note de lecture
Habitat créatif, éloge des faiseurs de ville
Habitants et architectes d’Amérique latine et d’Europe
Auteur : PEDRAZZINI Yves, BOLAY Jean-Claude, BASSAND Michel et al., Habitat créatif
Par Robert Douillet
Table des matières
L’urbanisation, phénomène relativement récent, est extrême dans certains pays d’Amérique latine - 94 pour cent de la population du Venezuela vit en ville - et n’a pas été accompagnée d’une offre suffisante en matière d’habitat et d’équipements urbains. Ce déséquilibre entre fort besoin de logements et faiblesse de l’offre, issu de politiques insuffisantes, entraîne le développement important d’un phénomène d’autoconstructions plus ou moins assistées, d’agrandissements et de transformations de logements existants, d’occupations et d’améliorations de logements abandonnés.
L’habitat de ces zones pauvres est toujours construit au fur et à mesure des disponibilités financières de leurs propriétaires, de l’évolution de la structure familiale, et dépend de la disponibilité en espaces aux alentours. On construit ou on consolide au fur et à mesure des rentrées d’argents, on agrandit quand la famille s’agrandit. Après l’extension horizontale, vient l’extension verticale, ce qui entraîne le manque de lumière, les pollutions auditives ou olfactives et bien sûr, parfois, des conflits avec les plus proches voisins… soit tous les éléments révélateurs d’une dégradation de la qualité de vie. Pour pouvoir assurer son « propre minimum vital » , sa propre survie, l’intérêt individuel commence alors à prévaloir sur l’intérêt collectif, d’où la difficulté ensuite de proposer ou mettre en place une politique participative et collective de l’habitat.
L’habitat créatif est une réponse à cette dégradation du milieu urbain. Nouvelle création sociale et spatiale, l’habitat créatif est le lieu de réinventions des hiérarchies, celle notamment qui place les architectes au-dessus des habitants et qui limitent leurs relations. Bâtisseurs professionnels et non professionnels doivent réfléchir ensemble sur les critères liés à l’habitat, qu’ils soient socioculturels (esthétique, sécurité, etc…), techniques (eau, ventilation, ensoleillement), architecturaux (schéma de circulation, …) ou légaux (statut de propriété, densité territoriale, etc…). Ils doivent mettre en place des services mutuels pour déboucher sur un habitat innovant satisfaisant au mieux les attentes des usagers.
Le porche, par exemple, permet d’intégrer la polarité public/privé ; espace de transition extérieur, code commun aux quartiers populaires, il donne la possibilité à chacun d’affirmer sa différence selon la forme qu’on lui donnera. De même, les traitements de façade, finitions et décorations, sont importants car ils répondent au besoin d’appropriation et d’expression des habitants.
En dehors des critères architecturaux ou techniques, il est nécessaire d’investir le champ décisionnel lié à l’habitat et donc de promouvoir la participation des habitants tout au long des processus de création. Et même si « prétendre à la participation, c’est affronter directement la question du pouvoir » (d’où la difficulté de la faire accepter par les instances politiques ou techniques décisionnelles), c’est une lutte prioritaire à mener pour modifier sa propre vie quotidienne en restructurant les liens entre vie privée et vie publique.
Commentaire : L’ouvrage « habitat créatif, éloge des faiseurs de ville » est une sélection d’articles écrits à la suite de manifestations réunissant les spécialistes de l’habitat en Europe et en Amérique latine. Il se compose de trois parties.
La première est consacrée à des réflexions concernant la place et le rôle des architectes dans le monde contemporains et à leurs difficiles (quand elles ne sont pas inexistantes) relations avec les habitants. Cette partie est d’un accès et d’une compréhension difficiles pour un lecteur qui n’est pas un professionnel de l’habitat et des sciences sociales… Les exemples concrets sont absents, les concepts et les terminologies très « professionnels »…
La seconde partie est plus accessible car plus facile à lire et plus concrète. Elle illustre comment les villes de Caracas et de Buenos Aires se sont étendues avec la participation populaire. Quatre chapitres présentés par autant d’auteurs, chercheurs en sociologie ou en architecture et urbanisme, nous éclairent sur les raisons et les modalités de la création participative de l’habitat. Cette partie présente des analyses de terrain par quartiers ou par thème (autoconstructions assistées, occupations de maison abandonnées, etc…) ; certains chapitres sont illustrés par des schémas récapitulatifs (malheureusement non traduits du portugais ou de l’espagnol).
La troisième partie de l’ouvrage est aussi difficile à lire que la première, aussi opaque voire rébarbative. Elle traite de participation et de citoyenneté, mais le style et les concepts sont trop complexes pour le lecteur commun. Seul le chapitre sur la participation dans la reconversion créative des grands immeubles de Sofia en Bulgarie, est véritablement accessible. Il illustre bien quelles pouvaient être les politiques urbanistiques des anciens pays communistes de l’Est de l’Europe. La participation allait de soi, de la construction proprement dite à la rénovation, mais elle était aussi souvent rendue obligatoire par le système économique et social, système qui demandait parfois 30 à 40 ans d’attente avant la finition des travaux et l’accession définitive au logement.
Introduction et conclusion tentent de donner un lien entre les différents textes des différents auteurs. Là encore, les concepts exposés intéresseront certainement chercheurs et professeurs des matières concernés, mais éloigneront de l’ouvrage ceux qui n’ont pas suffisamment de connaissances et de vocabulaire technique et scientifique sur le sujet.
Références documentaires
PEDRAZZINI Yves
BOLAY Jean-Claude
BASSAND Michel et al., Habitat créatif, éloge des faiseurs de ville, Charles Léopold Mayer in. Dossier pour un débat, 1996 (FRANCE), 62, 190 p.