvré pour plus d’Europe sociale, pour une transparence accrue des institutions et pour une Europe ouverte sur le monde. Le jeune secteur de la société civile (présent depuis une dizaine d’années à l’échelle européenne) a pu se renforcer à cette occasion.

Pendant dix-huit mois, les acteurs associatifs présents à Bruxelles se sont rencontrés, ont échangé leurs vues, se sont structurés de manière ad hoc à un rythme soutenu. Ils avaient conscience de cette occasion unique de peser sur l’Union Européenne. Ainsi, la société civile s’est mobilisée comme jamais auparavant à l’occasion de la Convention sur l’avenir de l’Europe et, pour la première fois, elle a eu un accès relativement ouvert aux débats. Il semble que les processus de consultation instaurés par la Convention aient été novateurs. Un « espace de gouvernance » ouvert sur les revendications extérieures a été créé et pourrait servir de modèle afin d’initier une véritable dialogue civil à l’échelle européenne.

Il est vrai que les résultats de ce lobbying ne sont pas à la hauteur des espérances des associations. Si leurs revendications ont été entendues par le Forum, le Comité Economique et Social et par le Praesidium, elles n’ont pas toutes été retranscrites dans le projet de Constitution. Seules quelques avancées significatives apparaissent dans le texte. Ce constat en demi-teinte était prévisible, vu le mandat de la Convention. Les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont permis sa création voulaient rationaliser l’Union Européenne mais, en aucun cas, ils ne souhaitaient faire basculer de nouvelles politiques au niveau européen. Les quelques avancées positives du texte sont donc à prendre, même si elles ne suffisent pas à la majorité des citoyens européens qui auraient voulu une autre Europe.

 

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