Renouveler le paradigme démocratique par la coproduction de l’action publique
Par Séverine Bellina et Jo Spiegel
Loin d’être la norme, la démocratie est un système politique minoritaire dans le monde. Elle représente 45,5 % des États, selon le Democracy Index de 2016. Là où elle existe, la tendance est à son recul. En Europe, elle régresse, laissant place à des démocraties fantômes, « illibérales » (Pologne, Hongrie, etc.) ou imparfaites (dont la France) dans lesquelles les droits s’affaiblissent, le populisme grimpe et l’écologie n’est pas prise au sérieux. La même année, la communauté internationale (y compris les organisations de la société civile internationale) a adopté un consensus international inédit sur la nécessaire action pour la durabilité (les Objectifs de Développement Durable-ODD) et pour la démocratie (ODD 16 et 17). Elle propose un accord et une coopération des acteurs dans le monde entier autour d’une démocratie ouverte, responsable, inclusive et participative pour un développement durable. Partout sur les territoires, des aspirations à davantage de démocratie existent et donnent lieu à de nombreuses initiatives pionnières. Elles visent à reconnecter les citoyens et l’espace public, et surtout à faire en sorte que les populations se réapproprient le politique. Pourtant, en 2017, le même index révèle, pour toutes les régions du monde, une régression jamais égalée de la démocratie.
La France, déjà qualifiée de démocratie imparfaite en 2016, perd encore cinq places en un an. En 2017, elle est classée 29ème sur 176 pays. La France connait effectivement une crise démocratique inquiétante. Son diagnostic est désormais bien établi. Les qualificatifs (transparente, liquide, participative, collaborative, inclusive, contre-démocratie, etc.) utilisés pour définir ses remèdes suffisent à en comprendre les symptômes. Les dernières élections présidentielles de 2017 ont rappelé que la frontière avec l’extrémisme n’existait plus pendant que l’accès aux droits pour tous continue de régresser. Portées par des équipes municipales, citoyens, acteurs de la société civile et universitaires, des innovations sont expérimentées en termes d’outils (ex : budgets participatifs, conseils citoyens indépendants, agora, maison de la citoyenneté, conseils participatifs, civic tech) et de modalités d’action publique (processus décisionnel, leadership participatif, collégialité, implication habitante, coresponsabilité, etc.). Enracinées autour d’un territoire ou d’une collectivité donné, attachées à des personnalités ou des collectifs spécifiques, ces expérimentations restent cependant peu connues en dehors d’un cercle d’initiés et partielles dans leur portée. La mesure de leur impact social et systémique reste difficile et complexe. Pourtant, sans parvenir encore à incarner un nouveau système, ces dynamiques s’inscrivent de fait dans la refondation de la démocratie. Elles élargissent le champ des possibles mais elles ne sont pas le nouveau modèle en réduction. La refondation de la démocratie est un chemin complexe et incertain qui prend des trajectoires et des formes variées, qui s’inscrit dans une diversité de temporalités non linéaires entre le court, moyen et long terme et qui s’ancre sur des territoires. Dans ce contexte, nous affirmons qu’il est urgent de refonder la gouvernance démocratique de façon systémique, à partir de : Deux enjeux, principaux et imminents: - Re-légitimer la démocratie comme système politique face aux réponses populistes surfant sur la défiance vis-à-vis d’institutions qui ne répondent pas suffisamment aux anxiétés sociales;
- Appuyer un développement fondé, non plus sur le paradigme économique, mais sur celui politique, pour l’accès effectif aux droits pour toutes et tous, la justice sociale et la durabilité.
