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Présentation

Gestion de la diversité par l’action publique : le cas des Constitutions et des Droits de l’Homme

novembre 2012

Table des matières

La diversité : enjeu central de la gouvernance publique

La gestion de la diversité des conceptions du monde et du pouvoir dans l’action publique se révèle, chaque jour un peu plus, au cœur des enjeux de gouvernance démocratique ac- tuels. Partout dans le monde, du niveau local au niveau mondial, les sociétés sont diverses et elles-mêmes caractérisées par le pluralisme culturel, social, socioprofessionnel, etc. Autant donc de références qui cohabitent, plus ou moins pacifiquement, au quotidien. Cet état de fait, largement analysé par l’IRG dans le cadre de ses activités notamment à l’occasion des rencontres jalonnant le Parcours international de débat et de propositions sur la gouvernance – le Parcours –, est partagé par de nombreux acteurs. Notons notamment le Forum Africain de la Gouvernance dans sa VIIIe édition, qui centrera son attention sur la question de la diversité1 au travers du prisme des élections et de la démocratisation en octobre de cette année. Déjà, le Rapport sur le développement Humain 2004 du Programme de Développement des Nations Unies, intitulé « La liberté culturelle dans un monde diversifié », soulignait à la fois ce constat et son importance : « La diversité culturelle est là pour rester – et pour s’épanouir. Les États doivent trouver les manières de forger l’unité nationale au milieu de cette diversité. » Si la diversité peut-être qualifiée différemment (politique, culturelle, sociale, etc.), l’enjeu commun, le défi en termes de gouvernance démocratique, est désormais exprimé de manière assez consensuelle : comment penser l’unité dans la diversité. Cela requiert de dépasser le paradigme qui a fondé et s’est imposé dans la théorie politique moderne comme la référence unique : le principe de l’unité, supposée ou voulue, comme base de l’action publique et de l’État.

Ainsi, souvent niée, la diversité, même si elle est reconnue et/ou acceptée, ne constitue toujours pas le postulat de base des modalités de définition et d’exercice du vivre ensemble. Faute d’être conçues à partir de la diversité, les institutions et régulations publiques régissant les sociétés incarnent peu les besoins et intérêts de ces dernières. Dès lors, les populations se reconnaissent de moins en moins dans les institutions et règles les régissant. L’État se trouve dans l’incapacité de produire une régulation sociale partagée et inclusive. Cela est souvent au cœur du déficit de gouvernance démocratique légitime auquel sont confrontés les États aujourd’hui et qui fonde la crise du politique ; comme en témoignent les exemples de décrochage entre les populations, les élites et les institutions (notamment les États) dont regorge l’actualité à travers le monde. Les sociétés mobilisent alors des régulations parallèles pour répondre à leurs aspirations et besoins matériels et symboliques : coutumes, religions, économies informelles etc. Trop souvent, les contextes d’extrême pauvreté conduisent les acteurs à adhérer à des régulations extrêmes (mouvement armés, narcotrafics, etc.), ouvrant des situations de fragilités pour les pays et les régions.

Diversité, Constitutions et droits de l’Homme

Ce qui fonde la légitimité du pouvoir renvoie aux visions et représentations que se donnent les sociétés et les autorités de leur raison d’être et de leurs devoirs. Dès lors, analyser l’institutionnalisation du pouvoir et de l’État par le prisme de la légitimité requiert de s’inscrire dans une approche pragmatique, partant de cette situation de pluralisme qui caractérise chaque société. Une telle démarche fonde le travail de l’IRG et de ses partenaires dans le cadre des analyses que nous développons ensemble sur la gestion de la diversité par l’action publique. Nous affirmons en effet que la légitimité de l’État ne repose pas sur une seule source de légitimité, donc une seule régulation (autorités, normes et valeurs), celle légale rationnelle fondant le modèle occidental. Au contraire, nous montrons que la légitimité de l’État découle d’une pluralité de sources. Bien plus, elle repose sur l’interaction des diverses régulations effectivement mobilisées par les acteurs concernés. C’est tout l’objet du Parcours coordonné par l’IRG, en partenariat avec l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique, l’Université de Columbia ainsi que de nombreuses institutions dans les régions visitées et avec l’appui de la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, le Ministère des Affaires Étrangères et l’Agence Universitaire de la Francophonie, que d’identifier et de comprendre les différentes régulations en œuvre et leurs articulations, dans différentes régions du monde.