Et des convictions fortes : - Nos urgences d’aujourd’hui et de demain nécessitent plus que jamais d’activer des Transitions écologiques et sociales en faveur de sociétés plus justes et durables ;
- La transition démocratique est la « mère des Transitions » : il nous appartient de définir collectivement, avec le plus grand nombre, les valeurs et le modèle de développement auquel la transition écologique et sociale peut aboutir ;
- Les questions du sens et des valeurs sont structurantes pour la sortie de la crise démocratique ;
- La démocratie « vivante », « permanente », réelle et effective est un continuum qui s’inscrit dans le temps long et qui ne saurait se cantonner aux seules échéances électorales ;
- La démocratie est avant tout une manière d’être ensemble, de reconnaître l’autre comme son semblable. La démocratie, c’est un principe d’égalité affirmé philosophiquement et légalement mais aussi inscrit dans la réalité quotidienne. Il ne suffit donc pas de travailler sur les institutions et les outils, il faut également et surtout travailler sur le vivre ensemble ;
- L’échelon local est un maillon fort de la « chaîne de la transition démocratique », où persistent une confiance et une proximité avec la réalité des besoins et des urgences, il est un espace d’expérimentation et un territoire porteur d’innovations collectives propices à l’action concrète ;
- La puissance de transformation de nos sociétés réside dans l’articulation des différentes échelles de décision et d’action (du local, au national en passant par l’Europe jusqu’à l’international), des différents acteurs (citoyens, sociaux, publics, économiques, consulaires, etc.) et des sphères individuelles, collectives et institutionnelles ;
- La nécessité que tous les acteurs aient l’opportunité de réinvestir un rôle politique (dans la co-construction du politique) et de ne pas opposer élu et citoyen, démocratie représentative et démocratie participative, réponses à mettre en place au niveau particulier et au niveau général, local et global ;
- L’impératif d’agir sur l’intégralité de la « chaîne démocratique », allant des individus aux institutions en passant par les formes d’organisation collective, et sur leurs interactions réciproques.
C’est pourquoi nous proposons de peser sur le système démocratique, pour le renouveler, avec l’initiative des Fabriques de la transition démocratique-FabDem. Fondées sur une méthode pragmatique, les FabDem s’ancrent dans les solutions et transitions déjà à l’œuvre tout autant que le recul réflexif. Les FabDem visent à relier efficacement expériences et acteurs, initiatives et outils, sens et valeurs, recul réflexif et vision, accumulation de savoirs et diffusion de pratiques, au service de la construction d’un récit positif, de la capacitation des acteurs et de politiques publiques adaptées. Plus globalement, avec les FabDem, nous affirmons vouloir contribuer à transformer fortement le système par la fertilisation croisée de la diversité des solutions expérimentées ainsi que par la mise à disposition d’une analyse de leurs potentialités. Concrètement, il s’agit aussi de relier des pionniers de l’agir démocratique et de renforcer leur communauté ainsi que leur ouverture à d’autres espaces de débat et d’action. Notre objectif est d’œuvrer et de contribuer à refonder notre démocratie sur le paradigme du « pouvoir en commun », en substitution à celui actuel : le « pouvoir sur ». Nous affirmons, que la coproduction de l’action publique est un vecteur puissant de la résilience démocratique individuelle, collective et institutionnelle requise pour redéfinir la fabrique démocratique à partir de ce changement de rapport à la décision et au pouvoir. La coproduction de l’action publique permet d’agir simultanément sur le changement de postures et de légitimités individuelles et collectives des acteurs, sur leurs modalités d’interaction, sur l’appropriation concrète de l’éthique du commun et de la (co-) responsabilité ainsi que sur la co-construction d’une régulation sociale partagée. En permettant l'intervention d’acteurs aux intérêts hétérogènes et l'interaction constructive entre les différentes régulations que ces acteurs mobilisent, l'action publique plurielle ouvre de fait, d'autres pratiques et rapports au pouvoir. C’est cela qui donne tout son sens à notre proposition de faire des Fabriques de la transition démocratique des laboratoires et des espaces réels d’expérimentation de la rupture, de la rénovation, du renouvèlement de la démocratie. Pour en savoir plus : consultez le site web des Fabriques et la brochure des FabDem.
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