Depuis 2007, au fil des rencontres du Parcours (en Afrique de l’ouest, Afrique de l’est, Afrique australe, Afrique centrale, Afrique du nord, Amérique andine et Europe), l’IRG et ses partenaires donnent à voir les acteurs, les valeurs et les normes qui fondent l’adhésion au pouvoir. Notre démarche a en effet pour ambition de saisir le plus large panel possible de sources de légitimité. Cela conduit inéluctablement à identifier des régulations allant des plus évidentes (attachées à la tradition, la religion, la légalité formelle – droits de l’Homme, élections, constitutions, l’économie, etc.) aux moins évidentes (liées à la violence, au sectarisme, etc.) mais revendiquées par les acteurs qui les considèrent efficaces pour répondre à leurs besoins en lieu et place de l’État. Ces régulations sont le curseur du degré de légitimation de l’État, de sa fragilisation voir de son contournement. Très vite, face à cet inventaire toujours en mouvement, il est apparu évident que c’est moins l’établissement d’un état des lieux des sources de légitimité en œuvre dans les sociétés qui importe en termes de gouvernance légitime que la compréhension des dynamiques, des principes d’évolutions et de reliance entre ces régulations. Chacune de ces dernières renvoie à des autorités, des normes et des valeurs sous-jacentes spécifiques affectant la conception et la pratique du pouvoir. En tant que telle, chacune de ces régulations n’est pas figée, ni définitive, elle évolue au grès des interactions avec les autres. Les équations de combinaisons possibles sont donc multiples et changeantes. La légitimation du pouvoir repose sur un équilibre délicat. C’est tout l’enjeu pour l’État, en termes de légitimité, que de pouvoir favoriser des interactions constructives entre les différentes sources de légitimité du pouvoir, lesquelles sont les vecteurs d’une régulation sociale partagée, et que d’être en capacité de définir le cadre d’une culture politique et civique commune ancrée dans la diversité de ses sociétés. Or là encore, le Parcours a permis de montrer que l’État est peu souvent en capacité de favoriser de telles dynamiques. Nous avons donc décidé de partir à la recherche d’exemples et contre-exemples de telles interactions, afin de pouvoir identifier les vecteurs et modalités permettant le développement de ces articulations constructives. C’est d’ailleurs dans cette perspective, en 2008, en Afrique du Sud, que l’objet Constitution est apparu comme un axe central de réflexion et de propositions. Norme devant incarner par excellence le contrat social, le mythe fondateur, les récits sacrés des sociétés, la constitution, loin d’être le creuset et garant d’une telle régulation partagée, est le plus souvent un texte technique, faisant au mieux référence à diverses sources de légitimité mais n’étant jamais le résultat de leurs hybridations. Il a alors été décidé de lancer un réseau international pour la promotion d’une approche plurielle des constitutions, objet que tous les partenaires ont estimé être un enjeu fondamental de la gouvernance démocratique légitime aujourd’hui. L’approche plurielle repose sur 1) le postulat de la diversité et 2) des processus favorisant des interactions mutuellement constructives entre les divers éléments constitutifs de la diversité en vue de renforcer la légitimité de l’action publique.

Depuis 2010, des indignés en passant par la crise et bien évidemment les printemps arabes, l’actualité nous rappelle chaque jour l’urgence et les défis de pouvoirs politiques qui donnent sens, en termes de vivre ensemble, au pluralisme social qu’ils sont censés incarnés. Dans cette démarche de définition et de promotion d’une approche plurielle de l’action publique, la rencontre du Parcours à Lima pour l’Amérique andine nous a permis d’identifier un champ très intéressant d’expériences d’articulation constructive entre différentes conceptions des droits de l’Homme, dans le cadre de la démarche interculturelle adoptée par le système interaméricain des droits de l’Homme. De part leur symbolique dans l’institutionnalisation des États, Constitutions et droits de l’Homme sont des normes publiques qui ont vocation à être des espaces d’inventivité nouvelle pour une approche plurielle de l’action publique.

Constitutions et droits de l’Homme se sont donc imposés comme des prismes concrets à partir desquels ce réseau développe ses réflexions dans une perspective multiacteurs, interdisciplinaire et interculturelle. Nous proposons donc à l’occasion de la rencontre d’Addis-Abeba de mettre en débat la question de la gestion de la diversité via le prisme des objets Constitutions et droits de l’Homme.

Notes

1 : Concept Note. The Eighth African Governance Forum (AGF-VIII) on Democracy, Elections and the Management of Diversity in Africa, UNDP/ECA Joint Governance Initiatives, Addis-Ababa, pp. 9.